[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 août 1791.] quiconque, même dans les cas d’arrestation autorisés par la loi, conduira, recevra ou retiendra un citoyen dans un lieu de détention non publiquement et légalement désigné, et tout gardien ou geôlier qui contreviendra aux dispositions des articles 5 et 6, seront coupables du crime de détention arbitraire. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur. Nous passons, Messieurs, à la répression des délits commis par la voie de la presse. Lorsque, dans notre premier travail, vous avez décrété les principes sur la liberté de Ja presse, on a observé qu’il ne fallait pas laisser, quant à cette liberté, une telle latitude au pouvoir législatif qu’il pût porter trop loin la faculté qu’il a indubitablement de réprimer les délits qui peuvent se commettre par la voie de la presse. Dans la conférence qui a eu lieu entre l’auteur de cette observation (M. Buzot) et nous, il fut convenu qu’on placerait au pouvoir judiciaire, de même que pour la liberté individuelle, deux articles constitutionnels qui en substance limitassent la faculté des législatures et indiquassent le terme dans lequel i lies seraient tenues de se renfermer; qu’en même temps nous vous proposerions d’établir qu’aucune recherche ou poursuite d’un délit pour fait d’écrits imprimés et publiés ne pourrait être faite et aucun jugement prononcé que par la voie d’un juré; qu’il serait investi de deux pouvoirs, le pouvoir de prononcer si dans l’écrit il y a délit, et ensuite de prononcer si le poursuivi est l’auteur dq délit. Nous avons attaché à cette idée une grande importance, car c’est là que réside principalement et substantiellement la véritable garantie à donner à la liberté de la presse; il ne faut point que ce soient les pouvoirs constitués qui soient les maîtres de prononcer et sur le fait du délit, et sur le fait de celui qui en est l’auteur; ilfautque ce soit la nation, il faut que ce soit le peuple, intéressé à conserver la liberté de la presse; il faut que ce soient des jurés, qui sont une émanation du peuple, et qui le représente, il faut que ce soient des jurés qui éclaircissent les faits et dénoncent à la justice le délit quand il existe. Nous croyons qu’en réunissant à cette disposition les dispositions du précédent article, qui limiteront le pouvoir que vous avez laissé aux législatures d’établir des peines contre les actes de liberté qui nuisent cependant aux droits d’autrui et à la sûreté sociale; nous croyons que cela complète parfaitement la base constitutionnelle de la liberté de la presse. Nous proposons donc, Messieurs, ces deqx articles : Répression des délits commis par la voie de la presse. « Art 1er. Nul homme ne peut être recherché, ni poursuivi pour raison des écrits qu’il aura fait imprimer ou. publier, si ce n’est qu’il ait provoqué à dessein la désobéissance à la loi, l’avilissement des pouvoirs constitués, et la résistance à leurs actes, ou quelqu’une des actions déclarées crimes ou dédis par la loi. « Les calomnies volontaires contre la probité des fonctionnaires publics, et contre la droiture île leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions, pourront être dénoncées ou poursuivies par ceux qui en sont l’objet. « Les calomnies pp injures contre quelques personnes que ce soit, relatives aux actions de 631 leur vie privée, seront punies sur leur poursuite. « Art. 2. Nul ne peut être jugé, soit par la voie civile, soit par la voie criminelle, pour fait d écrits imprimés ou publiés, sans qu’il ait été reconnu et déclaré par un jnré : 1° s’il y a délit dans l’écrit dénoncé; 2° si la personne poursuivie en est coupable. « Il appartient à la police correctionnelle de réprimer la publication et la distribution des écrits et des images obcènes. » (La discussion est ouverte sur l’article premier.) M. Robespierre. Messieurs, le plus sûr moyen de développer les vices des articles dont il vient de vous être donné lecture, c’est de présenter quelques idées générales sur la liberté de la presse. Par cela même que la liberté de la presse fut toujours regardée comme le seul frein du despotisme, il en est résulté que les principes sur lesquels elle est fondée ont été méconnus et obscurcis par les gouvernements despotiques, c’est-à-dire dans presque tous les gouvernements. Le moment d’une révolution est peut-être celui où ces principes peuvent être développés ayep le moins d’avantages, parce qu’alors chacun sé ressouvient douloureusement des blessures que lui a faites la liberté de la presse; mais nous sommes dignes de nous élever qu-dessus des préjugés et de tous les intérêts personnels. Voici, Messieurs, la loi constitutionnelle que les Etats-Unis d’Amérique ont fqjtë de la liberté de la presse : « La liberté de la presse, étant un des plus forts boulevards delà liberté ne peut être limitée que dans les gouvernements despotiques » (l)i En effet, est-il vrai que la liberté de la presse consiste uniquement pans la suppressioq de Iq censure et de toutes les entraves qui peuvent arrêter l’essor de cettp liberté? Je ne le pense pas et vous ne le penserez pas non plus. La liberté de la presse n’existe pas dès que l’auteur d’ U U écrit peut être exposé à des poursuites arbitraires; et ici il faut saisir une différence bien essentielle entre les aptes criminels et ce qu’on a appelé les délits de la presse. Les actes criminels consistent dans des faits palpables et sensibles; ils peuvent être constatés suivant des règles sûrps et par des moyens infaillibles, d’après lesqupls la loi peut être appliquée sans aucune espèce d’arbitraire ; mqîPi quant aux opinions, leur mérite ou leur crime dépepdent des rapports qu’elles ont avec des principes de raison, de justice et d’intépêt public, et souvent avec une foule de circonstances particulières; et dès lors toutes les questions qui �élèvent sur le mérite ou suc le crime d’un écrit quelconque sont nécessairement abandonnées à l'incertitude des opipipns et à l'arbitraire de jugements particuliers; chacun décide des questiqqs suivant ses principes, suivant ses préjugés, suivant ses habitudes, suivant les iutérêtsde son parti, suivant ses intérêts particuliers ; de là vient qu’une loi sur les déjits qui peuvent être commis par la voie de la presse demande les plus grandes circonspections ayant d’être portée; dp là vient que cette lui, sous le prétexte de la liberté de la presse, produit presque toujours l’effet infaillible d’anéantir cette liberté en elle-même. Rappelez-vous, Messieurs, (1) Constitution de la Virginie , article 14 de la Déclaration des droits.