SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 41 111 ment, c’est qu’on craignit d’introduire de nouveaux conspirateurs dans le sein de la Convention (90). Le Cointre passe à l’article IV. 4°. D’avoir, de concert avec Robespierre, anéanti la liberté des opinions, dans le sein même de la Convention nationale, en ne permettant la discussion d’aucune des lois présentées par le comité de Salut public. On demande les pièces. Le Cointre : Les pièces ? c’est ce qui s’est passé dans cette enceinte, c’est la compression dans laquelle vous avez été... Les murmures empêchent de poursuivre (91). LE COINTRE :... Citoyens, plus vous croyez avoir de moyens contre moi, plus vous me devez le silence. J’ai dit que vous n’étiez pas maîtres de vos opinions, et que ces comités auxquels vous aviez accordé le droit de vie ou de mort sur vous... CAMBON : On veut faire croire au peuple que tout ce qui s’est fait s’est opéré par la terreur depuis la nomination des comités de Salut public et de Sûreté générale. Je renouvelle à Le Cointre l’interpellation que je lui ai déjà faite sur un article précédent : de nous déclarer par quelle prédilection il n’a porté son accusation que contre quelques membres de ces comités. Je demande que, sur chaque article dont les preuves ne seront point fournies, la Convention déclare que l’accusation est fausse et calomnieuse. Un membre : Puisque la France a été opprimée, ainsi que la Convention, il faut donc accuser aussi le peuple de ne pas s’être insurgé. FERRAND : Le motif de cette prédilection est dans le discours de Saint-Just : il voulait abattre tout ce qu’il y avait d’amis de la liberté. Tallien demande la parole. DUHEM : Président, donne la parole à Tallien, qui a organisé, il y a quatre jours, un 10 fructidor aux Jacobins. (Bruit.) Le Cointre passe à l’article V. 5°. D’avoir provoqué le rapport de toutes les lois favorables à la liberté et répressives des actes arbitraires qui s’exerçoient au nom des comités avec autant d’injustice que d’inhumanité. On demande les pièces. Le Cointre : Eh bien ! la voilà, la pièce; c’est le rapport de votre décret du vingt-septième jour du premier mois (92). (Murmures.) (90) P.V., XLIV, 231-232. Moniteur, XXI, 632. (91) P.V., XLIV, 232. (92) P.V., XLIV, 232. BOURDON (de l’Oise) : Vous voyez que le système était d’avilir la Convention nationale aux yeux de l’Europe. Un membre : Combien t’es-tu vendu, Le Cointre ? (93) 42 Carnot monte à la tribune : Voici, dit-il, le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant. Condé est restitué à la République. Les plus vifs applaudissements éclatent de toutes les parties de la salle et se prolongent longtemps. BOURDON (de l’Oise) : Le Cointre, tu n’as pas vendu la patrie ! CARNOT : Voici le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant. « Condé est restitué à la République ». (Vifs applaudissemens souvent répétés au milieu des cris de vive la République.) «La reddition a eu lieu ce matin à six heures. » (Les aplaudissemens se renouvellent et se prolongent longtemps.) Un membre propose de changer le nom de Condé en celui de Nord-Libre. GOSSUIN : Depuis trois jours, on nous occupe à la tribune de calomnies atroces et de diatribes dont j’espère qu’il sera fait justice aujourd’hui (Oui, oui, s’écrient un grand nombre de voix.) Condé est rendu à la République : changeons le nom qu’il portoit, en celui de Nord-Libre. Cette proposition est décrétée (94). Un membre [Cambon] demande que ce décret soit envoyé à Nord-Libre par la voie du télégraphe. Cette proposition est adoptée (95). 43 Un membre [Gossuin] propose de mettre à l’ordre du jour ce que l’Assemblée doit aux citoyens des frontières, qui souffrent avec courage depuis cinq ans pour la patrie, et qui ont éprouvé des pertes considérables par l’invasion des brigands; il propose que les comités de Salut public, de Législation et de Sûreté générale, qui ont des rapports impor-(93) Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 228-232; M. U., XLIII, 207; C. Eg„ n° 742; Ann. R.F., n° 272; F. S.P., n° 424; F. de la Républ., n° 423; J. S.-Culottes, n° 563; J. Paris, n° 609; Mess. Soir, n° 742; Rép., n° 254; M. U., XLIII, 220. (94) C 318, pl. 1281, p. 35. Décret n° 10 633. Rapporteur : Gossuin. (95) P.-V., XLIV, 233. Bull. 13 fruct.; Débats, n° 710, 232-233; Moniteur, XXI, 632; J. Paris, n° 608; J. Perlet, n° 707; C. Eg., n° 742, 743; J. Univ. n° 1740; J. Fr., n° 705; J. S.Culottes, n° 562, 563; Gazette Fr., n° 973; J. Mont., n° 123; Ann. R. F., n° 272; Ann. Patr., n° 607; F. de la Républ., n° 423; Rép., n° 254; Mess. Soir, n° 742. 112 ' ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tans sur les frontières, soient entendus à la séance d’après-demain sans délai. Cette proposition est décrétée (96). 44 Un membre [Granet, de Marseille] demande qu’en même temps qu’on apprendra à Condé par la voie du télégraphe son changement de nom, la Convention nationale apprenne aussi à l’armée du Nord qu’elle ne cesse de bien mériter de la patrie. Cette proposition est décrétée ainsi qu’il suit: La Convention nationale décrète que l’armée qui a fait restituer Condé à la République, a bien mérité de la patrie (97). 45 On reprend la discussion. Le Cointre lit l’article VI. 6°. De s’être entouré d’une foule d’agens, les uns perdus de réputation, et les autres couverts de crimes; de leur avoir donné des pouvoirs en blanc; de n’avoir réprimé aucune de leurs vexations, et de les avoir au contraire soutenues. On demande les pièces. Le Cointre : Les pièces à l’appui de ce que j’avance, sont les dénonciations portées dans cette enceinte contre Fréron (sic) et autres, les décrets rendus contre eux et qu’on vous a fait rapporter. On observe que c’est Robespierre qui a fait rapporter le décret contre Fréron (sic) (98). BOURDON (de l’Oise) : Cette accusation porte contre Héron et Robespierre. Chacun sait que c’est Robespierre qui a fait rapporter le décret d’accusation contre Héron, qui avait été demandé par moi-même (99). Le Cointre lit l’article VII. 7°. D’avoir rejeté et laissé sans réponse un nombre infini de mémoires et de plaintes qui leur avoieht été adressés contre les agens oppresseurs; d’avoir pris leur défense, notamment celle de Fréron (sic), Sénard et autres; d’avoir à la tribune même de la (96) P.-V., XLIV, 233. C 318, pl. 1281, p. 36. Décret n° 10 632. Sans nom de rapporteur dans C* II 20, P-273. Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 233. (97) P.-V., XLIV, 233. C 318, pl. 1281, p. 37. Décret n° 10 634. Sans nom de rapporteur dans C* II 20, p. 273. Débats, n° 710, 233; Moniteur, XXI, 632; F. de la Républ., n° 423. (98) P.-V., XLIV 234. (99) Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 233. Convention, fait leur éloge, fait rapporter les décrets justement lancés contre eux, et d’avoir, par là, livré à la vengeance de ces monstres les hommes qui avoient le courage de les dénoncer. Les faits sont prouvés par une multitude de pièces et une foule de réclamations du département de Seine-et-Oise, et par vos décrets qui les ont accueillis, et que je rapporterai s’il est nécessaire (100). (On rit.) BOURDON (de l’Oise) : Je répète encore pour cet article que cette accusation porte sur Couthon et Saint-Just, qui ont fait rapporter les décrets d’arrestation dont on parle. Mais il n’est pas étonnant de voir cet homme, dans sa fureur délirante, dans sa rage diffamante, accuser nos collègues de délits dont se sont rendus coupables des hommes qui ne sont plus, lui qui a eu le courage de produire contre le tyran, trois décades après sa mort, un acte d’accusation qu’il avait gardé dans sa poche tant qu’il vécut (101). Le Cointre lit l’article VIII. 8°. D’avoir couvert la France de prisons, de mille bastilles; d’avoir rempli de deuil la République entière par l’incarcération injuste, et même sans motif, de plus de cent mille citoyens (on observe que la veille l’orateur avoit dit cinquante mille), les uns octogénaires, les autres infirmes, d’autres enfin pères de famille, et même des défenseurs de la patrie. Plusieurs membres estiment que cét article et le précédent portent sur Robespierre, Couthon et Saint-Just. BOURDON (de l’Oise) : Vous voyez combien cela est ridicule; chacun sait qu’une très grande partie des arrestations a été faite par les comités révolutionnaires, et qu’il s’en faut qu’elles aient monté à cent mille; et ici on veut les imputer à sept membres pour en rejeter l’odieux sur des hommes qui ont bien servi la patrie. GOUPILLEAU [de Fontenay] : Il est bon d’observer comme Le Cointre est sûr de ses faits : il ne varie en un jour que de cent mille à cinquante mille. FERRAND : On inculpe la révolution. CAMBON : Sans doute Le Cointre étendra son accusation contre tous les membres qui ont eu des missions dans les départements; car il n’en est aucun qui n’ait été forcé d’ordonner des arrestations. GARNIER (de Saintes) : L’improbation que vous avez manifestée sur cet article est bien fondée; car il renferme encore, s’il est possible, plus de perfidie que les autres. Il accuse tous les représentants; et quand les brigands de la Vendée menaçaient de s’étendre dans les dépar-(100) P.-V., XLIV, 234. (101) Moniteur XXI, 633; Débats n° 710, 233-234.