[24 novembre 1789.] 249 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Target donne une nouvelle lecture de l’article proposé par le comité de constitution. Il est mis aux voix et décrété. M. Salomon de la Saugerie , secrétaire , rend compte du résultat du scrutin pour la nomination des membres du nouveau comité des recherches. Le comité est composé ainsi qu’il suit : MM. le marquis de Foucault-Lardinalie. Turpin . de Talaru de Chalmazel, évêque de Coutances. Tailhardat de Maisonneuve. Tuaut de la Bouverie. Vernin. de Chabrol. Vieillard (de Coutances). de Longuève. Yvernault. Durget. le marquis deMonspey. Le dépouillement du scrutin pour la composition du comité des lettres de cachet a donné pour résultat la majorité des voix à MM. Fréteau, de Castellane, comte de Mirabeau et Salomon de la Saugerie. M. Salomon ne pouvant, à cause de la continuité des fonctions d’inspecteur des bureaux, se livrer au travail relatif aux lettres de cachet , M. Barrère de Vieuzac qui a réuni le plus de voix après lui, se trouve le 4e commissaire désigné. En conséquence , le comité des lettres de cachet se trouve composé de la manière suivante : MM. Fréteau de Saint-Just. le comte de Castellane. le comte de Mirabeau. Barrère de Vieuzac. M. le Président dit qu’il a reçu de M. le garde des sceaux , une lettre accompagnant un état indiquant la date des envois des décrets sanctionnés ou acceptés par le Roi et des enregistrements ou accusés de réception des dits décrets. M. le garde des sceaux prie l’Assemblée de ne pas perdre de vue le mémoire concernant la police des grains et marchés, le mémoire concernant les emprunts délibérés par les villes de Besançon et autres, enfin le mémoire relatif à la manière de procéder aux impositions ordinaires dans les provinces régies par des Etats provinciaux. M. Target propose de continuer la délibération sur les articles proposés par le comité de constitution et qui ont été rectifiés d’après les observations précédemment faites. Les 3 articles suivants sont adoptés sans discussion, ainsi qu’il suit : art. 2. Les assemblées administratives sont subordonnées au Roi comme chef suprême de la nation et de l’administration générale, et elles ne pourront exercer les fonctions qui leur seront confiées que selon les règles prescrites par la constitution et par les décrets des législatures, sanctionnés par le Roi. ART. 3. Elles ne pourront établir aucun impôt pour quelque cause ni sous quelque dénomination que ce soit, en répartir aucun au delà des sommes et du temps Fixés par le Corps législatif, faire aucun emprunt sans y être autorisées par lui , sauf à pourvoir à l’établissement et au maintien des moyens de leur assurer les fonds nécessaires au payement des dettes, aux dépenses locales, et aux dépenses imprévues ou urgentes. art. 4. Elles ne pourront être troublées dans l’exercice de leurs fonctions administratives par aucun acte du pouvoir judiciaire. M. Boyer, député d’Auvergne , donne sa démission à raison de santé, et il prie l’Assemblée d’agréer à sa place M. Bourdon, son suppléant, présent, et dont les pouvoirs ont été vérifiés. L’Assemblée accepte la démission de M. Boyer et admet M. Bourdon. M. 5e Président annonce que les deux commissaires qui manquaient pour compléter le comité des finances ont été élus et que le relevé du scrutin a donné la majorité à MM. Dupont (de Nemours). le baron d’Allarde. L’ordre du jour de 2 heures commence par les réclamations faites par la province de Champagne, concernant la répartition des impôts . M. le baron de Cernon (1). Messieurs, le décret du 26 septembre porte que, dans les rôles de toutes les impositions de 1790, les ci-devant privilégiés seront cotisés avec les autres contribuables dans la même proportion et dans la même forme, à raison de toutes leurs propriétés, exploitations et autres facultés. La proclamation du Roi, en date du 16 octobre dernier, pour la répartition des impositions ordinaires de l’année prochaine, paraît traiter avec égalité tous les citoyens et néanmoins renverser cette égalité en consacrant l’ancien régime abusif dans la répartition. L’article 18 de cette proclamation porte que la cote personnelle , relative aux facultés provenantes de la propriété des immeubles des rentes actives, du commerce ou industrie et autres revenus quelconques, ne pourra être faite qu’au seul lieu du domicile des contribuables et sera réglée pour chacun d’eux d’après des bases uniformes. Tout propriétaire ci-devant privilégié ou taillable, domicilié hors de la province, serait donc imposé dans le lieu de son domicile et pour des propriétés qui seront entièrement ignorées des répartiteurs qui régleront son imposition. Il résulte de là une grande incertitude qui ne peut être fixée par aucun principe général, ni par les connaissances locales ; d’ailleurs, à l’égard de ceux qui ont leur domicile dans la capitale ou dans une autre province, leur contribution est entièrement perdue pour la Champagne et ne peut plus faire partie de la masse générale portée au brevet des impositions qu’elle doit acquitter. Ces propriétaires seront imposés à leur domicile ; leur contribution viendra donc (1) Le discours de M. de Cernon n’a pas été inséré au Moniteur. 250 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 novembre 1789.) en soulagement de la capitale ou de la province qu’ils habitent lesquelles s’appliqueront ainsi les ressources de contribuables qui, au point de vue de la propriété, sont des étrangers. La proclamation du 16 octobre a répandu l’alarme dans la province de Champagne. Le gentilhomme qui n’a d’autre fortune que la métairie qu’il fait valoir, le cultivateur ci-devant tail-lable qui n’a d’autre ressource que son champ, voient avec douleur tous les grands propriétaires non-seulement porter leur fortune hors de la province, mais encore ne rien payer des impositions dont elle est accablée. Les contribuables domiciliés seraient victimes d’une énorme lésion si une partie de la matière imposable était soustraite à l’impôt, si le plus riche propriétaire, adoptant le séjour de la capitale, était par cela même dispensé d’acquitter sa portion des charges de l’Etat. En conséquence, je propose à l’Assemblée le décret suivant : « L’Assemblée persistant dans son décret concernant les impositions, et expliquant l’article 4 du décret du 26 septembre, décrète que pour 1790 tous les propriétaires seront imposés à raison de leurs revenus sur le rôle de chacune des communautés dans l’enclave desquelles leurs biens se trouveront situés. » M. Gaultier de Biauzat. Le projet de décret est juste, aussi je l’appuie à la condition qu’il ne s’applique pas seulement à une réclamation particulière, mais qu’il soit étendu à tout le royaume. M, Prieur. Si les choses restaient dans l’état où elles sont, il en résulterait que les citoyens qui ont abandonné leur patrie dans cet instant de crise seraient récompensés de leur désertion en ne payant pas d’impôts. Plusieurs observations particulières sont faites, et l’ajournement demandé. M. Dubois de Crancé. La Champagne, qui avait toujours été tranquille, est actuellement en désordre ; la commission intermédiaire est menacée... Si vous ajournez cette affaire, les rôles qui devaient être faits il y a trois mois ne le seront plus... Rendez du moins le décret pour ma province; mais craignez que les autres ne se plaignent, si cette faveur ou cette justice est bornée à la Champagne. M. Ansosi. La motion mérite un sérieux examen, elle ne doit pas être décidée à la légère et il y aurait tout avantage à la renvoyer au comité des finances qui en ferait rapport. Cet avis est fortement appuyé. L’Assemblée consultée décide que la motion est renvoyée au comité des finances et ajournée à jeudi. M. de Sainte-Aldegonde, député d'Avesnes. Messieurs, c’est du sein des cloîtres que sortent les plus grands exemples de générosité. Ce sont des femmes ayant renoncé aux joies de la famille qui donnent les plus fortes preuves de patriotisme, et la lettre dont je vais donner lecture à l’Assemblée nationale en est un nouvel et éclatant exemple : « Monsieur, le chapitre des dames chanoinesses de Maubeuge, désirant depuis longtemps seconder les vues de l’Assemblée nationale en contribuant en quelque chose au bien commun, a vu avec regret que le don qu’il avait fait sous le régne de Louis XV de l’argenterie de son église ne lui permettait plus de contribuer à l’augmentation du numéraire. « 11 n’en a été que plus empressé à porter sur l’autel de la patrie une offrande qui pût lui être agréable. « Voulez-vous bien, monsieur le comte, vous charger de présenter à l’Assemblée nationale le contrat que nous avons l’honneur de vous adresser, portant constitution au profit de notre chapitre d’une rente sur les domaines de sa Majesté, au capital de 147,000 livres? « Nous nous estimerons heureuses si ce sacrifice est reçu avec autant d’indulgence que nous avons de plaisir à le faire. « Nous avons l’honneur d’être, monsieur, vos très-humbles et très-obéissantes servantes. « De Lannove, abbesse; de Ghistelle, de Ghis-teüe-Saint-Florin, d’Oultremont, d’Andelot. » M. Ic comte de Saint-AIdegondc dépose sur le bureau le contrat cle rente. L’Assemblée applaudit à cet acte de patriotisme et autorise M. le président à écrire aux dames chanoinesses de Maubeuge pour leur exprimer sa satisfaction. M. le Président lève la séance en indiquant celle du soir pour six heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D’AIX. Séance du mardi 24 novembre 1789, au soir. La séance a été ouverte par la lecture d’une adresse de la ville de Landau, dans laquelle les habitants de cette ville offrent l’hommage de leur reconnaissance, celui de leur adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, l’assurance de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour les soutenir ; enfin la renonciation et l’abandon de tous privilèges quelconques de ville impériale. M. Blin, membre de l’ancien comité des rapports, entretient l’Assemblée d’un affaire assez singulière. La municipalité de Marvejols, en Gévaudan, a rendu un arrêt contre le sieur Gaymond comme coupable du crime de lèse-nation, pour avoir ouvert une lettre. Voici dans quelles circonstance ; Le sieur Gaymond se rend à la poste pour y recevoir des lettres qui lui étaient adressées. Le directeur de la poste lui en présente une adressée au comité dont il est membre. Ceux qui l’entou-rent le pressent de l’ouvrir pour apprendre les nouvelles ; il résiste d’abord parce qu’elle ne lui est pas adressée nominativement; enfin il l’ouvre. 11 est dénoncé et la municipalité déclare, par acclamation, que le sieur Gaymond a encouru l’excommunication civile ; qu’il est incapable d’ entrer dans aucune charge civile, sous réserve toutefois de faire sanctionner l’arrêté par l’Assemblée nationale. Le comité des rapports pense que le sieur Gaymond n’est coupable que d’imprudence, qu’il