SÉANCE DU 27 THERMIDOR AN II (14 AOÛT 1794) - Nos 21-23 67 reçoit toujours avec une douce émotion les nouvelles de leurs succès, et que son ardeur pour anéantir nos ennemis communs a pris un nouvel accroissement depuis qu’il sait qu’en combattant pour sa propre liberté il combat aussi pour la liberté plonaise; mais dites-leur en même temps que dans les grandes révolutions les mesures faibles sont des sources de malheurs souvent irréparables; dites-leur qu’un roi, même dans les fers, menace toujours la liberté; que les tigres et les léopards ne s’apprivoisent jamais, et que quiconque leur pardonne est l’ennemi du genre humain. Dites-leur surtout qu’une représentation nationale peut seule les conduire au port, et que, s’ils ne se hâtent de la former, ils ne feront que changer de maîtres (1). [ Vifs applaudissements ] Le président leur répond, et la Convention nationale décrète la mention honorable, l’insertion de l’adresse au bulletin, ainsi que de la réponse du président (2). 21 Trente-cinq citoyens de la commune d’Orléans (3), persécutés par les agens de la faction de Robespierre et de ses complices, détenus pendant 3 mois, qui viennent de recouvrer leur liberté, demandent à la barre de rentrer dans les fonctions publiques dont plusieurs d’entre eux étoient revêtus. Renvoyé aux comités de sûreté générale et de législation réunis (4). 22 Le représentant du peuple MERLINO dépose sur l’autel de la patrie, au nom de la société populaire de la commune d’Anse (5), un don patriotique de la somme de 2 297 livres. Mention honorable, insertion au bulletin (6). 23 Le représentant du peuple Thomas LIN-DET, dépose au nom de la société populaire de Valognes (7) 2 épaulettes en or, et 30 liv. en numéraire. (1) Bm , 27 therm.; Moniteur (réimpr.), XXI, 496; Débats, n° 693, 481; M.U., XLII, 456; F.S.P., n°406; C. univ., n°958; J. univ. , n° 1726. (2) P.V., XLIII, 220. (3) Loiret. (4) P.V., XLIII, 220. J. Sablier, n° 1500; J. Perlet, n°691; J.Fr. , n° 690; J. Mont., n° 107. (5) Distr. de Villefranche, Rhône. (6) P.V., XLIII, 220. B‘n, 9 fruct. (suppl1)- Voir aussi, ci-dessus, n° 1 0 . (7) Manche. Mention honorable, insertion au bulletin (1). 24 Le représentant du peuple Barras, chargé de la direction de la force armée, rend compte à la Convention de différens faits et pièces relatifs aux événemens des journées des 9 et 10 thermidor (2). BARRAS : Citoyens, je ne suis pas monté à cette tribune pour vous faire un rapport circonstancié de l’affreuse conjuration que l’énergie de la Convention vient de déjouer. Les comités de salut public et de sûreté générale s’occupent de rassembler tous les faits qui se sont passés dans cette nuit mémorable qui devait être la dernière de tous les Français libres. Je ne doute pas qu’ils ne viennent bientôt satisfaire la juste impatience de l’assemblée nationale et de toute la France, qui désire connaître jusqu’aux moindres particularités de ce vaste et infernal complot. Je viens demander le renvoi à ces deux comités de plusieurs pièces originales très intéressantes qui me sont parvenues et qui démontrent jusqu’à l’évidence la scélératesse des monstres que la justice nationale vient de frapper. Comme la plupart de ces pièces sont extraordinairement courtes, je pense que la Convention, dès à présent, en entendra la lecture avec intérêt. Voici 2 arrêtés du corps municipal, pris dans la journée le 9 thermidor. Commune de Paris, le 9 thermidor. Il est ordonné aux sections, pour sauver la chose publique, de faire sonner le tocsin et de faire battre la générale dans toute la commune de Paris, et de réunir leurs forces dans la place de la maison commune, où ils recevront les ordres du général Hanriot, qui vient d’être remis en liberté, avec tous les députés patriotes, par le peuple souverain. Commune de Paris, le 9 thermidor. Le conseil général de la commune arrête que le commandant général de la force armée dirigera le peuple contre les conspirateurs qui oppriment les patriotes, et délivrera la Convention nationale de l’oppression des contre-révolutionnaires. [On rit]. Commune de Paris, le 9 thermidor. Le général Hanriot fera passer au comité d’exécution des fusils, des pistolets et des munitions pour douze membres. Commune de Paris, le 9 thermidor. - Agent national. Le général Hanriot se rendra sur-le-champ au comité d’exécution. Commune de Paris. (1) P.V., XLIII, 220. Le P.V. reproduit textuellement la note signée Th. R. Lindet, qui porte la mention : reçu les épaulettes et les 30 liv. le 27 therm. Signé Ducroisi (C 311, pl. 1234, p. 18). (2) P.V., XLIII, 220. 68 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le conseil de la commune arrête que la générale sera battue dans toutes les sections; que chaque citoyen sera à son poste; que tous les chefs de légion seront arrêtés. ( Suivent les signatures). Commune de Paris. - Département de police, le 9 thermidor. - Au concierge de la maison d’arrêt de... Nous t’enjoignons, citoyen, sous ta responsabilité, de porter la plus grande attention à ce qu’aucune lettre ni autre papier ne puisse entrer ni sortir de la maison dont la garde t’est confiée, et ce jusqu’à nouvel ordre. Tu mettras de côté avec soin toutes les lettres que les détenus te remettront. Il t’est pareillement défendu de recevoir aucun détenu ni de donner aucune liberté que par les ordres de l’administration de police. ( Suivent les signatures des administrateurs au département de police). La Convention sait déjà que, dans la matinée du 9, le corps municipal avait défendu à tous geôliers et gardiens des prisons de recevoir aucun individu sans un ordre exprès du maire. Je tiens cet article entre mes mains; mais elle ignore peut-être qu’elle avait ordonné l’arrestation des 6 chefs de légion de la force armée de Paris, et du brave Dumesnil, commandant la gendarmerie près des tribunaux. Je me plais à faire cette déclaration, pour que la France sache que, si la Convention a cru devoir supprimer les places de chef de légion, c’est uniquement par des vues d’intérêt public, et non par aucun motif de mécontentement, ou par soupçon de quelque complicité de leur part avec le traître Hanriot. Ces citoyens, dans ces circonstances orageuses, ont montré trop d’attachement à la Convention pour qu’elle ne s’empresse pas de rendre à leur conduite civique la justice qu’elle mérite. [ Applaudissements ] L’hypocrite et lâche Hanriot, à l’exemple de son maître, recommandait sans cesse au peuple la pratique de toutes les vertus, et lui-même se vautrait journellement dans les plus sales débauches. J’ai en main une quittance de la somme de 2 000 liv. pour le prix de location d’une loge au théâtre de l’Opéra-Comique. Il faudra pourtant que la Convention nationale sache quelle main fournissait aux dépenses énormes que les conjurés faisaient; il faudra qu’on lui apprenne dans quel trésor Robespierre puisait pour l’entretien de ses nombreuses concubines. Ces satyres avaient, dans presque toutes les communes environnant Paris, des lieux de plaisance où ils s’abandonnaient à tous les excès. Il paraît que Robespierre s’était réservé Monceau; Bagatelle était pour Couthon; Saint-Just avait Le Raincy. Quand ces sultans étaient dans ces lieux enchantés, l’entrée en était rigoureusement défendue; malheur au citoyen qui n’eût pas respecté ces ordres souverains. Arrêté aussitôt comme suspect, il eût été le lendemain compris par Fouquier au nombre des conspirateurs des prisons. Ceci nous explique encore pourquoi Couthon, au nom du comité de salut public, avait fait conserver tous ces lieux, qui n’étaient fameux que parce qu’ils étaient le théâtre des débauches de leurs anciens maîtres, pendant qu’on démolissait Marly, le chef-d’oeuvre de l’art et de la nature, qu’admirent tous les étrangers. Je dois annoncer encore à l’assemblée que tous les rapports que j’ai reçus s’accordent à dire qu’il a été arrêté à Paris, dans la nuit du 9, une foule de gens sans cartes de sûreté. Or, si on rapproche ce fait de la motion par laquelle le maître ouvrit la séance du corps municipal ce même jour, qui fut adoptée et qui consistait à laisser entrer dans les tribunes les citoyens sans exiger d’eux l’exhibition de leurs cartes, il sera démontré qu’une foule d’étrangers avaient été appelés à Paris pour seconder leurs vues liberti-cides. Les conjurés connaissaient trop bien le bon esprit des habitants de cette commune pour espérer qu’aucun d’eux appelât jamais la royauté. C’est pourtant ce que voulait Robespierre; il voulait qu’on lui fît violence. Retranché à la mairie, il voulait profiter du crime sans avoir l’air d’y participer. C’est dans ce sens qu’il haranguait les gendarmes qui étaient auprès de lui; c’est dans ce sens que tous ses affidés parlaient. Le 8, Dorigny, officier municipal de la section de Popincourt, disait à plusieurs bons citoyens qui se réjouissaient des glorieux succès de la République : « Vous seriez bien étonnés, disait-il, si demain on vous proclamait un roi. » (1). BARRAS apprend encore quelques autres faits à 1’assemblée. Le 10, la fille de Capet, qui ne quittoit ordinairement le lit qu’à midi, étoit levée à la pointe du jour; elle étoit parée, mais le soir elle arbora le deuil dans sa chambre. [Mouvements d’indignation ]. Le 7, David s’étoit rendu chez les soumissionnaires pour la fabrication des armes, et les avoit fort engagés à suspendre leurs travaux accoutumés pour ne s’occuper que des sabres destinés aux élèves de l’école de Mars (2). BARRAS a terminé par demander le renvoi de toutes les pièces dont il vient de donner connoissance aux comités de salut public et de sûreté générale, pour faire un rapport sur la conspiration du 9 au 10. - BOURDON pense qu’il n’est pas nécessaire d’un décret pour la remise de ces pièces. BARRAS répond que ces pièces lui ont été confiées et qu’un décret est nécessaire pour lui servir de décharge. BOURDON (de l’Oise) : Voici une autre action de la commune conspiratrice : elle avoit pris le 8 un arrêté pour se rendre propriétaire des carrières de Montoire, parce qu’elle peuvent contenir 80 000 cadavres; aussi les jurés du (1) B'n, 27 therm.; Moniteur (réimpr.), XXI, 496-497; Débats, n° 694, 485 — 487; J. Mont. , n° 107; C.Eg. , n° 726; Ann. patr., n° DXCI; J. Paris, n° 592; Ann. R.F., n° 255; J. univ., n° 1726; J.S. -Culottes, n° 546. (2) Débats, n° 694, 487. SÉANCE DU 27 THERMIDOR AN II (14 AOÛT 1794) - Nos 25-26 69 tribunal révolutionnaire disoient-ils qu’ils avoient une liste de 80 000 hommes. (1) [Mouvements d’horreur] La Convention nationale renvoie aux comités de salut public et de sûreté générale les pièces dont le représentant Barras vient de lui donner lecture dans la séance de ce jour; charge ces deux comités de lui faire un prompt rapport sur les événemens des journées des 9 et 10 thermidor, et ordonne l’insertion au bulletin du rapport de Barras (2). [ Applaudissements ] 25 Un membre [BARRAS] rend compte de la conduite intrépide du citoyen Mettrot, membre du comité révolutionnaire de la section du Temple (3), blessé en s’opposant à l’assassinat de La Bazennerie, commandant la force armée de ladite section (4). BARRAS rend compte ensuite d’un trait de dévouement pareil à celui du brave citoyen Geffroy. Le 9, le citoyen Mettrai, du comité révolutionnaire de la section du Temple, étoit à son poste lorsqu’un bon citoyen vint lui annoncer que dans un cabaret voisin se trouvoit un fabricateur de faux assignats. Mettrai s’y rend avec La Bazennerie, commandant de la force armée; le fabricateur de faux assignats cherche à fuir, et, d’un coup de poing renverse La Bazennerie; mais celui-ci se relève lorsque le faussaire tire un poignard et va le percer. Mettrai voit le fer levé sur son ami; il se précipite assitôt entre lui et l’assassin, et reçoit dans l’épaule le coup qui devoit percer le coeur de La Bazennerie : l’assassin est aussitôt arrêté (5). [ Applaudissements ] La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion au bulletin du dévouement de Mettrot, et que ses frais de pansement et de maladie seront supportés par la République, et renvoie au comité d’instruction publique (6). (1) J. Fr., n° 689; J. Sablier, n° 1500; Audit, nal., n° 690; J. Perlet, n°691; Ann. R.F., n° 256; F.S.P., n° 406; Rêp. , n° 238. (2) P.V., XLIII, 221. Rapport de la main de Barras. Décret n° 10 405. Reproduit dans B‘n , 27 therm. (3) A Paris. C* II 20, p. 254 porte Mettrat. (4) P.V., XLIII, 221. (5) Débats, n°694, p. 487-488. (6) P.V., XLIII, 221. Rapport de la main de Barras. Décret n° 10 404. Reproduit par B‘n , 27 therm.; Rép. , n° 238; Ann. patr. , n° DXCI; Audit, nat. , n° 690; J. Fr. , n° 690; F.S.P. , n° 406; J. univ. , n° 1726; C. Eg. , n° 726; Ann. R.F. , n° 256; J. Perlet, n°s691, 692; J.S.-Culottes, n° 546. 26 Le président donne lecture à l’Assemblée d’une lettre du citoyen James Monroe, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique, au président de la Convention nationale la République, dont la teneur suit. Paris, le 26 thermidor Citoyen président, Arrivé depuis quelques jours avec la commission du président des Etat-Unis de l’Amérique de représenter ces Etats en qualité de ministre plénipotentiaire près la République française, et n’étant point informé du département compétent, ni des formes établies par la loi pour reconnoître mon caractère, j’ai cru qu’il étoit de mon devoir de faire connoître ma mission immédiatement aux représentans de la nation. A eux appartient le pouvoir de déterminer le jour, et de prescrire le mode d’après lequel je dois être reconnu comme le représentant de leur allié et de leur République soeur ; ils auront aussi la bonté de me désigner le département où je dois me présenter pour être reçu sous le titre que je porte. Je vous fais cette communication avec d’autant plus de plaisir qu’elle me donne l’occasion, non seulement de témoigner aux représentans des citoyens libres de la France mon dévouement personnel pour la cause de la liberté, mais de les assurer en même temps, de la manière la plus positive, du profond intérêt que le gouvernement et le peuple de l’Amérique prennent à la liberté, au succès et à la prospérité de la République française. Signé , James Monroe (1). [Applaudissements ] Bréard : Le comité de salut public, instruit hier de l’arrivée du ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique, se dispose à faire à ce sujet un rapport aujourd’hui (2). La Convention nationale décrète l’insertion de cette lettre dans son procès-verbal et au bulletin de correspondance, et renvoie la lettre et les pièces y jointes au comité de salut public pour lui faire à ce sujet un rapport séance tenante (3). [ Vifs applaudissements ] (1) P.V., XLIII, 221-222. B‘n, 27 therm.; Moniteur (réimpr.), XXI, 494; Débats, n° 693, 481-482; M.U., XLII, 455; J. Paris, n° 592; J. Fr., n°s 689, 690; Rép., n°s 238, 239; Ann. R.F., n°s 255, 256; Ann. patr., n° DXCI; J. Perlet, n°s 691, 692; C. Eg., n° 726; J. Mont., n° 107; J.S.-Culottes, n° 546. (2) J. Sablier, n° 1499; Audit, nat., n° 690; M.U., XLII, 444; F.S.P. , n° 406; J. univ., n° 1726; C. univ., n°957. (3) P.V., XLIII, 222. Voir aussi, ci-dessous, n° 30.