204 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE midor ; il ajoute à cette considération l’influence extrême que les sociétés populaires ont pris insensiblement dans le gouvernement, influence qui est devenue telle que dans les derniers tems, aucun changement ne pouvoit être fait dans les choses et dans les personnes sans leur consentement ou leurs conseils; les administrations, et sur-tout les comités révolutionnaires croyoient ne pouvoir agir d’une manière utile et paisible sans avoir fait sanctionner par le suffrage des sociétés les mesures même les plus importantes. Le gouvernement révolutionnaire, dit-il, pour atteindre son but doit être unique et sans rival ; si vous laissez encore aux sociétés populaires une part aussi active au gouvernement, son action sera perpétuellement contrariée ou entravée. Un des grands moyens par lesquels les sociétés populaires sont parvenues à ce degré d’autorité, c’est la correspondance et la communication : par le moyen de ce double lien elles ont formé une corporation immense aussi puissante sur l’opinion que sur l’action du gouvernement. Cette correspondance étoit collective par sa nature ou par l’abus qui en a été fait; il est important de la réprimer afin que les sociétés réduites à leurs justes bornes ne puissent s’ériger en corporations puissantes. A la suite de ce rapport Delmas présente un projet de décret en dix articles (92). [Delmas paroit à la tribune, au nom des trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation : vous nous avez chargés, dit-il, de vous présenter les moyens de détruire les abus qui pourraient troubler l’ordre public, entraver la marche du gouvernement et allumer de funestes divisions. Voici le projet que vos comités vous apportent pour rendre utiles les sociétés populaires, en en consacrant l’existence. Le rapporteur, sans autres réflexions préliminaires, lit les articles suivants.] (93) 1°. Toutes affiliations, aggrégations, correspondances entre sociétés populaires sont défendues comme subversives du gouvernement révolutionnaire. 2°. Aucune pétition ou adresse ne peut être présentée à la Convention nationale ou aux autorités constituées, à moins qu’elles ne soient munies des signatures des citoyens qui les auront arrêtées. 3°. Il est défendu aux autorités constituées de les recevoir sous des formes contraires à cette disposition. 4°. Ceux qui signeront ces adresses ou ces pétitions comme présidens ou secrétaires seront traités comme suspects. 5°. Toutes les sociétés dresseront dans le plus court délai un tableau des citoyens qui les composent, il portera le nom de tous les membres, leur âge, leur qualité avant 1789 et depuis. 6°. Ce tableau sera adressé à l’agent national du district. (92) J. Paris, n” 26. (93) J. Perlet, n° 753. 7°. Une copie sera remise à l’agent national de la commune. 8°. Il sera envoyé également à la commission de la police des administrations et des tribunaux. 9°. Ce tableau sera renouvelé à des époques rapprochées. 10°. Tous contrevenans aux dispositions contenues dans le présent décret seront traités comme suspects (94). PELET : Il y a dans ce projet des dispositions qui méritent un profond examen. Les premières paraissent être conformes aux principes ; mais il ne faut pas mettre d’enthousiasme dans une loi de cette nature; cela pourrait faire interpréter les intentions de la Convention d’une manière désavantageuse. Je demande l’impression et l’ajournement (95). [Un membre demande l’impression et l’ajournement. Ce projet de décret, par l’importance de ses résultats, lui paraît mériter le plus sérieux examen : quelques-unes de ses dispositions lui semblent porter atteinte à la déclaration des droits, et il pense qu’une pareille loi ne doit point être adoptée d’enthousiasme, parce qu’elle intéresse essentiellement l’exercice des droits de la nation entière.] (96) THIBAUDEAU : Ce projet me paraît d’une telle importance qu’il me semble nécessaire, même quand l’ajournement serait adopté, d’éclairer le peuple par une discussion raison-née. Je suis effrayé des divers articles de ce projet ; je ne conçois pas comment on pourrait enlever aux agrégations d’hommes fibres la faculté de communiquer entre elles {Murmures). Je pense, comme tous les membres de la Convention, qu’il n’appartient qu’aux représentants du peuple et aux autorités constituées de concourir au gouvernement, que les sociétés populaires ne doivent y avoir aucune part active ; mais je sais aussi qu’elles ont des droits inhérents à la qualité des citoyens qui les composent, des droits qu’il n’est pas au pouvoir du gouvernement de leur ôter. Si les sociétés populaires se sont écartées des bornes que la raison leur prescrit; si elles ont usurpé sur le gouvernement, vous devez en accuser la législation, qui, dans plusieurs lois rendues depuis l’établissement du gouvernement révolutionnaire, les y a fait participer. Si, comme je le crois, il y a des inconvénients à ce que les sociétés populaires conservent plus longtemps ce droit, il faut le leur ôter; il faut qu’elles ne gouvernent plus : mais il ne faut pas pour cela porter atteinte aux droits que tous les citoyens ont de communiquer entre eux. [Si les sociétés populaires ont eu quelque temps une part dans le gouvernement, c’est au gouvernement lui-même que vous devez en faire le reproche; c’est lui qui, par des décrets posi-(94) J. Paris, n° 26. (95) Moniteur, XXII, 255, dont nous suivons le compte rendu; les variantes sont indiquées entre crochets. (96) Débats, n° 755, 385.