[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 janvier 1791.] cette lettre. Le mot nosseigneurs , était la forme usitée dans le temps où elle a été écrite. M. de Cazalès. Il est démontré qu’ils ne sont pas coupables pour cela du crime de lèse-nation; pour nous l’assurer, il n’est pas besoin de tout le talent de M. Barnave. M. le secrétaire , continuant la lecture : « Nosseigneurs, le bienfaisant décret que vous avez rendu le 8 mars dernier, dans votre sagesse et dans votre équité, en faveur des colonies, est parvenu en cette île le 17 juin, par le vaisseau le Stanislas , surnommé depuis, et à cette occasion, le Sauveur de l’Ile-de-France. « Nous étions dans ce moment environnés des plus grands dangers et le salut de la colonie est dû à l’arrivée imprévue, et en quelque sorte miraculeuse, de cette loi, qui comble à jamais notre reconnaissance. Nous mettrons cependant notre gloire à vous affirmer, Nosseigneurs, que notre conduite antérieure semblait avoir été dirigée, jusque dans ses moindres détails, par l’esprit qui vous a dicté cet heureux décret; vous serez convaincus, Nosseigneurs, de notre fidélité et de notre attachement aux principes de la Constitution, par les règlements provisoires d’organisation de notre assemblée administrative et de nos municipalités, formées dans toute la colonie depuis le mois dernier. Ils ont eu pour base ceux que vous avez décrétés pour l’intérieur du royaume ; mais la localité et la faiblesse de la population ont déterminé quelques modifications dans le mode, et en raison de ces changements nous avons requis, et obtenu préalablement à leur exécution, la sanction provisoire des délégués du pouvoir exécutif dans cette île. « Pénétrés du plus profond respect pour les grandes vues que vous déployez, Nosseigneurs, pour assurer le bonheur d’une grande nation : Français, et brûlants comme vous du saint amour de la patrie, et de celui d’une juste liberté, nous ne pouvions nous égarer; mais il était naturel que nous fussions, comme vous l’avez été, environnés d’embûches et de machinations. « Nous avons pu nous flatter un moment, Nosseigneurs, que votre décret du 8 mars, ainsi que les instructions qui y sont annoncées, parviendraient officiellement au représentant du roi en cette île; mais notre attente a été vaine chaque jour, et ce n’est que par une voie particulière que nous avons eu connaissance, le 29 du mois dernier, des instructions qui nous concernent, en date du 28 mars. Convaincus, par l’expérience, de l'impossibilité ne parvenir peut-être jamais à achever la Constitution en cette colonie, si elle attendait, par la voie ministérielle même, un avis de la Révolution, nous avons pris le parti de demander au gouverneur général actuel, qui heureusement est Français, l’exécution de vos instructions, et celle du décret qui les accepte; il a fait droit à notre demande, et sous huitaine les assemblées paroissiales, qui doivent confirmer ou annihiler notre assemblée générale pour en créer une autre, auront exprimé leur vœu. Quelle que soit leur dérision, nous n’avons point à craindre que la conduite que nous avons tenue soit la cause déterminante de la seconde alternative; si elle est préférée, nous sommes sûrs, Nosseigneurs, d’obtenir de vous cette justice, dès que le tableau fidèle de nos travaux aura été soumis à votre sagesse. « Le premier devoir que rempliront nos députés auprès de vous sera de vous rendre le compte C3o le plus détaillé de la Révolution dans cette île ; nous bénissons la Providence de ce qu’elle s’est opérée sans qu’il ait été versé une seule goutte de sang; leur départ est fixé au 15 du mois prochain sur le vaisseau particulier V Amphitrite. Nous nous bornons en ce moment à vous présenter sommairement l’état des choses : la frégate la Nymphe , le premier vaisseau de la saison qui fasse voile pour l’Europe, est chargée de cette adresse. Tous ceux qui le suivront vous porteront successivement les preuves non équivoques de notre zèle, de notre fidélité et de notre dévouement à fa patrie, à sa Constitution, à la loi et au roi, ainsi que les assurances jamais trop répétées de l’étemelle reconnaissance de cette colonie envers les augustes représentants de la nation à laquelle nous avons le bonheur et la gloire d’appartenir. « Nous sommes avec le plus profond respect, « Nosseigneurs, « Vos très humbles et très obéissants serviteurs; les membres composant l’assemblée générale de la colonie de l’Ile-de-France. «Par l’assemblée générale, Ricard de Bignicourt, président; Jolivet et Durrans, secrétaires. » Un membre demande l’impression de cette adresse et son insertion au procès-verbal. (Gette motion est adoptée.) M. le Président donne lecture d’une lettre par laquelle M. Bailly, maire de Paris, annonce la vente, faite hier, de trois maisons nationales, situées enclos Saiul-Martm : la première, louee l,1661ivres, estimée 14,319 livres, adjugée 30,100 livres ; la 2e louée 600 livres, estimée 10,400 livres, adjugée 10,800 livres; la 3a louée 1570 livres, estimée 22,040 livres, adjugée 59,300 livres. (La séance est levée à 3 heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE ) DU 19 JANVIER 1791. Nota. — ■ M. Dupont, député du bailliage de Nemours , ayant fait imprimer et distribuer son opinion sur la manière dont les jurés doivent recevoir la déposition des témoins, ce travail doit naturellement prendre place parmi les documents parlementaires de l’Assemblée nationale. OPINION DE M. Dupont, DÉPUTÉ DU BAILLIAGE DE NEMOURS, sur la manière dont les jurés doivent recevoir la déposition des témoins (1). Je sens que j’écris trop : mais en demandant la parole, je pourrais ne pas l’obtenir; en l’obtenant, je pourrais n’être point écouté, lorsqu’il s’agit d’une matière qui n’est pas l’objet particulier de mes études. Cependant, comment être chargé de représenter ses concitoyens dans le corps constituant de l’Empire sous lequel doivent vivre eux et leurs descendants, et taire sa (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 336 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 janvier 1791.] pensée sur les questions qui paraissent intéresser le plus essentiellement leur liberté, leur sûreté, leur bonheur? Du moins dans celle dont je crois devoir parler aujourd’hui, je serai d’une extrême brièveté, it ce que j’ai à dire sera, je l’espère, d’une extrême clarté; je ne me perdrai point duos des raisonnements abstraits, je chercherai la vérité dans le cœur humain. Je n’exprimerai qu’un sentiment; mais il me semble que ce sentiment sera d’un intérêt si général et si pénétrant, qu’il deviendra celui de tous les citoyens sans passion, amis de l’humanité, et qui verront combien il est horrible d’txposer l’innocence à devenir souvent victime de la méchanceté, de l’inimitié, de la calomnie et surtout des préventions. C’est l’opinion des comités de Constitution et de jurisprudence criminelle, que, dans la procédure par jurés, les dépositions ne doivent pas être écrites. « 11 suffit, dit M. Duport, que la « conscience du juré soit informée; elle se dé-« termine par une foule de petites circonstances « impossibles à écrire. » Cette opinion me paraît la plus dangereuse que l’on puisse avoir dans une République; elle me paraît plus dangereuse encoie dans une République naissante. On ne peut pas se dissimuler que cette espèce de gouvernement achète la liberté au prix des orages, la conquiert et la conserve dans le choc dt s paitis opposi s, on dit même qu’ils y sont nécessaiies comme les tempêtes à la mer pour en empêcher la corrui lion. Ou peut donc s’attendre que pendant longtemps, que peut-être toujours, l’esprit de parti influera dans les procès criminels; qu’il présidera au choix des jurés de manière a en rendre les récusations illmoires; qu’il environnera ces jurés des préventions de la multitude. Les jurés ont donc besoin eux-mêmes, pour leur sûreté, pour leur honneur, ue conserver les détails de la procédure et de les opposer à l’opinion publique, quand celte opinion exaltee ou égarée se trouvera en contradiction avec leur conscience qui doit dicter leur jugement. L’accusé a besoin de ce monument de la procédure pour défendre sa vie, ou pour sauver au moins devant la postérité sa réputation de l’in-floence des préjugés, et de l’aoimosité que le parti dont il ne sera pas aura répandue contre lui, aura répandue même sans crime, même sans se eroiie calomniateur, par le seul effet de cet esprit dépréciateur et injurieux qui caractérise les partis. Je parle ici d’après ma conviction intime ; et je crois parler pour la majorité de la France, pour tous ceux qui ne veulent que la liberté des actions et des pensées, la sûreté des personnes, la propriété des biens, le progrès de l’agriculture, des arts, de l’industrie et du commerce, qui comme moi ne sont d'aucun parti, qui par conséquent se trouvent également en butte aux deux partis opposés, et ont doublé leurs ennemis eu si tenant dans le juste milieu, pLxe honorable et dangereuse de la laison et de la \ertu. Je l’aime, celte place dont je connais tout le pérb. Je veux bien q iMle puisse me coûter la vie : il y a dix-huit mois que j’v suis résigne, et que cette idée, loujoms présente à ma vue, n’a pas fait chanceler ma mmehe de l’epaLseur d’un cheveu. Mais je ne veux pas qu cet amour inviolable et sévère du devoir et les persécutions qu’il peut entraîner puissent jamais me coûter mon honneur. Je veux, dans tous les cas, pouvoir léguer ma mémoire à l’histoire et à mes enfants; je veux, si je tombe victime d’une cabale, qu’ils puissent chercher, et dans ma défense, et dans les discours de mes accusateurs, et dans les dépositions de leurs témoins, et dans celles qu’y opposeront les honnêtes gens que je pourrai invoquer aussi ; je veux qu’ils y trouvent et qu’ils en puissent faire ressortir, lorsque l’orage sera passé, mon innocence resplendissante et ma conscience noble et pure comme elle sortit des mains du Créateur. Je ne veux pas que cette dernière propriété de l’homme de bien, la réputation, puisse être opprimée et anéantie avec lui, et qu’on puisse dire froidement : « Il est mort, « les jures l’ont condamné, donc il était cou-« pable. » Je veux qu’on puisse répondre : > Non * pas, il n’était que malheureux et calomnié. » Je veux qu’on puisse le prouver avec évidence. Citoyens philosophes, législateurs, n’enviez pas et n’enlevez pas cette résurrection aux morts vertueux. Je veux encoi e pouvoir me défendre jusqu’à la dernière extrémité, même de la fureur des partis. Je veux pouvoir poursuivre le calomniateur et faire punir le faux témoin. Comment le pourrai-je, si sa déposition n’est pas écrite, s’il peut mer demain d’avoir dit ce qu’il aura très effectivement prononcé hier? Je veux qu’on ne m’enlève aucuu des appuis que peut réclamer l’innocence outragée. Il y aura deux jurés, celui d’accusation, celui d’instruction. Si dans celui d’accusatiou, un témoin m’a été favorable, et s’il est mort avant le travail du second juré, je ne veux pas être privé de l’assistance de œ témoin plus voisin du fait; je veux que ses dépositions soient constatées dans la première pmcédure, et puissent étayer ma défense dans la seconde. Enfin si je suis appelé à témoigner moi-même dans un procès où l’innocence aura succombé, je ne veux pas que les parents, que les amis de l’infortuné puissent croire ou supiposer que j’ai contribué à sa perte. Je veux devait eux, je veux devait tous mes concitoyens, me couvrir de la üuéliié de ma déposition, je veux pouvoir leur dire : « Voyez le registre, eu voici l’extrait, voilà « ce que j’ai raconté, voilà comme j’ai vu les « faits, et de. quelle manière je les ai exposés aux « jurés. » Si tous ces remparts pour l’accusé, pour les témoins, ne sont pas au nombre des droits les plus précieux de l’humanité, au nombre de ceux dont la société ne doit jamais permettre qu’il soit privé, je n’ai aucune îdre de ce que c’est qu’une société politique; et l’état sauvage où tous les individus d’une famille se considèrent, s’appuient et se vengent : cet état de guerre, t