470 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 août 1789.] Art. 64. Le gouvernement a pour but la félicité générale ; il est établi non pour l’intérêt de ceux qui gouvernent, mais pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés. §6. Art. 65. Le pouvoir militaire ne doit avoir d’autre objet que la défense de l’empire et de ses possessions contre les ennemis extérieurs. Art. 66. Les armées nombreuses tenues sur pied en temps de paix, sont dangereuses pour la liberté des peuples, et doivent être réduites au nombre exactement nécessaire à la garde des frontières et à la conservation des colonies. Aucun corps de troupes réglées ne doit être levé ni entretenu sans le consentement de la puissance législative. Art. 67. La défense la plus naturelle et la plus sure d’un gouvernement libre est une milice nationale bien réglée. Art. 68. Dans tous les temps et dans tous les cas, les militaires doivent être subordonnés au pouvoir civil. Art. 69. La discipline militaire exige que tous les officiers et soldats, en temps de guerre et en garnison, soient jugés, dans tous les cas relatifs au service militaire, suivant des lois particulières qui seront établies ou approuvées par la puissance législative. Art. 70. Aucun soldat, en temps de paix, ne doit être logé, ni mis en garnison chez un citoyen sans son consentement. En temps de guerre, aucun citoyen ne doit être obligé au logement des gens de guerre, que de la manière et suivant les règles déterminées par la puissance législative, dont l’exécution sera confiée aux officiers municipaux. § 7. Art. 71. Il doit être établi par la nation ou ses représentants, un tribunal souverain devant lequel tous les agents du gouvernement, sans exception, qui seront accusés d’avoir prévariquê dans leurs fonctions, pourront être cités au nom et par l’autorité de la puissance législative, pour être jugés et condamnés s’ils sont coupables, aux peines qui auront été fixées par les lois. §8. Art. 72. Les représentants de fa nation, depuis l’instant qu’ils ont été nommés, jusqu’à leur retour dans leur patrie, doivent jouir de la plus parfaite sécurité, de la pi us entière liberté de parler et d’écrire; ils ne doivent être responsables qu’aux seules assemblées nationales dont ils sont membres, des discours qu’ils y auront tenus; ils ne peuvent, dans aucun temps, être inquiétés à raison de ces discours, ni par le pouvoir exécutif, ni par aucun tribunal. Art. 73. Tous les citoyens ont le droit de s’assembler d’une manière paisible, de faire des représentations, de présenter des pétitions, soit au pouvoir législatif, soit au pouvoir exécutif, et de nommer des délégués pour en suivre l’effet. Art. 74. La nation ayant seule le droit de changer et de rectifier la Constitution, il doit être réglé que, sur la demande des deux tiers du royaume, notifié par les adresses à la puissance législative, il sera convoqué une assemblée nationale extraordinaire, spécialement chargée d'examiner tous les articles de la Constitution, de ré-f former et de modifier ceux dont l’expérience ou la différence des circonstances ont rendu le changement nécessaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du samedi 22 août 1789, au matin (1). Ce jour l’Assemblée a pris communication de différentes adresses de félicitation, remerciements et adhésion des villes de Blaye en Guyenne, de Mirebeau en Poitou, Mortagne, Tournon, Serières, de la sénéchaussée de Givray, de tous les ordres de la ville de Pau, qui annoncent qu’ils viennent de composer une troupe de volontaires sous le nom de Gardes-du-Berceau d’Henry IV, destinés au service du Pmi et de la nation ; des adresses de Saint-Antonin en Haute-Guyenne, de Mamert en Saunois, deBagnères en Bigorre, de Villeneuve-de-Berg, de Brioudeen Auvergne, des officiers de justice d’Epinal en Lorraine, des juges seigneuriaux de Fouez en Bretagne, du comité de Granville, des habitants de Feurs en Forez, qui rendent cômpte à l’Assemblée du patriotisme du sieur Gouvn de Lurieu, seigneur du Palais-lôs-Feurs, qui a volontairement affranchi de tous servis, lods, mi-lods et autres droits seigneuriaux, tous les emphytéotes ou censitaires de sa terre, vivant du travail de leurs mains, tant pour l’avenir que pour tous les arrérages échus, dont il donne quittance, et promet d’accepter le remboursement de tous les autres, d’après le taux fixé par l’Assemblée. L’acte de cet abandon, passé par-devant notaire, a été remis sous les yeux de l’Assemblée. 11 a encore été fait mention des adresses d’adhésion et de félicitation des villes de Saint-Gilles, diocèse de Nîmes, Saint-Tropez et de Saint-Paul en Provence, Josselin en Bretagne, d’Orgelet en Franche-Comté, des électeurs1 du bailliage secondaire de Montrichard. M. Meunier de l’Erable ayant fait hommage à l’Assemblée d’un tableau dans lequel il a classé toutes les pensions offre en même temps, en qualité de membre de la Chambre des comptes, de joindre son travail à celui du comité chargé de cette partie, et de fournir tous les renseignements qui pourraient être nécessaires. Ces propositions sont acceptées, et il est résolu que M. le président lui écrira pour lui faire connaître les vœux de l’Assemblée. M. de Laborde demande qu’il soit imprimé des états de finances, au nombre de douze cents exemplaires, pour être distribués à tous les députés ; mais il n’est rien statué à cet égard. On met à la discussion l'article 14 du projet de déclaration ; il est conçu en ces termes : « Nul citoyen ne peut être accusé ni troublé dans l’usage de sa propriété, ni gêné dans celui de sa liberté, qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus. » M. Target présente le projet suivant : «Art. 1er. Aucun citoyen ne peut être accusé, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 août 1789.] arrêté, détenu, puni qu’au nom de la loi, et qu’avec les formes prescrites, et suivant les dispositions précises de la loi. « Art. 2. Tout ordre arbitraire contre la liberté doit être puni. Ceux qui l’ont sollicité, expédié, exécuté et fait exécuter, doivent être punis. » M. le marquis de Bonnay propose une rédaction qui renferme les principes de plusieurs articles du projet. 11 s’appuie surtout sur la nécessité d’établir dans la déclaration des droits, que la loi ne peut jamais avoir d’effet rétroactif. Il est, dit-il, un principe sacré sur lequel repose toute la liberté publique, un principe qui doit précéder tout code de lois. Ce principe est, que tant que la loi n’existe pas, ce qu’elle doit punir un jour n’est pas encore un crime : rien ne doit être retranché de la déclaration des droits ; et qu’y a-t-il de plus nécessaire que d’ôter à l’autorité et au despotisme la possibilité de punir des actions jusque-là réputées innocentes, au nom d’une loi qui, rendue après coup, les déclareraient criminelles ? L’orateur propose les articles suivants : « Art. Ier. Nulle loi ne peut avoir d’el fet rétroactif; mais dès l’instant qu’elle est promulguée, elle devient obligatoire pour tous les citoyens, et c’est dans cette soumission à la loi commune, égale pour tous, que consiste l’égalité civile. « Art. 2. Nul ne peut être accusé, arrêté, détenu que par la loi, et suivant les formes prescrites par elle. «Art. 3. Nul ne peut être inquiété pour Ses opinions religieuses, tant qu’il ne trouble pas le culte établi; nul ne peut être gêné pour ses pensées, lorsqu’elles ne nuisent pas à autrui par leur publicité. s M. Duport parle ensuite. Il étend ses vues sur une partie très-intéressante de notre droit criminel , et fait sentir que des lois douces et humaines contre les coupables font la gloire des empires et l’honneur des nations. Il expose qu’il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu’ils ne le sont pas encore déclarés; qu’il a vu deux fois les cachots de la Bastille; qu’il a vu ceux de la prison du Châtelet, et qu’ils sont mille fois plus horribles; que cependant c’est une vérité que les précautions que l’on prend pour s’assurer des coupables ne font pas partie des peines. C’est d’après ces idées qu’il propose le projet suivant ; deux principes en sont la base, l’égalité des peines pour les mêmes délits, et la douceur dans les moyens de s’assurer des coupables. « Art. 1er. La loi ne peut établir de peines que celles qui sont strictement et évidemment nécessaires, et le coupable ne peut être puni qu’en vertu d’une loi antérieurement établie et légalement appliquée. « Art. 2. Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée. » M. de Lally-Tollendal. J’appuie fortement les deux articles proposés par M. Duport. La société a besoin de se faire pardonner le dro't terrible de donner la mort à un être vivant. S’il ôtait un pays où le despotisme judiciaire exerçât ses ravages ; s’il était un pays où de malheureuses rivalités d’état excitassent les passions, où la mort d’un homme pût être la jouissance de la vanité 47 i d’un autre; s’il était un pays où l’on eût rassasié d’opprobres un malheureux accusé par le despotisme d’un seul homme, ne serait-il pas nécessaire d’y rappeler les juges à l’humanité et à la justice? Sachons supporter la vérité ; ce pays est celui que nous habitons, mais aussi celui que nous régénérons. M. Martineau. J’applaudis également à cette motion; mais je propose d’ôter le mot accusé; parce que ce n’est pas la loi qui accuse, mais l’homme seul. Je propose un autre amendement qui porte sur la partie de la motion relative aux lettres de cachet ; je crois qu’il suffît de dire que tout homme est soumis à la loi, et que ce serait affaiblir ce principe que de prendre des mesures pour s’opposer encore à une exception que la force y a apportée pendant longtemps. Un autre membre veut rendre le ministre seul responsable de l’ordre arbitraire, et soustraire à la responsabilité les officiers subalternes. Cette dernière objection, qui se réunit à celle de M. Martineau, est combattue fortement par M. le comte de Mirabeau. M. le comte de Mirabeau. Si la loi de la responsabilité ne s’étendait pas sur tous les agents subalternes du despotisme, si elle n’existait pas surtout parmi nous, il n’y aurait pas une nation sur la terre plus faite que nous pour l’esclavage. 11 n’y en a pas qui ait été plus insultée, plus oppressée par le despotisme. Jusqu’en 1705 il existait une loi salutaire, que tout détenu devait être interrogé dans les vingt-quatre heures de sa détention. En 1705, elle a été abolie, détruite. Un monceau de lettres de cachet a précipité une foule de citoyens dans les cachots de la Bastille. Je le répète : notre liberté exige la responsabilité de toute la hiérarchie des mandataires. Tout subalterne est responsable, et vous ne serez jamais que des esclaves si, depuis le premier vizir jusqu’au dernier sbire, la responsabilité n’est pas établie. M. le duc du Châtelet propose d’adopter la forme usitée en Angleterre, celle du ivarrant ; cet ordre est une garantie que contracte le secrétaire d’Etat envers celui contre qui il est donné. Il est arrivé un exemple de cette garantie dans l’affaire célèbre de Wisk. Le secrétaire d’Etat qui avait signé le warrant a été condamné envers lui en 100,000 livres. M. Malouet propose d’ajouter l’article 19 de la déclaration des droits de M. l’abbé Sieyès. Au milieu de la diversité des opinions, l’Assemblée manifeste son vœu pour les projets de MM. Duport et Target. On demande qu’ils soient réunis; mais avant de les mettre en délibération, on discute les amendements. Premier amendement de M. Martineau : « Retrancher du projet de M. Target le mot accuse, et laisser ainsi la phrase: Nul ne pourra être arrêté ni détenu , etc. » Cet amendement a été appuyé, mais il a été rejeté. Deuxième amendement de M. Martineau : « Renvoyer à la Constitution le dernier article de M. Target, qui concerne les ordres arbitraires. » M. de Gouy-d’Arcy. J’appuie ce renvoi. Je me fonde sur deux réflexions : la première, qu’une déclaration doit être précise, et que les lettres 472 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 août 1789.] de cachet n’y ont aucun rapport; la deuxième, que les détails sont quelquefois dangereux. C’est lors de la Constitution que vous examinerez si tous les officiers subalternes sont responsables. Les ministres sont responsables , sans doute ; c’est parce qu’ils sont les seuls qui prennent les ordres du roi, et qu’on suppose qu’ils en font exécuter souvent sans ordre. Il est impossible que tous les agents du despotisme connaissent la loi ; et si chacun d’eux la discutait, jamais rien ne serait exécuté, tout retomberait dans l’anarchie. M. le comte de Mirabeau. La loi qui porte que nul citoyen ne peut être arrêté qu’en vertu de la loi est reconnue partout et n’a pas empêché les lettres de cachet ; la diversité d’opinions qui partage l’Assemblée dérive de ce que l’on confond Je dogme politique de la responsabilité. Le chef de la société seul excepté, toute la hiérarchie sociale doit être responsable. Il faut signer cette maxime si l’on veut consolider la liberté particulière et publique. La responsabilité serait illusoire si elle ne s’étendait depuis le premier ministre jusqu’au dernier sbire. Cela ne* suppose aucunement que le subalterne soit juge de l’ordre dont il est porteur; il peut également et il doit juger la forme de cet ordre. Ainsi, un cavalier de maréchaussée ne pourra pas porter un ordre sans être accompagné d’un officier civil ; en un mot, la force publique sera soumise à des formes déterminées par la loi ; il n’y a aucune espèce d’inconvénient à cela, sinon la nécessité d’avoir désormais des lois claires et précises, et c’est là un argument de plus en faveur du dogme de la responsabilité. Au reste, nous devons quelque reconnaissance aux principes qui nous ont scandalisés dans le cours de la discussion ; le scandale qu’ils ont causé nous fait honneur, et bientôt il en dégoûtera les apôtres. M. Desineuniers réfute M. le duc du Châtelet sur le warrant. Il a été, dit-il, d’un très-grand usage en Angleterre ; mais l’abus s’en est fait bientôt sentir, et il est aujourd’hui tellement limité qu’il n’y a aucun messager de l’Etat qui voulût, sur un simple warrant, conduire un prisonnier à Douvres. La discussion est enfin terminée, et l’amendement proposé est rejeté. Troisième amendement de M. de Doisgelin, archevêque d'Aix. Supprimer l’article des lettres de cachet, et le remplacer par celui-ci : «Ceux qui sollicitent, obtiennent et exécutent des ordres arbitraires hors des cas prévus par la loi et déterminés par elle doivent être punis. « M. de Doisgelin, archevêque d'Aix, parle longtemps en faveur de cet amendement; mais ne le voyant appuyé que de très-peu de membres, l’auteur le retire. Quatrième amendement de M. Malouet : Ajouter à la motion de M. Duport le 19e article de la constitution des droits de M. l’abbé Sieyès, ainsi conçu : « Tout citoyen appelé ou saisi au nom de la loi doit obéir à l’instant; il se rend coupable par la résistance. » Cet amendement, appuyé de beaucoup de membres, est discuté. M. D’André observe que ce sont là les droits de la société; qu’il lui importe que les lois soient exécutées, et qu’elle a le droit de les faire exécuter. M. Desineuniers propose de l’admettre, mais à la fin de l’article de M. Target, c’est-à-dire à la fin de l’article 7. Cette idée est généralement applaudie. On propose deux sous-amendements. Le premier, de retrancher le mot appelé qui n’est pas appuyé. Le second sous-amendement est de retrancher au nom de la loi , et de mettre en vertu de la loi’. Cette distinction a paru nécessaire pour mettre un frein aux agents du despotisme, qui, en violant les lois les plus sacrées, répètent sans cesse qu’ils agissent au nom de la loi. L’amendement est admis, et voici les articles tels qu’ils sont adoptés : « Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites; ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance. « Art. 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. t Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » La discussion se porte ensuite sur les articles 16, 17 et 18, relatifs à la liberté des opinions religieuses et au respect du culte public. M. de Donnai, évêque de Clermont. La religion est Ja base des empires; c’est la raison éternelle qui veille à l’ordre des choses. L’on élèverait plutôt une ville dans les airs, comme l’a dit Plutarque, que de fonder une république qui n’aurait pas pour principe le culte des dieux. Je demande donc que les principes de la Constitution française reposent sur la religion comme sur une base éternelle. M. de Laborde. La tolérance est le sentiment qui doit nous animer tous en ce moment; s’il pouvait se faire que l’on voulût commander aux opinions religieuses, ce serait porter dans le cœur de tous les citoyens le despotisme le plus cruel. Je ne rappellerait pas ici le sang que l’intolérance a fait couler, les ravages qu’elle a faits parmi les nations. L’Europe présente encore un spectacle bien étrange dans la diversité de ses religions, et dans le despotisme que quelques-uns de ses gouvernements emploient pour les maintenir ; mais en quoi cette rigidité a-t-elle servi? A rendre nécessaire la persécution, et la persécution à étendre, à encourager les sectes. J’ai été témoin dans une ville d’un exemple que je n’oublierai jamais : l’on persécutait des quakers; un qui était oublié s’écria avec regret ; « Pourquoi ne me persécute-ton pas aussi? » La neutralité est sans doute le parti le plus sage ; les chefs n’ont d’autre occupation que de maintenir la paix, et la seule manière de ne pas la troubler, c’est de respecter les cultes. J’avoue que je suis affligé de voir des chrétiens invoquer