382 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [24 mai 1791.] nous nous opposons seulement à la réunion. [Murmures.) M. de Clermont-Tonnerre . J’invoque le règlement qui porte que, quand un décret renferme des dispositions distinctes, elles doivent être délibérées séparément. G'est aussi le salut public, c’est l’amour de la paix qui nous animent. Gomment vient-on rejeter sur ceux qui s’opposent à la réunion une insenbilité coupable? (Murmures.) Je somme M. le président, et cette motion sera appuyée, de mettre aux voix cette division. Une partie du côté droit se lève pour appuyer cette proposition. (L’assemblée, consultée, décrète la division du projet du comité.) (Des cris se font entendre dans les Tuileries.) M. de Cazalès. Entendez-vous ces cris? (Bruit prolongé dans l’Assemblée.) Le côté droit se lève en tumulte et se répand au milieu de la salle. A gauche : G’est vous qui les provoquez, ces cris! M. d’Aubergeon de Murinais. Il faut lever la séance; nous ne pouvons pas délibérer ici. Je demande que le chef de la municipalité de Paris et le commandant de la garde nationale soient sommés d’assurer la liberté de la délibération! M. Foucault-Lardimalie, ironiquement. Ce sont d’honnêtes gens qui vous disent : Prenez Avignon ou bien vous serez pendus. (Le calme se rétablit et les membres du côté droit reprennent leur place.) M. le Président. L’Assemblée ayant décidé qu’il serait procédé au vote séparément sur chaque article du comité, je mets aux voix l’article premier ainsi conçu : <• L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Constitution, diplomatique et d’Avignon, relativement aux droits de la France sur l’Etat d’Avignon et son territoire, ainsi qu’un vœu libre, légal et solennel des Avi-gnonais pour se réunir à l’Empire Français, décrète : « 1° Qu’elle admet et incorpore les Avigno-nais dans la nation française, dont ils feront désormais partie intégrante, leuraccordant tous les droits et avantages de sa Constitution. » Il va être procédé à l’appel nominal sur cet article ; ceux qui l’adopteront diront : oui; ceux qui ne l’adopteront pas diront non. M. Ferchère de Reffye, secrétaire , fait l’appel nominal qui est interrompu par l’incident suivant (1) : M. le Secrétaire appelle : M. de Faucigny ! M. de Fancigny-Lucinge. Avez-vous oublié mes protestations? Je m’appelle M. le comte de Faueigny-Lucinge. A gauche : A l’ordre! à l’Abbaye! (1) Voy. ci-dessus, séance du 12 mai 1791, p. 16, le même incident. M. Treilhard. Je demande que M. de Faucigny soit rappelé â l’ordre et que mention en soit faite au procès-verbal. Il est inoui qu’on vienne faire des protestations jusque dans le sein de l’Assemblée. M. de Faucigny-Lucinge. Oui, nous en faisons !... (A gauche : A l’ordre ! à l’Abbaye !)... Ce sont nos vrais noms, et nous sommes un grand nombre qui les soutiendrons. Une voix à gauche : Il est fou, messieurs ! M. de Faucigny-Lucinge. Des procureurs et des avocats voudraient-ils nous faire la loi ? A gauche : A l’ordre ! A l’ordre ! M. Madier de Aloiitjau. Je demande à parler contre la motion de rappeler M. de Faucigny à l’ordre. M. Lambert de Frondeville. Taisez-vous, Monsieur ! Taisez-vous ! (L’Assemblée, consultée, décide que l’appel nominal sera continué sans interruption.) M. Ferehère de Reffye, secrétaire , continue et achève l’appel nominal. Le résultat de cet appel donne, sur 768 votants, 374 voix pour oui et 394 voix pour non. M. le Président prononce, en conséquence, que l’Assemblée rejette l’article 1er du projet des comités. La séance est levée à quatre heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 24 MAI 1791, AU MATIN. Opinion de M. Barrère de Fienzac sur la réunion d'Avignon à la France (1). Messieurs, Par votre décret du 5 mai vous avez déchiré le voile diplomatique qui couvrait les droits féodaux ou domaniaux de la France sur Avignon et le Gomtat Venaissin. Vous aurez détruit ces chartes et ces testaments qui, d’après vos principes, ne lient pas les nations à leurs chefs comme de vils troupeaux à leurs propriétaires ; vous avez détruit ce qu’on appelle le droit positif. Vous avez déclaré aux yeux de l’Europe un fait authentique, le Gomtat et Avignon ne font pas partie intégrante de l'Empire Français. Gette déclaration a excité la joie des ennemis du bien public; mais ils ne pensent pas qu’elle publie votre justice, qu’elle consacre votre sévère sagesse, et qu’elle ramène au grand principe de la souveraineté des peuples. Je ne parlerai donc plus des droits de la France, et je ne crois pas qu’après le décret du 5 mai vous puissiez énoncer aucun droit positif de la France sur Avignon. Je dirai seulement à ceux qui voudraient tirer plus grand avantage du décret du 5 mai, qu’ils jettent les yeux sur le dé-(1) Cette opinion n’a pas été prononcée. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] 333 cret rendu par l’Assemblée nationale, au mois de novembre 1789, pour l’île de Corse. Conquise par nos armes en 1769, gouvernée par la France pendant 22 ans, la Corse envoie des députés aux Etats Généraux ; ils assistent, ils votent pour la Constitution française. Au mois de novembre 1785, les Corses se plaignent de ce qu’on n’a pas déclaré leur île faisant partie de l’Empire Français, d’après leur vœu libre. La République de Gênes réclame la souveraineté conservée par le traité qu’elle avait passé avec la France. Vous avez déclaré que les Corses seuls étaient souverains et maîtres d’eux-mêmes ; vous avez accueilli leur vœu, et vous avez déclaré que leur île faisaitune partie intégrante de l'Empire Français. Cependant il existait une possession de 22 ans en votre faveur. Cependant, il existait un traité solennel qui réservait la souveraineté de l’île aux Génois. Rapprochez les temps; comparez les circonstances ; voyez les principes que vous aviez alors le courage de publier; voyez les décrets solennels que vous rendiez, et jugez les objections et les arguments frivoles qu’on cherche à tirer de votre décret d’hier. D’après vos principes, d’après les droits des peuples, déclarés par vous, le Comtat est aux Comtadins, et Avignon aux Avignonais. Ces principes sont vrais, ou les bases de votre Constitutions sont fausses. Ne parlons donc plus de droit positif, du droit de diplôme réservé aux despotes, qui divisent à leur gré les peuples et leurs territoires. D'après ce principe incontestable qu’Avignon est aux Avignonais, il ne vous reste plus que deux partis à examiner; l’un est conséquent mais barbare, mais peut-être funeste à vous-mêmes : l’autre est plus grand, mais constitutionnel, mais politique, mais nécessaire. Celui qui est conséquent et barbare, c’est de traiter les habitanfs d’Avignon comme étrangers, c’est celui que les ennemis de votre gloire et de votre repos vous conseilleront ; mais du moins ce parti est conséquent. Oui, Messieurs, d’après votre décret du 5 mai le territoire français se termine sur les bords du Rhône. Envoyer des troupes chez eux après les avoir déclarés étrangers à la France, c’est exercer une violence contraire au droit des gens, c’est commettre une véritable violation de territoire, une entreprise qui pourrait soulever les peuples avec de justes motifs, et établir en Europe une jurisprudence politique et guerrière indigne de vous, et que les tyrans de l’Europe ne manqueraient pas d’imiter bientôt contre vous-mêmes. Ainsi, soit que les Avignonais demandent di-s secours, soit que le pape les réclame, vous ne pouvez vous mêler de leurs intérêts. Les Avignonais sont maîtres chez eux ; ils auraient le droitdeblâmer votre conduite, d’aller sur un territoire que vous avez déclaré vous être étranger. Qui sait d’ailleurs si vous n’exposeriez pas vos troupes à être corrompues, déshonorées, divisées en partis, et reportant plus sûrement chez vous la guerre civile et ses horreurs..... Le pape n’a rien à vous demander, il vous fait laguerreavec ses bulles, ses brefs et ses prêtres. Le fanatisme a aussi ses troupes, ses armées et sa tactique : le fanatisme a aussi ses pariisans parmi nous; le pape a aussi des défenseurs parmi les français déclarés contre leur patrie; et ce n’est pas pour un prêtre couronné, qui refuse de recevoir vos ambassadeurs assermentés, vos représentants constitutionnels, que vous violerez le plus saint de tous les décreis, celui des peuples, et le plus sacré de vos principes, celui de leur souveraineté. Ainsi, sous le rapport d’un peuple, dont le territoire ne fait pas partie du vôtre, vous ne pouvez pas leur porter secours. Votre propre salut et les véritables principes doivent étouffer votre générosité, et ne peuvent vous laisser compromettre la liberté d’une grande nation. Telles sont, Messieurs, les tristes mais justes conséquences du principe déclaré le 5 mai : car si les Comtadins et les Âvignonaisjnous sont étrangers, en droit politique nous ne pouvons pas violer leur territoire, et nous devons, sous ce rapport, chercher seulement à nous garantir, à nous préserver de l’horrible contagion de leurs dissensions civiles. Alors il faudrait dire que des troupes nous séparent, que des barrières marquent nos limites, et que nous fassions encore aux préjugés et aux diplomates de l’Europe, le sacriiice des droits de l’humanité. Mais que dis-je, Messieurs? Non la cause de l’humanité ne sera pas oubliée au sein de l’Assemblée nationale. Vous ne pouvez pas ignorer qu’ Avignon est un théâtre de désolation, de larmes et de deuil; ses vrais habitants, que vous distinguez sans doute des vils brigands qui la déshonorent, et à qui Avignon a fermé ses portes, ses braves habitants tendent leurs mains vers vous : ils implorent votre secours en s’unissant à votre Empire, et leur malheur m’assure que leurs vœux ne seront pas rejetés ..... En effet, Messieurs, le second parti qui se présente à vous concilie les droits de l’humanité avec le droit des nations, le droit naturel et le droit politique. Le peuple d’une ville enclavée dans votre territoire se déclare libre et indépendant; il veut faire partie d’une grande nation unie déjà avec lui par tous les rapports de territoire, de commerce, d’industrie, de mœurs et de même langue. Il a émis le vœu libre d’être français. Il demande sa réunion à la France depuis longtemps. Devez-vous rejeter ce vœu par vos principes? Pouvez-vous le rejeter dans les circonstances où vous êtes ? En un mot, cette réunion peut-elle se concilier avec vos principes constitutionnels? Peut-elle se concilier avec l’intérêt national? Voilà le véritable foyer de la question. Par vos principes, les peuples sont souverains. Les peuples n’appartiennent pas aux princes comme des troupeaux, comme des bêtes de somme. S’ils s’élèvent contre leur ancien gouvernement, ils peuvent le changer. Vous l’avez fait, ils peuvent le faire. Ce n’est donc pas sous ce rapport que vous improuverez leur insurrection et l'émission de leur vœu. Mais si ce peuple ne veut pas exister seul ; si ses intérêts locaux et politiques l’appellent naturellement à s’unir à un grand peuple voisin, alors, ce n’est plus qu’un contrat libre et volontaire entre deux peuples. Ce n’est pas là une conquête faite par les armes; ce n’est pas une armée qui, par la force, envahit un pays, et qui l’adjoint au domaine national par un traité diplomatique; ce n’est pas un pays asservi par le despotisme ou subjugué par un conquérant. Éloignons la bienfaisante comparaison des Colonies avec le Comtat. Les Colonies ont un lien 384 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] politique avec la France, par la Constitution française, par leurs députés reçus et votants dans l’Assemblée nationale. Le vœu des Avignonais et des Gomtadins est donc un vœu légitime et fondé sur les premiers droits des peuples. C’est un peuple souverain détrôné par un pape. Ce peuple reprend ses droits et s’unit à un peuple voisin. Il en est le maître, sa réunion est donc un acte légitime de leur part. L’est-il de la nôtre? Examinons rapidement l’état actuel de la France; et d’abord je demande si je parle devant une Assemblée purement législative, ou devant une Assemblée consliluante et politique, occupée d’affermir ses travaux et d’établir une Constitution au milieu des ennemis les plus acharnés de la liberté nationale. N’oubliez donc pas que vous faites l’état politique de la France, que vous établissez les droits nationaux; que vous renversez le despotisme, ue vous anéantissez les abus, et que vous faites isparaître le plus grand fléau des monarchies et des peuples : la noblesse héréditaire. Ah ! comme les ci-devant nobles, ces ennemis éternels de la liberté des nations, ralliés sourdement dans la question que vous agitez, vous épiaient et vous attendaient vers la fin de vos travaux; ils espéraient alors de la lassitude et de l’empressement de finir, ce qu’ils n’auraient pas pu obtenir de la corruption ou de l'affaiblissement des âmes : un coin du royaume leur a paru nn asile assuré. A portée des Provences, où le fanatisme est plus facile à exciter, et la vanité des distinctions plus active, ce coin du royaume eut recéler une armée d’aristoci ates de plus de 0,000 hommes, nourrie par les productions du Comtat. Là, se joindraient des mécontents, des brigands et des privilégiés. Là, ils inquiéteraient sans cesse votre Constitution et vos départements limitrophes. Là, ils vous obligeraient d’y porter une partie de vos forces, une partie de vos troupes. Ensuite, ils agiteraient l’intérieur du royaume par des troubles religieux ou politiques, et bientôt, des puissances étrangères, profitant des circonstances, et coalisées avec les ennemis domestiques, tenteraient de renverser vos lois, d’attaquer vos propriétés, et le despotisme hideux régnerait sur la France déserte et ensanglantée. Pardonnez, Messieurs, ces mouvements de crainte à un citoyen qui aime la liberté et son pays, autant qu’il en hait les tyrans. Mais voyez ce que peut devenir pour vous le Comtat. Si Avignon est livré à ses propres fureurs, à ses vengeances, dans peu de temps il peut être le tombeau du peuple qui s’y est armé pour ses droits; dans peu de temps, il peut être le tombeau de votre tranquillité, si ce n’est pas de votre liberté, que je crois impérissable par les lumières, l’énergie et le patriotisme courageux des Français. Ici, Messieurs, je me sentirais entraîné à une idée noble et généreuse, digne d’une grande nation, si le salut du peuple avignonais, si le bien de la France ne vous prescrivaient d'autres mesures de circonstance ; je vous dirais ; ne vous servez de la réunion, tant sollicitée, que pour reconnaître et affermir la souveraineté et la liberté du peuple avignonais. Que ce peuple malheureux, après avoir posé les armes, et être revenu à des principes de paix et de fraternité, délibère librement sur ses plus grands intérêts; qu’il reprenne les délibérations envoyées à l’Assemblée nationale, et qu’il se déclare libre et ne dépendant que de lui-même. Ce serait un beau spectacle que celui d'une nation qui emploie sa jouissance pour restituer à un peuple malheureux, faible et opprimé, le droit souverain de stipuler sur le gouvernement qui convient le mieux à ses intérêts. Mais cette belle théorie serait dans ce moment trop funeste à l’humanité, trop contraire aux vues d’ordre public que vous voulez faire renaître dans Avignon et dans le Comtat, pour que je n’en aperçoive pas tous les inconvénients et tous les dangers. Oui, Messieurs, retarder ou refuser la réunion d’Avignon, ou demander de nouvelles délibérations, c’est appeler encore la fureur des partis, c’est provoquer les horreurs de la guerre civile; c’est accorder un appui aux ennemis du peuple; et si vous preniez ce parti, bientôt vous réuniriez à la France des déserts et des ruines sanglantes. C’est surtout exposer vos départements limitrophes à tous les malheurs de la guerre civile, qui, comme tous les fléaux, a aussi sa contagion. On oppose le défaut de liberté dans les délibérations envoyées du Comtat et d’Avignon. On dit que ce n’esi pas au milieu des discordes civiles que le vœu d’un peuple peut être libre. Mais a-t-on réfléchi, en faisant cette objection, qu’il n’y aurait donc aucune délibération qui pût être prise par les peuples qui s’élèvent contre leur ancien gouvernement? ne sait-on pas, en effet, que dans toutes les insurrections nationales, il y a toujours deux partis? et dès lors, avec cet argument spécieux, de non-liberté, on finirait par anéantir le vœu di s peuples qui s’élèvent au rang des nations libres. Eloignons de pareils sophismes. Le peuple avignonais a émis son vœu, après s’être élevé contre le gouvernement précaire qu’il ne voulait plus supporter : nous avons donc un vœu bien plus libre que si les peuples délibéraient au milieu de nos troupes ou de nos commissaires. Soyez donc, un instant, aussi grands que politiques. Un peuple libre, un peuple indépendant s’allie à vous; il demande sa réunion. Cette réunion vous est utile, vous est nécessaire ; elle ne blesse aucun principe, elle ne blesse aucun droit; et vous sauvez la France en étouffant dans le Comtat tous les serpents de la guerre civile. Vous épargnez des crimes aux aristocrates, des intrigues à la cour de Rome et des maux à l’humanité. Voici mon projet de décret : « L’Assemblée nationale, fidèle à ses principes sur les droits imprescriptibles des peuples qu’elle a solennellement reconnus et déclarés. « Délibérant sur le vœu libre exprimé dans les pétitions des habitants de la ville et territoire d’Avignon, décrète que cette ville et territoire sont réunis et font désormais partie intégrante du territoire français. « Décrète, en conséquence, que le roi sera prié de nommer le plus promptement des commissaires civils, avec pleins pouvoirs, pour faire cesser toutes voies de fait et hostilités, soit entre les habitants d’Avignon, soit entre eux et les habitants du Comtai-Venaissin ; requérir, s’il est besoin, les troupes de ligne et gardes nationales des départements voisins, afin de rétablir la paix et le bon ordre, et d’y faire exécuter les décrets rendus par l’Assemblée nationale et sanctionnés par le roi. »