g98 [Assemblée nationale.) cette affaire sous un tout autre point de vue : il rapports ces faits, qu’il prétend avoir été omis, et demande que le comité soit chargé de nouveau de vérifier cette affaire malheureuse, et d’en faire un second rapport à l’Assemblée. M. Males, rapporteur, représente que le contradicteur du décret proposé a déjà été entendu au comité; qu’il y a déià fait valoir les mêmes raisonnements dont il étaye son opinion, et que ce n’est que d’après le plus mûr examen que le comité a rédigé le projet de décret qu’il propose aujourd’hui. M. de Cazalès demande que l’Assemblée nomme quatre commissaires, pris dans son sein, qui seront chargés d’examiner toutes les pièces déposées au comité, relatives aux malheureux événements arrivés à Pamiers, et d’en faire leur rapport. (Cette demande est écartée par la question préalable.) M. le Président quitte le fauteuil ; il est remplacé momentanément parM. Treilhard, exprésident. M. Vadier (1). Messieurs, si l’affaire qui vous est soumise n’était liée au maintien de la Constitution et de la tranquillité de l’empire, je n’ajouterais rien aux détails affligeants dont on vient de vous entretenir, j’excuserais les torts de quelques-uns de mes concitoyens; je solliciterais pour eux votre indulgence, et je renfermerais au fond de mon âme la vive douleur dont leur conduite m'a pénétré. J’ai longtemps cédé à cette impulsion: il en coûte à un cœur bien fait de présumer le crime, et surtout dans le cœur de ceux que le peuple et la loi ont préposés pour le punir. Mais vous êtes instruits, Messieurs, des troubles qu’on a voulu répandre dans les provinces du Midi; et c’est dans ces climats que les têtes sont susceptibles de s’imprégner des illusions de la ihéocraiieetdes flammèches du fanatisme... Le salut de l’Etat m’impose donc la loi de ne rien déguiser, car toute rélicence serait un crime. Je n’emploierai, pour vous émouvoir, ni les prestiges de l’éloquence, ni la magie du style, ni (1) Epitre dédicatoire à Monsieur de Foucault, député du Périgord. Vous avezeula bonté, Monsieur, de demander l’impression de mon discours ; il est juste de vous en faire hommage et de vous en offrir le premier exemplaire! Je n’ai pas comme vous, Monsieur, l’heureux talent d’improviser; je n’ai pas une voix de Stentor : ce bruyant avantage dépend de l’énergie des poumons de la latitude du gosier, et chacun n’a pas, comme vous, un vaste et majestueux œsophage ; mais si vous daignez me lire attentivement , peut-être serez-vous convaincu que le franc parler d’un Gascon vaut bien celui d’un ci-devant noble périgourdin. J’ai toujours ouï dire que les organes intellectuels sont plus déliés et moins engourdis sur les frontières méridionales, que dans les provinces du Centre. On ne parle guère du Périgord que pour vanter l’excellence de ses pâtés. Cependant, Monsieur, je ne suis pas plus esclave que vous du soin d’arrondir et de cadencer une période ; mais j’ai autant de franchise et de loyauté, et l'éloquence du sentiment a toujours mieux valu que celle des mots. Je suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : Vadier. (28 décembre 1790. | le mordant de l’expression... Quand on a dans le cœur l’amour de son pays et de la liberté, on esi bien sûr de votre indulgence. Le sang des bons citoyens a coulé!... Des prévaricateurs, cachés sous le fantôme de la justice, ont dirigé le plomb meurtrier des assassins... Faudrait-il recourir à des mouvements oratoires pour attendrir votre âme sensible? C’est le patriotisme opprimé que je viens défendre... C’est contre les ennemis de la liberté que j’ose m’élever... Ils ont armé le citoyen contre le citoyen . .. Ils ont fait ruissel-r le sang dans une cité patriote, en haine de la Révolution, et parce que cette ville est la seule du département qui ait eu le courage de s’armer pour la maintenir. Avant de parcourir le tableau de ces atrocités, jetons un coup d’œil rapide sur les circonstances qui les ont amenées. La ville de Pamiers gémissait sous un joug tyrannique et insupportable... Vous le devinez à ce titre, c’est le despotisme sacerdotal. Un évêque, président né ries Etats de Foix, y réunissait toutes les puissances, y dominait tomes les volontés... Comme le Vieux de la Montagne, il pouvait disposer du repos et des propriétés des citoyens. Avec ce double diadème, il mouvait à son gré les bureaux du ministre et de l’intendant... Toutes les places étaient dans sa main. Les lettres de cachet le rendaient le maître des opinions, l’investigateur des pensées. D’infidèles agents trouvaient dans les caisses publiques la clef d’or qui ouvre toutes les avenues, franchit tous les obstacles, et égare souvent jusqu’à la vertu. Des clergistes nombreux et fanatiques y prêchaient sans pudeur la loi de l’esclavage, les principes de l’égoïsme, la politique de Machiavel et la morale d’Escobar. D’une main ils secouaient les torches du fanatisme, de l’autre ils écumaient la bourse d’un peuple crédule ; avec des pardons et des indulgences, avec des rescriptions sur l’autre monde, ils acquéraient de riches héritages dans celui-ci. Il fallait, pour être en repos courber sa tête sous ce joug, ou se dévouer à subir une persécution implacable. Cette ville était encore le siège d’une vaste sénéchaussée. Une milice de plume, avide et famélique, était peu propre à entretenir l’harmonie, à purifier la morale, à désintéresser les inten-tio s. L’arbre du commerce ne pouvait ombrager cette ville de ses saluiaires rameaux, parce qu’il ne saurait prendre racine dans les lieux que le fanatisme a pestiférés de son influence, ou que la chicane a infectés de son venin. Deux chapitres nouveaux, un collège, quatre corporations de moines, trois de religieuses, disséminés dans son enceinte, semblaient rendre imposable l’inoculation de la liberté. L’habitude de la superstition et de l’esclavage en bannissait le goût de la philosophie et de la raison, les principes de l’égalité et de la sagesse. La révolution ne pouvait donc s’opérer à Pamiers que parla sainte insurrection d’un peuple opprimé. Devait-on l’attendre de c s âmes rape-tissées par l’intérêt, de ces êtres serviles que la bassesse a dégradés, ou que la chicane avait rabougris? Ces vils caméléons pouvaient-ils s’imbiber des sucs vivifiants de la liberté ? Accoutumés à s’mgurgiter des substances publiques, et à ramper sous des chaînes d’or, un pareil aliment pouvait-il convenir à l’inertie, à la stupeur de leurs organes? C’était au peuple, oui, au peuple ARCHIVES PARLEMENTAIRES.