[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] ijô raison que je suis alarmé des suites, si le décret n’est pas retiré ou du moins modifié, ou si l’on ne diffère l’exécution du décret en faveur des gens de couleur, nés de pères et mères libres, à l’époque où la nature efface la teinte qui forme elle-même la ligne de démarcation. « D’après l’article 2 de la loi du 11 février, la majeure partie des paroisses avait renvoyé la nomination de leurs députés pour une nouvelle assemblée coloniale, à l’arrivée des commissaires ; mais, pour éviter l’effet du décret du 15 mai, l’assemblée provinciale du Nord s’est bâtée d’inviter toute la colonie à nommer ses députés et à les inviter à se rendre à Léogane, persuadée que le décret redouté ne serait pas arrivé officiellement avant cette époque. 11 paraît que cet avis est généralement suivi. Les 24 députés de la ville du Gap, leurs suppléants, et successivement ceux des paroisses de la province du Nord, vont se mettre en route. Les raisons qui déterminent la formation de cette assemblée, n’échapperont pas aux gens de couleur intéressés et indiqués par le décret ; par bonheur qu’ils ne sont pas nombreux, n’étant pas évalués à 400 dans la colonie. Je pense qu’ils ne hasarderont aucune démarche, d’autant que les affranchis témoignent de la jalousie ; quelques propos répandus et l’opinion générale me portent à le croire. « Le choix des députés de la ville du Cap et d’autres citoyens connus des différentes paroisses, paraît être généralement applaudi. Je ne redoute pas moins le travail de la nouvelle assemblée coloniale, relatif au décret du 15 mai. Tout ce qui me parvient des assemblées générales à cet égard ne me laisse aucun espoir pour son exécution. Je craindrais en ce moment l’arrivée dès commissaires, s’ils en étaient chargés. Quant à moi, je ferai mon devoir avec le zèle qui ne m’a jamais abandonné ; mais j’ose espérer, et je suis même persuadé, que les ordres qui me parviendront ne seront pas de nature à m’obliger à déployer la force ; je n’aürais pas le courage nécessaire pour verser le sang des citoyens, à la tête desquels le roi m’a placé. « Je suis, etc. « Signé : BlâNCHELANDE. » Adresse à V Assemblée nationale , par l’assemblée provinciale du nord à Saint-Domingue. « Messieurs, « Le département de la Gironde nous a fait parvenir un décret qu’il nous écrit être émané de vous, et conçu en ces termes : « Art. 1er [décrété le 13 mai ÎÎ91). « L’Assemblée nationale décrète, comme article « constitutionnel, qu’aucune loi sur l’état des « personnes non libres, ne pourra être faite par « le Corps législatif, pour les colonies, que sur la « demande formelle et spontanée des assemblées « coloniales. » « Art. 2 (décrété le 15). « L’Assemblée nationale décrète qu’elle ne dé-« libérera jamais sur l’état des gens de couleur « qui ne sont pas nés de pères et de mères libres, « sans le vœu préalable, libre et spontané des « colonies; que les assemblées coloniales actuel-« lement existantes subsisteront, mais que les « gens de couleur, nés de pères et mères libres* « seront-admis dans les assemblées paroissiales « et coloniales futures, s’ils ont d’ailleurs les « qualités requises. » « La première nouvelle de ce décret a excité une fermentation géQérale parmi les habitants de Saint-Domingue. Nous avons voulu douter de son existence, parce qu’il est funeste à la colonie et contraire à vos précédents décrets. Il n’a encore pour nous aucune existence légale, parce que rien ne nous assure qu’il soit accepté; il n’est point arrivé officiellement; il n’est point promulgué, mais il a à nos yeux une existence morale, parce qu’un des départements assure qu’il a été rendu. < L’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue, à qui son patriotisme a Mérité les remerciements de la nation dans votre décret du 12 octobre dernier, va vous exposer aVec franchise ses justes sollicitudes pour la colonie, aü sujet du décret du 15 mai dernier. « En admettant les gens de couleur, nés de pères et mères libres, dans les assemblées paroissiales et coloniales, vous effacez la ligné politique qui séparait les gens de couleur des blancs, et vous détruisez par là un intermédiaire nécessaire à la conservation des colonies. « Il faut dans les colonies Une classe entre les blancs et les esclaves, laquelle fasse envisager â ces derniers un espace immense entre eux et les blancs ; il faut même que les esclaves ne puissent concevoir l’espérahcê de devenir jamais lès égaux des blancs, et que leurs vœux n’aient poür objet que l'affranchissement, à recevoir de là main de leurs maîtres, comme un bienfait OU Une récompense de leur fidélité. Car, Messieurs, le sentiment à imprimer doit être tel dü’il contienne 600,000 noirs dans la dépendance de 60,000 hommes libres. « C’est par l’existence d’une classe intermédiaire, que la colonie s’est maintenue jusqu’à ce jour exempte de toute insurrection des noirs. « La nécessité de cette classe ne peut être appréciée en Europe comme dans les colonies* parce qu’elle tient à mille nuances looales, parfaitement bien senties, mais trop difficiles à être représentées, insaisissables pour le raisonnement; en sorte que ia discussion la plus savante sur ces objets éclairerait moins qu’un très court séjour dans les colonies. « En ôtant cet intermédiaire de l’organisation des colonies, vous avez donc, par votre décret du 15 mai, brisé le lien le plus fort de la subordination des noirs. « Les défenseurs de l’aristocratie* les ennemis de la Constitution ont entrevu, dans l’exécution de ce décret, la subversion des colonies, la destruction du commerce et, par contre-coup, la contre-révolution. (Murmures.) « Une puissance maritime, notre ennemie depuis tant de siècles, croit toucher au moment de recueillir le fruit dê ses machinations, et d’élever son commerce sur les débris du nôtre. « Quant à nous, nous avons considéré votre décret comme une victoire remportée par ceux quU dès longtemps, ont témoigné l’opinion quë les colonies sont plus onéreuses qu’utiles à la métropole. « Mais, de quel étoritietheîit n’âvoùà-noüs pâS été frappés lorsque la lecture de ce décret fioüS a présenté la violation iâ plus ManlfëSte dé lâ garantie nationale que tous nous avez donnée par vos précédents décrets; et particulièrement par celui dU 12 octobre dernier j garantie « ttë « ne décréter aucunes lois Sür l’état dés personnes 120 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « dans la colonie, que sur la demande précise et « formelle des assemblées coloniales ». « Dans les premiers moments de la discussion sur les colonies, vous avez reconnu que leur existence était nécessaire à la prospérité de la métropole. « Dans votre décret du 8 mars 1790, vous avez déclaré que, « quoiqu’elles fussent une partie « de l’Empire français, cependant vous n’avez ja-« mais entendu les comprendre dans la Constitu-« tion décrétée pour le royaume, et les assujetir à « des lois qui pourraient être incompatibles avec « leurs convenances locales et particulières ». « Pénétrés de cette grande vérité, qu’une Assemblée législative, par l’ignorance des localités, rie peut faire des lois convenables pour des colonies distantes de 1,800 lieues de la métropole, vous avez, dans votre même décret du 8 mars, et par l’article 1er, autorisé chaque colonie à faire connaître son vœu sur la Constitution, la législation et l’administration qui conviennent à la prospérité et au bonheur de ses habitants. « Malgré que vous ayez décrété, alors qu’il devait y avoir une différence entre la Constitution du royaume et celle des colonies, et que vous aviez besoin des lumières et du vœu des assemblées coloniales pour leur donner une Constitution, vous avez rendu le décret du 15 mai dernier comme une conséquence nécessaire des bases constitutionnelles décrétées par le royaume; vous avez tranché la plus importante question dans les colonies, sans avoir connu le vœu d’aucune assemblée coloniale. « Vous avez prononcé sur l’état des personnes dans la colonie, malgré que, dans votre décret du 12 octobre dernier, vous ayez décrété que vous aviez annoncé, dès avant, la ferme volonté d’établir comme article constitutionnel, dans l’organisation des colonies, « qu’aucunes lois sur « l’état des personnes ne seraient décrétées pour « elles que sur la demande précise et formelle des « assemblées coloniales ». « Votre décret du 15 mai dernier viole donc l’engagement le plus solennel et le plus important qu’au nom d’une nation on ait pris envers une colonie; vous détruisez la confiance des colonies dans vos décrets. « Mais vous n’avez pu rendre, même régulièrement, ce décret, tant que vous n’avez pas révoqué ceux des 8 mars et 12 octobre 1790, qui lui sont contraires; n’étant point révoqués, ils subsistent ; puisqu’ils subsistent, ils doivent être exécutés. « Vous y avez posé les fondements de la prospérité des colonies ; nous avons prêté le serment o’y obéir. Nous trouvons dans le décret du 15 mai la ruine des colonies ; nos pressentiments sur ces objets sont les plus certains, parce que notre intérêt est le plus grand. « Placés entre vos deux décrets des 8 mars, 12 octobre 1790, et celui du 15 mai dernier, qui leur est contraire, nous renouvelons le serment d’exécuter les deux premiers, et d’en maintenir l’exécution. «Nous vous sollicitons, Messieurs, de révoquer votre décret du 15 mai, parce qu’il porte atteinte à la subordination des esclaves, et met la sûreté de la colonie daus le danger le plus imminent; parce qu’il n’est qu’une conséquence des bases constitutionnelles décrétées pour le royaume, tandis que vous avez reconnu la nécessité d’une différence entre sa Constitution et celle des colonies; parce qu’il prononce sur l’état des personnes dans la colonie, tandis que nous avons [31 août 1791.] votre garantie que vous ne prononcerez jamais sur l’état des personnes dans la colonie, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales, et parce qu’il est contraire à vos précédents décrets non révoqués. « A tous ces motifs, nous en joignons un très prochain : la première exécution de ce décret, si elle avait lieu, serait désastreuse pour la colonie ; tous les cœurs sont ulcérés, les agitations dont nous sommes témoins peuvent amener une explosion générale, affreuse dans ses effets; alors nous n’avons à envisager qu’une résistance désespérée et un vaste tombeau dans la colonie. « Que tous ces motifs fassent impression sur vous, Messieurs ; alors, en même temps que vous serez les législateurs de l’Empire, vous serez les véritables pères de la patrie. « Grenier, président ; Petit-Deschampeaux, vice-président ; Bouyssou, Poulet, François de Chaumont, secrétaires. » Adresse de l’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue , au roi des Français. « Sire, « Vos enfants d’outre-mer, vos fidèles de Saint-Domingue, portent au pied du trône leurs justes réclamations, et déposent dans votre sein paternel leurs craintes et leurs alarmes. La province du nord de Saint-Domingue a jusqu’ici montré la soumission la plus respectueuse aux décrets concernant les colonies, émanés du Corps législatif et sanctionnés par Votre Majesté; et cette soumission lui a mérité les éloges les plus flatteurs de la nation. Elle comptait sur les promesses réitérées consignées dans les décrets des 8 , 28 mars et 12 octobre 1790, « de ne rien statuer « sur l’état des personne-, que sur la demande « précise et formelle des colonies » ; mais un nouveau décret du 15 mai, qui ne peut être que le fruit de la surprise, delà cabale et de l’intrigue, fait évanouir toutes nos espérances et nous plonge dans la plus grande consternation. Ce décret, absolument contradictoire avec ceux qui l’ont précédé, porte : « L’Assemblée nationale décrète qu’elle ne dé-« libérera jamais sur l’état des gens de couleur « qui ne sont pas nés de pères et de mères libres, « sans le vœu préalable libre et spontané des « colonies ; que les Assemblées nationales ac-« tuellement existantes subsisteront; mais que « les gens de couleur « nés de pères et mères li-« bres » seront admis dans les assemblées pa-« roissiales et coloniales futures, s’ils ont d’ail-« leurs les qualités requises. » « Nous nous abstiendrons de peindre à Votre Majesté la sensation terrible qu’a produite, dans cette ville, l’annonce de ce décret impolitique sous tous les rapports, et les malheurs incalculables qui seraient la suite de sa promulgation ; ils seraient tels, qu’ils entraîneraient bientôt l’anéantissement total de cette florissante colonie, « La prospérité de votre royaume, Sire, tient essentiellement à celle des colonies qui en font partie; et celles-ci ne peuvent fleurir qu’en maintenant la subordination la plus exacte dans les ateliers employés aux différents genres de culture. Cette subordination cessera d’exister du moment que la ligne de démarcation qui sépare les blancs des geus de couleur sera rompue, et que les uns et les autres marcheront d’un pas égal.