ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juin 1789.J 85 [Étals généraux.] ; Dans cette position, la noblesse refuse l’ouverture de conciliation ; par cet acte elle dispense les communes de l’examiner ; car il suffit qu’une partie rejette un moyen conciliatoire pour qu’il doive être regardé comme annulé. L’Assemblée n’a donc plus autre chose à faire que de sommer lès membres des deux Chambres privilégiées de se rendre dans la salle des Etats pour assister, concourir et se soumettre à la vérification com-j mune des pouvoirs. > Après avoir ainsi exposé ces motifs, M. l’abbé Sieyès fait sa motion dans les termes suivants : | L’Assemblée des communes, délibérant sur Couverture de conciliation proposée par MM. les commissaires du Roi, a cru devoir prendre en cousi-djération l’arrêté que MM. de la noblesse se sont hjâtés de faire sur la même ouverture. , Elle a vu que MM. de la noblesse, malgré l’acquiescement annoncé d’abord, établissent bientôt une modification qui le rétracte presque entièrement ; et qu’ainsi leur arrêté à cet égard ne peut être regardé que comme un refus positif. i Par cette considération, et attendu que MM. de la noblesse ne se sont pas même désistés de leurs précédentes délibérations contraires à tout projet de réunion, les députés des communes pensent qu’il devient absolument inutile de s’occuper davantage d’un moyen qui ne peut plus être dit cçnciliatoire, dès qu’il a été rejeté par une des parties à concilier. Dans cet état des choses, qui replace les députas des communes dans leur première position, l’Assemblée juge qu’elle ne peut plus attendre dans l’inaction, les classes privilégiées, sans se rendre coupable envers la nation, qui a droit, sans doute, d’exiger d’elle un meilleur emploi de son temps. � | Elle juge que c’est un devoir pressant pour! tpus les représentants de la nation, quelle que soit la classe de citoyens à laquelle ils appartiennent, de se former, sans autre délai, en Assemblée active, capable de commencer et de remplir l’objet de leur mission. L’Assemblée charge MM. les commissaires qui ont suivi les diverses conférences, dites concilia-toires, d’écrire le récit des longs et vains efforts des députés des communes pour tâcher d’amener lès classes des privilégiés aux vrais principes. E�lle les charge d’exposer les motifs qui la forcent d|e passer de l’état d’attente à celui d’action. Enfin, elle arrête que ce récit et ces motifs seront ijnprimés à la tête de la présente délibération. Mais puisqu’il n’est pas possible de se former ep Assemblée active sans reconnaître au préalable cpux qui ont droit de la composer, c’est-à-dire peux qui ont qualité pour voter comme représentants de la nation, les mêmes députés des communes croient devoir faire une dernière tentative auprès de MM. du clergé et de la noblesse, qui annoncent la môme qualité, et qui néanmoins ont refusé jusqu’à présent de se faire reconnaître. Au surplus, l’Assemblée ayant intérêt à constater le refus de ces deux classes de députés, dans le cas où ils persisteraient à vouloir rester inconnus, elle juge indispensable de faire une dernière invitation, qui leur sera portée par des députés chargés de leur en faire lecture, et de lleur en laisser copie dans les termes suivants : I Messieurs, Nous sommes chargés, par les députés des communes de France, de vous prévenir qu’ils ne peuvent différer davantage de satisfaire à l’obligation imposée à tous les représentants de la ua-tion. Il est temps assurément que ceux qui annoncent cette qualité se reconnaissent par une vérification commune de leurs pouvoirs, et commencent enfin à s’occuper de l’intérêt national, qui, seul, et à l’exclusion des intérêts particuliers, se présente comme le grand but auquel tous les députés doivent tendre d’un commun effort. En conséquence, et dans la nécessité où sont les représentants de la nation de se mettre en activité, sans autre délai, les députés des communes vous prient de nouveau. Messieurs, et leur devoir leur prescrit de vous faire, tant individuellement que collectivement, une dernière sommation de venir dans la salle des Etats, pour assister, concourir et vous soumettre comme eux à la vérification commune des pouvoirs. Nous sommes en même temps chargés de vous avertir que l’appel général de tous les bailliages convoqués se fera dans une heure; que, de suite, il sera procédé à la vérification, et donné défaut contre les non-comparants. La motion de M. l’abbé Sieyès est vivement applaudie. Un grand nombre de membres se lèvent pour l’appuyer purement et simplement ; d’autres y adhèrent , mais proposent différents amendements. M. Kegnault. Il convient de faire au Roi une adresse, dans laquelle on exposera les motifs qui ont forcé les communes à rejeter l’ouverture proposée par ses commissaires, motifs qui portent sur l’opiniâtreté de la noblesse et l’arrêté qu’elle a pris. Gomme le clergé ne montre pas une conduite aussi répréhensible que celle de la noblesse, il ne faut pas employer les mêmes termes pour sommer celui-ci de se rendre dans la salle nationale. M. le comte de Mirabeau soutient qu’il faut prendre défaut, que c’est là un acte extraordinaire que la circonstance exige ; il conclut par dire que l’adresse au Roi, par M. Régnault, est inutile, et qu’il suffit d’écrire à M. le garde des sceaux, puisque l’ouverture a été proposée par le Roi. M***. Le Conseil privé a une trop prodigieuse extension; il faut distinguer la personne du Roi de ce Conseil composé de maîtres de requêtes. L’on doit s’en rapporter à la justice du Roi, présidant la commission des trois ordres, et point du tout à celle du Roi environné d’hommes qui ont acheté le droit de prononcer des jugements souverains, qui savent si adroitement s’accommoder aux circonstances, et qui presque toujours approuvent et consacrent, malgré les cris de leur conscience, les caprices du souverain ou de ses ministres. Ainsi, l’on est autorisé à dire et à croire que le Conseil du Roi, composé de pareils êtres, est nui, et doit être regardé comme tel; que te vrai Conseil du Roi ne doit et ne peut être composé que de commissaires des trois ordres. M. Target. Ne manquons jamais à ces grands principes qui nous font entrevoir la séparation des Chambres et la crainte d’un veto , comme le coup le plus horrible et le plus désastreux porté à la patrie; ne manquons jamais au principe qui nous commande de ne jamais fermer la porte à la réunion des trois ordres. C’est en nous environnant de ces principes salutaires que nous devons délibérer sur l’ouverture proposée par les commissaires du Roi. Mais il n’est que trop vrai que la noblesse l’a rejetée, puisqu’elle ne prétend ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juin 1789. J gjj [États généraux.] communiquer ses actes de vérification que sur les députations de bailliages. Dans cet état de choses, que nous reste-t-il à faire? Ce n’est pas une sommation, parce que nous ne sommes pas constitués, mais une dernière invitation de se se réunir à nous ; s’ils s’obstinent à se taire, nous prendrons leur silence pour un refus. Oui, c’est alors que vous puiserez dans votre sagesse le parti que les circonstances vous présenteront; vous nommerez des commissaires, vous vérifierez, et enfin nous nous serons constitués, mais t< ujours en laissant une porte à la réunion. Et lorsque les préjugés se seront évanouis, lorsqu'ils verront, ces deux ordres privilégiés, que vous n’attaquez ni leurs droits, ni leurs prérogatives, ils regretteront de s’être éloignés de ces lieux, où sont les amis delà justice et de l’équité, leurs frères et leurs concitoyens ; de ces lieux où la nation se rassemble pour régénérer les lois et détruire les abus. Eh 1 sans doute, au moins espé-rons-le, si tous ne se réunissent pas à nous, au moins en aurons-nous une grande partie qui, désavouant des usages absurdes et des préjugés superstitieux, voudront ici se joindre à la portion fa plus nombreuse de l’Etat. Vous aurez triomphé de l’amour-propre ; c’est le plus beau triomphe que l’on puisse obtenir, M. Martineau, après avoir longtemps discuté les raisons pour et contre l’ouverture, dit qu’il fallait l’accepter purement et simplement. M. Trellhard. Les communes, sans se départir du principe, prescrivant que toute vérification de pouvoirs doit être faite en commun, sont également jalouses de donner au Roi les témoignages de leur dévouement et de leur respect, à la nation une preuve de leur attachement aux véritables principes de justice, etc. Elles observent aux deux ordres privilégiés : 1° que la vérification commune est de droit naturel ; que le salut public, ou le plus impérieux des besoins, les invite et requiert de se réunir dans la salle des Etats pour procéder à la vérification en commun ; 2° Que dans le cas où ils ne voudraient pas s’y rendre, on protesterait contre les absents, et que l’on procéderait à la vérification des pouvoirs des députés présents ; 3° Que les difficultés seront décidées dans la Chambre, et portées ensuite à la commission ; 4° Que les difficultés sur les députations de bailliages seront jugées par la commission, à la tête de laquelle sera le Roi. Je me résume, et je dis qu’il faut déclarer, par le présent arrêté, que les représentants de la nation ne pourront jamais abandonner les principes qui intéressent le sort de vingt-cinq millions d’hommes. Plusieurs membres proposent successivement des observations sur la motion de M. l’abbé Sieyès, avec quelques amendements, qui se réduisent à ceux-ci : 1° Exposer au Roi le motif de l’arrêté des communes ; 2° Réclamer contre les principes exposés dans le préambule de l’ouverture. M. l’abbé Sieyès consent aux changements proposés, et ainsi, au lieu du mot sommation ; il substitue celui d'invitation aux deux autres ordres, et il adopte les deux amendements. La motion est mise aux voix avec les deux amendements, par l’appel de chaque député. Il se trouve en faveur de l’arrêté pur et simple 247 voix ; en faveur de l’arrêté et du premier amendement réunis, 246. Quelques voix, au nombre de 51, sont ou pour le renvoi aux bureaux, ou pour le rejet de la motion, ou pour son admission avec les deux amendements. Ainsi, aucune n’a eu la majorité absolue. Plusieurs membres prétendent qu’il n’y a pas décision. Cette circonstance fait naître de longs et vifs débats ; alors M. le doyen déclare qu’il y aura une séance le soir, à cinq heures, dans laquelle l’Assemblée déterminera le parti qu’elle doit prendre. Séance du soir. A l’ouverture de la séance, M. le Doyen rappelle l’objet de la délibération. Ur. membre se lève et représente qu’on a confondu mal à propos les amendements avec la motion ; ce moyen tend à rendre la décision très-douteuse. La seule manière de procéder régulièrement, c’est de dégager la motion principale de ses amendements, ae les mettre successivement aux voix ; ce moyen est le seul qui puisse simplifier les délibérations et en assurer le résultat. Un autre membre dit que l’observation du préopinant sera utile pour l’avenir, mais que, dans ce moment, il s'agit de savoir s’il y a eu ou non délibération sur la motion proposée, et il prétend prouver que l’arrêté a réuni la presque totalité des voix, attendu que ceux qui admettent l’arrêté pur et simple ne diffèrent des autres que sur le premier amendement ; que la question se réduit donc à savoir si l’on adoptera ou non le premier amendement. M. Bailly, doyen. Je demande que ceux qui ont voté pour la motion simple, et qui persistent à rejeter le premier amendement, se lèvent. Trois membres seulement se lèvent, et la motion avec le premier amendement se trouve admise presque à l’unanimité. M. le Doyen consulte l’Assemblée sur cette proposition, et presque tous les membres l’adoptent. Il est convenu aussitôt que, dans la séance et avant la fin, l’arrêté sera rédigé avec l’amendement et signé par M. le doyen et par les adjoints. La rédaction en est faite avec les changements qui ont été adoptés par M. l’abbé Sieyès, auteur de la motion. M. le président la signe avec les adjoints. Sur la proposition d’un des membres, MM. les commissaires pour les conférences sont chargés de la rédaction de l’adresse au Roi, et M. l’abbé Sieyès est prié de concourir à ce travail. ? 11 est décidé aussi que dix de MM. les adjoints se rendront à la chambre du clergé, et lés dix autres à celle de la noblesse, pour porter à chacune l’arrêté qui vient d’être pris par l’Assemblée. M. Dupont fait lecture du procès-verbal des deux dernières conférences conciliatoires. La séance est levée à dix heures et la suivante est indiquée au vendredi 12, neuf heures dü matin.