(Assamblée nationale.) A R C,H1 VES PA R 1 ,E '.î ENTA IR ES. )7 septembre 1789], 591 lumières sur la législation, sur les ressorts politiques d’un grand empire. Que dans une telle Assemblée, de grands talents fassent prévaloir des intérêts, des passions particulières, que la terreur s’empare des uns, et l'esprit de faction des autres, que deviendrait alors la Constitution? Nous aurions sans doute pour ressource le veto du monarque; mais si les mauvaises lois propo-posées étaient à l’avantage du pouvoir exécutif, si les chefs de l’Assemblée, corrompus, égaraient ou faisaient intimider leurs collègues, quel moyen d’empêcher une nouvelle révolution? La nation pourrait être asservie avant d’être avertie qu’elle en court le danger. Qu’au contraire, des sénateurs plus figés, plus versés dans la connaissance des affaires par les magistratures qu’ils auront exercées, soient chargés de réviser, de discuter de nouveau les décrets proposés par la Chambre des représentants, les motifs de l’improbation du Sénat avertiront déjà la nation, le monarque, et tous ceux des représentants qui auraient été trompés de bonne foi. Alors il est probable que la réunion des deux Chambres pour une délibération définitive produira la réforme du décret rejeté, surtout si l’on statue qu’un decret rejeté par le Sénat ne peut être adopté par les deux Chambres qu’aux deux tiers ou aux trois cinquièmes des voix. On a dit contre cette proposition, qu’en supposant une délibération de six cents représentants improuvée parle Sénat, l’amour-propre des premiers, irrité, maintiendrait en leur faveur la pluralité des voix. Mais l’auteur de cette objection n’a pas fait attention que, dans ce cas, il n’y a d’amour-propre compromis que celui qui propose, qui rédige la loi, qui entraîne les suffrages ; et que la grande pluralité de ceux qui concourent à une décision ne demande souvent que des lumières et un point d’appui pour y résister : or le Sénat, dans de telles circonstances, serait, pour les hommes trompés, le point d’appui et la lumière. D’ailleurs, comme les mauvaises lois peuvent porter sur toute autre chose que la prérogative royale, pour la réduire ou l’étendre, le monarque, averti par l’improbation du Sénat, userait avec plus de confiance de son droit de veto; et c’est alors que personne n’en contesterait plus futilité. Ainsi, Messieurs, la plus grande facilité des discussions, l’utilité de la révision, la confusion possible dans une nombreuse Assemblée, les mouvements que peuvent y exciter l’éloquence, la prévention, l’impatience, et beaucoup d’autres motifs qui nous ont été développés, me font adopter la proposition de deux Chambres également électives, avec la différence que le Sénat ne pourrait être renouvelé que tous les sept ans, et que les sénateurs seraient choisis sans distinction de naissance, parmi les hommes qui se distingueraient dans les magistratures civiles et militaires, et dans le ministère ecclésiastique. Tel est mon avis. M**\ Je crois que la permanence de l’Assemblée nationale est nécessaire pour conserver notre liberté ; il faut aussi mettre en activité les Assemblées provinciales, mais ne les laisser exister que pendant le temps des Assemblées nationales : 1° Parce que ces Assemblées les surveilleront; 2° Parce que dans l’intervalle il faut un laps de temps pour que le pouvoir exécutif puisse agir. Sur l’organisation du pouvoir législatif, l’on dit que, comme il est un, il ne faut également qu’une Chambre : c’est là l’abus d’un principe. Le pouvoir souverain est un ; mais il se sous-divise-en bien des branches : au surplus, il faut distinguer trois choses : la délibération, le décret et la sanction. Or, c’est pour apporter la maturité nécessaire que je crois devoir opiner pour les deux Chambres ; elles seules pourront veiller mutuellement à la Constitution. Les factions, l’ignorance, l’ambition, toutes les passions échoueront devant elles. Je pense qu’il faut un Sénat, avec cette différence qu’il sera changé tous les sept ans. M. de Cugfine vote pour la permanence, l’unité et le veto. 11 est démontré, dit-il, que la permanence est devenue nécessaire. Je respecte cette opinion et je pense qu’une seule Assemblée nationale, souvent renouvelée, aura une forme plus imposante que la seconde Chambre d’Angleterre, où ce qu 'on appelle la Chambre haute est nulle dans les affaires publiques. Le veto suspensif ne peut exister : quel est le Roi qui refuserait de sanctionner une loi juste? Les ministres ne sont-ils pas responsables? Enfin, mon opinion est que la loi doit être repoussée si le Roi la refuse et admise si elle lui convient. La discussion est interrompue par l’introduction de la députation annoncée; elle est placée sur des chaises en avant de la barre. M. Bouche, organe des citoyennes qui composent la députation, lit, en leur nom, le discours suivant : Messeigneurs, la régénération de l’Etat sera l’ouvrage des représentants de la nation. La libération de l’Etat doit être celui de tous les bons citoyens. Lorsque les Romaines firent hommage de leurs bijoux au Sénat, c’était pour lui procurer l’or sans lequel il ne pouvait accomplir Je vœu fait à Apollon, par Camille, avant la prise de Veïes. Les engagements contractés envers les créanciers de l’Etat sont aussi sacrés qu’un vœu. La dette publique doit être scrupuleusement acquittée, mais par des moyens qui ne soient point onéreux au peuple. C’est dans cette vue que quelques citoyennes, femmes ou filles d’artistes, viennent offrir à l’auguste Assemblée nationale des bijoux qu’elles rougiraient de porter, quand le patriotisme leur en commande le sacrifice. Eh! quelle est la femme qui ne préférera l’inexprimable satisfaction d’en faire un si noble usage au stérile plaisir de contenter sa vanité ! Notre offrande est de peu de valeur, sans doute; mais dans les arts on cherche plus la gloire que la fortune : notre hommage est proportionné à nos moyens, et non au sentiment qui nous l’inspire. Puisse notre exemple être suivi par le grand nombre de citoyens et de citoyennes dont les facultés surpassent de beaucoup les nôtres 1 Il le sera, Messeigneurs, si vous daignez l’accueillir avec bonté; si vous donnez à tous les vrais amis de la patrie la facilité d’offrir des contributions volontaires, en établissant dès à présent une caisse uniquement destinée à recevoir tous les dons, en bijoux ou espèces, pour former un fonds qui serait invariablement employé à l’acquittement de la dette publique. M. le Président. L’Assemblée nationale voit avec une vraie satisfaction les offres généreuses auxquelles vous a déterminées votre patriotisme : puisse le noble exemple que vous donnez en cé ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j7 septembre 1789.] 592 [Assemblée nationale.! moment propager le sentiment héroïque dont il procède, et trouver autant d’imitateurs qu’il aura d’admirateurs! Vous serez plus ornées de vos vertus et de vos privations, que des parures que vous venez de sacrifier à la patrie. L’Assemblée nationale s’occupera de votre proposition avec tout l’intérêt qu’elle inspire. Après ce discours, il a été déposé sur le bureau une cassette renfermant les différents objets offerts à la nation; et l’Assemblée, désirant connaître les noms des citoyennes qui donnaient un si noble exemple, a ordonné qu’ils fussent lus et inscrits dans le procès-verbal de ce jour, et ce sont : JJmes Moitte, présidente. Vien. De Lagrenée, la jeune. Berruer. Souvée. Duvivier. Bell. Vestier. jypies Vassé de Bonrecueil. Vestier. Gérard. Mmel Fragonard. Péron. David. Vernet, la jeune. Desmarteaux. Bonvalet. Corne de Cerf, négociante. M'ie» Phitoud. De Viefville. Hotemps. M. MI ou gin s de Roquefort, député de Grasse. Messieurs, l’auguste sénat de Rome regardait comme un devoir sacré de récompenser avec éclat toutes les actions inspirées par l’amour du bien public; c’est dans ces vues qu’il accorda aux daines romaines, pour les récompenser de leurs généreux sacrifices, des distinctions honorables ; et lorsque des dames françaises nous rappellent la générosité des dames romaines, les représentants de la nation ne seront ni moins justes, ni mbins grands que ces anciens maîtres du monde. Je propose donc : 1° que l’Assemblée vote des remerciements en faveur de ces citoyennes pour l’exemple de patriotisme qu’elles viennent de donner à la nation; 2* qu’elle décrète que leurs noms seront inscrits dans le procès-verbal ; 3° qu’il leur sera permis ainsi qu’à celles qui suivront leur exemple de porter une marque patriotique telle qu’elle sera déterminée. L’Assemblée ne donne pas suite à la dernière de ces propositions, mais elle décide que les citoyennes composant la députation conserveront, pendant le reste de la séance, la place d’honneur qui leur a été accordée. La discussion sur la permanence et V organisation du Corps législatif et sur la sanction royale est ensuite reprise. M. l’abbé Sieyfes (1). Messieurs, j’applaudis à la sagesse de l’Assemblée, qui n’a rien voulu décider sur la question de la sanction royale, avant d’avoir éclairci les questions voisines et dépendantes de la permanence des états généraux et de l’unité du Gorps législatif. Peut-être ces questions elles-mêmes ne peuvent pas tellement s’isoler qu’elles n’aient encore besoin, pour être parfaitement éclairées, d’emprunter toutes les lumières qui appartiennent à l’organisation entière de la (1) Le discours de M. l’abbé Sieyès est incomplet au Moniteur. représentation nationale ; mais ce qui convient le mieux n’échappera pas à votre sagacité. L’Assemblée paraît avoir abandonné l’idée d’attacher au pouvoir royal une part intégrante dans la formation de la loi ; elle a senti que ce serait altérer et dénaturer même l’essence de fa loi que d’y faire entrer d’autres éléments que des volontés individuelles. La seule définition raisonnable qu’on puisse donner de la loi, est de l’appeler l’expression de la volonté des gouvernés. Les gouvernants ne peuvent s’eu emparer en tout ou en partie, sans approcher plus ou moins du despotisme. Il ne faut pas souffrir un alliage aussi dangereux dans ses effets. Que si, considérant la personne du Roi sous la qualité qui lui convient le mieux, c’est-à-dire comme chef de la nation, comme premier citoyen (1), vous voulez faire une exception en sa faveur, vous vous rapellerez les belles paroles que Sa Majeté a prononcées au milieu de vous, avant même la réunion des ordres : Moi, a-t-elle dit, qui ne suis qu'un avec la nation. En effet, le prince, le chef de la nation ne peut être qu’un avec elle; si vous l’en séparez un seul instant, si vous lui donnez un intérêt différent, un intérêt à part, dès ce moment vous abaissez la majesté royale : car il est trop évident qu’un intérêt différent de l’intérêt national ne peut jamais lui être comparé; que, dans une nation, tout fléchit et doit fléchir devant elle. Ainsi le Roi ne peut jamais être séparé, même en idée, de la nation dont il représente toute la majesté. Lorsque la nation prononce son vœu, le Roi le prononce avec elle. Partout il est chef, partout il préside; mais tous ses actes le supposent présent au milieu de vous. Entin ici seulement peuvent s’exercer ses droits à la législation. Si l’on est conduit à reconnaître que le Roi ne peut point concourir à la formation de la loi hors de l’Assemblée nationale, il n’est pas encore décidé pour tous quelle est la part d’influence proportionnelle qu’il peut y prendre. Un votant, quel qu’il soit, peut-il, dans une assemblée quelconque, avoir plus de voix que tout autre opinant?... Cette question a ses profondeurs; mais il n’est pas nécessaire de s’y enfoncer eQ entier, pour prononcer que la moindre inégalité, à cet égard, est incompatible avec toute idée de liberté et d’égalité politique. Je me contente de vous présenter le système contraire, comme ramenant à l’instant la distinction des ordres. Car ce qui caractérise la pluralité des ordres est précisément l’inégalité des droits politiques. Il n’existe qu’un ordre dans un Etat, ou plutôt il n’existe plus d’ordres dès que la représentation est commune et égale. Sans doute nulle classe de citoyens n’espère conserver en sa faveur une représentation partielle , séparée et inégale. Ce serait un monstre en politique ; il a été abattu pour jamais. Remarquez, Messieurs, une autre conséquence du système que je combats ici. Si le suffrage (Il Le Roi est citoyen de toutes les municipalités ; il est-seul premier citoyen ; tous les autres citoyens sont égaux. Dans l’ordre même des pouvoirs commis , le pouvoir exécutif n’est pas le premier : aussi ce n'est pas à titre de dépositaire de ce pouvoir, que le Roi est supérieur à tous. Je regarde le premier citoyen comme le surveillant naturel, pour la nation du pouvoir exécutif. J’identifie le Roi avec la nation; ensemble, ils sont cause commune contre les erreurs et les entreprises du ministère,