268 {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier 1790.] contient plus du tiers de la totalité; que s’il y avait un département qui pût se plaindre ce serait celui du Vélay. Il ajoute que le Vélay ne se plaint pas et que la Haute-Auvergne ne doit pas se plaindre. Quant au prétendu reproche de laisser aux cinq paroisses de la Basse-Auvergne la liberté de s’y réunir, il est dénué de fondement. Ces paroisses sont dans une telle situation qu’elles ne pourraient pas communiquer avec les chefs-lieux de la Haute-Auvergne : il est donc essentiel de leur accorder cette liberté. M. de Bonnal, évêque de Clermont, atteste cette difficulté naturelle. M. Grenier dit qu’il regrette le temps que des difficultés locales prennent sur celui qui est dû à la Constitution; qu’il adopte l’avis du comité, sauf l’amendement, qu’il sera libre aux paroisses de Massiac et aux campagnes voisines, distraites du bas pays d’Auvergne, pour être unies à la Haute-Auvergne , d'exprimer leur vœu à laprochaine convocation, sur le district et le département auxquels elles trouveront plus avantageux de tenir, il observe que toutes les paroisses sont plus près de Brioude, comme district, que de Saint-Flour; et du Puy, comme département, que d’Aurillac. 11 demande que l’avis du comité pour Espinchal, la Godivelle, etc., soit rendu commun à Massiac et autres paroisses voisines. Le département du Vélay est plus petit que celui de la Haute-Auvergne, et si vous n’admettez pas, dit-il, l’amendement, si vous condamnez irrévocablement Massiac et ses environs à être unis au département d’Aurillac, plus de six mille familles seront exposées à périr dans les neiges et les glaces du haut pays quand elles voudront y aller traiter leurs affaires eu hiver. Un membre observe que les paroisses limitrophes des départements seront toujours admises à réclamer et que, comme l’Assemblée ne peut vérifier les faits, il n’y a pas lieu à délibérer. M. Armand a proposé un autre amendement, tendant à réserver à la Haute-Auvergne, pour le cas où les cinq paroisses en question voudraient demeurer unies à la Basse-Auvergne, le droit de prendre d’autre terrain sur la Basse-Auvergne en dédommagement de l’étendue de ces cinq paroisses. M. Gaultier de Bianzat dit que les motifs qui pouvaient déterminer ces cinq paroisses à demeurer unies à la Basse-Auvergne seraient les mêmes pour tous les autres cantons du bas-pays qui sont voisins de la Haute-Auvergne il soutient, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président met aux voix la question préalable sur les amendements. La question préalable est prononcée. Les deux premiers articles, proposés par le comité de Constitution, sont ensuite mis aux voix et adoptés ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis de son comité de Constitution : 1° Que la ligne de démarcation, convenue entre les deux départements d’Auvergne, sera maintenue, sauf à l’égard des paroisses de Condat, Montgrelet, Despinclial, de la Godivelle et de Saint-Alyre, qui seront annexées au département de la Haute-Auvergne, laissant toutefois à ces paroisses la liberté de rester dans le département de la Basse-Auvergne, si elles trouvaient qu’il fût contre leur intérêt de faire partie du premier ; » 2e Que la ligne de démarcation entre le département de la Haute-Auvergne et celui du Vélay, restera telle qu’elle est dans les points convenus entre les députés de ces deux départements; et qu’à l’égard du terrain contesté, il sera partagé de manière à ce que les villes de Massiac et les" paroisses de St-Etienne, de la Chapelle, de Celoux, de Regeade seront à la Haute-Auvergne, et les autres appartiendront au Vélay, le tout ainsi qu’il est plus parfaitement désigné sur la carte déposée au comité de Constitution, et signée par les membres de ce comité. » La question des limites entre le Forez, le Vélay et le Vivarais est ajournée à demain. M. le Président rend compte à l’Assemblée d’une lettre qu’il vient de recevoir de M. legarde-des-sceaux, accompagnée d’un mémoiredela ville de Gènes, à lui communiqué par le ministre des affaires étrangères, et relatif à la souveraineté de l’île de Corse, que la république de Gênes prétend avoir cédée à la France par un traité. M. Barrère de 'Vieuzac, Vun de MM. les secrétaires, donne lecture du mémoire qui est ainsi conçu : Mémoire de la république de Gênes. Depuis que la république de Gênes a cédé, en 1 768, par un traité, à Sa Majesté très chrétienne, l’ad-ministration de la souveraineté dans le royaume de Corse, elle n’a jamais eu lieu de croire que cette île pût rester libre et indépendante, ni sous la domination d’un autre souverain, ni même être sujette à un nouveau système contraire à celui qui a été fixé par le traité. Elle n’a, en effet, pour garantie, que l’obligation contractée par Sa Majesté de ne point s’écarter du traité sans le consentement des parties. Le silence constant que la république a gardé prouve que jusqu’à ce jour, elle n’a même pas eu d’inquiétude sur le sort de la Corse, quoique les faits et les changements arrivés dans cette île, pussent lui en donner quelque motif; elle a toujours été rassurée par l’inviolabilité d’un traité solennel. Cependant tout le monde vient d’apprendre, par la voie de l’impression, que l’Assemblée nationale de France, secondant les demandes et les désirs des Corses, a déclaré cette île partie intégrante de la monarchie française. La république manquerait essentiellement à ce qu’elle se doit à elle même et à ses peuples, si elle négligeait de prier respectueusement Sa Majesté de vouloir bien considérer que ce traité blesse ou plutôt détruit le traité de 1768. Il n’est point contraire à ce traité que Sa Majesté et l’Assemblée nationale, pleine d’équité et de justice, adoptent, pour l’administration de cette île, les sentiments, les systèmes, les divisions et les règlements qui peuvent convenir davantage à la France, ainsi qu’à la nation corse ; la république reste à cet égard dans une entière indifférence. Mais elle ne peut voir du même œil que la Corse devienne partie intégrante de la monarchie française, puisque la république serait blessée dans les droits qu’elle s’est expressément réservés en cédant l’exercice de sa souveraineté dans ce royaume. [Assemblée nationale-! ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[2 janvier 1790-1 La république, pleine de confiance dans la bonne foi et la justice de Sa Majesté, qui connaît combien l’inviolabilité des traités importe au bonheur et à la sûreté des nations, espère qu’elle ne laissera pas sans effets ses respectueuses représentations, et quelle maintiendra tous les droits que la république s’est réservés sur le royaume de Corse, ainsi que toutes les conditions exprimées dans le traité, auquel on ne peut déroger sans consentement réciproque des parties contractantes. Quelques membres demandent le renvoi de ce mémoire au comité diplomatique. D’autres membres réclament l’ajournement. M. le comte de Mirabeau. 11 me paraît, par le seul exposé du mémoire, que cette question demande d’assez longs débats, s’il faut la discuter dans le sens qu’y paraît donner la république de Gênes. En effet, il faudra beaucoup de subtilités pour établir qu’une puissance, qui se croit souveraine d’un pays, soit, comme elle le dit, indifférente sur le sort des sujets qu’elle réclame. Peut-elle dire au délégué d’une puissance comme la France qu’elle ne lui a laissé que l’administration de la Corse, et qu’il n’a été que son ministre? Je doute qu’il soit possible de reconnaître en peu de temps ta décence, la justice et la justesse d'une semblable démarche. Je propose un ajournement extrêmement indéfini. M. Salicetti, député de Corse. On m’écrit de Corse que les décrets n’y sont point publiés. Le peuple, encore incertain sur son sort, craint toujours qu’on ne le cède à la république de Gênes. Il est français et ne veut pas être autre chose. Un ajournement indéfini lui laisserait des inquiétudes, parce qu’à trois cents lieues, on ne voit pas les choses sous leur véritable point de vue. Il est étonnant que Gênes, après l’avoir tyrannisé, redemande un peuple qui devient libre en devenant français. M. Garat l'aîné. Il y a lieu de s’étonner que la république de Gênes se prétende encore propriétaire de la Corse, et ne nous considère que comme agents de sa souveraineté, nous par qui cette province a été conquise. Gênes prétend avoir cédé la Corse ; on ne cède pas les hommes ; on ne cède pas les nations. 11 ne faut laisser aucun doute sur ce principe. La prétention de la république de Gênes doit être écartée, en reconnaissant qu’il n’y pas lieu à délibérer. M. Bar n ave. Je crois que les préopinants n’ont pas encore présenté le motif qui doit principalement vous déterminer à décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Ce ne sont ni les traités, ni nos conquêtes, qui doivent établir notre droit et le sort de la Corse ; c’est le vœu des habitants de cette île. Ce vœu nous a été présenté par les députés corses; il est consigné dans leurs cahiers ; il a depuis peu été expressément renouvelé, et tous ces actes portent la demande formelle de la réunion de la Corse à la France. Je propose de décréter qu’attendu le vœu énoncé par les habitants de la Corse, de former partie intégrante de la monarchie française, il n’y a pas lieu à délibérer sur la réclamation de la république de Gênes. Au surplus, M. le président sera chargé de prier le Roi de faire envoyer et exéeu-269 ter incessamment les décrets de l’Assemblée nationale en Corse. M. Duval d’Epresinénil. Je ne pense pas qu’une puissance ait le droit de disposer d’un peuple comme d’un troupeau, et je voudrais qu’au sujet de la Louisiane et du Canada, on n’eût pas oublié ce principe. Je ne pense pas que le souverain soit l’agent de la république de Gênes; mais je crois que cette république peut être l’agent de quelque puissance; cet objet serait alors très délicat. Je demande que le mémoire de M. de Spinola, ainsi que le traité de 1768, soient renvoyés au comité des rapports. M. Pétion de Villeneuve. Je ne trouve pas l’avis du préopinant conséquent au principe. Le comité des rapports ne changera pas les faits et la question, il ne détruira pas l’alliance qu’on suppose. Les clauses du traité, quelles qu’elles soient, ne changeront pas le principe ; il n’en sera pas moins vrai que la Corse se donne librement, et que le vœu le plus cher et le plus constant de ses habitants est d’être Français. Cette considération puissante subsistera toujours : le rapport qui sera fait ne la changera pas ; il n’y aura pas plus à délibérer alors qu’à présent. M. le marquis de Mortemart. En adoptant ces principes je m’oppose à une précipation qui serait dangereuse et malhonnête. Il faut discuter profondément cette affaire. Je demande, pour cela,: qu’elle soit ajournée à demain. * M. l’abbé Maury. J’ignore, comme vous, si les réclamations de la république de Gênes sont fondées. Je considère seulement sa plainte comme dénuée de preuves, et son mémoire comme extrêmement vague. Mon avis est qu’une assemblée comme la nôtre ne doit avoir avec une puissance souveraine d’autre correspondance que par ses décrets; il faut répondre, et dès-lors je ne crois pas qu’on puisse ne pas délibérer. Je demande que, pour concilier ce que vous devez à la Corse et à vos traités, vous ordonniez provisoirement l’exécution de vos décrets, et que le président écrive à M. de Montmorin que le mémoire n’a pas paru assez circonstancié, ni exprimer d’une manière précise en quoi les décrets sont contraires aux droits de la république pour que l’Assemblée puisse y répondre. M. de Robespierre. Je pense, comme M. d’E-prémesnil, que la ville de Gênes est mue par une autre puissance : mais quelle est cette puissance? Il n’est pas aisé de le deviner. On peut seulement avoir des indices. Les décrets ne sont pas encore envoyés en Corse, et des troubles y ont été excités. Ne serait-il pas très possible que ces événements eussent quelque rapport avec la demande extraordinaire d’une petite république ? N’est-il pas étonnant que cette demande, extrêmement tardive, arrive au milieu des efforts que l’on fait contre la liberté ? Celte démarche ne doit avoir aucune suite. Ajourner la question, ce serait entrer dans le sens delà demande, en laissant aux Corses des inquiétudes qui fomenteraient les troubles. Il faut la traiter comme toute demande absurde, c’est-à-dire ne pas délibérer. M. de Robespierre croit qu’il est très prudent d’insister sur l’envoi des décrets.