[Assemblée nationale.] Votre comité persiste dans sa première opinion ; l’humanité et le préjugé paraissent devoir lui obtenir la préférence. (L’Assemblée ferme la discussion.) Plusieurs membres demandent la priorité : les uns pour l’avis du comité, les autres pour celui de M. Chabroud. M. Boutteville-Dumetz. Je demande le renvoi aux comités. A gauche : Allons donc! M. le Président met aux voix la priorité. (Une première épreuve est douteuse ; une se-seconde épreuve a lieu.) M. le Président prononce, sur l'opinion du bureau, que la priorité est accordée à l’avis du comité. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. le Président. Je mets aux voix l’avis du comité. (L’épreuve a lieu.) M . le Président. J’ai prononcé tout à l’heure sur l’opinion du bureau. Maintenant qu’il s’agit du fond même de la question, j’ai la même incertitude sur le résultat de la délibération; je ne puis donc prononcer. M. Tuant de Ta Bouverie. J’ai une simple : observation à faire. M. Te Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Pour abréger cette triste discussion, un ami de l’humanité vient de me communiquer une idée qui peut-être conciliera les opinions; on évite à la fois l’effusion du sang qui proviendra de la décollation et les horreurs qui sont attachées à la potence : ce serait de faire attacher le condamné à un poteau et de l’étrangler avec un tourniquet. (Murmures.) M. Chabroud. D’autres membres de l’Assemblée ont à proposer un autre genre de supplice qui n’a ni l’horreur, ni l’appareil de la dé-collatioft ou de la potence. (Murmures.) Pour que l’on puisse juger du mérite de ces propositions, j’insiste pour que l’article soit renvoyé au comité et pour que ce ne soit pas dans l’Assemblée qu’on s’étende sur cette triste discussion. M. Begnaud (de Saint-Jean-d1 Angély). Lorsqu’on offre à l’Assemblée de lui présenter des idées propres à soulager l’humanité, elle ne peut se refuser à l’ajournement. Plusieurs membres : La délibération est commencée. M. Tuautde Ta Bouverie. Messieurs, quelque chose que vous fassiez, vous ne trouverez jamais un genre de mort qui soit doux ou exempt de douleur ; c’est là une erreur. Les peines doivent être considérées non sous le rapport de la punition du coupable, mais sous celui de l’intérêt de la société; or, l’intérêt delà société est de donner un grand exemple. Il est extrêmement important que l’homme exposé à toutes les passions de l’humanité rentre chez lui après un supplice, le i'e Série. T. XXVI. 13 juin 1791.] 7$1 cœur pénétré de terreur et d’effroi. Je ne crois pas que le supplice de la décollation soit plus rigoureux au physique que celui de la potence ou que tout autre supplice ; mais il a pour la société l’avantage d’être plus effrayant pour le méchant et d’être plus susceptible de conserver les mœurs. En conséquence, je demande que l’avis du comité soit mis aux voix. • Plusieurs membres : Aux voix 1 aux voix J M. de Tarochefoucauld-Tianconrt. Dans cette malheureuse et bien pénible discussion, il est peut être une considération qui vous fera pencher en faveur de l’avis du comité; c’est la nécessité de faire disparaître légalement de la société un supplice qui a été si illégalement employé et qui a si malheureusement servi pendant la Révolution aux vengeances du peuple et à l’assouvissement de la rage. (Applaudissements.) Je suis donc de l’avis du comité. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !| M. le Président. Je consulte à nouveau l’Assemblée sur l’avis du comité ; voici son article : Art. 3. « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » (Cet article est adopté.) Les articles 4, 5 et 6 sont mis aux Voix dans les termes suivants : Art. 4. « L’exécution se fera dans la place publique de la ville où le juré d’accusation aura été convoqué. » (Adopté.) Art. 5. « Les condamnés à la peine de la chaîne seront employés à des travaux forcés au profit de l’Etat, soit dans l’intérieur des maisons de force, soit dans les ports et arsenaux, soit pour l’extraction des mines, soit pour le dessèchement des marais, soit enfin pour tous autres ouvrages pénibles, qui, sur la demande des départements, pourront être déterminés parle Corps législatif. »> (Adopté.) Art. 6. « Les condamnés à la peine de la chaîne traîneront à l’un des pieds un boulet attaché avec une chaîne de fer. » M. Begnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Messieurs, je désirerais que le comité s’expliquât sur la question de savoir, si, comme par le passé, les condamnés seront enchaînés deux à deux, ou s’il entend abroger cet usage. On se ferait difficilement une idée de l’extrême facilité avec laquelle les hommes condamnés aux galères brisent les chaînes les plus fortes, malgré la précaution avec laquelle ils sont gardés. Ce n’est, pour ainsi dire, que le soin qu’on a pris de les réunir, qui empêche qu’ils ne s’évadent, parce qu’il est bien plus difficile de réunir la volonté de deux personnes que d’une seule. Ainsi je demande que le comité s’explique sur ce point. M. Te Pelletier-Saînt-Fargean, rapporteur. Toute juste que soit l’observation du préopinant, je ne pense pas qu’elle soit de nature à changer la disposition de l’article proposé ; elle 46 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 722 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |3 juin 1791.] pourra trouver place dans une disposition particulière. (L’Assemblée, consultée, renvoie aux comités l’observation de M. Regnaud (de Saint-Jean d'An-gély ), pour être placée dans une instruction, et adopte l’article 6). M. Le Pelletier-Saint-Fargeau , rapporteur. Voici l’article 7 : « La peine de la chaîne ne pourra excéder vingt années. » M. Prieur. Cette disposition me paraît infiniment juste. Dans l’ancienne jurisprudence, le crime se prescrivait par un intervalle de trente années ; lorsqu’il y avait jugement, la peine se prescrivait par un intervalle de vingt années... {Murmures.) Un membre : Ce n’est pas cela ! M. Prieur. On me dit que ce n’est pas cela. C’est un fait à vérifier ; au surplus, cela ne change rien à mon hypothèse. (Murmures.) Pourquoi, au bout de ce temps, la loi remettait-elle la peine? Parce qu’elle croyait que la crainte continuelle de cette peine avait suffi pour faire expier au coupable son crime. Or, il s’agit de savoir si la peine elle-même n’est pas plus forte que la crainte. Nous devons donc, Messieurs, imiter la sagesse de l’ancienne loi et dire que les peines ne seront as perpétuelles ; d’ailleurs c’est concourir au ut moral du comité, qui n’a jamais vu dans les peines que l’espoir d’amender les hommes; je demande donc que l’avis du comité soit adopté. M. üfougins de Roquefort. Je crois qu’on ne doit pus dans ce moment-ci fixer le maximum de la peine; mais je crois d’un autre côté que vous pouvez très bien décider si la peine sera temporaire. L’objet de la délibération me paraît donc devoir se fixer sur ce point : la peine de la chaîne sera-t-elle, oui ou non, temporaire? M. Pelletier-Saint-Fargeau , rapporteur. J’adopte volontiers la proposition de M. Mou-gins; ou pourrait alors renvoyer la question de la durée de la peine de la chaîne, après que les articles suivants auront été décrétés, afin de la proportionner aux différents délits auxquels elle peut être appliquée. M. Mougins de Roquefort. Je pense pour ma part, Messieurs, que la peine de la chaîne doit être temporaire. Vous avez décidé, en effet, que la peine de mort serait prononcée pour les plus grands crimes; or, je dis que les autres délits ne drivent pas être punis d’une peine perpétuelle. Si vous prononciez ce décret, il en résulterait que vous porteriez une loi dure et cruelle ; Car, Messieurs, retracez-vous l’image d’un malheureux gémissant pendant toute sa vie dans les horreurs d’une prison : cet état serait pire que la mort; cette idée contraste avec l’esprit de vos nouvelles lois Je parle à des législateurs sensibles et humains; ils ont prononcé à regret la perte de la vie et, en partageant leur opinion, j'ai éprouvé le même sentiment. Ils ne voudront pas, dans des délits moindres que ceux que l’on appelle qualifiés, établir un genre de peine qui affligerait d’une manière bien dure l’humanité. Je conclus à ce que l’Assemblée décrète que la peine de la chaîne sera temporaire. M. Régnier. Je pense au contraire que non seulement il faut décréter que les peines dont il s’agit seront temporaires, mais qu’il importe même de fixer le maximum auquel elles pourront être portées. En voici les raisons. Le système de vos peines est de faire à l’humanité l’honneur de n’en pas désespérer. Or, si dans une pénitence de 20 années, on ne suppose pas que l’homme a corrigé sa mauvaise habitude par ses réflexions, vous ne devez pas espérer davantage qu’il s’est corrigé par un espace de 10 années de plus. Votre comité propose même qu’ils aient l’aptitude à posséder toutes les charges et tous les honneurs de la société; il faut donc être conséquent avec votre nouveau système, et nous qui voulons faire des lois infiniment plus douces que celles de l’ancien régime, nous devons supprimer la perpétuité. Vous avez d’ailleurs la ressource de la déportation pour débarrasser la société d’un homme qui lui serait dangereux. Je demande donc qu’il soit déclaré, dès à présent, que la durée des peines sera toujours temporaire. M. Delavigne. Je crois qu’il serait absurde de fixer un maximum de temps. Comme les peines doivent être infligées à chaque crime, il n’est pas possible de déterminer leur latitude plus ou moins grande ou de laisser de l’arbitraire dans un genre aussi sérieux de l’application de la peine au crime. Ainsi, point de maximum. Quant à la question de savoir si la peine de la chaîne sera temporaire, il est à craindre que nous ne connaissions pas assez quels sont tous ces crimes qui, dans l’ancien système de peine, étaient punis de la peine de mort et auxquels dans le projet du comité il faudra plus au moins déterminer la gravité de la peine à infliger. Je crois donc que la même raison d’équité qui ordonne d’adopter à chaque crime la peine qui lui convient, doit vous faire renvoyer la question de la durée de la peine au temps où vous vous occuperez en détail de chaque délit. Un membre propose de renvoyer l’examen en entier de l’article aux comités, afin que cette question soit plus exactement déterminée, parce qu’il peut y avoir des circonstances, telles que la récidive, où il serait peut-être indispensable d’ordonner la perpétuité de la peine de 1er chaîne. M. Tuant de Fa Rouverie. Messieurs, je crois, contrairement à l’opinion de M. Delavigne, qu’il est d’un préalable nécessaire , avant de fixer les peines, de savoir si ces peines seront temporaires. M. Rriois-Reaumetz. Il me semble qu’il n’est pas dans l’intention de l’Assemblée d’ajourner ce que l’on peut décider. Je crois que l’Assemblée peut décréter que la peine de la chaîne ne sera pas perpétuelle, en se réservant de fixer le terme plus ou moins long de sa durée, suivant la nature des délits, et d’en régler fauplication à mesure que les cas lui seront présentés. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. FePelletier-Saint-Fargeau, rapporteur . Voici comment on pourrait concevoir l’article : Art. 7. « La peine de la chaîne ne pourra, en aucun cas, être perpétuelle. » (Adopté.)