[23 mars 1791.] 305 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] M. de Montlosier. Je demande la division des amendements et la parole sur celui de M. Rœde-rer qui me paraît renfermer beaucoup de difficultés. Plusieurs membres invoquent la question préalable sur la demande de division des amendements. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la division.) M. de llontlosler. Je demande alors à faire voir à l’Assemblée les motifs déterminants qui me paraissent éloigner l’amendement particulier de M. de Rœderer. Il ne tend à rien moins qu’à exclure de la régence un membre de la famille royale qui se trouverait n’avoir pas prêté le serment civique dans son district à l’âge de vingt et un ans. Or, je dis que les voyages d'outre-mep, les guerres. . . {Murmures.) Je dis qu’il serait très dangereux d’établir une loi qui pût l’empêcher de prêter ce serment en aucune manière. Par exemple, s’il est détenu prisonnier, il est impossible qu’à vingt et un ans un prisonnier puisse prêter son serment. Je demande donc au moins l’ajournement. M. de Mirabeau. Je crois que le préopinant s’est trompé de mot : il a dit voyag q d’outre-mer ; peut-être a-t-il voulu dire voyage d’ outre-Rhin. {Rires. Les tribunes applaudissent .) M. Voidel. M. de Mirabeau a suffisamment répondu à M. de Montlosier. {Rires.) Je suis seulement fâché que M. Rœderer se soit servi d’une circonlocution pour exprimer son amendement. Je l’exprimerai, moi, en un seul mot, en mettant à la place de ces mots, s'il n’est pas Français , ceux-ci, s'il n'est pas citoyen français ; car on ne peut être citoyen français que l’on n’ait prêté le serment civique. (L’Assemblée , consultée, adopte les amendements de MM. Briois-Beaumetz et Rœderer, ainsi que l’article 4 du projet de décret, et renvoie le tout au comité pour une nouvelle rédaction.) M. Thouret, rapporteur . Nous voici maintenant parvenus à la question de l’admissibilité des femmes à larégence. Vous avez décrété constitutionnellement que les femmes et leurs descendants sont perpétuellement et absolument exclus de la royauté. La conséquence qui nous a paru naturellement indubitable est que les femmes et leurs descendants ne peuvent pas être admis à la régence. On ne peut échapper à cette conséquence qu’en disant que la régence n’est pas la royauté; mais jeréponds en très peu de mots que ce n’est pas en considérant uniquement le titre de la royauté, abstraction faite des fonctions, qu’il y a eu intérêt et motif d’en exclure les femmes ; c’est principalement et précisément à raison de l’exercice des fonctions. Or, la régence commet ici l’exercice des fonctions, par conséquent la raison qui exclut les femmes de la royauté, est la même pour larégence. Il y a, en faveur des femmes, des faits et des usages passés ; mais quand une nation fait sa Constitution, les faits et les usages antécédents ne font pas titre, ne font pas meme préjugé ; il faut en revenir aux principes et à la raison. Or, les principes et la raison sont que les femmes soient exclues de la régence. Voici l’article : lre Série. T. XXIV. Art. 5. « Les femmes sont exclues de la régence. » {Applaudissements.) Plusieurs membres à gauche : Aux voix! aux voix ! M. de Clermont-Liodève. Monsieur le Président, Messieurs, le préopinant vient de vous dire que, lorsqu'une nation travaille à sa Constitution, les faits et les exemples ont peu de force, qu’il faut en revenir aux principes et à la raison. Je ne me suis point proposé, Messieurs, de vous rappeler des faits, de vous citer des exemples. Si je les avais rappelés, ce serait pour rendre témoignage à cette vérité, que les régences exercées par les reines ont toujours été malheureuses, telles que les régences des deux Médicis, d’Anne d’Autriche, d’Anne de Beaujeu, de la duchesse de Bavière et les régences accidentelles. {Murmures.) En convenant que les régences exercées par les femmes ont jusqu’à présent été malheureuses, que le gouvernail du vaisseau de l’Etat ne se trouvait pas dans une main assez ferme, j’ai à vous faire observer, Messieurs, qu’il ne faut point conclure, de cet état de choses, à celui que vous allez établir ; que ce qui était grandement à craindre pendant la régence d’une femme étrangère, était l’acception qu’elle faisait des gens de son pays. Elle s’entourait de conseillers mauvais ou infidèles ; de là les malheurs qu’a éprouvés la France sous Goncini, je dirai même sous Maza-riu. Mais lorsqu’une nation a constamment un parlement, une diète, des états généraux, une Assemblée nationale et la loi de la responsabilité, cela n’est pas à redouter. {Murmures.) Je dis qu’a-lors, Messieurs, le grand danger de voir la reine entourée de mauvais conseillers, le danger de la déprédation des finances, auquel la faiblesse de ce sexe nous expose, n’ont plus lieu, D’un autre côté, je vous rappellerai quels dangers, quels inconvénients la nation peut redouter si la régence est entre les mains du prince le plus habile à succéder. Je ne m’étendrai pas sur celui que court le pupille, l’enfant royal. M. de Mirabeau nous a très bien dit que, pour un ambitieux qui avait la toute-puissauce, quand il ne restait pour la garder qmun pas à faire, il pouvait être facilement franchi. Get inconvénient n’existe pas sous la régence de la mère. Elle n’a d’autre intérêt que celui de son fils. Le régent, même honnête homme, le régent incapable de s’élever à la place d’autrui, ne sera point dénué d’intérêts personnels, de ceux de sa famille. Il a intérêt d’agrandir sa maison, de l’enrichir. Aulrefois il y serait parvenu par des concessions d’apanages et de domaines : vos sages lois ont remédié à ces inconvénients. Que lui restera-t-il à faire? Il lui restera à prodiguer les deniers de la liste civile, dont vous voulez apparemment laisser une partie à sa disposition, de les prodiguer dans le sein de l’Assemblée nationale, et de les prodiguer pour faire passer des résolutions onéreuses à la nation. Je vous soumets une autre observation. Les femmes, en général, aiment le repos, la paix. {Rires.) Le régent, s’il est prince guerrier, s’il est habile général, aura intérêt de faire naître la guerre ; il cherchera à illustrer le temps de son gouvernement. Vous avez renoncé aux conquêtes, Messieurs, mais vos généraux n’ont point renoncé à la gloire. Le régent voudra que les fastes de l’histoire transmettent son nom... 20 306 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. de Cleraiont-Lotlfcve. Je sais, Messieurs, qu’il n’aura pas le dr< it de décider la guerre, puisque le roi ne l’a pas; mais je vous ai déjà fait pressentir qu’un régent habile, ambitieux, aurait des moyens de pratiquer les volontés de l’Assemblée. J’observe, de plus, que cette exclusion n’est nullement fondée sur la loi salique : cette loi, qui a pour elle un usage constant et l’estime de tous les Français, n’a pas eu pour principal motif la crainte de voir une femme à la tète du royaume. La crainte a été qu’une femme ne portât dans une maison étrangère le royaume de France; que cet Etat, moins vaste alors qu'il ne l’est aujourd’hui, ne lut réduit à être une simple province; que l’empereur ou le roi d’Angleterre, devenu roi de France, n’opprimât facilement la liberté, à l’aide de ses autres ressources. Voilà le motif de la loi salique. Cependant si telle est la volonté de l’Assemblée, je ne m’oppose nullement à ce que le prince le plus près uu tiône ait de droit la régence. Nous sommes dans une situation favorable. Notre roi a deux frères; mais nous avons vu dans d’autres temps l’héritier présomptif être l’ennemi du roi. Ce bon Louis XII, étant duc d’Orléans, a pris les armes contre Charles VIII, et a été fais prisonnier d’Etat. Henri IV, héritier présomptif, se trouvait l’ennemi de Valois. Ainsi, Messieurs, vous avez à redouter, en choisissant des hommes, les variations du gouvernement, la mobilité du ministère; carie régent, s’il est ennemi du dernier roi, commence par renvoyer toutes ses créatures, par changer de ministère; et les changements, en général, ne sont pas favorables. M. de Cazalès. C’est pour rectifier d’une manière très rapide les erreurs du préopinant sur des faits dont l’exactitude n’est pas entière, que j’ai demandé la parole. Il vous a parlé dos malheurs des régences d’isabeau de Bavière, de Catherine de Médicis et d’Anne de Baujeu. Je le réfuterai par un seul fait, c’est qu’aucune de ces trois reines n’a été régente. M. de Clermont-Lodève. Anne de Baujeu a été régente de Charles VUE M. de Cazalès. Isabeau de Bavière n’a jamais été régente; et c’est, au défaut de loi positive qui déterminât la régence, c’est à ce grand inconvénient qui existait dans la Constitution française, qu’il faut attribuer les malheurs qui inondèrent le royaume à cette déplorable époque. Sous le règne de cet infortuné monarque, sa femme, son frère, ses oncles déchirèrent à l’envi le royaume qu’ils avaient tous la préh ntionde gouverner. Aunede Beaujeu n’a jamais été régente. Lorsque Louis XI mourut, Charles V1U avait atteint l’âge déterminé par la loi i our qu’il fût majeur. Les états de 1484 s’assemblèrent, et ils ne déterminé! ent jamais que la garde de son fils. Vous savez tous que lorsqu’ils voulurent traiter la question delà régence, les intrigues de la cour parvinrent à les séparer. Vous savez encore que c’est dans cette incertitude sur le fuit de la régence que l’on doit chercher la cause de la guerre civile dans laquelle le duc d’Orléans, ce prince qui, depuis sous le nom de Louis Xll, a laissé un souvenir si cher au royaume, fut fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin, et expia pendant plusieurs années de captivité le crime d’avoir demandé une régence à laquelle il était appelé par les droits du sang et l’amour de tous les Français. Catherine de Médicis n’a jamais été régente. A la mort de François II, la faiblesse de son âge ne permit pas de lui déléguer ce titre; et quoique Charles IX nu fut âgé que de dix ans, elle employa toute son astuce, tonte sa politique pour que la régence ne fût déférée à personne. Les états assemblés à cette époque ne la déférèrent pas. Ils furent séparés comme ceux de 1484. En conséquence, Catherine de Médicis gouverna les affaires du royaume par le fait, mais non par le droit. C’est à cette incertitude dans le droit de celle qui administrait la chose publique que vous devez attribuer une partie des malheurs qui ont souillé à cette époque les annales de l’histoire française; car Catherine de Médicis, toujours incertaine dans son autorité, obligée de regarder tous les princes de la maison de France comme h s ennemis personnels de son pouvoir, a été forcée par sa politique d’opposer les Guises aux Coudés et de les diviser constamment pour pouvoir gouverner par une autorité qui n’était pas reconnue; et il est probable que si Catherine de Médicis avait été investie par un titre authentique et reconnue par la nation, cette reine qui, parmi beaucoup de vices, comptait plusieurs des qualités qui font les grands rois, aurait épargné à la France une partie des maux qui l’ont affligée. J’ai cru devoir rétablir l’exactitude de ces faits, pour prouver à ceux qui pourraient avoir un préjugé contre la régence des femmes, que les inconvénients attribués à cette administration ne doivent l’être qu’au silence de l’ancienne Constitution française. Vous avez décrété un principe que je regarde comme la sauvegarde de la sûreté publique, lorsque vous avez décrété que la régence serait héréditaire. Je pense que si vous vous étiez laissé entraîner aux opinions populaires de quelques membres de cette Assemblée, portés pour l’élection, vous auriez exposé la nation à tous les malheurs qui peuvent en suivre. Mais, Messieurs, il est deux exceptions que je regarde comme nécessaires : la première, qui, sans doute, souffrira peu de difficultés, est lorsque le roi quitte le royaume pour l’intérêt de la chose publique, pour une guerre étrangère, avec l’aveu de ses sujets; alors il me paraît indispensable que le régent soit nommé par un acte d’autorité royale, consenti par le Corps législatif. Il est une seconde exception, que j’ai l’honneur de vous proposer, et celle-ci regarde les reines mères. Je crois qu’il faut laisser à une reine mère la possibilité d’être régente du royaume. Je crois qu’il faut que cette grande espérance l’encourage à mériter par ses vertus l’amour et l’affection de la nation au gouvernement de laquelle elle peut être appelée un jour. (Murmures.) Je crois donc qu’il faut qu’il soit dit dans votre Constitution que, lorsque le roi voudra confier la régence à la reine-mère, il en dressera un acte qui devra être consenti par le Corps législatif. Cette exception est très conforme à l’esprit de la monarchie (Murmures.) et de votre ancien droit public. Elle a été !a pratique constante de vos ancêtres : car, depuis le régent Suger jusqu’au duc d’Orléans, il n’y a pas uu seul régent, Charles V excepté, qui ri’àit été investi de la régence, en vertu d’un titre consenti par le dernier roi ; et cette exception elle-même ne fait que confirmer le principe : car si Charles V n’a pas été appelé à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] la régence par la volonté du roi, c’est qu’uD roi prisonnier n’a pas de volonté. Or, cette exception a été un grand malheur; car si, à cette époque, Charles V eut été appelé à la régence, il eût empêché une partie des troubles qui ont alil'géle royaume; cela est d’autant [dus apparent que vous savez que ce Charles V a justement mérité le nom de Sage. Cette exception me parait réunir les avantages de l’élection et de l’hérédité, sans en avoir aucun des inconvénients, puisque la régence, déférée par la volonté du roi, donne tous les avantages d’un roi réfléchi, sans avoir les inconvénients de l’élection. Il est une autre considération, c’est que dans le décret que vous avez rendu, décret qui est généralement bon, il existe cependant un inconvénient très grave, c’est qu’eu confiant à l’héritier présomptif du trône, d’une manière irrévocable, la régence du royaume, il est impossible de ne pas séparer du régent la mère et la personne du roi ; car on ne peut confier la vie du jeune roi à celui qui doit en hériter, et on ne peut charger un individu de la garde du roi, sans lui attribuer une portion d’autorité suffisante pour répondre de ce dépôt sacré. Or, cette division d’autorité pourrait fort bien donner à l’Empire une espèce de machiavélisme, et y être une source de division. Il est très croyable que le régent. îuvesüyie la plénitude de l’autorité pour l’intérêt de la nation, finira par dominer celui qui sera chargé de la garde du roi ; et alors renaîtra ce terrible inconvénient de voir les jours du roi dans les mains de celui qui doit en hériter. Je crois avoir prouvé, Messi» urs, que le mode que je vous ai présenté, n’a pas les inconvénients de l’élection, et a les avantages de l’hérédité ; d’ailleurs ce mode est conforme à l’ancienne Constitution et à la pratique de vos ancêtres. Je n’ai pas pour les institutions anciennes un respect aveugle; mais, cependant, il est impossible que les législateurs sages ne conviennent que c’est un grand avantage que de pouvoir an-ter les lois nouvelles sur les anciennes et de donner, par ce moyen, aux nouvelles lois, ce respect que la main seule du temps peut imprimer. Je vous prie d’ailleurs de considérer que c’est une grande raison pour que les reines mères cherchent à gagner J’estime et l’amour de la nation : que c’est une grande lécompense à leur promettre; et qu’on n’obtient pas de grandes vertus sans de grandes récompenses. Quel sera donc l’intérêt d’une reine mère, pour devenir l’amour du peuple français, si aucune espèce de récompense ne lui est pi omise, si elle n’a rien à attendre de son amour et de son estime? (Murmures.) Non, Messieurs, je répète cette assertion, ou n’obtient pas de grandes vertus sans de grandes récompenses, il n’est personne qui ne connaisse le cœur humain. Si vous voulez donc que les reines mères, que les reiDes de France dirigent la chose publique par leur attachement à leurs enfants, par les vertus civiles et domestiques qu’elles peuvent montrer, donnez-leur donc une chance par laquelle elles puissent arriver à une grande gloire. Je finis par demander que, lorsque le roi voudra confier la régence à la reine mère, il pourra le faire en en dressant un acte qui sera consenti par le pouvoir législatif. Cette loi sera absolument une loi d’exception; et je crois qu’il est juste, qu’il est décent, sous tous les rapports, de ne pas donner une exclusion absolue aux femmes, 307 et de leur laisser une chance qui puisse les admettre un jour au gouvernement. Plusieurs membres : La question préalable! (L’Assemblée fi-rrne la discussion, rejette la proposition d