[Assemblée nationale.] blaoce que peut avoir notre gouvernement avec celui d’Amérique. Je conclus, Messieurs, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. Buzot. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY, EX-PRÉSIDENT. Séance du samedi 21 mai 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir, qui est adopté. M. le Président. Messieurs, M. Dumont, natif de Valenciennes, sculpteur à P iris, fait hommage à l’Assemblée, d’un buste de Mirabeau. M. Glaude-Rivey, artiste mécanicien, fait également hommage à l’Assemblée de la gravure d’un nouveau métier de son invention, propre à fabriquer des étoffes de soie et autres façonnées en tout genre. Je crois remplir votre intention en accordant à ces deux artistes les honneurs de la séance. {Oui! mi! «— Applaudissements .) M. de Boissy-d’Anglas. Messieurs, je vais vous faire part d’une lettre des administrateurs composant le directoire du département du Gard. « Messieurs, «Nousapprenons que les malveillants répandent avec une maligne affectation que la ville de Nîmes adonné des secours aux Avignonais. Nous vous prions de démentir ces imputations. La ville de Nîmes n’a fait aucune démarche; elle n’a secouru aucun parti ; les citoyens du département du Gard ont gardé, à l’exemple de leurs administrateurs, la neutralité la plus parfaite. Nous avons gémi sur les malheurs de nos voisins; nous avons plaint également Avignon et Garpmlras, et nous avons pris toutes les mesures que nous avons crues propres à préserver nos contrées de la contagion de la guerre civile. « Les administrateurs composant le directoire du département du Gard, « Signé : Vigier, président ; Griolet, procureur général syndic; Rigal, secrétaire-greffier. » (L’Assemblée ordonne l’insertion de cette réclamation dans le procès-verbal.) Un membre : Messieurs, le 19 mars dernier, l’Assemblée nationale a décrété 7 articles concernant les baux emphytéotiques, et un huitième article intitulé : article additionnel ; sur ce dernier article, il a été proposé une addition qui a été adoptée par l’Assemblée et se trouve, en effet, insérée dans le procès-verbal du 19 mars; le 18 avril, 7 autres articles concernant aussi les baux emphytéotiques ont été décrétés, et il a été statué par l’Assemblée que ces 15 articles seraient présentés ensemble à la sanction. Quoique l’article additionnel, décrété le 19 mars, n’ait éprouvé aucun changement, l’addition qui a été 281 alors décrétée a été omise, et dans le procès-verbal du 18 avril, et dans la loi donnée le 27 avril. D’après cet exposé, je demande que l’Assemblée veuille bien ordonner que l’on rétablira dans le procès-verbal du 18 avril et dans la loi du 27 du même mois, l’addition insérée dans le procès-verbal du 19 mars, consistant dans les termes qui suivent : « Et seront tenus les receveurs de district qui auraient reçu des sous - fermiers les fermages desdits bénéficiers, ou partie d’iceux reçus en 1791, d’en remettre le montant aux personnes qui ont souscrit lesdits traités, à la charge par ces derniers de remplir les obligations qu’ils avaient contractées. » (Gette proposition, mise aux voix, est décrétée.) M. le Président. La parole est à M. Cochon de l’ Apparent pour faire un rapport au nom du comité des recherches sur les événements arrivés à Aix, Toulon et Marseille, dans le mois de décembre dernier. M. Cochon de l’Apparent, au nom du comité des recherches (1). Messieurs, vous avez chargé votre comité des recherches de vous rendre compte des événements arrivés à Aix, Toulon et Marseille dans le courant du mois de décembre dernier, ainsi que des procédures qui ont été instruites. Je viens aujourd’hui, Messieurs, remplir en son nom ce devoir rigoureux. 11 s’était formé dans la ville d'Aix 2 sociétés connues : l’une, sous le titre d’amis de la Constitution ; l’autre : sous celui d’antipolitiques. Gette dernière était principalement composée de cultivateurs, d'artisans et de gens de peine; toutes deux professaient les principes de la Constitution, et cherchaient à les répandre; mais elles tenaient leurs séances en des lieux différents. Vers les premiers jours de décembre, on apprit qu’il allait s’en former une troisième sous la dénomination d'amis de l'ordre et de la paix. Des sociétés établies sous le même titre à Lyon, à Perpignan, étaient devenues le signal de la discorde; elle le fut aussi dans la ville d’Aix : l’inquiétude fut générale, quand on sut que, sous ce titre séduisant, des émissaires se répandaient dans les cafés, dans les boutiques, dans les rues, au cours, pour y faire des prosélytes; que l’on promettait aux uns de l’ouvrage, aux autres de l’argent et des distributions de pain; quand on sut que les chefs de cette nouvelle société étaient mécontents de la nouvelle Constitution et ne s’en cachaient pas; quand enfin l’on vit ses chefs, ses plus ardents sectateurs, décrier ouvertement les opérations de l’Assemblée nationale, afficher le mépris pour ses décrets, manifester l’espoir d’un changement très prochain, agacer la sensibilité du peuple, et irriter sa fureur par d’insolentes bravades et d’indécentes provocations. Le 12, cette nouvelle société devait ouvrir ses séances; ce jour-là, vers 4 heures de l’après-diner, le club des amis de la Constitution envoya une députation à celui des antipoliliques, pour y porter le vœu de leur réunion ; ce vœu fut accueilli avec transport; le serment civique fut à l’instant renouvelé, et le club sortit pour se réunir à celui des amis de la Constitution. A 6 heures, les 2 clubs réunis passèrent sur le cours aux acclamations des citoyens et aux cris de : vive la nation. A peine étaient-ils passés, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1791.] (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (1) Ce rapport est incomplet au Moniteur 282 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1791.] qu’un coup de sifflet partit du café de Ganati, situé sur le cours; c’était dans ce café principalement que s’était fait l’enrôlement des membres du nouveau club. A ce coup de sifflet on répondit par des huées. Fort près du café était le cercle de Guyon, société d’amusement où se rendaient les ci-devant nobles, et où, dil-on, eux seuls étaient admis. Sur la porte du cercle était, ou se présenta, M. de Guiramand, chevalier de Saint-Louis, vieillard octogénaire, l’un des principaux chefs du nouveau club, qui souvent, mais surtout dans la matinée de ce jour-là, avait provoqué l’indignation des citoyens par des airs menaçants et des propos injurieux contre l’Assemblée nationale et qui, suivant la déposition de plusieurs témoins, avait promis de l’argent à des ouvriers pour leur faire arborer la cocarde blanche. M. de Guiramand, furieux des huées qu’il avait ou non excitées, tira dans l’instant même sur le peuple un coup de pistolet. Alors l’indignation des citoyens n’eut plus de bornes : des coups de pistolet et de fusil furent tirés sur le cercle; il fut assailli par une grêle de pierres; M. de Guiramand est blessé à la cuisse d’un coup de feu; le peuple se précipite, veut forcer la maison, et de tout côté on court aux armes. 10 à 12 officiers du régiment de Lyonnais jouaient dans une salle; on leur dit que leur vie est en danger ; ils délibèrent sur le parti qu’ils ont à prendre; ils sortent l’épée à la main, la foule s’écarte : ils courent au quartier; on leur tire des coups de fusil ; 2 d’entre eux sont blessés. A leur arrivée au quartier, ils font prendre les armes au régiment ; on distribue des cartouches. M. de Valeix, le plus ancien capitaine, en l’absence du major, commanda de marcher par le flanc droit ; les tambours ont dépassé la porte : les grenadiers s’arrêtèrent et refusèrent de marcher sans la réquisition de la municipalité. Le major arrive, fait défense de marcher sans cette réquisition. Quelques officiers insistent pour que l’on fasse sortir le régiment; l’un d’eux crie aux soldats : qui m’aime me suive! 9 à 10 sortent des rangs; Je major s’en aperçoit, fait un signe de la main; ses soldats reprennent leur rang; le major est mandé à la municipalité; il s’y rend après avoir donné des ordres et peu après le régiment rentre. Quelques officiers avaient été arrêtés dans la ville et conduits à la maison commune; plusieurs avaient couru des dangers de la part du peuple, qui demandait vengeance à grands cris. La municipalité s’informe, examine, interroge: elle garantit les officiers arrêtés, les arrache à l’emportement de la multitude et les fait relâcher; mais elle craint les suites de cet emportement; elle craint un combat entre les citoyens et le régiment de Lyonnais. Elle requiert le major de le faire partir à l’instant, l’ordre est donné et le régiment part à 7 heures du matin. L’accusateur public avait déjà rendu plainte sur les événements de la veille. Un grand nombre de témoins furent entendus, et dans le récit que je viens de vous faire, vous avez vu, Messieurs, le précis des informations. Plusieurs officiers du régiment de Lyonnais, le sieur de Guiramand et quelques citoyens qui avaient le plus ardemment travaillé à la formation du club des amis de l’ordre et de la paix, furent décrétés de prise de corps ; d’autres, d’ajournement personnel. Arrêtons-nous, Messieurs, à cette première époque, et discutons avec le calcul de la réflexion cette première partie de l'affaire; pe-sons-en toutes les circonstances avec le sang-froid de la raison. Au mois de septembre précédent, le sieur Pas-chalis avait adressé à la chambre des vacations du parlement d’Aix, un discours dans lequel, après avoir manifesté sa haine pour la Révolution, il annonça les plus grandes espérances d’un premier retour à l’ancien ordre. Ce discours fit la plus vive impression et pensa coûter la vie à son auteur; cependant les esprits parurent se calmer ; mais, dans cette dernière circonstance, on se rappela les espérances du sieur Paschalis, les scènes désastreuses qu’avaient produit ailleurs des clubs de même nom et de même composition ; et l’agression du sieur de Guiramand parut le signal d’une contre-révolution. Votre comité, Messieurs, n’y a pas trouvé ce caractère , c’est la criminelle extravagance des mécontents forcenés qui a produit une rixe dont les suites ont été funestes à celui-là même qui l’a excitée et à ceux qu’on soupçonnait de l’avoir préparée. Les officiers du régiment de Lyonnais devaient être les agents de cette contre-révolution ; et cependant sur tous ces officiers, 10 à 12 seulement se trouvaient du cercle et y jouaient tranquillement; les autres étaient dans des maisons particulières ou à la comédie. On ne savait pas le matin que les deux clubs se réuniraient le soir, et qu’ils passeraient sur le cours, où on pourrait les insulter. Il s’est écoulé un intervalle de deux heures entre le passage du club des antipolitiques et celui des deux clubs réunis, sur le cours. C’en était assez, s’il y avait eu plan concerté pour y réunir sur le cours ou aux environs, et les officiers du régiment de Lyonnais et les membres du nouveau club. S’il y avait des projets et un plan déterminé, il est au moins certain qu’on n’avait pas choisi ce moment-là pour l’exécution. Il faudrait leur supposer dans ce système la plus parfaite nullité de moyens, et alors ils n’étaient pas à craindre, ou bien des projets qu’ils ne devraient réaliser que dans un instant plus reculé, et alors la scène du 10 n’était pas préméditée. Cependant la réunion des circonstances et des motifs de crainte, a été telle qu’elle a pu égarer le peuple; mais ce n’est pas ici le peuple qu’il faut juger. Des membres du club et des officiers du régiment de Lyonnais ont été décrétés. Les premiers ont déjà obtenu du tribunal leur élargissement provisoire : il a été refusé aux seconds. Le tribunal a donc mis une différence dans la cause des accusés, et en effet elle n’est pas la même. De quoi accusait-on les citoyens membres du club ? de moyens dangereux ou criminels ou vils, qu’ils avaient employés pour le former. Des moyens vils I la bassesse n’est pas du ressort des tribunaux ordinaires. C’est le tribunal redoutable de l’opinion publique qui la juge. Des moyens criminels ! la loi ne doit pas les supposer; iïs doivent être prouvés, et ici ils ne le sont. Enfin, des moyens dangereux ! ceux qu’on a employés pouvaient le devenir. Il y a eu pour faciliter, pour multiplier l’agrégation, des promesses d’ouvrage, d’argent, de distribution de pain, mais aucune de ces promesses n’a été réalisée. La municipalité pouvait seule connaître et apprécier les dangers, et la municipalité n’a pas cru devoir s’y opposer. Les informations à cet égard ont été suivies avec la plus grande activité; on les a même épuisées; et cependant, d’après plus de trois cents témoins entendus, on n’a acquis la [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1191 283 preuve d’aucun acte sur lequel la loi pût exercer son action. À l’égard des officiers, leur cause doit être envisagée sous deux rapports différents. Ils ont pu se rendre coupab'es de deux manières, comme citoyens et comme soldats; il faut donc examiner leur conduite sous ces deux faces. Ils ont prouvé que les officiers qui se trouvaient au cercle de Guyon D’ont pas provoqué le peuple; il est prouvé qu’aucun d’eux n’était membre du nouveau club; il est prouvé que la rixe a été commencée par le coup de pistolet que tira le sieur de Guiramand sur le peuple, et que le peuple, assaillant le cercle à coups de fusil, de pistolet et de pierre, on avertit les officiers que c’était à eux qu’on en voulait : il est prouvé, enfin, qu’ils sortirent du cercle, l’épée à la main, se retirèrent au quartier; et que, dans leur retraite, on tira sur eux des coups de fusil et de pistolet. Quelques témoins déposent qu’en sortant du cercle les officiers étaient armés de pistolets; mais ceux-ci contredisent formellement ce fait. Ils ont proposé leurs faits justificatifs, à l’appui de cette assertion. Ils ont nommé leurs témoins, et le tribunal ne les a pas fait entendre. Ce fait, cependant, valait bien la peine d’être éclairé, non pas que les officiers assaillis ne pussent se défendre avec des armes à feu, car, dans le cas d’une légitime défense, on se défend comme on peut; mais, parce qu’il n’était pas naturel qu’ils eussent de pareilles armes dans une maison où ils n’étaient censés aller que pour amusement, et qu’ils pouvaient faire soupçonner un complot. Suivons maintenant les officiers au quartier et voyons quelle conduite ils ont tenue. En arrivant ‘ils firent prendre les armes au régiment. On distribua des cartouches et le sieur de Valeix, qui commandait en l’absence des autres chefs, fit le commandement : par le flanc droit, 1er fait incontestable. M. de Valeix justifie le mouvement qu’il fit faire à sa troupe, en disant que son intention était de mettre le régiment en bataille sur la chaussée de Toulon, pour être plus tôt prêt à obéir à la réquisition de la municipalilé, lorsqu’elle arriverait. Le major depuis défendit la sortie du régiment, et les autres officiers affirment que telle fut l’intention de M. de Valeix, quilaleur avait communiquée, et votre comité a été satisfait de cette explication. Les autres officiers ont manifesté des intentions différentes, car il est prouvé qu’ils exprimèrent le désir d’entrer dans la ville pour délivrer leurs camarades, qu’ils croyaient en danger, et qu’ils firent même des instances au major, pour qu’il prît ce parti, auquel il se refusa constamment. Ils disent que leur intention était la même que celle de M. de Valeix, et dans la proposition de leurs faits justificatifs, ils offrent de prouver qu’ils n’ont pas eu le dessein d’entrer dans la ville et que d’ailleurs ils ne l’auraient pas pu puisque les portes étaient fermées. On peut répondre aux officiers : 1° qu’on ne détruit pas une preuve positive par une preuve négative; 2° que leur intentionesttrès clairement exprimée par les propositions qu’ils firent au major et que la position plus ou moins commode du régiment n’était pas une raison suffisante pour faire d’aussi vives instances; 3° que l’extrême agitation dans laquelle ils se trouvaient avait pu les aveugler sur l’impossibilité apparente d’entrer dans la ville. Cependant, Messieurs, votre comité a moins vu, dans la conduite de ces officiers, le dessein de violer les lois, qu’un simple conseil d’inférieur à un supérieur, et qui peut être excusé par ses motifs et par les circonstances. Mais il en est un dont il serait difficile d’excuser les torts; c’est celui qui, voyant le refus positif et persévérant du major, de faire sortir le régiment, cria aux soldats : Celui qui m'aime, me suive . Mais peut-être penserez-vous, Messieurs, que ce propos qui, d’ailleurs, n’a eu aucunes suites fâcheuses, et qui n’a vraisemblablement été que le fruit de l’imaginatiou échauffée d’un jeune homme exalté par les. circonstances et les risques qu’il avait courus, et animé du vif désir de secourir ses camarades, dont il croyait la vie exposée, a été assez puni par une détention de 5 mois. Me voici arrivé, Messieurs, à 'la partie la plus affligeante de ce rapport, aux événements qui succédèrent à la scène du 12, et qui en furent l’affreux résultat. La municipalité, comme vous l’avez vu, avait requis le départ du régiment de Lyonnais ; elle croyait assurer la tranquillité publique en éloignant cette troupe qui, jusqu’à ce jour malheureux, avait mérité par son civisme et son attachement à la discipline l’estime des citoyens d’Aix et les éloges de l’Assemblée nationale. Elle sentit, d’un autre côté, le besoin d’une force publique dans un moment orageux et elle requit un détachement de400 hommes delagarde nationale de Marseille, et 400 hommesdu régiment d’Ernest, qui y était en garnison. Ces secours lui furent accordés et ils arrivèrent dans la journée du 13. A leur suite était une troupe d’hommes armés, que la curiosité avait tirés de Marseille. M. Paschalis, odieux au peuple par les discours qu’il avait faits au parlement d’Aix, contre la Révolution, avait été arrêté dans une maison de campagne, près de la ville, amené à Aix, et conduit à travers mille dangers à la maison commune. Le peuple demandait sa tête; les officiers municipaux crurent le sauver en l’envoyant dans les prisons placées au quartier; ils en confièrent la garde aux 400 hommes du régiment d’Ernest, jointe à 50 gardes nationales d’Aix et à un pareil nombre de ceux de Marseille. Les 3 administrations, qui s’étaient réunies pour délibérer sur l’état alarmant de la cité donnèrent, une réquisition par écrit aux commandants de ces corps respectifs d’avoir à garantir les prisons de toute violation intérieure et extérieure. La nuit du 13 au 14 s’étant passée sans nouveaux troubles, le lendemain matin les corps administratifs requirent le départ du détachement de Marseille et envoyèrent une députation pour veiller à ce départ. Le peuple, mêlé aux étrangers venus de Marseille, demande à grands cris la tète de M. Paschalis et court aux prisons pour l’eu tirer. Il avait été devancé par une autre troupe qui avait pénétré dans le quartier où il n’avait pas trouvé de résistance et qui s’efforçait de briser à coups de bâche les portes de la prison. Le procureur général syndic y vole; il est insulté, maltraité, et on menace de le pendre. Trois officiers municipaux arrivent un moment après; ils font les derniers efforts pour engager le peuple à se retirer. Ces furieux sont sourds à la voix de l’autorité comme à celle de l’humanité ; ils se jettent sur les officiers du peuple, les maltraitent, leur présentent la pointe de leurs sabres, et ils arrachent d’eux enfin l’ordre de livrer Paschalis. Les gardes nationales d’Aix et une partie de celles de Marseille étaient débandées. Les chefs font d’inutiles efforts pour les rallier. Le commandant du régi- 284 [Assemblée nationale.] . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1791.] ment d’Ernest était allé à la maison commune chercher de nouveaux ordres. Tout est dans la plus horrible confusion. Le malheureux Paschalis est entre les mains de ses bourreaux ; Paschalis n’est plus. Avec lui avait été livré M. Laroquette, arrêté la veille. Celui-ci n’était pour rien dans l’affaire du club ni au cercle ; mais autrefois sa voiture avait écrasé un enfant: tout récemment il avait refusé le remboursement des droits féodaux. Il périt aussi victime de la vengeance du peuple. Guiramand, décrété de prise de corps par le tribunal, pour la scène du 12, est aussi arrêté par le peuple furieux, et paye de sa tête les crimes qu’il a provoqués. Tous ces crimes sont restés impunis. La terreur avait enchaîné les organes de la loi. Elle fut muette ; et celui qui a provoqué ces sanglantes exécutions, celui qui, tous les jours, égare le peuple en prêchant le partage des terres et le refus des impôts, cet homme n’est pas poursuivi 1 L’accusateur rend plainte des événements désastreux du 12 ; il en poursuit la vengeance avec la plus grande activité et, en cela, il fait son devoir, mais trois citoyens sont immolés aux yeux des trois administrations réunies; et les assassins vivent ! L’autorité légitime est méconnue, outragée; les lois sont insolemment violées, et les lois se taisent ! A quel excès de désordre sommes-nous donc arrivés si nous n’avons des juges que pour être les témoins muets et impassibles des vengeances de la multitude ! Mais peut-on punir tout un peuple ? non, sans doute! Ce n’est jamais le peuple qu’il faut punir, parce que ce n’est pas le peuple qui est coupable ; ce sont ceux qui l’égarent qu’il faut vouer à l’anathème de leurs concitoyens et à ta vengeance des lois. Enlin, j’ai terminé le récit déplorable des événements d’Aix ; il me reste à vous rendre compte des procédures instruites à Marseille et à Toulon. Je tâcherai, Messieurs, de concilier le respect dû à vos moments avec l’exactitude que mon devoir me prescrit. Après la mort de Paschalis, on trouva dans ses papiers, entre autres lettres confidentielles que lui écrivaient ses amis et qui toutes se rapprochaient plus ou moins du goût et des idées ae celui auquel elles étaient adressées, deux lettres du sieur Gyprien Granet, homme de loi à Toulon. Ges lettres furent portées à la société des amis de la Constitution à Aix, qui les envoya à celle de Toulon, et celle-ci à la municipalité qui fit faire une visite chez le sieur Granet. On mit les scellés sur les papiers; il fut arrêté et dénoncé à l’accusateur public qui rendit plainte. Le jeune homme faisait un magnifique éloge du discours de Paschalis ; il admirait son courage, soupirait après le retour de l’ancien ordre, faisait d’indécentes railleries sur la nouvelle administration ; il voulait plaire à Paschalis et le prenait par son côté faible. Du reste, ces lettres ne renfermaient aucun plan, aucunes vues, aucuns moyens. C’était tout simplement les lieux communs de l’aristocratie ; elles firent la base de la dénonciation ; le tribunal informa et décréta ; mais la procédure n’a appris que ce que l’on savait déjà, que le sieur Granet n’aimait pas la Révolution. La procédure faite à Marseille contre les sieurs Lieutaud, Lambarine et autres, présente un point de vue différent. Pendant les événements d’Aix, des lettres anonymes accusèrent M. Lieutaud d’être un lâche conspirateur. Il reçut lui-même une lettre particulière qui lui donnait avis qu’on devait aller dans la nuit chez lui, sous prétexte de visiter ses papiers, et que, s’il reslait, il serait exposé à une mort certaine. Tout le décida à fuir, pour se soustraire aux fureurs du peuple irrité. Il s’embarqua en conséquence, le 17 décembre au soir, sur un vaisseau catalan avec son épouse et M. Lambarine sans avoir pris aucun passeport. Celte fuite fut dénoncée à la municipalité, comme une preuve du crime ; elle reçut des déclarations qui accusaient le sieur Lambarine d’avoir distribué de l’argent pour le sieur Lieutaud. La municipalité les décréta de prise de corps et les envoya réclamer auprès du directoire du département du Var sur le territoire duquel, te vaisseau ayant relâché à cause du mauvais temps, les 2 passagers avaient été arrêtés faute de passeports. Le département répondit qu’une municipalité n’avait pas le droit de lancer des décrets de prise de corps; la municipalité envoya un instant un courrier à Toulon pour notifier au déparlemeut qu’on le rendait responsable de tous les événe-nements s’il donnait la liberté aux accusés ; qu’elle n’avait pas cru qu’il fallait traiter une question de compétence dans uae affaire où il s’agissait du salut public; qu’au surplus le tribunal allait informer. En effet, Messieurs, le tribunal s’assemble pendant la nuit du 27 au 28, il déclare nuis les actes de la municipalité, ordonne l’information, et, sans informer, expédie les décrets de prise de corps qui partent pour Toulon, à 5 heures du matin. M. Lieutaud est amené à Marseille enchaîné; il demande qu’on l’interroge, et 48 jours se passent sans qu’il obtienne sa demande. On prolonge la procédure avec une espèce d’affectation; 4 requêtes sont présentées pour obtenir la liberté de voir ses parents et ses conseils, 36 témoins sont entendus dans cette procédure, et il n’existe contre le sieur Lieutaud ni traces, ni indices de complot. Enfin il n’existe pas de procédure. S’il y en avait une, je vous dirais, Messieurs, que Lambarine est convaincu d’avoir distribué de l’argent. Ses dénonciateurs prétendent qu’il voulait exciter la guerre civile ; le sieur Lambarine soutient que ces distributions avaient le double objet de secourir des malheureux et de faire des partisans au sieur Lieutaud pour le faire réélire au commandement de la garde nationale, dont il avait été dépossédé par une intrigue de la municipalité. Les dépositions sur ces distributions d’argent varient beaucoup ; cependant ce qui a paru le plus probable à votre comité, c’est le dessein de rappeler le sieur Lieutaud au commandement. Vous vous êtes sans doute aperçus, Messieurs, par l’exposé que je viens de vous faire des faits et de la procédure, que la conduite de la municipalité et du tribunal de Marseille n’a pas été très régulière. Ges corps n’ont pas été exempts de préventions, toujours redoutables dans des hommes publics, qui doivent être inaccessibles à tout autre sentiment qu’à celui de la justice. Votre comité a pensé cependant que les erreurs du moment pouvaient être excusées, par les circonstances critiques où se trouvait cette partie de la ci-devant Provence. Enfin, Messieurs, les preuves de civisme et d’attachement à la Constitution qu’ont données dans toutes les circonstances les villes d’Aix et de Mar- [21 mai 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. seille, l’époque des faits déjà assez reculée, le désir de maintenir la tranquillité et la paix dans une partie intéressante de l’Empire français, l’avis unanime des députés des deux départements du Yar et des Bouches-du-Rhône, tout a engagé votre comité à vous proposer de vouer à l’oubli les procédures instruites à Aix, Marseille et Toulon, et de jeter un voile sur les irrégularités que vous avez pu remarquer dans celles de Marseille, et dont celles d’Aix n'est peut-être pas même totalement exempte. La seule mesure de sévérité que votre comité vous proposera, sera contre ceux qui ont commis et provoqué directement les crimes commis à Aix le 14 décembre. Aujourd’hui que la Révolution est faite, que les différents pouvoirs sont délégués et organisés, il est temps que la loi reprenne enfin son empire, et que sa juste mais inflexible sévérité, en effrayant les ennemis du bien public, rassure les citoyens honnêtes et paisibles, et devienne le garant assuré de la félicité publique et individuelle. Je ne dois pas oublier de vous dire, Messieurs, que les commissaires du roi vous ont été dénoncés par le club de Marseille, comme des ennemis de la liberté publique. La sage modération de ces citoyens déplaît à quelques hommes qui se plaisent dans l’anarchie, et qui élèveraient les mêmes commissaires jusqu’aux nues, s’ils partageaient l’exagération de leurs principes et l’emportement de leurs opinions. Votre comité n’a trouvé ni fondement ni prétexte dans cette dénonciation. Voici le projet de décret qu’il a l’honneur de vous proposer : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait par son comiié des recherches, en exécution du décret du 15 janvier dernier, des procédures instruites à Aix, Toulon et Marseille, pour crime de lèse-nation, déclare qu’il n’y a pas lieu à accusation contre les sieurs Lambarine, Lieutaud, Oscur, Ghalier, Fontane, Amphouse, dit Parroy, Camoin, Bou-rillon, Beyres, Foessier, Bilat, Augustin, Granet, Anglès père et fils, Copet, Moutte, Valeix, Bros-sard, Lambertye, üuvernine, Gorvisart, Latour, Toponat, Dypres, Savignac, Brulard, Richard, Mignard, Darbaud, Amielh, de Gneyde, Ribot, Martelly, Duveyrier, Mazenod, Eyssautier, Lamarre, Dubreuil, Chambon, Armand, Brunei et Geoffroy; « Décrète, en conséquence, que les procédures instruites sur les plaintes des accusateurs publics d’Aix, Marseille et Toulon, seront regardées comme non-avenues; et que ceux d’entre les ci-dessus dénommés qui sont prisonniers, seront relaxés des prisons où ils sont détenus et remis en liberté. « Décrète, en outre, que le roi sera prié de donner des ordres pour que les auteurs et instigateurs directs des crimes commis à Aix le 14 décembre dernier soient poursuivis. « Décrète que le président se retirera par devers le roi pour le prier de donner les ordres les plus prompts aux commissaires qu’il a envoyés dans le département des Bouches-du-Rhônes, pour l’exécution du présent décret. » (Ce décret est adopté.) Un membre du comité d'aliénation propose un projet de décret portant vente de domaines nationaux à la municipalité de Lille. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qni lui a été fait par son comité d’aliénation des domaines nationaux, de la soumission faite le 10 mai 1790, par la municipalité de Lille, canton de Lille, district de Lille, département du Nord, en exécution de la délibération prise par le conseil général de la commune dudit lieu de Lille, le 8 mai de la même année, pour, en conséquence du décret du 14 mai 1790, acquérir, entre autres domaines nationaux, ceux dont l’état est annexé à la minute du procès-verbal de ce jour, ensemble les évaluations ou estimations faites desdits biens, en conformité de l’instruction décrétée le 31 dudit mois de mai dernier, « Déclare vendre à la municipalité de Lille les biens ci-dessus mentionnés, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790, et pour le prix de 5,502,741 1. 6 s. 4. d. et demi, payables de la manière déterminée par le même décret. » (Ce décret est adopté.) M. le Président. On vient de me remettre un paquet envoyé par l’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue ; ce paquet contient une lettre de cette assemblée, datée du Gap le 15 mars 1791. La voici ; « Monsieur le Président, « Nous devons vous rendre compte des événements qui viennent d’arriver au Port-au-Prince, où le colonel du régiment de ce nom a été assassiné par ses soldats ; mais, quoique nous n’en soyons qu’à six lieues, les versions sont si différentes que nous serons forcés de nous en tenir à vous envoyer l’adresse de M. de Blan-chelaude aux citoyens de la colonie. Ce loyal général a été forcé de se retirer dans la province du Nord, où il ne cessera jamais de suivre vos décrets sanctionnés par le roi. « Une des frégates qui font partie de la station a apporté ici le germe de l’insurrection qui existait au Port-au-Prince; mais une députation, précédée du drapeau national que nous avons envoyé aux trois frégates et aux trois corvettes qui sont dans notre rade, a décidé les équipages à en envoyer une dans notre sein. En croisant leur drapeau avec le nôtre, nous avons renouvelé à l’Assemblée le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de soutenir de toutes nos forces les décrets nationaux. Cependant nous ne serons pas tranquilles tant que les soldats et les officiers actuellement au Port-au-Prince n’auront pas donné les preuves authentiques de leur retour à la subordination. « Nous sommes avec respect, etc. « Signé : Les membres de l’assemblée provinciale. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre et des pièces y jointes au comité des colonies.) M. Poncin, au nom du comité du commerce et d'agriculture , fait un rapport sur le canal de Givors; il s’exprime ainsi : Messieurs, le canal de Givors, dans le département de Rhône-et-Loire, a été construit aux frais d’une compagnie; quoiqu’on y navigue depuis 1781, il est néanmoins encore imparfait. Des lettres patentes du mois de décembre 1788, enregistrées au parlement de Paris le 5 septembre 1789, ordonnèrent que des travaux, nécessaires à sa perfection, seraient exécutés suivant les plans et devis j annexés.