528 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. septembre 1789.] banquiers, et consultant à cet effet les administrateurs et trésoriers des caisses. Il ne voulait obliger l’ua et l’autre comité qu’à rendre compte une fois par semaine de son travail à l’Assemblée. Mais il désirait, avant tout, que le Roi fût prié d’ordonner la perception exacte des impositions actuelles, sauf celle de ta gabelle ; de faire donner, au besoin, main forte aux receveurs, et tout appui nécessaire aux tribunaux. La discussion épuisée, et la motion remise en délibération, l'Assemblée a arrêté que le comité de finances, déjà subsistant, choisira douze de ses membres, pour correspondre avec le ministre des finances, sur tous les objets énoncés dans le mémoire qu il a adressé à l’Assemblée. On reprend la discussion sur les grains. M. le comte Reynaud de Montlosîer lit un très-long mémoire. Il propose l’abolition du commerce exclusif des grains, que font les négociants français, et demande à l’Assemblée une permission provisoire de prendre, pendant six mois, des farines et des comestibles à l’étranger. 11 demande en outre lecture d’une lettre datée de Paris, écrite par M. Ducliilleau, gouverneur de Saint-Domingue, arrivé en France, qui annonce les besoins de la colonie. Ges propositions sont combattues par M. Guine-baud, négociant de Nantes, et M. Huard, négociant de Saint-Malo. Ils disent que c’est à tort que les députés de Saint-Domingue veulent représenter les négociants français comme des tyrans qui, pour faire fortune, voudraient sacrifier, affamer même les colonies ; qu’on ne supposera jamais de leur part de pareilles horreurs ; qu’ils ne veulent que la prospérité du royaume, essentiellement liée à celle du commerce ; que c’est avec les armes de la raison, par des mémoires réciproques appuyés sur des faits, qu’ils veulent traiter la question du commerce des colonies, et la décider par les principes de la plus exacte justice ; mais qu’en matière de commerce, tout était lié et relatif ; que l’exportation des farines de France pour les colonies en était une partie indispensable ; qu’on ne pouvait statuer sur la demande des députés de Saint-Domingue qu’a-près des instructions qui ne sont pas aussi célèbres qu’on le dit ; que l’Assemblée ne peut se dispenser dans une matière aussi intéressante de consulter : 1° le gouvernement sur l’état de la colonie, les ministres ayant offert toutes instructions à l’Assemblée, et même spécialement sur cette affaire ; 2° Les places de commerce auxquelles, le 27 de ce mois, le comité des colonies de Saint-Domingue, résidant à Paris, a écrit pour leur proposer de se concilier sur les intérêts du commerce ; 3° Un comité de négociants, députés de diverses villes auprès de l’Assemblée nationale, auxquels le comité de Paris a également écrit, et qui ont remis à l’Assemblée un mémoire tendant à demander communication des mémoires secrets sur le commerce, la permission d’y donner leurs réponses, et notamment sur l’affaire actuelle (un des secrétaires donne lecture de ce mémoire) ; 4° Un comité de commerce, établi dans d’As-semblée. M. Huard prend l’occasion, de rappeler et de répéter la motion du 24 juillet, tendant à l’établissement de ce comité, sur laquelle l’Assemblée statua de renvoyer la discussion à la prochaine séance. 11 rétablit les faits, il lit les passages de l’ordonnance de M. Duchilleau du 9 mai, rendue par lui, malgré l’opposition et la protestation de l’intendant ; farrêtduconseildu2 juillet, qui casse cette ordonnance. 11 dit que le cas n’était pas cé-lère, puisqu’ aux fins de l'arrêt même, l’importation des farines étrangères avait lieu à Saint-Domingue; que les administrateurs, qui sont sur les lieux, à portée de juger de l’étal des choses, ne manquent jamais d’user du droit qu’ils ont d’ordonner l’introduction des comestibles ; d’où il conclut qu’il n’y avait pas célérité ; que dans tous les cas l’Assemblée ne pouvait statuer qu’après l’instruction prise avec le gouvernement, et offerte par le commerce. Il a ajouté qu’il était indigné d’avoir entendu les propos tenus samedi, lors de la discussion de cette affaire, par un député, contre le ministre de la marine ; savoir : qu’il avait fait revenir en France M. Duchilleau, administrateur vertueux, par cela seul que, louché de la position affreuse de Saint-Domingue, il avait permis d’y porter des grains quand il y avait disette ; qu’un pareil propos ne pouvait tendre qu’à enlever, s’il eût été possible, au ministre l’estime que lui a témoignée l’Assemblée quand elle a demandé rappel au Roi, et qu’il est d’autant plus coupable, qu’il est faux. Ce qu’il a prouvé par la lecture de l’article premier de l’ordonnance du 9 mai de M. Duchilleau, et de l’arrêt du conseil du 2 juillet, du passage de la protestation de l’intendant. M. Huard finit par dire que cette façon de présenter les choses en ks déguisant devait prouver que MM. de Saint-Domingue ne sont pas bien exacts dans leurs plaintes, et qu'il faut au moins les approfondir et les vérifier. Ges raisons ont frappé l’Assemblée, qui a manifesté son désir de ne décider qu’après une ample instruction. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE DUC DE LANGRES. Séance du mardi Ier septembre 1789, au matin (t). Il a été fait lecture des procès-verbaux des 27, 28 et 29 août. Il a été présenté différentes adresses d’adhésion, de félicitation et de reconnaissance de la part des citoyens du bourg de Landzer en Haute-Alsace, de la communauté de Lançon en Provence, de la ville d’Orbee en Normandie, des officiers municipaux de Nancy en Lorraine, du corps municipal delà ville de Gondé eaHainaut, de la ville etviguerie de Sauve eq Languedoc, de la viguerie d’Apt en Provence, des officiers municipaux de la ville de Montbard en Bourgogne, des habitants de la ville d’Ernée au Maine, des trois ordres de la ville de Néronde en Forez, du chapitre de la collégiale de Cuers, de la ville d’Issingeaux en Languedoc, des électeurs des trois ordres du bailliage de Bourbon-Lancy, de la ville de Candie/, diocèse d’Àlez en Languedoc; du bureau des fi-(I) Celle séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er septembre 1789.] 529 [Assemblée nationale.] nances de Besançon, de la commune d’Oger en Champagne, des commissaires du comité du district de Ponteroix qn Bretagne, de la ville et châtellenie de Cinte-Gabelle en Languedoc, de la ville d’Ambert en Auvergne, des officiers municipaux de la ville de Belpech, de la ville d’Amiens, du conseil municipal du bourg de Gordes en Provence, de la ville de Dom paire en Lorraine, des notaires de la ville d’Autun, de la ville de Jugnon en Bretagne, des villes haute et basse de Mont-médy, des paroisses de Freneuse et de Montfort-sur-Rille en Normandie, qui offrent de faire incessamment, et par anticipation, verser au Trésor royal, la première, six mois, la seconde, trois mois de ses impositions; de la ville de Bort en Limousin, de la ville de Rocroy en Champagne, portant renonciation à ses privilèges particuliers ; des juge et procureur Fiscal de la prévôté de Ver-nonillet-sur-Seine, qui offrent de rendre gratuitement la justice. Un de Messieurs les secrétaires a remis sur le bureau un exemplaire d’un çmvrage intitulé: Mélanges de Philosophie et d’ Économie politique, dont le sieur Grivel a fait hommage à l’Assemblée nationale. Le sieur Thurel, soldat depuis 74 ans, dans le régiment de Touraine, ayant offert, dans une lettre adressée à l’Assemblée par les officiers de ce régiment, le sacrifice d’une pension de trois cents livres, réversible à sa femme et à ses enfants, qui lui a été accordée par Sa Majesté, en 1787 ; et cet exemple ayant été suivi par le chevalier de Montalembert, seul officier de ce régiment qui jouisse d’une pension de deux cents livres, qui lui a été accordée pour la perte d’un œil dans un combat naval en Amérique; et par les sieurs du Moulin de Labartete, de Querelles, et du Pont du Chambon, officiers au même régiment, et élèves de l’École militaire; l’Assemblée nationale, en applaudissant à ces sacrifices patriotiques, n’a pas pensé devoir les accepter, et a ordonné que les brevets de pension qui lui ont été adressés, seraient rendus. L’ordre du jour appelle la délibération de l’Assemblée sur la question de la sanction rotjale. M. le duc de Uancourt. Je réduis en deux points la discussion qui vous occupe. 1° La sanction du Roi est-elle indispensablement nécessaire? 2° Le Roi doit-il faire une partie intégrante de la législation? La seconde question sera, pour ainsi dire, décidée par la solution de la jiremière. La sanction royale est-elle nécessaire? Alors le Roi est une partie intégrante de la législation. N’est-elle pas nécessaire? Alors le Corps législatif est étranger au pouvoir exécutif. Aussi je n’examinerai maintenant que la première question. 11 faut convenir d’une grande vérité; le royaume de France a toujours eu pour gouvernement le gouvernement monarchique, et même avant le temps où les rois avaient secoué le joug de l’usage qui leur imposait la nécessité de consulter le peuple sur la formation des lois. Si les représentants de la nation ont reçu d’elle le pouvoir d’abolir cet ancien régime, l’Assemblée nationale peut sans doute l’anéantir; mais si nos mandats ne nous donnent la faculté que de le régénérer, ce serait les violer que de croire que nous avons le pouvoir de le détruire. Pour donner une autre r série, t. vin. forme de gouvernement à la patrie, il faudrait une convention nationale. Une convention nationale n’est autre chose que l’expression de la volonté générale: or, il est impossible de croire que la nation a eu l’esprit de nous envoyer à une convention, mais à l’Assemblée des États généraux réunis en une seule chambre. üira-t-on que les cahiers demandent une constitution? Mais tous les cahiers ne portent pas qu’il faut anéantir l’ancienne, qu’il faut détruire la monarchie; mais tous les cahiers portent qu’il faut déraciner les vices et étouffer les abus. La nation n’a pas prétendu s’abandonner à la Constitution qu’il plairait à ses représentants d’arrêter; elle a seulement ordonné qu’elle voulait, en confirmant l’ancienne, en relever les fondements. Voilà tout ce que nous prescrivent nos cahiers: il est donc impossible de les dépasser. Les assemblées élémentaires, dira-t-on, ne prévoyaient pas les circonstances, la force de l’opinion publique et les conjonctures où nous nous trouvons. Nos commettants n’ont pu nous fixer une marche dont ils n’ont pu prévoir l’étendue. Mais, au milieu de ce vide arbitraire, il est des points fondamentaux vers lesquels on se rallie. Ainsi tous nos cahiers nous expriment le désir de vivre dans un gouvernement monarchique; tous nous ôtent le droit de le changer. 11 est donc prouvé que la nation ne peut, sans dénaturer le gouvernement, déclarer toutes nos lois affranchies de la sanction. Dans tous les temps nos rois l’ont eue, et elle est de l’essence de la monarchie. M. le duc de Liancourt parle ensuite des faits qui prouvent la possession des rois sur la sanction. Il invoque les preuves que le comité avait déduites hier: faits historiques, auteurs anglais, gouvernement anglais, tel a été le bon côté de la défense de la sanction royale, par M. le duc de Liancourt. M Salle, député de Lorraine (1). Messieurs, il me semble qu’aucun de nous ne conteste au Roi le droit d’approuver une loi qui lui serait agréable et de la sanctionner. L’exercice d’un pareil droit n’ayant pas pour objet de rendre illusoires les décrets de l’Assemblée, il en résulte seulement plus d’éclat pour la majesté du trône et nous ne devons rien lui refuser de ce qui peut la rendre imposante et respectable (2). Mais si la loi déplaît au Roi, doit-il avoir un droit négatif absolu, ou seulement suspensif jusqu’à la prochaine session? Tel est, Messieurs, à ce qu’il me semble, le vrai point de la question. Le veto absolu est définitif ; il ne laisse aucune ressource au peuple, si le Roi se trompe ou si son intérêt lui dicte de refuser le bien delà nation : Le veto suspensif est une sorte d’appel à la nation, qui la fait intervenir comme juge à la première session, entre le Roi et ses représentants. D’après cette définition, la question me paraît décidée; car le droit suspensif se déduit des principes: il (1) Le discours de M. Salle n’a pas été inséré au Moniteur. (2) La sanction, d’après son étymologie même, devrait appartenir au peuple. La nation sanctionne une loi, en jurant qu’elle l’observera et la fera observer à ses risques et périls, legem sandre ; sanctam facere ; sanctionner la loi, c’est-à-dire la rendre sainte par le serment. La majorité fait la loi; d’après les règles de toute Assemblée délibérante, la minorité se soumet; chacun jure alors au nom du ciel, et c’est l'unanimité qui sanctionne. {IVote de l'orateur.) 31