ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] [21 février 1791. 388 est-il important d’en prévenir de semblables. Un bruit déjà répandu annonce qu’une autre personne, dont la conduite entraînerait de plus graves conséquences, se dispose à suivre leur exemple. Quelle que soit la réalité de ces bruits, les citoyens en sont alarmés, la tranquillité publique en peut être troublée; il faut que la loi fixe les esprits en déclarant ce qu’elle autorise et ce qu’elle défend. Certes, il est permis de s’étonner que dans un moment de crise où la nation, éprouvée par une Révolution qui la régénère, appelle à son secours tous ceux qui ont intérêt à maintenir sa gloire et sa pro-périté, les membres d’une famille qu’elle a comblée de biens abandonnent presque-tous la chose publique, et vous autorisent à les compter parmi les adversaires les plus dangereux de la Constitution qu’elle s’est donnée. Vainement le chef de la famille royale a-t-il employé sur eux les ressources île la persuasion et de la sensibilité. La loi doit parler à son tour. Il est temps de déclarer les devoirs de ceux dont nous n’avons jusqu’ici d* claré que L s honneurs et les émoluments. Il faut savoir enlin quels engagem -ms doivent répondre à celui qui consacre dans une famille les suprêmes honneurs, et la seule magistraiure héréditaire, et si notre dénûment intérieur, si i’expoliation de notre numéraire au moment du plus pressant besoin, si les inquiétudes fomentées, entretenues parmi les citoyens, si l'euro ragement des ennemis publics et la prolongation de leur résistance, seront à jamais leur ouvrage, et le seul témoignage de reconnaissance que nous puissions en obtenir. D’après ces considérations, qui sont dignes de votre intérêt par leur importance et. par les circonstances où nous nous trouvons, je demande que le comiié de Constitution soit tenu de présenter après demain un projet de loi précis sur les obligations et les devoirs des membres de la la famille royale. ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) M. Fréteau. J’appuie la motion qui vient de vous être faite ; et je l’appuie d’autant pins que votre comité diplomatique tient de la bouche des ministres eux-mêmes, qu’il ne faut poi ù espérer de paix eu France, tant qu’on verra des princes, honorés du nom de Bourbon, réu ir autour d’eux sur les frontières du royaume des enrôlements et des hommes ulcérés contre la Révolution et auxquels il est imp >ssible que 1<- peuple suppose des intentions pures. ( Applaudissements. ) M. Martineau. Messieurs, sans doute, aux termes de la déclaration d* s droits de l'homme, il est permis à chacun de surtir du royaume et d’y rentrer. Mais je crois qu’il est esseu tiel d’apporter des modifications à ce principe : je ne crois pas que, dans un temps de malheur public, les citoyens puissent indifféremment s’absenter du royaume. ( Interruptions .) C’est mon opinion ; elle peut être erronée et je ne demande pas autre chose, sinon que le comiié de Constitution soit tenu de nous présenter en même temps une loi sur les émi-rants. Iis payent sans doute la contribution foncière, mais ils éviient celle que vous avez impo-ée en décharge sur les personnes. 11 y a plus : tous les habitants de la France remplissent un devoir sacré, en qualité de gardes nationales ; ils défendent au prix de leur temps, de leur fortune, de leur vie, la liberté des personnes et la sûreté des propriétés. Peut-on, en s’abstenant, se décharger ainsi d’une portion essentielle des devoirs attachés à la qualité de citoyens? Je dem m m donc que le comité de Constitution soit chargé d’examiner cette question et de nous pro-onter une loi affirmative ou négative. (. Applaudissements .) M. Goupïl-Préfeln . L’Assemblée doit en effet rendre une loi qui renferme non seulement les membres delà dynastie régnante, mais encore b s autres individus composant la sociéié ; je m’appuie sur ce principe <ie morale que, dans une société, il n’est pas indifféremment loisible à ceux qui la composent de la dissoudre, surtout dans un temps où les circonstances sollicitent l’union la plus parfaite. C’est, M ssieurs, le droit établi, je ne dirai pas seulement en ÀMemagne, pays de féodalité, de distinction de classes et de servitude, mais encore en Angleterre, chez nos aînés et nos prédécesseurs dans la science de la 1 1 ben é. Je demande que le comité de Constitution soit chargé d’examiner expressément l’importante qm siion de savoir si, dans e cas où la législature aura dédam que la sûreté nationale est menacée, il ne peut nas être, en conséquence de ce décret, donne des défenses de sortir du royaume et si ta ux qui en sont sortis ne peuvent pas, en pareil cas, être rappelés. M. de FoiicauIt-BLardimalîe. Je fais un amm de nem. Mon respect p >nr la Constitution me défend d’appuyer la pi o osition qui vous est faite; mais si l'Assemblée décide qu’elle déchirera l’article le (dus précieux de la déclaration des droits, je demande qu’au moins le comité nous propose aussi une mesure pour assurer l’exécu-ti m des 1 iis. D’où vient la principale eau e de l’émigration? De ce que la tranquillité pub ique n’est rétablie ni dans les villes, rn dans les campagnes, de ce que la prop-iété des citoyens ne leur est pas assurée. E i effet, qui est-ce qui attache un citoyen à la pairie? C’est la jouissance des revenus qui lui sont légitimement acquis. Tant que la tranquillité publique ne sera point établie.... Plusieurs membres à gauche : C’est vous qui la troublez. M. de Foucault-Fardimalie... tant que les decr ts ne seront pas exécu és, cette jouissance ne sera pas assurée; et, par conséquent, vous au-ez beau faire des lots, vous n’empêche-rez pas les émigrations. M. Pétion de Villeneuve. E i effet, la tranquillité pubhque est souvent troublée ; mais ces troubles sont pioduits par la révolte constante de la minorité contre la majorité... ( Vifs applaudissements à gauche.) Plusieurs membres à droite se lèvent en tumulte. (Bruit prolongé.) M. llalouet menace du geste le président et l’orateur. M. de Foncanlt-Ijardimalle. Monsieur Ma-louei, laissez parier. M. Pétion de Villeneuve. Ces troubles sont 389 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 février 1791.] produits par la révolte constante de la minorité contre la majorité. J’insiste sur ce mot et voici comment je iVxplique. Dans toute assemblée délibérant�, il y a nécessairement un parti de minorité; mais, lorsqu-la loi est rendue, que l’on élève des protestations contre cette loi, qu’on se met en insurrection contre elle, qu’on va contre les décrets, voi à ce que j’appelle la révolte de la minorité contre la majorité. ( Vifs applaudissements à gauche; murmures prolongés à droite.) La tranquillité publique se trouble encore par les écrits incendiaires dont on infecte la Fra ce. Par ces écrits, on égare le peuple; au nom de la religion, on lui fait adopter les maximes les plus coupables, les maximes dont vous avez vu des effets si terribles dans l’affaire de Nîmes, et si récemment eu Bretagne, où il faut espère néanmoins que les suites n’auront plus des dé-a>tr< s aussi c.'U'ds, attendu que le peuple, m eux éclairé sur ses véritables intérêts, ne tombera plus dans les pièges qu’on lui tend. Que vous propose-t-on? Le prochain rapport d’une loi que vous avez déjà renvoyé-à votre comité. Il n’est uersonne dans cette Assemb'ée qui ait hasardé d’attaquer les véritables principes de la liberté. On a parlé nés exceptions aux principes les plus sacrés : il est question de savoir si, dans des moment' d’ora-e, la loi peut être suspendue. La loi qu’on sollicite n’est tas nouvelle; on pourrait à ce sujet vous citi,r l’exemple des nations voisines. On pourrait vous dire que, chez l’une d’elles, il est des cas où la puissance de la loi est suspendue; ou pourrait vous di r que chez c�tte même nation, lorsque la loi martiale se publie, alors on dépose momentanément, mais arbitrairement, entre les mains du chef de l’Em ¬ pire, la puissance la plus illimitée et la plus absolue; on pourrait dire que les Romains avaient leur dictateur; on pourrait dire que, ch<z toutes les Républiques, dans un moment de cri e, il y a eu des exceptions, mais nous n’en avons pas encore . Enfin, Messieurs, lorsqu’on vous présentera ce décret, vous l’examinerez; vous verrez s’il viole les principes immuables de la liberté et si ceux qui proposent cette loi en ce moment rie sont pas ceux qui ont le moins servi à venger les droits de l’h mme. Il est donc inutile de se répandre en vaines déclamations sur un projet de loi que no< s n’avons pas encore sous les yeux; il n’est question aujourd’hui qued’ordunuer à votre comité ne remplir au plus tôt un devoir qui lui a été imposé. Or, je ne crois pas qu’aucun bon citoyen puisse s’opposer à ce qu’on lui présente un proj-1 de décrût qu’il pourra discuter. ( Vifs applaudissements.) M. de Foiicanlt-Kjardimalie. Ce n’est pas à la majorité que je m’en prends, c’est à M. Pé-tion ; et un jour, lui et moi, nous serons jugés par l’opinion publique. (Rires.) M. Malouet. Puisqu’on ose appeler, dans l’Assemblée, révolte de la minorité, les représentations que chacun de nous a non seulement le droit, ruais l’obligation de faire... (( Murmures prolongés.) Voix à gauche : Ce n’est pas cela 1 M. Malouet... Ce qui vient d’être dit par le préopinant n’a été que trop souvent manifesté par des signes de malveillance, par des murmures outrageanis contre les opinions qui ont comrarié la majorité. Or, ces opinions n’étaient pas des protestations : ces opinions étaient des contradictions libres, légitimes. Voix à gauche : Il ne s’agit pas de cela ! M. Malouet. Je dis, Messieurs, qu’il a fallu au moins ie ma part, et je parle ici en mon nom, un zèle irrésistible (Rires), pour m’exposer aussi souvent à d’on traçantes improbations. Mais puisqu’enfîn une telle contradiction est signalée comme une révolte ..... M. Gaultier-Biauzat. Chaque protestation est une révolte quand les décrets sont rendus. M. Malouet. Messieurs, je prends le discours du préopinaut pour c<j qu’il est, ses expressions po -r ce qu’elles sont.il n’y a rien de si positif que le reproche de révolte fait à la minorité contre la majorité. Voix à gauche : Non, non ! c’est contre la loi, contre les uécrets rendus. M. Malouet. J’avance, moi, sans épouser toutes les opinions qui ont pu être soutenues par la minorité; j’avance, et la France en est bien convaincue, qu’il n’y a pas d’exemple où la minorité d’une assemblée délibérante ait eu autant de peine à obtenir la parole et à faire ses représentations. Voix à gauche : Cela n’est pas vrail M. Malouet. Je ne connais pas de protestations faites par la minorité en corps : je ne connais pas de protestation individuelle qui puisse être imputée à ce que vous appelez la minorité. Je suis très sûr, moi personnellement, de u’en avoir pas fait, quoique j’aie souvent ré-isté dans la discussion à plusieurs des décrets qui ont été portes, quoique j’eusse résisté beaucoup plus, si j’avais eu la liberté de m’exprimer. Comme l’expression et l’allégation de M. Pétion viennent à la suite de la représentation qui vous a été faite par M. de Foucault, représentation que j’adopte beaucoup sur les effets malheureux des désordres publics qui influent actuellement sur l’opinion publique; comme c’est à la suite d’une telle représentation qu’on ose imputer ces troubles, ces desordes à la minorité, qui en est absolument la victime de toute manière, je déclare que, pour faire cesser de pareilles inculpations, je m’abstiens à tout jamais de prononcer une seule paiole dans cette Assemblée. (Rires.) Un membre a gauche : Tant mieux ! M. Malouet. Comme je suis persuadé que l’Assemblée n’a nul besoin ni de mes lumières ni de mes raisons, je donnerai très librement mon suffrage pour ou contre les décrets, et rien absolument au delà. (Murmures.) Mais, Messieurs, croyez qu’il a fallu désirer passionnément de remplir ses devoirs pour vous demander la parole, repoussé si souvent d’une manière offensante. Croyez, Messieurs, que ce sacrifice-là a été fait au caractère respectable dont nous sommes revêtus, aux obligations saintes qui nous étaient imposées ; elles sont calomniées, j’en suis affranchi. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 février 1791.] 390 M. d’André. Je demande, Monsieur le Président, que la discussion soit renfermée dans les propositions qui vous sont faites. Si M. Pétion avait dit que les troubles venaient de la résistance de la minorité de l’Assemblée nationale contre la majorité, je me serais élevé moi-même le premier, pour demander qu’il fut rappelé à l'ordre consacré, et soumis à toutes les peines que peut infliger l’Assemblée nationale, parc1 que je suis loin d’attribuer aucun désordre à la résistance de la minorité de l’Assemblée nationale ( Applaudissements ), qui a le droit, et j’ose même dire le devoir, de s’opposer constamment à ce qu’elle croit mauvais. Non seulement je regarde cela comme un principe rigoureux, mais je le regarde comme le plus sacré de tous les principes, puisqu’il établit la liberté des délibérations ; et nous serons tous ici à réclamer sans cesse pour la liberté des opinions. ( Applaudissements .) Ainsi donc si M. Pétion avait dit ce qu’on suppose qu’il a dit, il aurait été unanimement rappelé à l’ordre. Mais voici ce que M. Pétion a oit et a voulu dire, je pense; c’est qu’il est possible que tous les désordres ou quelques désordres arrivent par la résistance de la minorité de la nation à la majorité de la nation. {Murmures.) Et certainement tout le monde est d’avis que, lorsque la volonté de la nation a élé exprimée par une loi, la minorité de la nation doit s’y soumettre. D’après cela, j’en viens à la motion d’ordre. (. Murmures à droite. Applaudissements à gauche.) M. Barnave a fait une motion qui ne peut pas soutfrir de difficulté, parce que c’est un renvoi au comité, un renvoi déjà opéré dont on demande le rapport, lorsque la loi sera faite. Alors nous débattrons la loi en liberté ; la loi sera adoptée ou rejetée. Ainsi je demande que la motion de M. Barnave soit mise aux voix. (L’Assemblée décrète que le comité de Constitution lui présentera mercredi matin un projet de loi sur les obligations et les devoirs des membres de la dynastie et qu’il lui exposera ses vues pour savoir s’il y a lieu, ou non, à une loi sur les citoyens émigrants, et quelle doit être cette loi.) M. le Président. La parole est à M. de La Galissonnière pour présenter plusieurs articles additionnels au décret du 5 février 1791, concernant la décoration militaire (1). M. de I�a Galissonnière, an nom des comités de la marine et des colonies. Messieurs, voici quatre articles additionnels que je vous propose d’insérer après les deux articles déjà décrétés dans la séance du 5 février courant, sur la décoration militaire. Je vous les présente au nom du comité de la marine, qui s’est concerté à ce sujet avec le comité colonial; ils sont ainsi conçus : « L’Assemblée nationale décrète, pour être exécutés provisoirement, et jusqu’à l'organisation 'les régiments coloniaux, les articles suivants, additionnels au décret du 5 février 1791, concernant la décoration militaire. Art. 3. « Pour déterminer le temps nécessaire aux officiers des régiments coloniaux pour obtenir la décoration militaire, chaque année de service dans les colonies sera comptée pour 18 mois.» (Adopté.) (1) Voyez Archives parlementaires, tome XXII, séance du 5 février 1791, page 775. Art. 4. « Dans le cas où la colonie serait attaquée et dans celui où les régiments seraient employés pendant la guerre clans une expédition hors la cobmie, chaque année de service sera comptée pour deux. » (Adopté.) Art. 5. « Les officiers des milices des colonies qui auron1, à l’époque de la publication du présent décret provisoire, les années de service ou de commission d’officiers n qniscs par l’ordonnance du 1er janvier 1787 concernant les milices des colonies, ou qui auront (iris leur reiraite, avant le temps de service prescrit, sans avoir obtenu la décoration militaire, pourront en former la demande, et sont déclarés susceptibles de l’obtenir sans néanmoins rien préjuger sur l’existence des milices coloniales; l’Assemblée nationale abrogea t la disposiiion de l’article 43 de la susdite ordonnance, qui limite le nombre des croix de Saint-Louis à accorder par année dans chaque colonie. » M. Barnave. Je demande que la différence qui existe entre les troupes de ligne et les mi-I mes soit effacée, et cela avec d’aumnt plus de raison que les milices étant prêtes à être abolies., ceux de ces mêmes officiers qui n’auraient pas le t' mps nécessaire se trouveraient eu très grand nombre et n’obtiendraient jamais la croix. M. de la Galissonnière. L’article 43 auquel je i envi 4e dit textuellement qm-chaque campagne de guerre sera comptée pour deux ans aux officiers des milices des colonies qui auront été à la guerre, ou lorsque les colonies auront été attaquées. M. Barnave. Ma proposition, qui avait été admis, par le comité, est que les années de service des officiers de milice, indépendamment de toutes im orporalions dans les troupes de ligne, leur soient comptées pour deux a is et qu’il soit ajouté à l’article 5 ces mots : « en comptant chaque année de guerre pour deux » . (Cet amendement est décrété.) L’article 5 est adopté comme suit : Art. 5. « Les officiers des milices des colonies qui auront, à l’époque de la publication du présent démet urovisoire, les années de service ou de commission d’officiers requises par l’ordonnance du 1er janvier 1787, concernant les milices des colonies, en comptant chaque année de guerre pour lieux, ou qui auroQt pris leur retraite avant le temps prescrit sans avoir obtenu la décoration mltane, pourront en former la demande, et sont déclaré' susceptibles de l’obtenir, sans neanmoins rien préjuger sur l’existence des milices coloniales ; l’Assemblée nationale abrogeant la disposition de l’article 43 de la susdite ordonnance, qui limite ie nombre des croix de Saint-Louis à accorder par année dans chaque colonie. M. de la Galissonnière, rapporteur , donne lecture du dernier article, ainsi conçu : Art. 6. « Le temps pendant lequel ces officiers auront été employés dans les troupes de ligue ou dans