128 (Assemblée nationale.] frelatés qu’on fabrique à Paris, et que cette contrebande cessera d’elle-même, lorsque les empoisonneurs n’auront aucun espoir de retirer du protit de leur infernale composition. On se permet d’ajouter que la libre circulation des vins, dans l’intérieur du royaume, diminuera la quantité de ceux dont la Hollande est inondée; les prix se relèveront alors, et ce commerce pourra reprendre son ancien lustre. Le vin circulera dans le royaume, dans les années de disette, et le superliu, dans les années d’abondance qui sont toujours ruineuses, ira désaltérer la Hollande et le pays du Nord. Lors de la réforme des tarifs en 1669, où les puissances du Nord imposèrent sur les vins de France des droits d’entrée considérables, Colbert ne sentit pas qu’il était pressant de les alléger des droits de sortie du royaume; dès lors, ceux de médiocre qualité furent remplacés dans le. le nord par les vins d’Espagne et de Portugal. Cette faute a coûté et coûte encore bien des millions à la France. Pour profiter de cette leçon, je me résume, Messieurs, en proposant le projet de décret suivant: L’Assemblée nationale a décrété et décrète : Art. 1er. Les vins de France seront exempts de tous droits de sortie. Art. 2. Pour affranchir ces vins des droits d’entrée du royaume, il sera nécessaire de se pourvoir d’un acquit-à-caution, et de payer les droits de transit tels qu’ils sont perçus sur les vins destinés à passer dans les colonies françaises. Art. 3. Tous les vins de France circuleront librement dans tout le royaume, sans payer d’autres droits que les entrées de Paris, et des octrois modérés, dans les villes qui devront les consommer. Art. 4. Les entrées de Paris et les octrois des villes seront réglés par l’Assemblée nationale et les législatures suivantes, et les différents départements du royaume seront obligés de se conformer aux tarifs qu’elles auront établis dans leur sagesse. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BARNAVE. Séance du samedi 30 octobre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Régnault, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi soir, 28 de ce mois. M. Durand-MIailïane , secrétaire , lit le procès-verbal de la séance d’hier 29 octobre. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Bouche. Monsieur le président, je suis obligé de vous dire que les députés du midi et même ceux du nord s’aperçoivent qu’il fait froid dans la salle. Ils désireraient trouver du feu quand ils arrivent ici. M. le Président. Le président tiendra compte de l’observation de M. Bouche. [30 octobre 1790.] M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, propose deux décrets qui sont adoptés, sans discussion, en ces termes : PREMIER DECRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète a ue la ville de Clermont est définitivement le siège de l’administration du Puy-de-Dôme. « DEUXIÈME DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution sur la pétition du commerce de Saint-Quentin et la demande du directoire du département de l’Aisne, décrète ce qui suit : Art. 1er. « La ville de Saint-Quentin continuera d’avoir un tribunal de commerce. Art. 2. « Le tribunal actuellement existant continuera ses fonctions, nonobstant tous usages contraires, jusqu’à l’installation des juges qui seront élus conformément aux décrets. « Les nouveaux juges seront installés, et prêteront serment en la forme établie par l’article 7 du décret sur l’organisation de l’ordre judiciaire. « M. l’abbé Gouttes fait un rapport sur un projet de remboursement des rentes perpétuelles , imaginé par le sieur Lafarge. Ge rapport, dont l’Assemblée ordonne l’impression, est ainsi conçu (1) : Messieurs, deux objets essentiels font la base de vos opérations : le premier consiste à libérer l’Etat de la dette immense dont il est accablé, et sous le poids de laquelle il gémit depuis si longtemps. Le second est de venir au secours de la classe la plus malheureuse des citoyens, qui gémit depuis si longtemps sous le poids des impôts, delà misère et des infirmités, et contre lesquels il n’a eu, jusqu’à présent, presque aucune ressource pour s’en mettre à couvert. C’est pour vous mettre à portée de remplir ces deux objets essentiels, que je crois devoir vous faire part d’un projet imaginé par le sieur Lafarge, et qui me paraît digne de votre attention. Il s’agit d’une création de rentes viagères au principal de 90 livres pour chaque action payable dans l’espace de dix années, à raison de 9 livres par an. Au moyen de cette mise modique, tout actionnaire a la certitude de jouir tôt ou tard d’une rente viagère de 50, de 150, et enfin de 3,000 livres, qui serait le dernier terme d’accroissement, à moins que l’Assemblée ne trouvât plus à propos de faire tourner au profit des derniers actionnaires les extinctions de ces derniers rentiers ; ce qui a paru d’autant moins nécessaire à l’auteur du projet, et à ceux qui l’ont examiné, qu’ils ont pensé qu’une rente de mille écus pour une mise de 90 livres était assez considérable pour ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cette séance e&t incomplète au Moniteur. (1) Ce rapport n’a pas été inséré au Moniteur . [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES i [30 octobre 1790.) 4 QO satisfaire l’espérance et remplir les désirs de ceux qui auront pris des actions. Il sera libre à chaque actionnaire de remplir son action, en donnant les 90 livres en une seule fois; et si on a donné dix ans pour parfaire cette mise, c’est parce que l’auteur a voulu favoriser la classe du peuple, qui a, jusqu’à présent, excité votre sollicitude, et qui est si digne de votre zèle et de votre attention, puisque c’est elle qui, par ses travaux pénibles et durs, par des privations continuelles et sa fécondité fait réellement le nerf et la force de l’Etat, et n’a le plus souvent pour récompense que les infirmités et la misère, lorsqu’elle ne peut plus gagner sa vie. Au lieu que dans le plan proposé, ceux qui, dans leur jeunesse, auraient épargné chaque année une somme modique de neuf livres pour la placer dans cet emprunt, seraient assurés d’avoir une subsistance honnête s’ils venaient dans un âge avancé, et l’auraient acquise à très peu de frais; d’autres, pour qui des maîtres auraient eu la générosité de faire cette avance (et ce nombre sera grand, car beaucoup de gens riches se proposent d’en prendre), jouiraient de cet avantage sans avoir rien déboursé. Outre cet avantage pour la classe utile du peuple, qui n’a que son travail et son industrie, et qui, éclairée sur ses vrai3 intérêts, préférerait sans doute un placement si avantageux de ses épargnes, à celui qu’il en fait chaque jour à une loterie ruineuse et destructive des bonnes mœurs, la nation y trouverait un moyen de soulager l’Etat, en acquittant des dettes dont les intérêts la grèvent depuis si longtemps. L’auteur propose de créer cinq millions d’actions, qui, à raison de 90 livres chaque, formeraient un capital de 450 millions. .Mais comme tous les actionnaires ne fourniront pas la mise entière en un seul payement, et que ce sera même le plus petit nombre, attendu qu’il n’y aura que les gens riches ou aisé3 qui voudront favoriser leurs domestiques ou leurs enfants, qui feront cette avance, on ne présume, pour la première année, qu’une somme de 45 millions, formée par la première mise de 9 livres par action, et environ 18 millions provenant de 81 livres fournies par ceux qui auront payé en une seule fois toute l’action, lesquelles deux sommes réunies formeront celle de 63 millions ou environ. Les mises suivantes seront nécessairement moindres d’abord, parce qu’il n’y aura plus le même nombre d’actions à remplir; et, en second lieu, parce qu’on suppose avec juste raison, que chaque année il mourra des actionnaires qui ne pourront plus fournir à la caisse, et qu’on ne pourra pas remplacer, parce que, passé la première année, on ne recevra plus d’actionnaires, et que toutes les extinctions qui arriveront dans le courant des dix années doivent tourner au profit de la société, ainsi que celles qui arriveront dans la suite. L’Etat ne payera que cinq pour cent d’intérêt des sommes qu’il recevra tant des mises complètes que partielles qui seront faites; et l’auteur du projet propose de donner, dès la première année, à ceux qui auront fait la mise entière, une prime dp 50 livres de pension annuelle, prise sur l’intérêt de toutes les sommes qui auront été versées au Trésor public par les actionnaires, et dont ils jouiront jusqu’à ce que le sort leur eu ait procuré une plus forte. J’ai dit le sort, parce que n’étant pas possible de procurer à tous les actionnaires un revenu 1" Série. T. XX. considérable, attendu la modicité de leur mise, on a cru qu’il valait mieux qu’il y en eût moins de favorisés, et qu’ils aimeraient mieux l’espoir de 50 livres en tirant au sort, que de n’avoir que 4 livres 10 sols chacun sans tirer. Cette espérance est d’autant plus propre à les engager à prendre des actions, qu’il est question de réunir l’intérêt des mises partielles à celui des mises complètes, pour qu'il y en ait un plus grand nombre de favorisés dès la première année. Et en supposant qu’il y eût, dès la première année, un million d’actions complètes, on donnerait 90,000 primes de 50 livres. Après la dixième année expirée, il sera fait huit classes de tous les actionnaires, et chaque classe aura un nombre déterminé de pensionnaires, qui auront : les uns 50 livres, les autres 150 livres, autant que le revenu des sommes totales des capitaux et intérêts réunis pourra le permettre : les classes une fois faites, elles resteront séparées jusqu’à leur entière extinction. Chaque année on tirera au sort pour remplacer les pensionnaires morts, tant parmi les pensionnaires de 50 livres, que parmi ceux de 150 livres., et dans l’ordre suivant : Ceux qui jouissent des 50 livres tireront pour savoir qui remplacera ceux de 150 livres; et ceux qui ne jouissent pas encore, tireront pour remplacer ceux de 50 livres; et lorsque tous les actionnaires seront en jouissance des pensions de 50 et 150 livres, on réunira les sommes qui proviendront de ces extinctions, pour faire des primes de 3,000 livres, qui seront également adjugées par le sort, et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les actionnaires restants aient 3,000 liv. chacun ; alors les extinctions doivent tourner au profit de l’Etat, ainsi qu’il a été dit ci-dessus. Il n’est pas possible de fixer la somme à laquelle pourra s’élever le produit de cet établissement, parce que personne ne peut prévoir combien il se présentera d’actionnaires. La supposition de l’auteur du projet, qui compte sur cinq millions d’actions, peut se réaliser, comme aussi il peut s’être flatté dans ses espérances; c’est même l’idée qu’en a M. Necker. Mais comme la quantité des mises ne diminue en rien la bonté du projette vais vous en exposer les avantages : Le premier consiste à procurer à l’Etat des fonds qui ne lui coûteront que 5 0/0 en viager ; Le second est le bénéfice que ferait l’Etat sur les sommes qui lui seraient confiées, et qui s’élèverait à 80 millions si les 5 millions d’actions étaient remplis. On pourra en voir le détail exact dans un état fourni par le sieur Lafarge. Le troisième avantage, et le plus intéressant sans doute, est celui de procurer à la classe indigente du peuple une ressource dans la vieillesse et les infirmités qui en sont la suite. Les filles pauvres pourront, avec une action qu’elles auront acquise ou qu’on leur aura donnée, s’établir plus avantageusement qu’elles n’eussent pu le faire sans cette ressource, et donner des sujets à l’Etat. Le maître aura la facilité de récompenser ses domestiques à peu de frais. Les enfants naturels y trouveront, s’ils vivent, la ressource d’une pension alimentaire, qui les mettra à couvert de la misère à laquelle ils sont presque toujours réduits. Les manouvriers, les soldats, les domestiques, enfin tous les individus pourront, avec une légère économie, s’assurer une ressource dans l’âge avancé. A la portée du pauvre, par la modicité de la 9 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1790.] ISO mise, il offre également au riche un moyen assuré et peu dispendieux d’exercer la bienfaisance et la charité envers ceux qui le servent ou lui sont utiles. Tant d’avantages réunis dans un seul établissement sont trop dignes de l’Assemblée nationale, et secondent trop bien ses vues, pour que j’insiste sur les détails. ‘ Les deux buts que s’est proposés l’auteur sont évidents. Le premier fait honneur à son patriotisme : il offre le moyen de venir au secours de l’Etat, en remboursant une portion considérable de perpétuel. Si même cet établissement jouit de toute la faveur dont il est digne, et qu’il aurait infailliblement sous votre protection, il peut nous faire arriver très promptement, et sans secousse, à la libération totale de perpétuel. Je sais que quelques personnes pensent que la masse des biens nationaux suffit aujourd’hui pour combler cet abîme creusé par les prodigalités de l’ancien ministère; mais qu’on réfléchisse que pour rembourser par ce moyen, il faut vendre; et que mettre ainsi tout à.coup, et sans ménagement, en vente la totalité' des biens nationaux, c’est discréditer les autres bien3 particuliers par une concurrence impolitique. Ne perdez pas de vue, Messieurs, que les combinaisons du sieur Lafarge ont une base précieuse, surtout dans les circonstances. Le payement, vis-à-vis des actionnaires remplaçant les créanciers, quoiqu’en viager, reste à 5 0/0; ainsi, l’Etat, qui n’est pas surchargé d’un denier, gagne tous les capitaux, et il conserve ainsi les biens nationaux qu’autrement il faudrait vendre; les revenus de ces immeubles, cessant aussi progressivement d’être employés au service des arrérages, puisque les morts successives des actionnaires les feront disparaître, on pourra concevoir l’espérance consolante, sous une administration sage, de trouver, dans de précieuses économies, le moyen de fournir à des dépenses extraordinaires ou imprévues, dont la nécessité exige toujours de nouveaux impôts sur le pauvre peuple. Le second but de l’auteur, que j’ai annoncé, fuit honneur à son humanité; mais ce développement tient au régime intérieur de sa société. Vous vous rappelez que le sort doit déterminer les chances plus ou moins avantageuses que doivent courir entre eux les actionnaires existants, et que la part des décédés accroîtra aux survivants jusqu’au maximum fixé à 3,000 livres. Dans ce jeu d’espérance vous ne voyez, Messieurs, aucune des immoralités de ces loteries que les bonnes mœurs condamnent, et que les lois doivent proscrire comme funestes aux fortunes. Ici c’est, au contraire, les mises sages et modérées d’une jeunesse prévoyante, pour se ménager la certitude des secours dont la vieillesse éprouve le besoin; c’est, si je puis parler ainsi, la loterie de Ja génération naissance, en faveur de la génération qui périt : on ne confie rien au hasard, si ce nVst l’inquiétude de la survie. Mais je ne crois pas devoir vous soumettre tous les détails de ce régime intérieur. Je pense, d’après vos principes, qu’il suffit que vous décrétiez que e t établissement aura J lieu, d’après les bases que j’ai développées. i Tout ce qui regarde l’exécution doit être dis-î cuté avec les commissaires qu’il vous plaira corn-i mettre. J’ajouterai seulement que l’auteur doit espérer, ; d’après le respect que vous avez toujours voulu que l’on portât aux propriétés, que vous lui confierez l'administration , qu’il dirigera sous l’inspection soit de votre comité des finances» soit sous celle de la municipalité de Paris. Il se charge de tous les frais de l’établissement, quels qu’ils soient, et sans jamais prétendre à aucune indemnité, moyennant les hait deniers pour livre par action , ainsi que cela se pratique. Une observation qui ne vous échappera pas, c’est qu’en vous offrant une ressource aussi utile, l’auteur ne sollicite de l’Assemblée aucun crédit, aucune avance. Je ne dois pas non plus vous laisser ignorer, Messieurs, que ce plan a déjà obtenu les suffrages de plusieurs villes du premier ordre. Le peuple de cette capitale désire son exécution, et la municipalité a arrêté, à l’unanimité, une recommandation spéciale et respectueuse auprès de vous. Mais eu vous découvrant cette nouvelle source de richesses, je sollicite, Messieurs, de votre sagesse, qu’en adoptant les vues de l’auteur, et eu lui accordant, comme inventeur, lu direction de cette entreprise, vous rendez impossibles lés relations entre lui et le ministère : il est juste qu’il justifie, mois par mois, du remboursement des contrats perpétuels jusqu’à la concurrence des actions et des intérêts qu’il aura reçus; que deux commissaires pris dans le sein de celte Assemblée, et successivement nommés par les législatures suivantes, inspectent cette opération; que la plus grande publicité soit donnée à ces étals de remboursements périodiques. Ces sages précautions et cette prévoyance salutaire porteront, n’en doutez pas, le dernier coup à cet agiotage dévorant, qui a desséché si longtemps toutes les branches de l’industrie. Vous lui avez ôté l’aliment des effets royaux échus et exigibles, insensiblement et sans crise vous lui enlèverez, parce moyen, les contrats perpétuels; et ces titres, qui sont frappés aujourd’hui de la défaveur des circonstances, remonteront dans peu au pair. Les premiers remboursements effectués ranimeront la confiance, et cette lutte nouvelle du patriotisme des bons citoyens, contre les efforts des mauvais, laissera sans ressources nos ennemis, et le peuple concevra dès aujourd’hui l’espoir de voir alléger les impôts, qui, malgré vos bienfaits, doivent encore peser longtemps sur lui. PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. L’Assemblée nationale déclare qu’elle approuve le projet d’établissement du sieur Lafarge, à condition qu’il sera placé sous l’inspection directe du Trésor public et de la municipalité de Paris, qui discuteront les cautions du sieur La-farge, en détermineront la quotité eu immeubles, et surveilleront, mois par mois, les remboursements au profit de l’Etat, au prorata et dans la proportion égaie du prix des actions et des intérêts des rentes remboursées, et qui seront versées dans la caisse de cet établissement. Art. 2. Le Trésor public payera au sieur Lafarge l’intérêt des contrats qu’il aura remboursés, et les sommes qui en proviendront seront employées par le sieur Lafarge au remboursement des petits contrats de rentes perpétuelles, et ces payements continueront de lui être faits d’année en aimée, jusqu’à l’extinction des rentes viagères dues aux actionnaires.