[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 59 qu’a produites dans tous les temps la trop nombreuse multiplicité des corporations. L’expérience du présent se joint à celle du passé pour confirmer ce que nous avançons à cet égard. Des différentes congrégations séculières sur lesquelles vous avez à prendre un parti en ce moment, quelques-unes ont montré que l’esprit public déterminait leurs opinions plus que l’esprit de corps, et ce ne sont pas les moins méritantes aux yeux de la religion et aux yeux de la patrie; d’autres, dirigées par des suggestions et des vues particulières, se sont coalisées avec les ennemis du nouvel ordre de choses, et n’ont rien épargné pour opposer, s’il leur avait été possible, une grande résistance à rétablissement des lois. De simples femmes ont oublié qu’elles ne pouvaient obtenir l’hommage des bénédictions et des respects de la société, qu’en se renfermant dans les fonctions touchantes qu’elles devaient remplir auprès de la jeunesse et des malades. Hâtons-nous pourtant de rendre justice au plus grand nombre des individus, membres des sociétés séparées jusqu’ici de la grande société. Reconnaissons que ces coalitions coupables n’ont été que le fruit des menaces ou des conseils de quelques chefs malintentionnés, que la majorité de chaque congrégation est composée de citoyens patriotes, et vous les trouverez presque tous disposés à continuer comme particuliers, à remplir dans les maisons d’éducation, les services qu’ils y ont rendus jusqu’à ce jour, au nom de leurs corporations; beaucoup en effet n’attendent que le moment où vous les ferez jouir de tous les droits de citoyen, pour en afficher hautement les louables sentiments, et en remplir avec fidélité tous les devoirs. Vous allez trouver une foule d’hommes vertueux et savants, jaloux de se distinguer dans les nouveaux établissements d’éducation nationale. Mais tous avaient un sort assuré, et rien ne pouvait les en priver qu’une conduite notoirement coupable ou criminelle. Chacun d’eux, il est vrai, pouvait renoncer à cette existence, et occuper hors de sa congrégation un poste où il ne dépendît que de son travail et des devoirs de sa place ; et vos comités vous proposeront de compenser les justes prétentions qu’ils ont sur les biens qu’ils vous rendent, avec la primitive destination de la plupart de ces biens consacrés à l’utilité publique. Beaucoup de membres des congrégations sont encore dans la vigueur de l’âge et en état de remplir des fonctions publiques ; d’autres aussi ont vieilli en servant l’humanité, et ont mérité par de longs et pénibles travaux la retraite de vétérans. Il convient donc, en changeant le genre de vie des uns et des autres, de faire en sorte que le passage ne soit pénible pour aucun d’eux, en procurant aux vieillards et aux infirmes une existence au-dessus du besoin ; aux autres une récompense des services passés, qui ne soit toutefois qu’un encouragement pour l’avenir. Quant aux congrégations séculières de femmes, toutes destinées à l’instruction des enfants de leur sexe, ou aux soins plus touchants encore des malades indigents, vos comités ont pensé que ces hiles vertueuses, au milieu de la société, ces filles à qui la philosophie de l’Evangile impose les devoirs les plus pénibles et les plus utiles, en même temps que les privations les plus méritoires ; qui, contentes d’une nourriture frugale et d’un vêtement simple et modeste, ont le courage de renoncer, par les motifs respectables de la religion et de la charité, aux droits les plus sacrés de la nature, de surmonter avec joie les dégoûts que leur présente sans cesse l’humanité souffrante, méritaient bien, autant que celles qui se sont destinées au cloître, la liberté de vivre et de mourir dans l’état auquel elles se sont consacrées ; et ils vous proposent en conséquence d’ajourner ce qui concerne les congrégations séculières de femmes, jusqu’au temps ou cette législature, ou l’une des suivantes, aura organisé l’établissement général de secours publics pour le soulagement des pauvres infirmes et celui de l’éducation nationale; persuadés que ces femmes utiles et respectables trouveront dans le nouvel ordre de choses les mêmes moyens de faire leur bonheur personnel en contribuant à celui de la société. En conséquence, nous vous proposons le projet de décret suivant : Art. l9r. « Les corporations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques , telles que celles des prêtres de l’Oratoire, de Jésus, de la Doctrine chrétienne, de la Mission de France ou de Saint-Lazare, des Missions étrangères, des Eudistes, de Saint-Joseph, de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas-du-Ghardonnet, du Saint-Sacrement, du Saint-Esprit, des prêtres dits Mu-lo tins ; « Les congrégations laïques des ermites du Mont-Valérien, de Senard, de Saint-Jean-Baptiste, et tous autres frères ermites; celle des frères des écoles chrétiennes, des frères tailleurs et des frères cordonniers; « Et généralement toutes les congrégations séculières d’hommes, ecclésiastiques ou laïques, sous quelque dénomination qu’elles existent en France, soit qu’elles ne comprennent qu’une seule maison, soit qu’elles en comprennent plusieurs, seront éteintes et supprimées à dater du jour de la publication du présent décret. Art. 2. « Les membres de ces diverses congrégations, actuellement employés dans les maisons d’éducation ou chargés de quelques fonctions publiques, seront tenus de continuer lesdites fonctions jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu. Art. 3. « Immédiatement après la publication du présent décret, les directoires des districts, sous l’inspection des départements, feront dresser, dans leurs ressorts respectifs, un état détaillé des maisons d’éducation, des séminaires, des hôpitaux et de toute autre maison et biens dépendant de chaque congrégation séculière. Cet état distinguera les biens appartenant à une congrégation de ceux appartenant aux villes et municipalités; il distinguera également la portion de biens et de revenus fondés pour l’éducation, pour les secours des malades ou autres objets d’utilité publique, pour le tout être envoyé au Corps législatif. Art. 4. « Néanmoins, l’administration temporelle desdites maisons d’éducation, hôpitaux et autres, continuera à être conduite de la même manière et par les mêmes personnes que par le passé, 60 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes ,] jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu par le Corps législatif. Art. 5. « A dater du jour où l’administration et le régime, soit des maisons d’éducation, soit des hôpitaux, auront été changés en vertu de décrets du Corps législatif, chaque membre d’une congrégation, qui y aura été admis selon les règlements et les épreuves requises pour cette admission, recevra une gratification, s’il y a vécu moins de 12 ans, depuis le jour de son admission ; et il aura droit à une pension viagère, s’il compte dans la congrégation 10 années de services effec-fectifs, qui n’aient été interrompus que pour cause de maladie. Art. 6. « La gratification accordée à un membre de congrégation ecclésiastique séculière sera de 50 livres pour chaque année de service, à compter du jour de l’admission, si ce membre est prêtre ou s’il a rempli quelque fonction de directeur, préfet, professeur ou supérieur dans la congrégation; ia gratification sera de 25 livres par année de service pour les frères des congrégations ecclésiastiques, et pour les membres des congrégations laïques, à compter également du jour de leur admission. Art. 7. « Tout prêtre, supérieur, directeur, professeur ou préfet d’une congrégation séculière ecclésiastique, qui, à compter du jour de son admission, aura plus de 12 ans de service effectif, obtiendra une pension de 500 livres s’il a atteint 50 ans, et de 400 livres s’il n’est point parvenu à cet âge. « Les frères des congrégations ecclésiastiques et tous les membres des congrégations laïques qui réuniront les conditions d’âge et de service, exigées dans l’article précédent, auront également droit à une pension ; mais cette pension sera moitié de celle attribuée à chacune des deux classes distinguées dans le même article. Art. 8. « Tout membre de congrégation séculière, actuellement résidant en pays étranger, à l’exception des missionnaires envoyés hors de l’Europe par leurs supérieurs, ainsi que ceux qui payaient une pension dans leurs communautés, n’auront droit à aucune gratification ni pension. Art. 9. « Les membres infirmes, ou âgés de 60 ans, auront la liberté de continuer à vivre en commun dans une maison qui sera réservée et désignée par le Corps législatif, pour chaque congrégation, pourvu que le nombre de ceux qui le demanderont soit de 15 personnes au moins. Art. 10. » L’Assemblée se réserve à statuer incessamment sur le sort des congrégations de filles. »