[Assemblé© nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S mars 1790.] 35 de la justice. Le droit de minage dérive donc évidemment de la justice. On serait peu fondé à nier ce principe sous prétexte qu’en quelques endroits le minage n’appartient point au seigneur justicier. S’il est quelquefois séparé delà justice,, c’est que le seigneur en a consenti la distraction; mais il n’est pas moins sùr que celui quijouitdecedroit, seigneur, ou non seigneur, jouit aussi en cette partie d’un droit de juridiction, d’inspection de police sur les mesures. C’est donc un droit de justice, quoiqu’il ait pût sortir de la maiu du seigneur justicier. Cela posé, il y a encore une distinction à faire. Les minages sont, ou seigneuriaux, ou domaniaux. S’ils sont seigneuriaux, ils sont implicitement supprimés par votre décret du 8 août, interprétatif de l’article 6 du décret du 4 du même mois, car vous avez décrété que toutes les justices seigneuriales étaient supprimées sari3 indemnité : Or, l’effet ne peut subsister quand la cause est détruite. S’ils sont domaniaux, ou le produit excède le salaire légitime du minageur pour le service dont il est chargé, ou il ne l’excède pas. Dans le second cas, nul prétexte pour le conserver ; dans le premier cas, c’est un impôt qui n’a point été consenti par la nalion, et par conséquent nul de droit; c’est un impôt contraire aux principes de circulation et de liberté du commerce, il faut le supprimer. Ainsi, dans l'unê ou l’autre suppo-sition, les minages domaniaux sont, comme tous les autres minages, dans le cas de la suppression sans aucune indemnité. Il n’en est pas tout à fait de même, Messieurs, des droits de halle, hallage, harage, place, marché, etc. Ceux-ci sont non seulement la rétribution exigée pour l’apport des grains et autres denrées sous la halle, ou dans la place ou local de marché quelconque, mais encore celle attachée au resserrement, au rentoiement des grains, et le dédommagement des dépenses faites pour construire le bâtiment consacré à cet usage. Ainsi, il y a ou il peut y avoir ici deux espèces de droits; celui d’apport ou dépôt sous la halle, ou sur la place ou marché, et celui de resserrement ou rentoiement. Il y a aussi deux espèces de perceptions, libre ou forcée. Si ces servitudes sont volontaires, nnl doute qu’elles ne puissent être conservées ; car elles sont alors le résultat d’une convention libre, d’une réciprocité d’avantages qu’on a pu accepter ou refuser. Je vous prête ma place, ma halle, pour déposer vos denrées et les exposer en vente : je vous prête ma halle pour resserrer vos grains, vos denrées invendues; j’ai acheté l’un, j’ai bâti l’autre. Vous déposez sur ma place, parce que cela vous est commode, utile; payez-moi le dépôt. Vous ne vendez pas, vous voulez resserrer vos denrées, vos grains pour un autre marché; vous voulez les mettre à couvert dans un IL u sûr, où elles vous seront conservées, garanties ; payez-moi un droit de dépôt ; c’est la loi de convention, do ut des. Elle subsistera tant qu’elle conviendra également aux deux parties. Mais si, au contraire, l’apport, le dépôt, le resserrement de mes denrées n’est pas libre, mais forcé, mais exclusif de toutes autres places ou halles, en faveur de celles qui vous appartiennent, je ne vois plus dans la perception que vous faites qu’une exaction, qu’une servitude purement personnelle, dont j’ai été affranchi par l’article premier des décrets des 4 et 6 août, et qui doit être supprimée sans aucune espèce d’indemnité. Ces différences bien établies, la Conséquence toute naturelle, Messieurs, est qu’il faut supprimer comme servitude purement personnelle, et par conséquent sans indemnité, ceux de ces droits qui ne sont pas facultatifs, et laisser aux municipalités et aux propriétaires la liberté de s'arranger entre eux pour le loyer des places, halles et marchés, là où il serait commode et utile à l’une des deux parties d’en conserver l’usage, à l’autre de le concéder. Et tel sera, Messieurs, sur eet obj t, l’esprit de l’article du décret que nous vous proposerons. Avant de terminer ce rapport, il nous reste, Messieurs, à vous parler du droit d’étalonnage. Ce droit est celui qu’a le seigneur justicier de faire vérifier la contenance des mesures dont on se sert, ou veut se servir dans sa seigneurie, où nulle ne peut être d’usage légal sans cette vérification ; elle Se fait par une comparaison de la mesure nouvelle ou ancienne dont on ne connaît pas ou dont on suspecte la contenance, avec la mesure seigneuriale, appelée matrice ou étalon ; car c’est ainsi qu’on nomme la mesure en fer ou airain, que le seigneur fait conserver à son greffe, ou dans un dépôt public. Cette vérilication est constatée par la marque d’un fer ronge, aux armes du seigneur, qu’on applique sur la mesure en présence du juge, ün payait pour ces vérifications et marques de mesures, différents droits suivants les différents pays, ou plutôt suivant le caprice et l’intérêt des juges qui y présidaient. Il résulte, et du motif de eette opération, et du lieu du dépôt des matrices, étalons et poinçons, que ce droit est an droit de justice : Il est aussi évident qu’il est un droit personnel, car il n’est représentatif d’aucune concession réelle; il est donc, par ces deux raisons, de nature à être aussi supprimé sans indemnité. En nous résumant, Messieurs, sur chacun de ces objets, voici Je projet de décret que nous avons l’honneur de vous proposer : PROJET DE DÉCRET sur les droits de péage, minage, hallage, étalonnage et autres semblables. L’Assemblée nationale considérant qu’en vain, par l’article premier de ses décrets des 4 et 6 août, elle aurait entièrement détruit le régime féodal, si elle laissait subsister aucun des abus auxquels il a donné naissance; - Que si, par l’article 6 de ses décrets des 4 et 8 août, elle a prononcé l’abolition absolue des justices seigneuriales, elle ne peut sans contradiction laisser subsister aucun des droits qui en dérivent : Considérant qu’elle doit à �agriculture et au commerce de les dégager des entraves multipliées qui en enchaînent les opérations, mais considérant en même temps que toutes ces suppressions doivent se concilier avec le respect dû aux propriétés légitimes, elle a décrété et décrète ce qui suit : Art. ier.Lesdroitsdepéage,deIong et de travers, passage, pontonnage, barrage, chaînage, grande et petite coutume, et tous autres droits de ce genre ou qui en seraient représentatifs, de quelque ûa-ture qu’ils soient, et sous quelque dénomination qu’ils puissent être perçus, par terre ou par eau, soit en nature, soit en argent, sont, comme servitudes purement personnelles, supprimés sans ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mars 1790.} 36 [Assemblée nationale.] indemnité ; et quant à l’entretien des ouvrages dont quelques-uns de ces péages pourraient être grevés et dont les possesseurs demeurent déchargés, il y sera pourvu par les assemblées administratives des lieux où il sont situés. Art. 2. N’entend néanmoins l’Assemblée nationale comprendre, quant à présent, dans la suppression prononcée par l’article précédent, les droits de bac, ni ceux des droits dont il est parlé dans le premier article, qui ont été accordés ou concédés pour dédommagement de frais de construction d’ouvrages d’art qui n’ont été construits qu’à cette condition, non plus que les péages accordés à des propriétaires légitimes, pour suppressions de moulins, usines ou bâtiments et établissements quelconques, sous la considération de l’utilité publique, lesquels droits continueront provisoirement à être perçus suivant les titres et les tarifs de leur création primitive, reconnus et vérifiés par les départements des lieux où ils sont situés, jusqu’à ce que, sur leur avis, il soit définitivement statué à cet égard ; à l’effet de quoi les propriétaires de ces droits seront tenus, dans trois mois à compter de la publication du présent décret, de représenter leurs titres auxdits départements; et faute de satisfaire à cette disposition, les perceptions demeureront suspendues en vertu du présent décret. Art. 3. Les droits d’étalonnage, minage, ménagé, leyde, bichenage, levage, petite coutume, sexterage, coponage, copel, coup, car telage, stellage, boisselage, sciage, palette, et autres droits qui en tiennent lieu et généralement tous droits, soit en nature, soit en argent, perçus sous le prétexte de marque, fourniture, inspection de mesures, ou mesurage de grains, grenailles et toutes autres denrées ou marchandises, ainsi que sur leurs ventes ou transports à l’intérieur, de quelque espèce qu’ils soient, sont supprimés sans indemnité; sans préjudice néanmoins des droits qui, quoique perçus sous les mêmes dénominations, seraient justifiés avoir pour cause des concessions de fonds : les étalons, matrices et poinçons qui servaient à l’étalonnage des mesures seront remis aux municipalités des lieux qui tiendront compte de leur valeur, et pourvoiront dorénavant et gratuitement à l’étalonnage et vérification des mesures. Art. 4. Les droits connus sous le nom de hallage, avage, cohue, etc., et tous ceux relatifs à l’apport ou au dépôt des grains, et toutes autres denrées et marchandises dans les marchés, places ou halles, sont aussi, de quelque espèce qu’ils soient, supprimés sans indemnité; mais les halles et places resteront la propriété de ceux auxquels elles appartenaient, sauf à eux à s’arranger à l’amiable, soit pour le loyer, soit pour leur aliéna-ion, avec les municipalités des lieux; et en cas de difficultés, elles seront soumises à l’arbitrage des assemblées administratives. Art. 5. En conséquence de ce que dessus, le mesurage des grains et denrées, dans les maisons particulières, sera libre dans toute l’étendue du royaume, en se servant de mesures étalonnées et légales; et quant aux places et marchés publics, il sera, par les municipalités des lieux, pourvu à l’exactitude de ce service. (L’Assemblée ordonne l’impression et la distribution du rapport de M. Gillet de La Jacque-minière.) M. le Président. Nous allons reprendre la discussion du projet de décret sur l’abolition des droits féodaux. M. Merlin, rapporteur, donne lecture des deu derniers articles du titre II. Après une courte discussion et quelques changements dans la rédaction, ces deux articles sont adoptés ainsi qu’il suit : Art. 22. « Toutes les dispositions ci-dessus, â l’exception de celle de l’article 10 du titre premier, auront leur effet à compter du jour de la publication des lettres-patentes du roi, du 3 novembre 1789; en conséquence, tous procès intentés et non décidés par jugement en dernier ressort avant ladite publication, qui concernent des droits abolis sans indemnité par le présent décret, ne pourront être jugés que pour les frais de procédure faits, et les arrérages échus antérieurement à cette époque. « N’entend, au surplus, l’Assemblée nationale préjudicier aux actions intentées ou à intenter par les communautés d’habitants, pour raison des biens communaux non compris dans l’article 22 du présent litre; lesquels seront décidés, même sur instance en cassation d’arrêt, conformément aux lois antérieures au présent décret. » Art. 23. « L’Assemblée nationale se réserve de prononcer, s’il y a lieu, sur les indemnités dont la nation pourrait être chargée envers les propriétaires de certains fiefs a Alsace, d’après les traités qui ont réuni cette province à la France. » M. Merlin. L’Assemblée a à s’occuper, maintenant du titre III relatif aux droits seigneuriaux rachelables. Je vais donner lecture de l’article 1er. TITRE III. Des droits seigneuriaux rachetables. Art. 1er « Seront simplement rachetables, et continueront d’être payés jusqu’au rachat effectué, tous les droits et devoirs féodaux ou censuels utiles, qui sont le prix et la convention d’une concession primitive de fonds ». (Cet article est mis aux voix et adopté sans discussion.) M. Merlin fait lecture de l’article 2. Plusieurs membres demandent l’ajournement à demain. L’ajournement est prononcé. M. Vieillard, député de Reims. Je demande à faire connaître mon opinion sur les justices seigneuriales. (Voy. cette opinion annexée à la séance de ce jour). M. Merlin. M. Vieillard a soumis au comité féodal un travail sur cette matière, mais la discussion ne peut s’ouvrir aujourd’hui devant vous sans nuire à la marche de vos travaux. M. Vieillard n’insiste pas. M. le Président lève la séance à quatre heures.