[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAI H ES. [8 juin I79l.j 69 M. Le Pelletier de Saint-F argcan, rap-J porteur. J’ai une observation à faire sur ce qui a été dit de sérieux sur la matière grave qui nous occupe en ce moment. M. Oarnave et plusieurs membres : On a passé à l’ordre du jour. M. Martineau. Monsieur le Président, vous n’avez pas prononcé le décret, et je demande la permission de vous observer que vous ne pouvez passer à l’ordre du jour sur l’observation de M. Malom t. En effet, Messieurs, quel est l’objet de votre loi? C’est de maintenir la sûreté, la pleine liberté du Corps législatif. Or, de quelque manière que l’on porte atteinte à cette liberté, le crime est égal. Les comités proposent de décréter des peines contre ceux qui investiraient de troupes le Corps législatif. Eh bien, ou aura toujours un moyen d’éluder cette loi : On fera environner le Corps législatif d’hommes non armés, qu’on aura soudoyés et qu’on aura préparés à la sédition et à la révolte; et qui vous dit qu’un jour, des ministres ou des factieux n’emploieront pas uu tel moyen. Je ne propose pas que l’on décrète que la sédition, que l’attroupement sera dissipé, c’est une affaire de discipline. Ce qu’il s’agit do faire en ce moment, c’est de caractériser le délit et de déterminer la peine. M. Le Pelletier de Saint-Fargean, rapporteur. Je crois que dans ce qu’a proposé M. Ma-loue!,il y a une vérité à prendre ; mais il ne faut pas adopter toutes les mesures qu’il a proposées. 11 faut assurer la liberté du Corps législatif, mais pour cela vous avez déjà plusieurs moyens. D’un côté, vous avez la loi martia'e contre les attroupements ; d’un autre côté, vous avez une loi particulière qui dit que le Corps législatif aura la disposition et la réquisition de la force publique nécessaire pour assurer la liberté de ses délibérations; c’est un des articles qui a élé décrété lorsque vous vous êtes occupés de l’organisation du Corps législatif. Voilà les mesures, nous n’avons pas besoin de les prendre, puisque nous les avons prises. Il ne s’agit que de reconnaître le principe, c’est que la liberté du Corps législatif ne doit être troublée m par des troupes de ligne, ni par un autre moyeu. En conséquence, je reviens à l’amendement que j’avais proposé à l'article 3 ; il rentre dans celui proposé par M. Martineau qui admet la vérité du principe posé par M. Malouet. Il consiste, je le répète, à ajouter à l’article 3 ces mots : « Ou pour empêcher par force ou violence la liberté de ses délibérations. » (L’amendement proposé par M. Le Pelletier de Saint-Fargeau à l’article 3 est adopté.) Eu conséquence, l’article 3 est rédigé en ces termes : Art. 3 (modifié). « Toutes conspirations ou attentat� pour empêcher ta réunion ou pour opérer la dissolution du Corps législatif, ou pour empêcher par force ou violence la liberté de ses délibérations; « Tous attentats contre la liberté individuelle d’un de s s membres seront punis de mort; « Tous ceux qui auront participé auxdits conspirations ou attentats, par les ordres qu’ils auront donnés ou exécutés, subiront aussi la peine portée au présent article. » {Adopté.) M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, rapporteur. L’article 5 resterait donc rédigé comme suit : Art. 5. « Quiconque aura commis l’attentat d’investir d’hommes armés le lieu des séances du Corps législatif, ou de les y introduire sans son autorisation ou sa réquisition, sera puni de mort. « Le ministre ou commandant qui en aura donné ou contresigné l’ordre, les chefs et les soldats qui l’auront exécuté subiront la même peine. » (Adopté.) L’article 6 est mis aux voix dans les termes suivants : Art. 6. « Toutes conspirations ou attentats ayant pour objet d’intervertir l’ordre de la succession au trône, déterminé par la Constitution, seront punis de mort. » (Adopté.) M. Le Pelletier de Saint-Fargean, rapporteur, donne lecture de l’article 7 ainsi conçu : « Si que'que acte était publié comme loi, sans avoir été décrété par le Corps législatif, de quelque forme que ledit acte soit revêtu; « Tout ministre qui l’aura contresigné sera puni de la peine de 20 années de gêne ; <« Et si ledit acte n’est pas extérieurement revêtu de la forme constitutionnelle prescrite par le décret du 7 octobre 1789, tout fonctionnaire public, commandant et olficier qui l’auront, fait exécuter ou publier seront punis de la peine de 10 anné s de gêne; « Le présent article ne porte aucune atteinte au droit de faire publier des proclamations et autres actes réservés, par la Constitution, au pouvoir exécutif. » M. Duport. Je suis d’avis que la peine de la gêne proposée par les comités dans cet article contre le ministre doit être remplacée par la peine de mort. Sans doute, on ne m’accusera pas de vouloir étendre la peine de mort ; mais il me paraît impossible de ne pas établir ce principe dans le Code pénal, de rapporter la plus grande peine au plus grand délit. Ensuite il y a un autre rapport naos ce moment-ci qui me paraît devoir déterminer l’Assemblée à changer la peine : c’est qu’il n’y a que deux peines qui puissent convenir aux ministres: c’est la peine de mort et la dégradation civique ; et je demande que pour le crime que les anciens appelaient la tyrannie, qui est l’usurpation du pouvoir de faire la loi, les ministres soient puais du dernier supplice. M. Le Pelletier de Saint-Fargean , rapporteur. Je présente à l'Assemblée une première observation sur le genre de punition que je propose d’as pliquer aux ministres. 11 y a une raison de convenance à ne point admettre un ministre ou un fonctionnaire public dans la troupe des criminels, et à ne point leur appliquer la peine des travaux publics. Cette raison est celle de ne point dégrader les pouvoirs aux yeux de la multitude; mais la peine de la gêne est une simple réclusion, une réclusion solitaire pendant 20 années. Voilà d’abord mon objection sur la peine. Ensuite, quant à l’application de cette peiue au délit dont nous nous occupons, je ne vous propose pas d’appliquer la peine de mort, parce qu’il faut distinguer, dans les actes des fonctionnaires 70 [Assemblée nationale.] APiCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juin 1791.] publics comme dans les actes des particuliers, ce qui tient au fait et à la violence, et c«j qui tient à un abus du pouvoir qui leur est confié. Ainsi, de même qu’on vous propose la peine de mort contre celui qui verse le sang, on vous propose de même la peine de mort contre le ministre qui emploiera la force publique hors les cas où l’empire de la force publique lui est confié; mais s’il n’y a aucun emploi de force publique, c’est un abus de pouvoir et non pas un acte de pouvoir, et je crois qu’il doit y avoir de la différence d ms les peines que vous pr ononcerez entre le ministre qui commet un acte de despotisme, de violence, d’abus d’autorité, et celui qui s’est rendu coupable de la simple publication d’un écrit falsifié. M. Prieur. Considérez bien, Messieurs, ce dont il * st question ici. J1 s’agit du cas « ù un ministre exercerait à lui seul les droits de la nation et se mettrait à la place du Corps législatif. On me répond que le ministre nVst pas dans le cas de celui qui a des intelligences avec les étrangers ; mais croyez-vous que s’il y avait un ministre assez audacieux pour s’arruger le pouvoir législatif, détruire tous les corps créés par ia Constitution, rétablir les anciens corps qu elle a détruits, croyez-vous que cet homme n’exposera pas autant la nation que celui qui aurait des intelligences avec l’étranger? Je suppose le cas où des machinations concertées pendant dix ans viendraient tout à coup ébranler votre Constitution; Je cas, par exemple, où l’on rétablirait les parlements. Eh bien ! je demande si ce n’est pas là le plus grand attentat contre la Constitution. Je demande donc que la proposition de M. Duport soit adoptée. M. Duport. Je demande à faire une observation. Il faut, pourencouiir une peine aussi grave, que la volonté soit tout entière. Un ministre qui s’aviserait de publier comme une loi quelque chose qui ne serait pas décrété par le Corps législatif, serait certainement un homme assez audacieux, et qui se croirait être assuré d’une assez grande force pour ne pas craindre le châtiment de son délit; mais il peut arriver aussi que ce soit par oubli ou par inadvrrtance. (Jui empêche, en effet, qu’un secrétaire ne glisse à la signature du garde des sceaux, extrêmement surchaigé d’affaires, une disposition qui n’aurait pas été décrétée? Il me semble que le ministre qui aurait fait une faute involontaire et pour laquelle il faut qu’il soit puni, ne doit pas encourir la même peine, que lorsqu’il l’a faite sciemment. M. Prieur. Il faut remarquer une chose qui doit tranquilliser ici M. Duport, c’est que jamais un minisire ne sera défé>é au juré national qu’après que le Corps législatif, devant lequel il sera entendu, aura déclaré qu’il y a lieu à inculpation contre lui. Je supposais le cas où un ministre ne prenant pas même les formes actuellement existantes, voudrait rendre au pouvoir exécutif le droit qu’il avait usurpé autrefois de faire seul la loi. Voilà le cas dans lequel je disais que la peine devait être appliquée: mais le crime n’est pas aussi grave dans le cas où un ministre, prenant les formes constit tionnelles, fera passer une loi qui n’aura pas été décrétée par l’Assemblée nationale, et ce délit, moins dangereux pour l’intérêt sociale, doit être puni d’une peine moins rigoureuse. Je demande que M. le rapporteur prenne mes observations en considération et rapporte demain un article à ce sujet. M. Le Pelletier de Saint-Fargcau, rapporteur. La circonstance de l’involontaire peut se rencontrer dans l’article qui succède à celui qui nous occupe actuellement; le voici : « Art. 8. En cas ne publication d’une loi falsifiée, le ministre qui l’aura contresignée, s’il est convaincu d’avoir altéré ou fait altérer le décret du Corps législatif volontairement et à dessein, sera puni de quinze années de gêne. » En combinant ensemble les articles 7 et 8, je crois que les intentions de tout le monde seront remplies. Ces deux articles énoncent en effet deux délits différents et qui sont bien distincts : Le cas où un ministre usurpe le pouvoir législatif, et le cas où un ministre, sans u-urper le pouvoir législatif, prend les formes de la Constitution et suppose une loi qui n’a pas été décrétée ou change une loi décrétée; et ils prononcent pour t*es deux cas des peines différentes. Si on compare les peines et les délits, on remarquera qu’il existe entre eux une juste proportion. M. Prieur. Je demande le renvoi des deux articles aux comités. (L’Assemblée consultée renvoie les articles 7 et 8 aux comités.) M. Le Pelletier de Saint-Fargcan, rapporteur, donne lecture de l’article 9 ainsi conçu : « Si quelque acte portant établissement d’un impôt ou d’un emprunt était publié sans que ledit impôt ou emprunt ait été établi en vertu d’un décret du Corps législatif, sanctionné par le roi ; « Tout ministre qui aura contresigné ledit acte, ou donné ou contresigné des ordres pour percevoir ledit impôt, ou pour recevoir les fonds. dudit emprunt, sera puni de la peine de vingt ans de gêne. » « Tous agents queleonques du pouvoir exécutif, qui auront exécuté lesdits ordres, soit en percevant ledit impôt, soit en recevant les fonds dudit emprunt, seront punis de la peine de dix années de gêne. » M. Prieur. Je fais une observation sur la dernière disposition de l’article. Il me semble que c’est rendre bien dure la condition des agents subalternes que de les condamner à 10 ans de gêne lorsqu’ils auront suivi les ordres qui leur auront été donnés tant par les ministres que par les premiers agents subalternes, et qu'ils n’auront eu aucun moyen de savoir que ce n’était pas une loi. Il faudrait, je crois, mettre ici : « tous agents quelconques qui sachant que ce n'est point une loi etc... », car il est impossible qu’un collecteur du timbre, dans le fond d’un département, vienne tous les jours vérifier auprès du Corps législatif si un tel article de loi a été ou non décrété. M. Malouet. Je me joins à M. Prieur. La responsabilité doit sans doute s’exercer très rigoureusement. Un ministredonne un ordre, il en est responsable; mais exiger que l’exécution de ses ordres expose aux mêmes peines b s subalternes, c’est un principe inouï en législation, c’est un principe d’après lequel vous courrez le risque de voir détruire tous les moyens de gouvernement, parce que ta terreur d’une pareille loi engagera désormais tous les subalternes à délibérer avant d’obéir. Un homme qui recevra un ordre d’un