[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mars 1790.J seigneurs, que ceux qui étaient dans l’usage de laire exercer dans leurs terres les fonctions du notariat, conserveraient cette prérogative. Les notaires ou tabellions seigneuriaux, comme tous autres officiers seigneuriaux, trouvent donc leur suppression formellement prononcée par le décret aui a supprimé toutes les justices seigneuriales. Mais peut-on prolonger leur existence? Ceux qui ont été pourvus moyennant finance ou à titre onéreux, auront-ils une action pour leur remboursement? Et cette action, contre qui la dirigeront-ils ? C’est sur quoi il paraît encore nécessaire de s’expliquer. Une nouvelle organisation du pouvoir judiciaire dont l’Assemblée nationale va s’occuper incessamment nous dispense de nous occuper des officiers seigneuriaux proprement dits : le décret du 4 août a textuellement prononcé que leurs fonctions cesseraient à l’instant où le nouvel ordre serait établi ; mais cette nouvelle organisation ne s’étend point aux notaires; jusqu’à ce que cette partie des fonctions publiques subisse la réforme qui peut y paraître nécessaire, quel inconvénien t y aurait-il à conserver le droit d’instrumenter, au moins pendant leur vie, aux notaires que ces seigneurs ont institués? Quant aux Finances des différents officiers seigneuriaux, il est évident que ces finances étant le prix de l’hérédité des offices, les titulaires sont fondés à les réclamer du moment où les offices sont supprimés, ou cessent d'être héréditaires; mais contre qui peuvent-ils diriger leur action ? Sera-ce contre les seigneurs qui, par eux-mêmes ou par leurs auteurs, ont touché le montant des finances? mais lorsqu’en supprimant les justices des seigneurs, on leur enlève, sans indemnité, tous les droits qu’ils percevaient à raison de ces justices, n’y aurait-il pas de la rigueur à les laisser exposés à des répétitions de la part des officiers institués par eux ? cette extrême rigueur ne serait-elle pas désavouée par l’équité même ? Et puisque la nation rentre dans la souveraineté du droit de justice, n’est-ce point à la nation à indemniser tous ceux qui avaient déboursé quelques sommes pour acquérir ce même droit ? Je croirais donc que tous officiers seigneuriaux ui auraient été pourvus, moyennant finances, evraient être autorisés à faire liquider ces finances de la même manière que les officiers royaux, pour être, comme eux, remboursés au nom de la nation et des deniers de la caisse nationale. Si vous adoptez, Messieurs, les différentes vues que j’ai eu l’honneur de vous présenter dans ce mémoire sur l’effet du décret qui a supprimé les justices seigneuriales sans indemnité; si vous jugez que, pour le parfait développement de ce décret, il soit nécessaire que l’Assemblée nationale statue positivement sur toutes les questions que j’ai discutées, en ce cas, lorsque l’opinion du comité sera fixée sur chacune d’elles, j’en formerai les divers articles du règlement que vous aurez à proposer à l’Assemblée nationale. ASSEMBLÉE NATIONALE. Présidence de m. l’abbé de montesquiou. Séance du samedi 6 mars 1790, au matin (i). M. Merlin, l’un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance de jeudi soir. Un autre de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Bertrand, député de Saint-Flour , prétend qu’il s’est glissé une erreur dans la rédaction du décret qui fixe la limite des départements de la province d’Auvergne et il demande, qu’en la rectifiant, il soit dit que les paroisses de Montgreleix et de Gondat, seront définitivement réunies au département de la Haute-Auvergne. M. Gaultier de Biauzat soutient que le décret est bien tel qu’il a été rendu par l’Assemblée et propose, au surplus, de renvoyer la question au comité de Constitution. Plusieurs membres demandent la question préalable sur cet incident. D'autres membres réclament l’ordre du jour. L’Assemblée prononce le renvoi au comité de Constitution. M. le baron de Cernon, membre du comité de Constitution , rend compte de quelques difficultés survenues entre les districts de Marseille et d’Aix, au sujet de leurs limites. D’accord avec les députés de la province, le comité propose un décret qui est adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que la ville d’Aubagne, celle de Gemenos et celle de Cuges, ont la faculté de choisir et d’exprimer leur vœu sur celui des districts de Marseille ou d’Aix, auquel' elles désirent d’être attachées. » M. le baron Tessier de Marguerittes, nommé maire de Nîmes, sa patrie, demande et obtient, à cetle occasion, la permission de s’absenter pour six semaines, pendant lesquelles il dit que sa présence est nécessaire dans cette ville. M. Tesure, député de Vitry-le-François, prête le serment civique. M. le Président annonce qu’il vient de recevoir une lettre de M. Necker, et le mémoire dont il a été question dans la séance d’hier; cependant il propose, avant d’en mettre la lecture à l’ordre du jour, qu’on s’occupe pendant quelques instants de la continuation du travail sur les droits seigneuriaux, ce qui est agréé par l’Assemblée. L’ordre du jour appelle, en conséquence, la suite de la discussion sur le projet de décret relatif à l’abolition des droits féodaux. M. Merlin, rapporteur , dit qu’avant de passer (1) Cetle séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PA à l’article 2 du titre III, qui devait être proposé, il a à proposer au titre Ier deux articles additionnels. Le premier est relatif à la garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité ; le second concerne les effets qui résultaient, sous le régime féodal, de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens, au douaire et à d’autres objets. Le rapporteur explique que la garde seigneuriale est ce droit en vertu duquel le seigneur féodal jouit, dans la province de Normandie, ainsi que dans quelques terres particulières de la Bretagne, des revenus des fiefs tenus immédiatement de lui, pendant que ses vassaux sont en bas âge, à la charge d’eutretenir les héritages et payer les dépenses annuelles dont ils peuvent être tenus. La garde royale est une espèce de garde seigneuriale, qui a néanmoins plus d’étendue, en ce qu’elle donne au monarque le droit de jouir de tous les fiefs, nobles et rotures, rentes et revenus même tenus immédiatement d’autres seigneurs, droit qu’il n’exerce jamais, et dont il fait toujours la remise à chaque ouverture par des brevets particuliers. Le déport de minorité, semblable à la garde seigneuriale, a spécialement lieu en Anjou. Ces droits dérivent du régime féodal puisqu’ils n’ont lieu que sur les vassaux. Les fiefs, ajoute M. Merlin, devinrent héréditaires avant que leur possession eût cessé d’assujettir au service militaire. Lorsque le vassal laissait, en mourant, un héritier en bas âge, il fallait à la fois que le service du fief se fît et que l’enfant qui devait y succéder, reçût l’éducation convenable pour pouvoir aussi le desservir un jour. Le prince obtenait ces deux buts en élevant l’héritier à sa cour, tandis qu’il chargeait une autre personne du service militaire et lui abandonnait la jouissance du fief jusqu’à ce que l’héritier eût atteint l’âge propre à porter les armes; il en était à peu près de même lorsque le vassal laissait en mourant une ou plusieurs filles pour héritières. Le prince les élevait jusqu’à ce qu’elles fussent nubiles et il leur donnait alors des époux capables de remplir l’obligation du service militaire. Un Anglais, disciple de Montesquieu, observe à ce suiet que ce n’était pas une loi dure que celle qui donnait ainsi le droit de disposer arbitrairement de la main d’une héritière, dans un temps où, réduites par leur éducation grossière à n’avoir aucun goût, les nouvelles mariées restaient des jours entiers dans les églises, jusqu’à ce que leurs amants eussent vaincu leur répugnance ou composé avec elles pour les en faire sortir. Mais cette belle institution, comme tant d’autres établissements féodaux, dégénéra partout en un vrai brigandage. Guillaume le Mauvais, roi de Sicile, au milieu du douzième siècle, en abusa tellement qu’il défendit à ses vassaux de marier leurs filles sans son consentement, qu'il ne donnait jamais ou qu’il donnait seulement lorsqu’elles avaient passé l’âge d’avoir des enfants, afin de réunir leurs fiefs à son fisc, à défaut d’héritiers. Dans l’état actuel des choses, il est évident que, les fiefs n’étant plus soumis au service militaire, la garde seigneuriale n’a plus de cause et dès lors elle doit nécessairement cesser. Le comité féodal vous propose d’adopter l’article suivant : « La garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité sont abolis. »> Cet article mis aux voix est décrété sans contestation. LEMENT AIRES. [0 mars 1790.) 45 M. Merlin donne lecture du second article relatif aux effets qui résultaient sous le régime féodal de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens. M. de Lachèze propose à cet article un amendement relatif aux veuves et aux femmes mariées; il est adopté et fondu dans l’article. Le décret suivant est ensuite rendu : « Sont pareillement abolis tous les effets que les coutumes, statuts et usages avaient fait résulter delà qualité féodale ou censuelle des biens, soit par rapport au douaire, soit pour la forme d’estimer les fonds, et généralement pour tout autre objet quel qu’il soit, sans néanmoins comprendre dans la présente disposition ce qui concerne le douaire des femmes actuellement mariées ou veuves, et sans rien innover, quant à présent, aux dispositions des costumes de nantissement, relativement à la manière d’hypothé-quer et aliéner les héritages, lesquelles continueront, -ainsi que les édits et déclarations qui les ont expliquées, étendues ou modifiées, d’être exécutées suivant leur forme et teneur, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. » Ges décrets formeront les articles 11 et 12 du titre premier du règlement général sur les droits seigneuriaux. M. l’abbé Maury. Je dois rappeler à l’Assemblée que, depuis plusieurs jours, elle a chargé le nouveau comité des rapports de lui rendre un nouveau compte des faits relatifs à la dénonciation portée contre M. de Bournissac, grand prévôt de Provence, au sujet de sa procédure prévotale dans l’affaire de Marseille et dans l’affaire de Baux. L’état d’insurrection manifeste dans lequel se trouve la ville de Marseille m’oblige à demander que le comité presse le rapport de cette affaire. Un membre du comité des rapports répond que le rapport pourra, peut-être, être fait dans la séance de ce soir. M. le Président. Je dois informer l’Assemblée que la commune de Paris et des députés extraordinaires de la ville du Havre demandent à être entendus à la barre. (Il est arrêté que ces députations seront reçues dans la séance de ce soir.) M. Dnpont (de Bigorre) demande qu’il y ait séance demain dimanche pour l’audition des comptes des trésoriers des dons patriotiques. Cette proposition est adoptée et la séance est fixée à onze heures du matin. M. le Président. Un de MM. les secrétaires va donner lecture du mémoire de M. Neeker sur les finances. Cette lecture, à peine commencée, est interrompue par un incident extraordinaire. Par ordre exprès du président, les huissiers avaient fait sortir de la salle des séances, les étrangers qui y avaient été admis faute de place dans les tribunes. Néanmoins, un suppléant, dont on ignorait d’abord le nom, était resté assis sur les bancs du côté droit de la salle. Un huissier, ayant remarqué l’étranger, le prie de se conformer aux ordres du président et de sortir de la salle. Refus obstiné de l’inconnu : le président lui enjoint alors de se retirer et donne l’ordre à l’officier de garde de l’expulser.