(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.J officier municipal, qu’un magistrat du peuple les autorise par sa présence. Je reviens maintenant à l’impôt: car, pour l’intérêt du peuple, il importe qu’un tribut modéré, et en quelques sorte volontaire, ne soit pas remplacé soit par des impositions plus onéreuses, soit en aggravant celles qu’il ne peut déjà supporter qu’avec peine. La théorie des impôts est la véritable législation du peuple. C’est ici, Messieurs, que nous attendent les ennemis du bien public pour exciter le mécontentement de ceux qui jusqu’à présent n’ont fait que bénir votre ouvrage; comme si les législateurs qui ont aboli la dîme, les exemptions d’impôts et les abus de la féodalité, qui ont rendu au peuple tant de propriétés usurpées, qui lui ont délégué tous les pouvoirs qu’il pouvait exercer ou plutôt retenir; comme, dis-je, si ces amis constants des campagnes pouvaient cesser d’en défendre les droits 1 Si l’impôt du tabac ne peut pas être supprimé sans le remplacer, car jamais vous ne consacrerez l’étrange système que votre comité vous propose, quel impôt plus doux pourriez-vous préférer? Cet impôt est libre, il ne porte que sur une très petite partie des citoyens qui consentent à s’y soumettre. 11 ne tient pas à une denrée de première nécessité. Il n’a pas cela de commun avec la plupart des impôts indirects de peser d’autant plus sur un chef de famille qu’il a plus d’enfants, c’est-à-dire en raison de son impuissance. L’enfance en est exceptée, très peu de femmes y sont soumises; et cet impôt est même très léger pour ceux qui veulent le supporter. Cherchez donc d’autres impositions qui soient aussi douces, aussi équitables. Mais si cet impôt peut être supprimé? Eh bien! vous le pourriez que vous ne le devriez pas. N’avez-vous pas d’autres impôts à alléger? N’avez-vous pas à redouter que les impositions établies sur la terre, cet asile de l’homme, ce pain nourricier des nations, ne soient trop considérables jusqu’à ce qu’on ait rendu aux campagnes les capitaux que la fiscalité lui a si longtemps ravis? Avez-vous même pu calculer exactement si les impôts ou prévus ou décrétés atteindront exactement le résultat que vous avez cru pouvoir indique!? Et pourquoi donc, en prévoyant un déficit très probable, ne conserveriez-vous pas un impôt qui, une fois suspendu, serait impossible à rétablir? On a regardé comme une objection le recule-menl des barrières. Et moi je le présente comme un moyen. Vous avez établi des droits de traite, et par cela seul deux lignes d’employés sur plus de huit cents lieues de côtes et de frontières vous sont nécessaires. Cette dépense est énorme; elle est presque d’un tiers sur le produit total de cet impôt, qui ne s’élèvera peut-être pas à quinze millions. L’imposition du tabac a maintenant cet avantage, que les frais en sont déjà payés : c’est-à-dire, qu’en percevant quarante-cinq millions au lieu de quinze, sans ajouter aux dépenses que les traites rendent déjà nécessaires, vous aurez le produit d’un impôt de plus, sans le sacrifice inutile et toujours si douloureux des frais de la perception. Comparez ce résultat avec celui du comité, vous n’auriez, en suivant son système, ni impôt, ni culture, ni relations avec l’Amérique; car impôt et culture libre, culture libre et commerce avec l’Amérique, sont des idées contradictoires que le comité aurait pu se dispenser de vouloir concilier. Le premier effet de la suppression de la vente exclusive, serait que l’Angleterre, toujours très 557 avisée, verserait sur nos frontières et dans nos magasins du tabac pour plusieurs années, et que nous serions même dispensés de cultiver cette plante parasite, dont on veut nous faire, je ne s iis pourquoi, un si funeste présent, en vertu des principes de notre Constitution, comme si la plupart des objections que l’on peut faire contre l’impôt du tabac n’étaient pus communes à la plupart des autres impôts. Je propose le décret suivant : PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. La nation se réserve le droit exclusil lu commerce, fabrication, vente et débit du tabac, tant en feuilles que fabriqué, dans toute l’é endue du royaume, pour ledit droit être exercé, au profit du Trésor public, par les préposés qui seront nommés à cet effet. Art. 2. Lesdits préposés seront tenus d’entre-i enir un nombre suffisant de bureaux, où le tabac en poudre sera délivré au public an prix de 2 liv. 8 s. la livre, ou de 3 sous i’once, et le tabac à fumer au même prix. Art. 3. L’importation du tabac étranger fabriqué continuera à être prohibée. Art. 4. Il sera libre d’importer du tabac étranger en feuilles, dans les ports qui seront désignés ; mais ce tabac y sera mis sur-le-champ en entrepôt, dans les magasins de la régie, pour être ou réexporté à l’étranger, ou acheté de gré à gré par ladite régie, sans payer aucun droit dans aucun cas. Art. 5. La culture du tabac sera et demeurera interdite et prohibée dans toute l’étendue du royaume, dérogeant à tout usage à ce contraire. Art. 6. Et, néanmoins, voulant prévenir les inconvénients qui pourraient résulter d’un changement trop brusque dans le système de culture ■ ïes départements du Haut et Bas-Rhin, de la Haute-Saône, du Doubs, du Nord, de partie de celui du Pas-de-Calais, et de tous autres où la culture du tabac était en usage, ladite culture ue pourra y être étendue ; mais elle ne sera complètement supprimée qu’à la fin de 1796. Art. 7. Les proprietaires et cultivateurs qui auront des tabacs en leur possession, au moment de la sanction et de la publication du présent décrel, en feront, dans la quinzaine, déclaration aux préposés à la vente nationale du tabac, et il sera incessamment statué sur les conditions auxquelles ils seront retirés pour le compte de la nation. Il sera également statué sur l’emploi et la destination des tabacs qui proviendront des récoltes des six années, pendant lesquelles la culture du tabac est autorisée, dans les départements du Haut et Bas-Rhin, de la Haute-Saône, du Nord et du Pas-de-Calais, comme aussi sur les formalités à remplir par les propriétaires et cultivateurs. Art. 8. A l’égard de l’indemnité que réclament les habitants desdits départements, relativement à la plus grande consommation de tabac à laquelle ils sont accoutumés, le comité de commerce et d’agriculture se concertera avec des députés des ci-devant provinces d’Alsace, Flandre, Artois, Cambrésis et Franche-Comté, pour le rapport être fait de leurs demandes, et être statué ce qu’il appartiendra. Art. 9. Ii sera présente, dans le plus court délai, par le comité de Constitution, réuni à celui des impositions, un projet de code pénal pour la contrebande en tabac. En attendant, les règlements 558 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. précédemment Rendus, pour cette partie, continueront ü’èii'e exécutés, av> e l’exception, seulement, que l'amende de 1,000 livres prononcée indistinctement par le-dits règlements pour toute fraude en tabac, seia réduite pruvisoii ement à la somme de 5ü0 livres; et qu’à défaut de payement, elle ne pourra être convertie en aucune peine afflictive. Art. 10. Le roi sera prié de donner des ordres pour la prompte mise en liberté des fraudeurs en tabac, qui seraient détenus à raison du non-payement des amendes prononcées contre eux, sans néanmoins que les dispositions du présent article puissent s’étendre aux fraudeurs condamnés à quelque peine afflictive que ce soit, par suite d’une procedure criminelle pour violences, voies de fait et rébellion. Plusieurs membres demandent l’impression du discours et du projet de décret de M. de Mirabeau. (Cette motion est décrétée.) M. de Folleville. Il y aurait intérêt, pour ne pas arrêter la discussion sur un objet aussi important, de faire imprimer séparément le projet de décret. M. Roederer, rapporteur . L’opinion de M. de Mirabeau est que l’impôt du tabac pourra produire 30 millions. Notre opinion, dans le comité, est au contraire que, vu la quantité de tabac de contrebande qui est dans le royaume et le nombre des plantations qui sont commencées, il serait impossible d’en tirer dans les premières années plus de 15 millions; et pour l’avenir, vu la suppression des visites domiciliaires et des barrières de l’iutérieur, plus de 20 millions... Je demande que M. de Mirabeau fasse imprimer ses calculs à la suite de sou projet de décret. M. de Mirabeau. Ce que demande M. le rapporteur est de toute justice ; je joindrai mes calculs à mon projet. M. Delley d’Agier. Quoique en ce moment, la contrebande se fasse à force ouverte, il y a certaines provinces où la vente du tabac n'a pas diminué d’un seizième, et dans la totalité du royaume, elle produit encore 15 millions. M. d’Estonrmel. J’avoue que je ne puis faire, sur le projet de M. de Mirabeau, aucune observation, sans le connaître plus en détail. Je vais cependant relever un article de son projet qui me paraît impliquer la plus grande contradiction. On doit laisser, suivant lui, jusqu’en 1796, la liberté de culture aux provinces qui l’ont; mais les barrières qui séparaient ces provinces de celles del’intérieur n’existent plus : le tabac entrera donc librement. Cette observatiou doit frapper l’Assemblée. Voix nombreuses : Oui ! oui ! (On insiste de plusieurs côtés et on demande à M. de Mirabeau de présenter ses vues sur un code pénal.) M. de Mirabeau. Je ne puis pas le présenter d’ici à demain; le délai est trop court. M. de La Rochefoucauld . Lorsqu’on a de mandé à M. de Mirabeau ses vues sur les peines [29 janvier 1791.] qu’il faut employer pour la prohibition de la culture, ce n’est point un code pénal entier qu’on lui a demandé. Mais comme lu base de son système est la prohibition delà culture, et comme le comité est persuadé que cette prohibition est impossible sans employer les moyens que vous a\ez prescrits, le comité est en droit de demander à M. de Miraoeau de faire connaître les moyens dont il compte se servir pour ce point unique. M. Ee Chapelier. L’incident qui s’élève d’après le projet de M. de Mirabeau me paraît se réduire à la demande d’un ajournement nécessaire. Effectivement, Messieurs, la demande qu’on a faite à M. de Mirabeau me paraît on ne peut pas pius fondée en raison et appuyée sur les motifs mêmes qu’il a donnés. Il faut non pas que vous examiniez l’impôt qui vous est proposé uniquement sous le rapport de son produit, uniquement sous le rapport de la durée sur laquelle il porte, mais sous le rapport bien plus important de la liberté des citoyens. Or, je soutiens que si on établit un impôt sur le tabac, il faudra suivre les peines corporelles que l’ancien code fiscal avait établies, du moins une inquisition aussi gênante pour la liberté des citoyens. ( murmures et applaudissements.) Je dois vous démontrer, quand on agitera la question, que le système qu’on vous propose est destructif de notre commerce avec l’Amérique; mais je n’en suis pas là. Je demande seulement, sur ia question iucidi nte, s’il vous est permis, en établissant un impôt, de ne pas l’examiner, et si vous ne devez pas exiger qu’un système d’impôt qui vous est proposé reunisse les moyens d’exécution qui peuvent eu assurer le produit. D’après cela, il faut ajourner la question et donner huit jours au comité réuni avec M. de Mirabeau pour vous présenter un projet de décret sur les moyens d’exécution et le Gode pénal, et nous verrons si le code pénal qu’on nous présentera ne rend pas l’impôt inadmissible. M. Rewbell. Je demande, au nom de l’Alsace, que M. de Mirabeau Veuille bien conférer avec la députation de cette province sur les avantages et les inconvénients du système prohibitif et sur les mesures qu’il convient de prendre pour prévenir des troubles qui, dans une province qui veut rester française, pourraient être les suites d’un décret irréfléchi. M. de Mirabeau. Je suis aux ordres de la députation, et j’espère bien lui prouver que j’ai réellement en vue les véritables intérêts de l’Alsace. M. de Cazalès. J’observerai à l’Assemblée que tout roule sur deux points : le premier, de connaître les bases sur lesquelles M. de Mirabeau fonde ses calculs. Ces bases me paraissent parfaitement simples et sages. Avant l’époque de la Révolution, l’impôt rendait 30 millions au Trésor public. On propose d’en supprimer les 2/5 ; il sera donc réduit à 18 millions. L’addition des provinces qui y sont soumises, le moindre prix qui en multipliera nécessairement la consommation et qui restreindra la contrebande doivent faire apercevoir à tous les gens de bonne foi, que l’impôt s'élèvera à 25 millions au moins. Voilà les premières bases générales sur lesquelles on peut apercevoir le produit de cet impôt. La deuxième objection a été faite relativement