522 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juillet 1791.] traité solennel, ne s’applique qu’à quelques étrangers. Les terres de Porentruy, appelées, en diplomatique, les terres de l’évêché de Bâle, forment un angle qui s’avance entre les ci-devant provinces d’Alsace et de Franche-Comté, et qui présente une entrée facile dans les départements du Haut-Rhin et du Doubs. Notre frontière n’ofhe, de ce côté, aucune place ni forteresse. Les terres de Bâle sont tellement hérissées de momagees, qu’avec 100 hommes on puunait aisément se défendre contre 2,000, et favoriser Rentrée d’une armée qui s’étendrait aisément sur les frontières et prendrait à dos les Français qui s’opposeraient au passage du Rhin. On avait si bien senti l’importance de cette position, que par un traité particulier fait en 1780, il est dit, article 3, « que le prince-évêque de Bâle ne souffrira pas que les ennem s s’établissent sur les terrts de Porentruy, qu’il ne pourra leur donner passage, et qu’en cas d’agression hostile ou de péril imminent, nous pourrons faire occuper et garder les gorges par nos troupes. « Loin de remplir ces engagements, le prince-évêque de Porentruy les a enfreints, en introduisant, depuis peu, des troupes autrichiennes dans ses Etats, à l’insu du gouvernement et au morne H d’une invasion provoquée par le prince-évêque même à la diète de Ratisbonne. Ce prince, à la nouvelle du départ du roi, avait ordonné les préparatifs d’une fête. 11 fait maltraiter les Français qui se trouvent dans ses Etats, il désarme ses sujets; il fait fondre une très grande quantité de boulets. Les troupes autrichiennes sont à Porentruy, et an moment où la guerre viendrait à se déclarer, elles occuperaient les frontières qui, aux termes du truité le plus solennel, déviaient être occupées par nous. Voici ce que j’ai l’honneur de vous proposer de décréter . « Que dans 24 heures il s 'Ta, par le ministre des affaires étrangères, expéiié un courrier extraordinaire à l’ambassadeur de France en Suisse, spécialement accrédité près de l’évêque de Bâle, avec un manifeste qui contiendra: « En premier heu, le dispo-itif de l’article 8 dudit traité et les circonstances qui forcent la nation française d’en faire à l’instant usage, en occupant sans delai, par des troupes nationales sous les ordres de l’officier général dont on sera convenu, tous les défilés ne l’évêché par lesquels une armée ennemie pourrait pénétrer en France. « En second l eu, la déclaration formelle et expresse que les troupes françaises, placées dans les défilés, ne seront aucunement à charge, soit au prince, soit à ses sujets ; qu’elles auront les ordres les plus rigoureux de ne favoriser en aucune manière les (roubles du pays, ni de mettre aucune entrave, soit à la mission des .troupes autrichiennes, soit à l’exercice de l’autorité des tribunaux, pour s’y opposer, avec ordre audit ambassadeur d’envoyer sans délai un dus officiers attaché à son ambassade, au prince-évêque pour lui notifier officiellement, lequel le rendra public et le communiquera à tout le corps helvétique; de l’exécution desquels ordres, l’ambassadeur donnera tout aussitôt connaissance au général qui sera nommé, et en instruira, par le retour du courrier, le ministre des affaires étrangères, lequel en rendra compte à l’Assemblée nationale. « Que, dans le même délai, le ministre de la guerre enverra un général qu’il chargera du commandement des troupes destinées à occuper les défilés de Porentruy, lesquelles auront été indiquées audit ministre par les deux uénuta-tions des départements du Doubs et du Haut-Rhin ; enj dut auxdits deux comités de désigner audit officier général un nombre d’infanterie et de cavalerie des troupes placées dans ces endroits. A la diligence du ministre des affaires étrangères, il sera donné communication officielle du manifeste notifié au prince-évêque de Bâle, tant à la cour impériale de Vienne qu’à la diète de Ratisbonne. » Plusieurs membres demandent le renvoi au comité diplomatique. M. Regnaud (de Saint-J ean-d'Angély). Le nombre ues soldats qui ont été envoyés à Porentruy n’est point augmenté. ( L’ordre du jour.) Je crois important, au moment où l’on vous annonce des dangers... ( L’ordre du jour.) Vous allez mettre tout le département eu alarmes... M. Rewbcll. Les troupes augmentent journellement à Porentruy : la cavalerie a été doublée ; les soldats entrent par le territoire (Je la Suisse pour n’ètre pas aperçus; quand iis sont arrivés, ils se trouvent tout équipés, tout armés. Je suis étonné qu’on rie se soit pas encore occupé de ces intentions qui ne pouvaient être méconnues. M. Montmorin, avec qui j’en ai conféré plusieurs fois, m’a dit : « Qu’on m’indique un ennemi par un décret, je ferai mes dispositions. » Mais nous avons malheureusement indiqué trop d’ennemis par nos décrets... (Murmures.) Ce n’est pas un renvoi pur et simple qu’il faut ordonner... M. d’André. L’affaire de Porentruy se résout en deux mots : lu traité do 1780 porte, dans son article 3, qu’en cas d’agressions ou d’hostilités imminentes, nous aurons le droit d’aller garder les montagnes qui sont sur le territoire de l’évêché de Bâle. Le comité diplomatique a pensé qu’il était très important pour nous de garder les gorges; mais il a cru en même temps, qu’aux termes du traité, envoyer des troupes pour occuper ces gorges, c’était évidemment dire que nous regardions les Autrichiens comme nos eunemis. (Murmures.) Si vous le voulez, Messieurs, on vous fera demain un rapport sur ce traité et vous verrez quel parti vous devez prendre. (Assentiment.) M. le Président. Vous avez désiré, Messieurs, que M. DuveyMer vous rendît compte de sa mission ; il est à la barre. Plusieurs membres : Hors de la barre ! M. Duveyrier est introduit dans l’intérieur de la salle. M. le Président. Monsieur Duveyrier, vous avez la parole. M. Duveyrier. Messieurs, lorsqu’en rentrant sur les terres françaises, j’ai appris que l’Assemblée nationale avait daigné jeter sur moi un regard de bonté et de protection, toutes mes peines ont été effacées, et je n’ai voulu me souvenir des traverses de mon voyage, que pour être en état de vous en faire le plus exact rapport. Je suis parti de Paris le 17 juin, avec mon cousin M. Bouchard, des anciens gardes du roi. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juillet 1791.J L’amitié qui nous unit depuis notre enfance, ses sentiments connus, et l’avantage que seul il pouvait m’offrir, de demander et d’obtenir, en Allemagne, les nécessités du voyage, avaient déterminé mon choix et sa complaisance. Arrivé à Worms le 31 à 9 heures du soir, je me suis transporté sur-le-champ au château habité par M. de Gondé. J’ai été annoncé comme envoyé par le roi, et introduit presque à l’instant. J’ai présenté mes dépêches à M. de Condé, en présence de 5 ou 6 personnes qui se trouvaient avec lui, parmi lesq uelles j’ai remarqué un colonel français, dont j’aurai bientôt l'occasion de parler. M. de Condé, après avoir lu les dépêches avec la plus grande attention, après en avoir relu même une partie, m’a demandé qui j’étais: j’ai dit mon nom et ma qualité. Alors M. de Gondé m’a parlé en ces termes (je rapporte autant que je le puis ses propres expressions) : « Monsieur, il ne me serait pas difficile de répondre sur-le-champ; mais j’ai des paroles avec M. le comte d’Ar ois, d’après lesquelles je ne puis prendre au une résolution dans les circonstances importantes (et celle-ci l’est beaucoup), sans me conci rter avec lui. Je pars demain pour Coblontz : vous êtes le maître ou d’attendre ici ma réponse, ou de me suivre à Coblentz. » J’ai choisi d’abord d’attendre à Worms. M. de Condé m’a observé que, si j’allais à Co-blentz, sa réponse serait plus prompte, et mon voyage plus cuurt. L’invitation m'a paru claire: j’ai dit que, puisqu’il paraissait le désirer, je Je suivrais à Co-hleniz. Comme je prenais congé, M. de Condé m’a observé, du ton le plus calme et le plus honnête, qu’il partirait le lendemain matin; que je pourrais partir après lui dans la matinée; qu’au surplus, j’avais tout le temps nécessaire. Le lendemain 22 juin, je n’ai pu partir de Worms qu’à mm heure aptes midi. M. de Condé était parti lui-même à 8 heures du matin, avec tous ies chevaux d<> la poste. J’ai couché le même jour à Mayence, et de là, m’embarquant sur le Rhin pour la plus grande célérité de mon voyage, je suis arrivé à Coblentz le 23, sur ies 8 heures du soir. J’ai appris que M. de Condé ne m’avait devancé que d’une demi-heure, et qu’il était alors avec M. d’Artois au palais de l’Electeur. Je m’y suis liansporlé sur-le-champ. Introduit dans une antichambre, j’y ai trouvé, avec plusieurs autres personnes, le colonel français dont j’ai déjà parlé, et qui, s’avançant vers moi, m’a dit à voix basse: - M. Duveyrier, je vais prendre les ordres du prince; vous pouvez attendre ici. » Je suis resté au milieu de 8 ou 10 jeunes officiers français qui paraissaient instruits du motif de mon voyage, et qui, je ne puis le dissimuler, ne m'ont pas traité avec bienveillance. (Mouvement.) Peu de temps après, j’ai vu passer le colonel français et le ministre de l’Electeur. J’ai été introduit auprès d’eux dans la pièce voisine, et là, le ministre de l’Electeur m’a dit: « M. Duveyrier, M. le prince de Condé, M. le « comle d’Artois et M. l’Electeur m’ont chargé « de vous dire qu’ils désirent que vous sortiez - ce soir même de Coblentz. » Mon air a sans doute marqué la surprise. Le ministre a coutiuué : « C’est une précaution indiquée seulement « pour votre sûreté. Vuus ne pouvez vous dis-« simuler que la commission que vous vem z de - remplir n’est point agréable à M. le prince de « Condé; elle l’est moins encore à tous les Fran-« çais qui l’accompagnent; et M. l’Electeur, mal-« gré toute sa bonne volonté, craindrait de ne - pouvoir éviter un scandale. » J'ai observé que cependant j’exécutais une commission donnée par le roi. Sur cette observation, le colonel français m’a dit du ton le plus doux: « M. Duveyrier, nous - le siivons bien, nous; nous le savons: mais « pouvons-nous toujours être maîtres des jeunes « gens? » Le ministre de l’Electeur a repris: t Vous irez « à la première poste, sur le chemin de France, « du côté du château habité par M. le comte « d’Artois. C’est Audernaeh, petite ville impé-« riale, où vous s�rez en sûreté. Vous logerez à « la poste; et demain, dans la matinée, M. le « comte d’Arto s vous fera venir sans danger à « son château, ou peut-être vous enverra-t-on à « Audernaeh la réponse dont vous devez être « chargé pour le roi. Je vais vous donner un « officier pour vous faire traverser la ville sans « danger. » Le ministre de l’E’ecteur, en finissant, a voulu me faire sortir par une perte dérobée : elle était fermée. Il a fallu rentier dans i’antnhambre où j’avais attendu, et c’est là qu’un office r des troupes de l’Electeur a reçu ordre de m’accompagner à la poste peur commander des chevaux, de là à mou auberge, de monter avec moi dans ma voiture, et de ne me quitter qu’à la dernière port - de la ville. Cet ordre a été ponctuellement exécuté. Je suis sorti de Coblentz, le même jonc, sur les 10 heures du soir, et je suis activé à Audernaeh, le lendemain, à 1 heure du malin. Ce jour-là même, sur les 10 heures du matin, plusieurs courriers, qui se succédaient rapidement, apportée nt à Audernaeh la nouvelle que le roi était sorti de Pat is. Cette nouvelle avait été, disait-on , porte** vers h s 7 heures du matin à M. l’Electeur de Trêves, qui s’eiaii empretséde la répandre dans la v lie de Coblentz. Quelques heures après, j’ai vu passer M. d’Artois, qui se rendait à Aix-la-Chapelle. J’ai appris en même temps, de tous côtes, que M. de Gondé avait repris la route de Worms. Malgré la certitude que toutes ces circonstances me donnaient ne ne point recevoir la réponse promise pour toute Ja matinée du même jour, j’ai attendu à Audernaeh la journée entière; et je me proposais de ne partir pour la France que le lendemain, lorsque, sur les 11 heures du soir, il m’e-t parvenu des notions a'sez précises, et dont Ja bienveillance m’a touché, que plusieurs jeunes officiers de Coblentz, qui n’ignoraient pas mon séjour, ivres de la joie que leur causait la nouvelle dont je viens de parler, s’étaient proposé de me venir signifier, eux-mêmes, le matin, et de très bon matin, que je n’avais pas de réponse à attendre. La manière dont ces notions me furent tiaesmises me convainquit que je n’avais pas un moment à perdre pour partir d’Audernach, et pour me rendre en France par le [dus court chemin. Je le demandai au maître de poste : il me traça sur une feuille le chemin que je devais tenir. Je dtvais passer par Pollich, traverser tout le pays de Trêves, [tasser à Trêves lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 524 et à Luxembourg, pour de là me rendre à Thion-vifie. Je ne pouvais pas penser à retourner à Co-blentz, ni à Worms, d’après ce que je viens d’avoir i’honneur de vous dire, et d’après la manière dont j’avais été conduit à la porte de la ville par un officier de l'Electeur, pour ma propre sûreté. Je suis donc parti d’Àudernach à 1 heure du matin, dans la nuit du vendredi au samedi 25 juin. A 6 lieues d’Audernach, le maître de poste m’a appris que le roi n’était pas sorti du royaume : cette nouvelle a calmé les inquiétudes dont j’avais été jusqu’alors dévoré. J’ai passé à Trêves. A Trêves seulement (et ceci est à remarquer, Messieurs), à Trêves seulement, on m’a demandé mon nom, ma qualité, et le nom de mon compagnon de voyage : je l’ai donné tel que je le porte; j\ i donné le nom de mon compagnon de voyage. J’ai traversé Trêves, et je suis arrivé à Crcven-Marken, où j’ai appris ce que j’ignorais encore : j’ai appris que M. de Bonifié était à Luxembourg avec un nombre assez considérable d 'officiels français qui l’avaient suivi. Je n’avais point oublié les relations que j’avais eues avec lui dans la commission de Nancy, et je ne pouvais pas penser à tout ce que M. de Bouillé avait fait alors, à tout ce qu’il m’avait dit sur son attachement à la Constitution et à la loi, sans penser à son embarras, si le hasard me mettait en sa présence. Ainsi, Messieurs, vous devez sentir que, si j’avais pu prendre une autre route, certes je n’aurais pas passé à Luxembourg; mais je ne pouvais plus retourner sur mes pas; Luxembourg était le seul passage. Je suis arrivé à Luxembourg le 26 juin : on m’a demandé mon nom à la porte, comme à Trêves; je l’ai donné sans déguisement; je n’en avais pas besoin; à l’auberge où nous sommes descendus, on est venu nous dire qu’il fallait aller signer un billet chez le major de pla e, pour avoir des chevaux de poste. Mon compagnon de voyage a voulu m’éviter cette peine : il a été conduit chez le général ; le général a voulu sans doute le faire reconnaître par M. de Bouillé. Mon compagnon de voyage n’a pas été parfaitement bien reçu de M. de Bouillé, surtout lorsqu’il a été obligé de dire qu’il m’accompagnait. Un aide-major de place est venu dans le même temps m’arrêter à mon auberge. Mon compagnon de voyage s’annonçait comme ancien garde du roi; mais on lui iel'usait cette qualité, par cela seul qu’il m’accompagnait, par cela seul qu’il accompagnait on homme chargé de la commission que je venais de remplir : le bruit s’est même répandu, pendant notre détention à Luxembourg, qu’on l’avait mis en présence de 7 ou 8 gardes du corps qui l’avaient méconnu, quoiqu’il soit de toute vériié que, jusqu’au dernier moment, on lui a refusé tout moyen de se fare reconnaître. Je suis donc conduit à la grand’-garde, où je trouve mon compagnon de voyage. Nous sommes entre les mains du major de place, de l’aide-major et d’un autre officier, qui nous disent poliment que l’ordre est de visiter tous les pape rs, et qu’ainsi, si nous ne voulons pas que l’on nous fouille, il faut vider nos poches. J’ai donné mon portefeuille; j’ai donné tous mes papiers : on en a fuit nn inventaire, dont les 2 premières p èces étaient ma commission et le passeport que j’avais emporté de Paris : cet inventaire fait, on m’a donné l’espérance que le rapport et la décision seraient assez prochains 122 juillet 1791-1 pour me faire repartir sur-le-champ; cependant, une heure ou une heure et demie après, on est venu me déclarer qu’il fallait c.ucher au corps de garde. Sur les 10 heures du soir, le capitaine de sarde est obligé de s’absenter pour faire sa ronde. Ce moment a été saisi avec un empressement que je ne puis plus me dissimuler. Un Français, officier au service de l’empereur, a conduit dans le corps de garde où nous étions, presque tous les officiers français qui avaient accompagné M. de Bouillé. Je ne puis vous rapporter, dans toute son étendue, une scène bien affligeante. J’ai été traité de la manière la plus dure ; il est presque impossible de croire les expressions, les menaces et les gestes dont se sont servis, envers moi, des officiers fiançais qui avaient sans doute reçu de l’éducation, et qui devaient avoir des sentiments. Le capitaine de garde est rentré, et les a fait sortir avec sévérité. Le lendemain, j’ai appris qu’à la garde montante on leur avait signifié que le gouverneur était extrêmement étonné de la licence qu’ils s’étaient donnée; qu’on leur demanderait de quel droit ils avaient violé une garde pour outrager, pour menacer de la manière la plus violente, des prisonniers, des personnes ar ê! ées. On leur a signifié que le commandant leur faisait les plus expresses défenses de nous approcher. Dans le même temps, on n us a transportés à un autre corps de garde, à celui de la porte du château. Nous nous y sommes établis, parce que nous avons bien vu, à la manière dont on nous parlait, que notre liberté ne pouvait pas nous être renoue dans la journée. Le lendemain, le même major, le même aide-major, et cet officier|français au service de l’Empire, dont je viens de parler, sont venus m’interroger avec d< s formes un peu effrayantes. On a fait sortir mon compagnon de voyage; on a pris nos armes, ce qu’on n’avait pas encore fait; et le major, me faisant asseoir, m’a annoncé que j’étais accusé, et qu’on avait même la preuve que j’avais donné un faux nom à Trêves; que j’étais entré seul à Trêves ; que mon compagnon de voyage y était entré seul; enfin que nous n’avions pas traversé Trêves, comme nous l’annoncions. Je l’ai nié, et je n’avais que ce;te réponse à faire; mais ma dé négation était si ferme, qu’elle a, je crois, persuadé même les officiers qui m’interrogeaient, de la vérité de ma réponse. Je demandais avec instance, depuis 2 jours, la permission d’écrire ou à mes parents, ou au ministère de France ; et cette permission m’était toujours refusée. Le major me disait : « M. Du-veyrier, la permission que vous deman ;ez ne peut être nécessaire. Encore 24 heures; un peu de confiance : on n’a rien à vous reprocher; encore 24 heures, et je vous apporterai de bonnes nouvelles. » Cependant, on envoya le lendemain le même officier à Trêves, pour vérifier si j’avais répondu la vérité. Il est revenu : j’ai su que la vérification était entièrement à mon avantage, comme elle devait l’être : j’ai su qu’on n’avait rien à me reprocher; mais, en même temps, que le commandant de la place m’avait arrêté sur des soupçons répandus depuis quelque temps, et qu’on ne m’avait pas dissimulés à moi-même. On m’a dit précisément que j’étais soupçonné d’être envoyé, comme beaucoup d’autres, pour débaucher les soldats de l’Empereur. La vérificatiou étant entièrement à mon avantage, le commandant de Luxembourg avait cru devoir prévenir le gouverneur de Bruxelles de mon arrestation, lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 122 juillet 1791. j 525 et attendre sa réponse pour me mettre en liberté. C’est ce qui m’a été assuré plusieurs jours après, par un second major de place, M. de Rochefort, Français dont l’honnêteté est connue à Bruxelles, et nous a été du plus grand secours. Je ne vous parlerai pas, Messieurs, d’une visite que j’ai reçue d’un officier français qui se disait envoyé de Bruxelles par les gouverneurs des Pays-Bas : il est venu me proposer de lui donner, pour des assignats, 30,000 livres en or, que je devais avoir en ma possession, suivant les rapports faits au gouvernement de Bruxelles. (Rires.) Je ne vous rapporte ce trait, Messieurs, que pour vous donner une idée de tous les bruits qu’on avait semés sur mon compte. Je touche bientôt, Messieurs, au moment de ma liberté. J’ai resté 22 jours dans cette situation, parce que, m’étant adressé au général pour demander la permission d’écrire à Paris, le général m’avait fait réponse que cela lui était absolument impossible, d’après sa règle; que je devais rester dans le même état où il m’avait annoncé à Bruxelles. Enfin, Messieurs, le lundi 18 juillet, M. de Rochefort est entré dans notre garde sur les 6 heures du soir, ayant à la main mon portefeuille; et ce orb feuille seul m’a annoncé ma liberté. M. de ochefort m’a dit : « Vous allez partir d’ici : « voilà vos papiers : vérifiez si l’on n’en a rien >< distrait. » Vérification faite, j’ai certifié que « tous mes papiers m’étaient rendus, et que, « pendant mou arrestation, on m’avait traité •< avec les soins d’humanité et de justice qui « pouvaient se concilier avec des précautions « d’usage. » Dans la conversation que j’eus, dans cette circonstance, avec M. de Rochefort, je ne puis me souvenir par quel motif il me dit que le matin même tous les jeunes officiers français étaient partis de Luxembourg; qu’il ne restait en ce moment, à Luxembourg, que les anciens officiers, qui quittaient rarement la ville; mais qu’au surplus, je serais escorté jusqu'aux frontières de France, et que là, j’apprendrais la raison pour laquelle on me mettait en liberté. Tous les ordres ont été donnés par l’état-major. La voiture est venue me prendre à la porte du corps de garde. Je l’ai trouvée environnée d’un caporal et de 6 cavaliers des dragons de Wiss-bourg. Je suis sorti de la ville de Luxembourg sur les 9 heures du soir, au moment où on allait fermer les portes. Toute la ville était prévenue : le major et les autres officiers m’avaient signifié à moi-même que j’allais être conduit à Frisange, pour rentrer en France par Thionville. Les officiers autrichiens qui nous avaient gardés, et qui, presque tous, nous ont témoigné intérêt et affection; les officiers autrichiens qui venaient nous embrasser pour nous souhaiter un bon voyage, nous annonçaient aussi que nous allions à Thiou-ville. Nous étions donc bien persuadés que notre entrée en France se ferait par Thionville. Nous faisons une demi-lieue seulement sur le chemin de Thionville, et à une demi-lieue nous trouvons un autre poste placé pour nous attendre. Le chemin alors se divisait en 2. Le caporal qui nous avait accompagnés, cause assez longtemps avec le caporal qui nous attendait. Celui-ci vient à la portière de la voiture, et me demande : ces messieurs savent-ils où ils vont ? Je réponds : Je crois aller à Thionville. — À Thionville? Oui, oui... 11 parle au postillon, et lui montre un des 2 chemins. J’entends que le postillon lui fait une observation. Le caporal insiste avec beaucoup d’autorité, et fait prendre le chemin qu’il indiquait. Mon cousin, qui entend un peu l’allemand, me prend la main et me dit : « Mon ami, il ne faut < pas renoncer à notre courage : nous n’allons « pas à Frisang » Ii était 10 heures du soir. On nous a fait pa-ser par des chemins détournés, dans des bois. A minuit, nous sommes arrivés à un très p tit village; là, notre escorte a changé; on nous a mis entre les mains des uhlans ; le chemin est devenu plus difficile ; nous avons voyagé dans des prés, dans des terres labourées ; et enfin, au bout de 10 à 12 heures, nous avions fait 5 lieues 1/2, et nous étions ren lus à Obanches. Nous avons appris que nous étions à 1 lieue de Longwy, mais à 1 lieue aussi d’Arlon, chemin des Pays-Bas; et notre destinée n’était pas encore connue. Le capitaine était absent : il fallait ouvrir un paquet qui lui était adressé, et qui contenait le certificat qui devait nous être délivré. La réponse du capitaine est arrivée seulement à deux heures. Je suis parti avec les uhlans, qui m’ont accompagné absolument jusqu’à la ligne de démarcation; et en cet endroit, voici la déclaration qui m’a été remise : « Par ordre de Leurs Altesses Royales, les gou-c verneurs généraux et capitaines des Pays-Bas, « Il est déclaré aux sieurs Duveyrier et Bouchard « qu’ils ont été traités par arrêt à Luxembourg: « 1° parce qu’ils n’avaient pas de passeport (il est « vrai que mon passeport ne faisait pas mention « de mon compagnon de voyage); 2° en raison « du traitement que des officiers de nos troupes, « quoique munis de passeports, avaient éprouvé « bans les villes frontières de France, et notam-« ment dans les forteresses. » Je n’ai pas mis un quart d’heure à atteindre Longwy; et la manièie dont j’ai été reçu m’a consolé de toutes mes inquiétudes. Je rentre, Messieurs : je rapporte le même zèle pour la chose publique, et la plus profonde reconnaissance pour les bonté-de l’Assemblée nationale. (Vifs applaudissements.) M. le Président répond : Monsieur, Votre retour calme les inquiétudes de l’Assemblée nationale sur votre sort. Vous ne les avez pas ignorées. Elles ont dû vous convaincre de l’intérêt que vous lui inspiriez. Le zèle elle courage aveclequels vous avez rempli voire mission vous assurent de nouveaux droits à la confiance publique et à l’estime de l’Assemblée nationale. Elle vous invite à assister à sa séance. (Vifs applaudissements.) M. d’André. Je ne pense pas que les témoignages d’intérêt que l’Assemblée nationale vient de donner à M. Duveyrier soient tout ce qu’elle a à faire en ce moment. 11 est évident que, quand M. Duveyrier a été arrêté, la première pièce que l’on a trouvée dans son portefeuille, est son passeport; ainsi cette excuse n’est pas valable. Le second motif tiré de ce que des officiers ont été arrêtés à Thionville ne peut couvrir cette arrestation d’aucun prétexte, puisqu’on n’a pas demandé de réparation pour les mauvais traitements qu’on dit avoir été faits, sur nos frontières, à des impériaux. Je demande que, afin que l’Assemblée soit en état d’agir avec dignité et prudence, M. Duveyrier