468 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. in avril 1791.] M. Duportail et des deux lettres de M. Kellermann aux comités réunis de Constitution, miliiaire, des recherches et des rapports, en les chargeant de lui proposer incessamment leurs vues.) Lettre de la municipalité de Nantes. « Monsieur le Président t Nous croyons devoir instruire l’Assemblée nationale de l’événement qui a troublé la fête 'le l’inauguration du pavillon national : En conséquence nous vous envoyons le rapport, que nous vous prions de mettre sous ses yeux; nous en envoyons un double au ministre. «< Nous avons eu la disgrâce de voir la cérémonie de l’inauguration du pavillon national, que nous fîmes hier, troublée par une rixe qui s’éleva entre M. d’Hervilly, colonel du 84e régiment, ci-devant de Rohan, et le peuple et la garde nationale, qui ont cru qu’il s’était refusé aux cris de Vive la nation, dans le moment où tout le monde se livrait aux transports de la plus vive allégresse. Quelque violents qu’aient pu être les mouvements qui ont accompagné cette discussion, dont nous n’avons pas été témoins, nous devons cependant espérer qu’elle n’aura pas de suite; mais les cris ainsi que l’état de mécontentement du peuple, qui, outre ce que nous avons entendu nous-mêmes, nous ont été confirmés de la part de différentes associations de citoyens, nous ont fait craindre les plus grands malheurs. « La fermentation était si grande et si générale qu’il n’est resté à notre disposition aucun moyen de force pour en arrêter les suites. Celui que nous avons jugé le plus sage, et même le seul qui se soit présenté à nos réflexions les plus sérieuses, a été d’engager M. d’Hervilly à s’éloigner de Nantes, pour la tranquillité de la ville et la sûreté de ses propres jours. « Le cas nous a paru de la plus grande importance; et afin de nous assurer de nouveau du meilleur parti à suivre, nous avons invité MM. les administrateurs du département et du district, que nous avions déjà pressentis sur ce point, à nous aider de leurs lumières. Ils ont eu la complaisance de répondre à nos désirs et de se rendre dans la nuit à la maison commune. Ils ont persisté dans le premier parti que nous avions jugé le meilleur. En conséquence, nous avons répété à M. d’Hervilly l’invitation que nous lui avions faite de quitter la ville, démarche à laquelle il a bien voulu se rendre, le matin de ce jour. La ville jouit maintenant de la plus grande tranquillité. « Nous sommes, etc. » M. le Président. M. de Broglie, rapporteur du comité militaire , a maintenant la parole. M. de Broglie, au nom du comité militaire. Messieurs, lorsque vous avez décrété l’organisation de l’artillerie, vous avez fixé à 53 le nombre des capitaines détachés et employés dans les places de guerre. Vous les avez en même temps classés; mais des observations qui intéressent le bien du service et dont la convenance s’aperçoit, obligent à augmenter de deux le nombre des capitaines de la troisième classe, et à réduire à 28 le nombre de 30 déterminé précédemment pour la quatrième; ce qui fait en tout une augmentation de dépense de 800 livres par an, à raison de 400 livres par capitaine. Voici le projet de décret que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité militaire, décrète que sur les 42 capitaines destinés à être détachés et employés au service des places de guerre, 14 seulement seront de la troisième classe et 28 de la quatrième. » (Cette motion est décrétée.) M. le President indique l’ordre du jour de la séance de demain et lève la séance à trois heures. PREMIÈRE ANNEXÉ A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE OU DIMANCHE 17 AVRIL 1791. RAPPORT fait le 17 avril 1791 à la commission des assignats par M. Pérlsse-Buliic , sur un projet présenté à l'Assemblée nationale , le 10 mars 1791, pour assurer le transport des assignats d’une ville à l’autre. Messieurs, tous ceux qui ont mûrement réfléchi sur la confiance actuelle de la nation pour les assignats-monnaie, reconnaissent que leur unité de forme et leur parité intrinsèque qui est en tout de même nature que celle des espèces entre elles, sont une des bases de cette confiance et de leur facile circulation, et l’on ne peut nier que sans cette parfaite conformité ils n’auraient, ni la nature, ni le cours, ni les effets de la monnaie. C’est donc avec une grande sagesse que le comité des finances et vous, Messieurs, avez constamment repoussé tous les projets qui tendaient à altérer cette précieuse unité de forme et de valeur, soit par des endossements, timbres, talons, certificats de vérification, soit par des procédés chimiques et autres pratiques qui auraient établi des dissemblances apparentes et un cours plus ou moins accrédité entre les assignats de même somme. Les vrais principes, à cet égard, ont été démontrés avec assez d’évidence pour vous convaincre que tout moyen de ce genre qui eût été autorisé par la loi même de l’émission des assignats, les eût bientôt privés de la faculté de circuler comme monnaie et aurait ainsi renversé les justes espérances que la nation avait conçues de cette grande opération. Mais combien serait plus dangereuse encore toute innovation téméraire qui, par une loi postérieure à leur émission, viendrait inquiéter la confiance due aux assignats, ébranler leur crédit, porter atteinte à cette unité, à cette homogénéité qui leur fut dévolue par leur création, et détruire cette parité absolue qui est et doit toujours être, entre les assignats de même somme, ainsi qu’elle existe entre un écu et un écu; eu sorte qu’il n’y ait jamais dans la circulation aucun motif de préférer un assignat à un autre assignat de même valeur et de donner plus de confiance et de prise à l’un qu’à l’autre. Bien loin doue, Messieurs, que l’Assemblée nationale, sous quelque prétexte que ce soit, doive autoriser aucune empreinte qui apporterait des différences daus les assignats, c’est que déjà, peut-être, elle aurait dû prononcer que toute certification apposée sur les nouveaux assignats, par signatures privées, timbres ou autrement, serait regardée comme un attentat, une alteration à la monnaie nationale comme un moyen de monopole, et déclarer, en conséquence, suspendus dans la [17 avril 1791.] 169 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. circulation tous les assignats qui auraient été ainsi maculés, sauf à les rapporter à la caisse de l’extraordinaire pour être échangés. Malgré l’évidence des principes sur cette matière, plusieurs citoyens, dont il faut louer l’industrie et le patriotisme, sans en approuver les résultats, ont proposé divers projets à l’Assemblée nationale qui, vous ayant été déférés, ont été écartés par vos délibérations. Celui dont vous m’avez chargé de vous faire le rapport aujourd’hui, présente non seulement tous les inconvénients que je viens de vous retracer, mais il y joint encore le défaut, sans doute bien grave, de toucher à l’existence même de l’assignat, de l’annuler et de le faire revivre à volonté. J’entrerai dans quelques détails. Le projet de l’inventeur a été imprimé et distribué sous le titre de : Découverte pour transporter les assignats d'une ville à une autre , sans courir les risques du brigand et en conservant à la poste tous ses avantages, présentée à l' Assemblée nationale le 10 mars 1791. Il consiste dans la création de deux timbres, l’un pour suspendre, l’autre pour rendre à la circulation les assignats. Il serait déposé par l’auteur, dans chaque ville, bourg, ou village de France où il y a un bureau de poste, un timbre de chaque espèce, portant le nom du lieu où ils seront employés. Ce qui établit quelques milliers de timbres différents pour les assignats, 1200, à 1,500 bureaux pour les appliquer à première réquisition et 3 à 4,000 employés pour vérifier les assignats, les timbrer, les enregistrer, les remplir du nom de ceux à qui le transport en serait fait par le timbre de suspension, et tout cela s’exécutera pour le modique prix d’un sol par 100 livres pour suspendre, et de pareille somme pour réhabiliter l’assignat; au moyen de quoi les assignats suspendus et volés sur les malles des courriers n’étant d’aucun usage pour les voleurs, ils quitteraient le métier ou ne manqueraient pas de renvoyer à leur adresse les assignats suspendus qu’ils auraient trouvé dans la malle volée. Ainsi, Messieurs, l’on propose à l’Assemblée nationale de confier par un décret, à 3 on 4,000 individus dans le royaume, et même dans les places étrangères, les points secrets de vérification des assignats, et ces employés seraient sans doute à la nomination ou au choix des privilégiés, admis ou renvoyés à sa volonté, et par conséquent inconnus et sans responsabilité envers l’administration; ils pourraient par la simple apposition d’uu timbre, paralyser et revivifier les assignats, ils pourraient, volontairement ou par méprise, mettre en circulation de faux assignats, au moyen de ces timbres si multipliés et sans doute, l’État ou le privilégié en serait responsable au porteur abusé. Si l’E'at s’en rendait garant, dès lors il est évident qu’on ne voudrait que des assignats timbrés ; dès lors, l’assignat serait dénaturé ) sa certitude ne reposerait plus sur la perfection et les difficultés employés dans la fabrication, et tout le témoignage de l’assignat ne porterait désormais que sur les nouveaux timbres ; car il importera peu au preneur d’examiner si l’assignat est contrefait ou non, pourvu qu’il soit certain que les timbres soient vrais et lui assurent la valeur. Si c’est le privilégié qui est rendu responsable, où trouvera-t-il une caution qui garantisse la fortune publique mise ainsi dans ses mains par la faculté qu’il aurait de certifier ou faire certifier les assignats par l’apposition de ces timbres. En vain répondrait-on que par les timbres de circulation, la loi garantirait seulement que l’assignat n’a pas été volé, mais non qu’il est véritable; car les formes établies par la loi ne peuvent rien certifier sur tel ou tel assignat, sans certifier en même temps qu’il n’est pas faux. Donc, par l’opération des timbres, les preuves de vérité qui sont nombreuses au corps de l’assignat, qui sont on peut le dire, impossibles à contrefaire de manière à tromper l’œil le moins exercé, deviendraient inutiles; l’assignat timbré serait d’une autre nature que l’assignat non timbré, parce que sa certification serait transférée tout entière à un timbre et à un timbre de six lignes de largeur. De cette transformation de l’assignat, il peut résulter deux choses également funestes à ce numéraire restaurateur; c’est que les timbres peuvent être contrefaits; c’est que les vrais timbres peuvent, par la prévarication des employés, être appliqués sur de faux assignats et sur des assignats volés. Par Je premier moyen, les voleurs seraient en état de continuer leurs captures; par le second, de nouvelles voies de fraude et d’erreur seraient ouvertes pour discréditer et perdre la monnaie de l’Etat; car il y aurait impossibilité de convaincre le timbreùr faussaire qui aurait timbré dans les mains des voleurs, fis assignats suspendus; ou dans les mains des contrefacteurs, les assignats contrefaits. Mais les contrefacteurs d’assignats trouveraient-ils plus de difficulté à contrefaire les timbres? Et dans tous les cas la loi qui aurait transféré à un timbre la preuve de l’assignat, pourrait-elle refuser de le reconnaître dans les mains du porteur abusé, soit que le timbre fût vrai ou faux et mis sur des assignats contrefaits ou volés? Gomment en effet exiger que des citoyens puissent connaître assez 1,200 à 1,500 timbres selon les lieux, pour se garantir de la fraude? Ainsi ces timbres ne prouveraient rien, ni que l’assignat n’a pas été volé, ni qu’il n’est pas contrefait; ainsi les vols et les contrefaçons n’en seraient pas empêchés, puisqu’il serait bien facile aux voleurs et aux contrefacteurs d’apposer par exemple un faux timbre de circulation sous le nom de Lille ou de Colmar, aux assignats faux ou volés qu’ils voudraient répandre en Provence, où le timbre de ces villes serait peu connu. Mais, répondra l’inventeur, on ne devra pas recevoir en Provence, des assignats portant le timbre de villes si éloignées; ce qui revient à dire que des assignats uoefois timbrés ne seront plus transmissibles d’un lieu à l’autre que par de nouveaux timbres, et. que pour eux le timbre sera forcé; ainsi ces assignats ne seront plus des assignats circulant, des assignats-monnaie, ayant partout le même cours et y jouissant de la même confiance, mais de simples papiers négociables sur la foi du timbre, au gré de la confiance ou des connaissances des preneurs. Ainsi il y aurait dans la circulation, des assignats vierges et sans timbres; des assignats chargés de timbres qui, selon l’auteur même, seraient préférés, et des assignats maculés par des timbres insignifiants pour être de lieux trop éloignés. N’est-il pas évident qu’on s’exposerait ainsi au danger funeste de voir refuser en circulation, ou les assignats simples, ou les assignats timbrés? N’est-il pas évident que ces dissemblances, ces diversités produiraient des doutes, des choix, des préférences, des refus, des défiances, d’où résulterait bientôt la lenteur de la circulation et la ruine entière de la belle opération des assignats? L’auteur de la découverte, voulant, comme de raison, répondre à la très forte objection de la 170 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 avril 1791.] nécessité d’échanger souvent les assignats, à cause de la surcharge des timbres, propose un singulier moyen de raréfier ces échanges; c’est d'allonger les assignats surchargés, en collant à chaque extrémité une bande de papier propre à recevoir la suite des timbres; et remarquez bien ceci; il ajoute que pour ôter aux brigands tout intérêt à détacher ces bandes, le dernier timbre apposé sur le corps même de l’assignat, sera celui de suspension, et le premier apposé sur l’ajou-ture, sera celui de remise en circulation; ainsi l’assignat par lui-même, se trouverait à jamais éteint et suspendu, et c’est par une bande extrinsèque à l’assignat, que la vie lui serait rendue ; mais l’auteur ne dit pas comment il empêchera les brigands d’ôter, par exemple, la bande des assignats de cinquante livres, portant le timbre de circulation, pour l’attacher à des assignats de 100 livres volés et chargés du fatal et dernier timbre de suspension; il ne dit pas comment il empêchera d’enlever le nom de la ville ou de la personne à qui ils sont transmis par ce timbre, et d’y subslituer le nom d’une autre personne et d’une autre ville ou village. Je n’insiste pas sur l’illégalité grave, et sur les autres inconvénients de ces ajoutures qu’on pourrait à volonté remplacer par d’autres, pour dénaturer les transports qui y seraient inscrits; et je dis combien d’autres illégalités, quelles incertitudes naîtraient dans les affaires, de ces transports anonymes, opérés en faveur des personnes dénommées au timbre de suspension? Gomment les timbreurs discerneront-ils le voleur et le vrai propriétaire, avant de rendre la vie à l’assignat dans les mains d’un porteur inconnu ? Ne faudrait-il pas un code complet pour déterminer leur conduite dans les cas de mort, de faillite ou d’évasion des dénommés? Par exemple, le timbre aura-t-il toujours l’effet d’un transport absolu, ou bien le cédant ayant opéré lui seul la suspension, conservera-t-il toujours le droit de suite, tant que le timbre de circulation n’aura pas été apposé? Pourra-t-il faire saisir son propre envoi, former opposition au timbre de circulation? Au-ra-t-il la faculté, en cas de faillite, de recourir sur ses assignats encore en Dature, comme les marchands ont droit sur leurs marchandises expédiées, mais encore sous cordes, à la charge par lui de prouver, par le registre du timbre d’envoi, qu’il en est l’expéditeur? Or, ces droits ne pouvant lui être refusés, le timbre ajouterait donc aux assignats-monnaie une propriété qui n’est pas dans leur espèce, puisque dans les cas de faillite toute monnaie délivrée appartient à la masse des créanciers. Ne faudrait-il pas des lois multipliées sur les effets des timbres? Car on ferait un volume des difficultés légales auxquelles ils donneraient naissance, et que la loi devrait prévoir, comme serait, par exemple, celle qui aurait lieu lorsque les assignats timbrés de suspension seraient volés ou égarés en route. La simple inscription de l’expéditeur au registre du timbre opérerait-elle sa décharge envers son correspondant, comme le chargé à la poste? Je ne le pense pas ; donc le seul chargé à la poste présente à l’expéditeur une sùrete de plus que le projet des timbres. Ne faudrait-il pas encore faire des réglements pour les cas, par exemple, où des assignats étant déjà timbrés de suspension, le banquier recevrait contre ordre avant l’envoi, ou apprendrait que son correspondant ne mérite plus sa confiance? En ce cas, quel timbre apposera-t-on pour les remettre en circulation? Donnera-t-on au timbreur le droit de biffer le premier timbre, ou d’apposer le timbre de circulation sans l’intervention des dénommés au timbre de suspension ? Quels dangers, quels inconvénients, quels abus enfanteraient ces timbres! Je ne m’attache pas à vous les présenter, parce qu’ils s’offrent en foule à vos premières réflexions. Mais lors même que ces dangers n’existeraient pas, je dis que le projet de l’auteur n’atteint point le but qu’il se propose, et n’aurait que partiellement et inutilement les avantages qu’il lui attribue; je le prouverai par quelques réflexions. L’auteur parle beaucoup des courriers volés; mais sont-ce les courriers qui portent le plus d’assignats sur les chemins, et qui sont le plus exposés aux vols? N’y a-t-il pas des portefeuilles d’un grand prix dans les mains des capitalistes et des courtiers? Et les vols de ce genre n’ont-il pas été les plus fréquents et les plus considérables ? A quoi serviraient ici les moyens de l’auteur? N’y a-t-il pas sur les routes des négociants, des voyageurs, des marchands forains et autres qui, spéculant sur les denrées, les grains, les fourrages, le bétail, les chevaux, etc... portent avec eux de très grosses sommes pour faire leurs achats dans les campagnes, les foires et les marchés? A quoi leur serviraient les moyens de l’auteur? Feront-ils timbrer leurs assignats à la journée, et chaque fois qu’ils auront à déloger. Les moyens de l’auteur ne sont donc que partiels, puisqu’ils ne tendent qu’à protéger les assignats chargés sur les malles des courriers. J’ajoute qu’ils n’atteindraient pas même ce but particulier. En effet, le plan de l’auteur ne prohibe pas à la poste de se charger d’assignats non suspendus; il laisse à chacun la liberté de faire timbrer ou non ses envois. Or, il est évident que par économie, ou par défaut de temps, peu de personnes feront timbrer, puisque par les mêmes motifs, il en est déjà beaucoup qui, dans l’ordre actuel, ne font pas charger à la poste leurs envois d’assignats. Il restera donc toujours, dans le plan même de l’auteur, une chance assez forte pour les voleurs, en détroussant les courriers. Et croit-il qu’en supposant même qu’il leur fût impossible de remettre en circulation par unfaux timbre, les assignats même qu’il leur fût impossible de remettre en circulation par un faux timbre, les assignats suspendus et volés, ils seront assez complaisants pour renvoyer ces assignats à leur adresse? Non certes, ils les détruiront ou les garderont, dans l’espérance de les faire timbrer tôt ou tard par les timbreurs mêmes, ce qui, avec un peu de patience et de temps, ne sera pas difficile. Mais, dit l’auteur, lorsque des vols de courrier auront été faits, on aura soin de publier la liste des numéros volés ; fort bien, c’est-à-dire qu’on veut que chaque citoyen, fermier, marchand ou autre, encore moins à portée d’être averti, aille, avant de recevoir en payement un assignat même de 50 livres, s’enquérir si cet assignat n’est pas sur la liste des numéros volés. On veut que l’ayant pris et reçu de bonne foi à la faveur d’un faux timbre ou autrement, onpuisse le saisirdans ses mains, on veut même que, soupçonné d’être complicedu vol, on puisse s’assurerdesa personne pour le dénoncer aux jurés. Gardons-nous de répandre sur des citoyens français cette terreur, cette crainte d’être dépouillés ou emprisonnés pour des assignats reçus et donnés avec confiance, sous les auspices de la loi, si l’on ne veut pas voir [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 avril 1791.] 171 bientôt ce précieux numéraire avili et sans valeur. Je ne m’arrête pas aux difficultés invincibles pour le commerce et la banque, qui exigent ordinairement dans la circulation des fonds une expédition prompte et rapide, d’user du moyen proposé, et de faire, au moment du départ du courrier, timbrer de suspension, enresistrer et endosser des parties considérables d’assignats; je ne m’arrête pas à l’inconvénient plus grave encore pour celui à qui ils sont expédiés et qui doit payer à réception, d’être forcé de perdre un temps précieux à son crédit et à ses engagements, pour faire timbrer de circulation; et c’est en faveur des négociants qui se sont tant récriés sur l’emharras du timbre des lettres de change venant de l'étranger, qu’on propose un pareil moyen. Je ne serais pas entré, Messieurs, dans de si grands détails, pour vous faire rejeter un plan que vous avez jugé vous-mêmes au premier aperçu, s’il n’était pas enfin nécessaire d’éclairer nos concitoyens par la publicité, sur tous ces projets chimériques dont on berce leurs inquiétudes, en excitant, en exagérant de vaines et dangereuses appréhensions, pour altérer la forme unique, simple, mais inimitable des assignats, qualité si nécessaire à leur usage comme monnaie. Que serait en effet, dans une grande opération nationale, cette faculté, cette action sur la monnaie de l’Etat, qui serait imprudemment accordée à un privilégié et à ses 2 ou 3,000 agents inconnus, répandus dans les villes, bourgs et villages, de suspendre et de rétablir la valeur des assignats ; de les anéantir un moment, et de les recréer ensuite, pour leur donner, selon l’inventeur, une nouvelle existence? Non, Messieurs, vous vous opposerez à tout projet, à toute innovation qui attenterait ainsi aux bases sacrées, aux principes qui ont été établis par la loi sur cette monnaie précieuse; vous vous opposerez surtout constamment à tout moyen qui diminuerait, changerait, ajouterait la moindre chose au corps et aux formes de l’assignat. Il doit rester invariablement tel qu’il a été décrété, sans addition d’aucune empreinte, endossement, prolongement, timbre, et aussi sans retranchement d’aucune de ses parties. L’assignat a son titre de fin, son vrai poids, qui est connu de tous les citoyens, qui ne souffre aucun remède, aucun alliage, aucun poinçon de vérification. Les assignats ont, comme les espèces, leur valeur courante, réelle, légale, nationale, que rien ne doit suspendre ou changer, accréditer ou faire suspecter. Que le commerce prenne donc toutes les mesures, étrangères à la forme et à la nature intrinsèque de l’assignat, qui pourront, comme pour les espèces d’or et d’argent, en assurer le transport. Est-il donc si difficile, aux négociants et banquiers des principales villes, de diminuer considérablement les envois effectifs et en nature, par des virements de place en place, et en facilitant, sous un léger bénéfice et par des mandats sur leurs correspondants, les remises d’assignats? Alors les envois en nature seraient plus rares, et n’auraient lieu que lorsqu’il faudrait rétablir entre les villes la balance du numéraire; alors on ne verrait pas si souvent les assignats se croiser sur les routes entre deux villes qui se payent à la fois; on ne verrait pas les assignats envoyés en nature dans une place où l’abondance de ce numéraire fait rechercher les occasions de retour. J’aurais pu, Messieurs, relever bien d’autres inconvénients dans le projet dont je viens de vous faire le rapport; mais j’ai pensé que ce que je vous en ai dit suffirait pour le faire rejeter ; cependant il me reste à vous faire observer que plusieurs bons esprits, même dans l’Assemblée nationale, qui n’ont pu s’occuper assez des principes sur la nature et la circulation des assignats, se laissent prévenir par l’utilité apparente de tous ces moyens prétendus de sûreté qui leur sont offerts; il me paraît nécessaire de détruire ces erreurs, de prévenir même celles que de nouveaux projets pourraient produire; et le moyen d’y parvenir, c’est de publier les principes qui vous ont dirigés. Je demande donc que vous arrêtiez aujourd’hui que le rapport sur les endossements, que je vous ai fait le 13 décembre passé et celui que je viens de vous lire, où j’ai renfermé une partie des lumières que vous m’avez communiquées, seront remis à l’imprimeur de l’Assemblée nationale, pour être incessamment imprimés et distribués à tous ses membres (1) ; cette publicité devenue nécessaire, vous garantira de ces assauts multipliés des prétendus inventeurs, elle vous dispensera d’employer un temps précieux pour la Constitution, à porter ces discussions à la tribune, et peut-être elle instruira davantage, sur cette matière, ceux à qui elle n’est pas assez connue. Si vous approuvez, Messieurs, ce rapport, je vous prie d’en ordonner la transcription sur vos registres, et d’arrêter que copie en sera remise au comité des finances, qui vous a fait déférer le projet des timbres par M. de La Blache. (. Approuvé et arrêté par les commissaires de l’Assemblée nationale , pour les assignats. A Paris, le 17 avril 1791.) DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU DIMANCHE 17 AVRIL 1791. Rapport fait le 13 décembre 1790 à la commission des assignats par M. Périsse-Duluc sur cette question ; « L’ Assemblée nationale doit-elle ordonner, par un décret, que les assignats circuleront par la voie des endossements'! Messieurs, si vous voulez vous prononcer sur ce sujet bien plus important qu’il ne le paraît au premier coup d’œil, il est nécessaire de le considérer sous toutes ses faces, relativement à la nature des assignats et aux droits respectifs des citoyens. Il faut considérer l’usage de cette monnaie nationale dans le commerce, la correspondance et les besoins de la vie, sa circulation générale et locale dans toutes les classes et sur toute la surface du royaume, et ne pas trop s’arrêter aux inconvénients qu'on veut prévenir, si les moyens qui sont présentés pour y remédier doivent exposer aux plus grands dangers cette opération salutaire, et si leur effet certain doit être d’intercepter, de suspendre cette circulation de la vie politique actuelle de la France. Pour juger avec précision ce projet de loi, il faut connaître les motifs qui l’on fait concevoir, et chercher si le but qu’on se propose pourrait être rempli, sans manquer à la justice envers le (1) Voyez ci-après, deuxième annexe, ce rapport.