[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r septembre 1791.] \\\ M. Dupont {de Nemours). Maintenant que la Constitution est terminée, je demande que l’Assemblée décrète, avant toute-choses, qu’elle ne peut plus y rien changer. {Vifs applaudissements à gauche.) En conséquence, voici le décret que je propose : « L’Assemblée nationale déclare que la Constitution est terminée, et qu’elle ne peut plus y rien changer. » A gauche : Aux voix ! aux voix! M. de Montlosier. Les formes sous lesquelles la délibération a été proposée, et la délibération elle-même, nous ont paru entièrement neuves et attentatoires à la dignité royale et au gouvernement monarchique ; en conséquence, nous demandons acte de notre silence. {Rires.) M. Bouche. Il paraît que l’Assemblée a désapprouvé l’amendement qui consistait à rayer de l’article ces mots : « sera prié d’indiquer le cérémonial. » Cet amendement-là me paraît très raisonnable; cependant je serais d’avis que l’article fût rédigé de cette manière simple : « Le roi sera prié d’indiquer le jour où il viendra jurer... etc. » et ensuite : « ... il mettra dans son apparition à. l’Assemblée tout le cérémonial qu’il voudra ». {Murmures.) M. Briois-Beaumetz, rapporteur. Je demande la permission dedévelopper un pen davantage ce que, jusqu’à présent, j’avais cru suffisant d’indiquer. Toutes les personnes qui ont opiné sur ces mots : « indiquer le cérémonial » ou même sur la suppression de cette partie de la phrase, paraissent avoir bien plus envisagé l’idée accessoire que l’idée principale de cet article qui est d’une tout autre importance. Cert'-s, il ne s’agit pas tant ici de revendiquer, pour l’Assemblée nationale, le droit incontestable de fixer le cérémonial d’une fête à laquelle elle assiste que de présenter à la nation et à l’Europe entière une occasion manifeste et digne d’elle de voir le monarque prendre lui-même une part active et spontanée à l’acte solennel de l’acceptation. {Applaudissements.) Je demande donc qu’on mette aux voix l’article. Je ne prétends rien préjuger sur l’article additionnel de M. Dupont, que je me réserve de discuter après que l’Assemblée aura décrété celui qui est actuellement soumis à sa délibération. M. Bœderer. Je demande que l’article additionnel de M. Dupont soit délibéré à l’instant. Si l’on s’y refusait, ce serait préjuger qu’il est possible d’apporter des changements à la Constitution. {Murmures.) M . Salle appuie la motion de M. Rœderer. M. Muguet de Wanthou. Après les dispositions que l’Assemblée vient de décréter, il faut, pour assurer le crédit public, décréter la proposition de M. Dupont. M. IVochot. Je n’ai qu’une observation à faire pour prouver que la proposition de M. Dupont, que j’appuie, ne peut être adoptée dans ce moment ; c’est que les derniers articles décrétés sur les Conventions ne sont pas encore rédigés; qu’il est néce saire qu'ils soient revus et mis en ordre, ainsi que plusieurs autres articles de l’acte constitutionnel. M. Camus. Je propose à l’Assemblée un moyen de concilier tout. La motion de M. Dupont me paraît extrêmement sage. Je conçois que l’acte constitutionnel n’étant pas relu, et plusieurs articles ayant été renvoyés au comité pour en faire la rédaction, il ne faut pas adopter, dans ce moment-ci, la proposition telle qu’elle est faite par M. Dupont; mais il me semble aussi qu’il n’y a rien de si facile, et en même temps rien de si juste que de rédiger l’artic'e en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que l’acte constitutionnel ne sera présenté au roi que lorsqu’il aura été relu, et que l’Assemblée aura déclaré qu’elle n’y changera rien, et qu’elle ne permettra pas qu’il y soit apporté aucun changement ni modification. » {Applaudissements à gauche.) M. de Croix. Je déclare, moi, que, comme je crois ce décret attentatoire aux droits de la nation et de la royauté, je m’y oppose de toutes mes forces. Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix! (L’Assemblée, consultée, adopte le décret proposé par M. Camus.) M. Briois-Beaumetz, rapporteur. Il vous reste, Messieurs, à statuer sur l’article 3 du projet des comités, ainsi conçu : Art. 3. « Si le roi se rend au vœu des Français en adoptant l’acte constitutionnel, il sera prié d’indiquer le jour et de régler le cérémonial dans lequel il prononcera solennellement, en présence de l’Assemblée nationale, l’acceptation de la royauté constitutionnelle et l’engagement d’en remplir les fonctions. » (Cet article est mis aux voix et adopté.) M. le Président lève la séance à trois heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 1er SEPTEMBRE 1791. Détails relatifs à l'observation faite à l'Assemblée nationale, dans la séance du 1er septembre , concernant f’ÉTAT DE LA VILLE DE THIONVILLE, par M. Bœderer. Nota. — L’Assemblée nationale n’ayant pas voulu entendre ces détails dans la séance du 1er septembre, et n’ayant pas eu le temps de les entendre depuis, je livre à l’impression ce que j’avais à dire, soit pour répondre à MM. Le Chapelier, Emmeryet de La Rochefoucauld, soit pour amener le comité militaire et le ministre de la guerre à rassurer par leurs diligences, ou au moins par leurs éclaircissements, une ville frontière, peuplée de zélés patriotes, dont les alarmes, fussent-elles mal fondées, mériteraient des égards. Jeudi 1er septembre, au momeat où l’Assem-blée nationale allait deiib ‘rer sur le décret proposé par le comité de Constitution, relativement 142 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l6' septembre 1791.] à la présentation de l’acte constitutionnel au roi, j’ai demandé la parole en ces termes : « Je demande à dire un fait qu’il' est nécessaire de faire connaître, au moment où Von propose à l’Assemblée nationale de changer l'état du roi. » Le silence m’a été accordé, et voici littéralement ce que j’ai dit : « Un officier municipal de Thionville, ville dont on connaît le patriotisme, me mande que la municipalité a adressé au ministre et au comité militaire des pièces dont il m’envoie des copies, pour prouver que les états de fournitures de diverses espèces, de munitions de tout genre, présentés à l’Assemblée par le ministre de la guerre et par M. Emmerÿ, au nom du comité militaire, sont absolument inexacts. Je demande qu’il me Soit permis de déposer demain la lettre et les pièces que j’ai reçues, sur le bureau de l’Assemblée. » M. Le Chapelier a demandé la parole, et s’est exprimé en ces termes : « Je ne sais dans quelles vues M. Rœderer interrompt l'ordre du jour, pour un fait qui n’y a aucun rapport, et si c'est pour jeter des alarmes dans le peuple; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il a les pièces dont il parle, depuis 3 semaines; qu’il m’a même demandé ce qu’il devait en faire, et que je lui ai conseillé d’aller en conférer avec le comité militaire. » M. Emmery m’a demandé ensuite si j’entendais l’inculper personnellement, et a ajouté qu’il n’avait fait aucun rapport sur l’état des fron-tières. J’avais commencé à répondre à MM. Le Chapelier et Emmery, lorsqumn grand nombre de voix ont demandé l’ordre du jour, et que l’Assemblée a passé à l’ordre du jour. M. de La Rochefoucauld a demandé alors que je fusse entendu le lendemain à l’ordre de 2 heures, pour reposer plus particulièrement les inculpations sur lesquelles le ministre et le comité militaire auraient à s’expliquer, et répondre à celles qui venaient de m’être faites à moi-même. L’Assemblée a décrété l’ajournement proposé par M. de La Rochefoucauld. Le lendemain et le surlendemain, les séances ont été entièrement occupées à l’acte constitutionnel; et comme on pourrait me dire maintenant que l’affaire de Thionville n’est plus à l’ordre du jour, je livre à l’impression ce que j’en voulais dire. Quoique je ne me fisse pas une grande affaire de dénoncer un ministre ou un comité que je croirais en faute, et que je ne fusse pas fort en peine si je les avais dénoncés, cependant j’observe d’abord à MM. Emmery et de La Rochefoucauld, que moi personnellement, je n’ai inculpé, jeudi, ni ministre, ni comité, ni individu; j’ai seulement dit qu’un officier municipal de Thionville m'avait écrit et envoyé des pièces, pour prouver l’inexactitude du ministre et de M. Ëm-mery, comme rapporteur du comité militaire, et sans me rendre juge des preuves, j’ai demandé de déposer la lettre et les pièces jointes sur le bureau. Or, l’Assemblée jugera si la lettre que je vais mettre sous ses yeux, répond exactement à l’idée que j’en ai donnée, si elle n’annonce pas contre MM. Emmerÿ ef Duportail les preuves que j’ai dit qu’elle annonçait, et si je n’en ai pas plutôt affaibli qu’exagéré le sens. La voici : « Thionville, le 13 août 1791. * Monsieur, « J’ai l’honneur de vous adresser le voeu de la ville de Thionville : la municipalité s’ est adressée aux chefs militaires ; et la société ne voyant qu’en vous cette fermeté patriotique qui peut lui promettre le succès, n’hésite pas à vous, prier de prendre en considération l’état de dénùment dans lequel se trouve une ville de première ligne. Elle a arrêté cette adresse pour démentir la lettre de M. Duportail à l’Assemblée nationale et le rapport de M. Emmery , qui veulent persuader que la frontière est en défense. « Je vous observerai, Monsieur, qu’il existe ici des intelligences funestes avec les réfugiés; que hier encore un ingénieur, qui a fortifié la place dans ces derniers temps, est passé à l’étranger; que les prêtres reprennent depuis peu leur insolence; que les mauvais citoyens menacent; que les nouvelles certaines de l’Empire ne sont rien moins que rassurantes; mais en même temps que personne n’est plus disposé à donner sa vie pour la patrie, que les citoyens de cette ville, si l’on veut bien seconder leurs efforts. Ils ont déjà, avec une garnison presque nulle, palissadé le chemin couvert, relevé les remparts, et ils s’attendent à défendre leur ouvrage. Le Ciel veuille qu’on n’en vienne pas là, ou qu’on nous fournisse les moyens de résister. « Je suis avec admiration et fraternité, Monsieur, votre dévoué compatriote. « Signé : Merlin, officier municipal, homme de loi. .< P.-S. Nous espérons, Monsieur, qu’il sera fait mention de notre adresse en séance ; c’est à vous que nous devrons le bonheur de pouvoir être utiles à la patrie. Nous n’en doutons pas. » L’adresse jointe à cette lettre est de la Société des Amis de la Constitution de Thionville, et les pièces jointes à l’adresse font cinq états, savoir : 1° un état des armes, effets, attirails et muni-tioQs d’artillerie nécessaires, manquant à l’approvisionnement pour la défense de Thionville ; 2° un état des comestibles et médicaments nécessaires pour le service de l’hôpital régimentaire de Thionville, en cas de guerre; 3° un état des effets nécessaires pour monter l’hôpital militaire de Thionville, en cas de siège ; 4° un état sommaire des restants effectifs, en grains, en farines dans les magasins de cette place, à l’époque du 31 juillet 1791 ; 5° enfin, un état sommaire des restants effectifs en foins, pailles et avoines dans les magasins de cette place, au 31 juillet 1791. Ainsi, Messieurs, j’ai eu raison de le dire : un officier municipal de Thionville m'écrit et m’envoie précisément ce que j’ai dit à l’Assemblée qu’il m’avait écrit et envoyé. A-t-il tort, a-t-il raison ? C’est ce qu’il faut vérifier ; c’est ce que j’ai demandé que l’on vérifiât par l’audition du ministre et du comité militaire. Mais toujours est-il certain que je n’ai rien avancé en mon nom, qui ne fût parfaitement exact. La lettre parle du ministre de la guerre, de M. Emmery comme rapporteur du comité militaire; elle annonce des pièces qui démentent les écrits ou rapports faits, par l’un ou par l’autre, pour prouver que la frontière est en état de défense ; or, je n’ai dit autre chose à l’Assemblée, sinon que ma lettre annonçait tout cela, et le renfermait. M. Le Chapelier a observé qu’au lieu de parler de cet objet à l’Assemblée, j’aurais dû, suivant son conseil, en conférer avec le comité militaire. Je réponds que la lettre me charge, non de conférer avec le comité militaire qu’elle accuse* mais de remettre l’adresse et les pièces jointes à l’Assemblée nationale en séance. J’ajoute qu’il importait à la ville de Thionville, comme à tou- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er septembre 1191.] 143 tes les frontières, que l’Assemblée nationale, non-seulement ne fût pas induite en erreur, mais même ne pût pas l’être à l’avenir, au sujet de dispositions militaires insuffisantes pour la sûreté publique. Enfin, j’observe que déjà les commissaires de l’Assemblée qui ont visité le cours de la Meuse, ont contredit par leur rapport les exposés de M. Duportail et du comité militaire; et qu’ainsi il était enfin nécessaire d’avoir des explications publiques sur ce sujet. On me demandera maintenant, avec M. Le Chapelier, pourquoi j’ai tant tardé à parler à l’Assemblée de cette lettre que j’avais reçue, suivant lui depuis 3 semaines, quand j’en ai parlé. J’observe d’abord, qu’il n’y avait pas 3 semaines, mais 14 jours seulement, que j’avais reçu cette lettre, quand j’en ai parlé à l’Assemblée nationale. On ne reçoit ici les lettres de Thionville que le quatrième jour : or, celle dont il s’agit, est du 13 août. Je n’ai donc pu la recevoir que le 17 au soir. Or, du 17 au 31, il y a 14 jours. En second lieu, les raisons pour lesquelles je n’ai pas porté plus tôt cette lettre à l’Assemblée, et je les ai écrites à Thionville, ont été : 1° de ne point jeter au milieu des travaux de la Constitution et de la révision un objet qui n’y avait pas rapport; 2° la crainte de voir renvoyer simplement ma lettre au comité militaire, où elle serait restée ensevelie; 3° l’intention où j’étais de demander incessamment au comité un nouveau rapport sur l’etat des frontières et de l’interpeller alors, suivant l’intention de Thionville, sur l’état des munitions et fournitures de cette ville. On va me demander encore, avec M. Le Chapelier, pourquoi ayant cru avoir de bonnes raisons pour différer la présentation de la lettre dont il s’agit, je l’ai commencée jeudi; pourquoi j’ai interrompu l’ordre du jour par cette annonce, et si ce n’était pas uniquement pour jeter de vaines alarmes dans le peuple ? Voici mes réponses : D’abord je pensais jeudi, comme je pense encore aujourd’hui, que ma proposition était non-seulement à l’ordre du jour de jeudi, mais même était impérieusement commandée par l’ordre de ce jour . En effet il s’agissait d’un décret qui, changeant l’état du roi, rendait extrêmement nécessaire à la sûreté et à la liberté du roi même, que nos frontières fussent dans l’état de défense ou l’Assemblée nationale avait voulu qu’elles fussent. Je réponds ensuite, qu’exposant le sujet de mes inquiétudes personnelles, de celles de beaucoup d’autres citoyens, de celles d’une ville frontière de première ligne, qui m’en avait chargé, je ne devais pas craindre de m’entendre imputer le dessein de répandre gratuitement l’alarme dans le peuple. Grâce au ciel, j’ai mal profité des exemples qui m’ont été souvent donnés à la tribune et ailleurs, pour exciter le peuple par des motions incendiaires; et tout le monde sait qu’heureusement tout ce qui tient à, l’art des émeutes commence à se perdre depuis que certaines gens n’ont plus d’intérêt à s’en mêler. Voilà, Messieurs, ce que j’avais à dire de moi. Venons maintenant à la chose publique qui est plus importante. Que j’aie eu tort ou raison de parler de ma lettre jeudi ; que je l’aie plus ou moins exactement rapportée, que j’en aie parlé ou trop tôt ou trop tard, il n’importe. Celte lettre reste : elle contredit le ministre et le comité, sur des faits importants ; elle vient d’une ville frontière ; elle est d’un homme public, d’un bon citoyen ; elle est appuyée par une société nombreuse de patriotes; elle est soutenue de pièces justificatives ; elle a frappé les oreilles de l’Assemblée nationale, il faut donc que les faits soient authentiquement éclaircis. Et c’est ce qué je demande. Je le répète, Messieurs, je n’entends dénoncer ni le comité militaire, ni surtout le ministre. Je crois sans peine qu’un ministre, comme on vous l’a dit l’an passé, peut /aire le mort , pour donner à croire que sa puissance est insuffisante, et la faire augmenter ; mais je pense aussi que plusieurs personnes, dont le devoir serait de soutenir son activité, fort occupées de l’espoir de le remplacer, ne le sont point du tout du soin de le réveiller, et seraient au contraire fort aises de lui donner vivant les honneurs de la sépulture. Je suis, en conséquence, fort disposé à attendre, pour juger un ministre, qu’il ait été essayé quelque temps par la nouvelle législature, qu’il ait perdu tout espoir de faire changer la mesure de son pouvoir, et qu’il soit affranchi de l’oligarchie de comités, pleins de gens intéressés à ce qu’il fasse de3 fautes, ou ne fasse rien. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 1er SEPTEMBRE 1791. Projet de rédaction des articles adoptés par l’Assemblée nationale sur t’EXERClCE DU POUVOIR de révision, proposé par M. Frochot. TITRE VII (A ajouter à Pacte Constitutionnel). De la souveraineté nationale, dont l'exercice n’est pas constamment délégué. CHAPITRE UNIQUE. De la révision de la Constitution. Section lre. Du pouvoir de la nation à cet égard, et de sa délégation. La nation ayant le droit imprescriptible de changer entièrement sa Constitution, a aussi le pouvoir de la réformer en la soumettant à une révision. Lorsqu’il lui plaît d’exercer ce pouvoir, elle le délègue à une Assemblée de révision. Section II. De l'Assemblée de révision. L’Assemblée de révision est l’Assemblée des représentants ayant le pouvoir de réformer, par des changements, suppressions ou additions, une ou plusieurs parties déterminées de la Constitution. Elle se compose de la représentation au Corps législatif augmentée par le doublement de la représentation attachée à la population. En sorte qu’elle est portée en totalité à 994 représentants.