364 (Assombléc nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1789.] nir au secours de la chose publique qui périt? Des cahiers dont la pluralité n’est rien moins qu’établie sur cet objet; des cahiers dans lesquels on n’a ni prévu ni pu prévoir l'état actuel des choses; des cahiers qu’on met perpétuellement à l’écart, dont on se souvient trop peu sur les autres objets, et qui, quand même on les rappellerait pour tous devraient être oubliés pour celui-ci. Mon cahier m’avait aussi prescrit à moi de ne consentir aucun emprunt jusqu’après la reconnaissance et la confirmation des droits constitutionnels. Je ne dirai pas que ce même cahier m’enjoignait d’un autre côté de rendre les propriétés sacrées, et que sans un emprunt toutes les propriétés vont être violées. Je ne dirai pas qu’ailleurs il exprimait le vœu qu’aucune dépense nécessaire ne restât suspendue, et qu’elles le seront toutes si l’on n’accorde un emprunt. Je ne dirai pas qu’il voulait encore que la dette publique fût consolidée, et que sans l’emprunt elle va cesser d’être acquittée. Mais je dirai que cet article, fùt-il resté aussi obligatoire qu’il l’était devenu peu par les autres articles qui l’ont suivi , à partir de ce moment seul, je me croirais obligé par celte loi suprême du salut du peuple , de voter l’emprunt qu’on nous demande, et que je m’v croirais obligé sous peine de trahir mon devoir de citoyen, mon devoir de Français et mon devoir de représentant de la nation. Je dirai qu’il y a une grande différence à mettre dans les cahiers entre ce qui est point fondamental de gouvernement ou de législation, par conséquent invariable, et ce qui est simplement règle de conduite, par conséquent soumis aux circonstances et nécessairement abandonné à notre conscience. Je dirai que toutes les clauses conditionnelles imaginées pour assurer la constitution sont sans objet, et parconséquent sans force, aujourd’hui que la constitution est sûre, aujourd’hui qu’il n’est pas de pouvoir sous le ciel qui puisse l’empêcher, comme il n’en est plus, grâce au ciel, qui le veuille. Je dirai enfin, en me servant des mêmes paroles proférées avec tant d’âme et de vérité, il yaquel-ques jours, par un honorable membre de cette Assemblée, que si nous refusons l’emprunt qui nous est demandé, nous risquons de faire une constitution pour une société qui no sera plus, de dresser des lois qui ne serontplus destinées à régir le sort, de personne, et d’être coupables, aux yeux de l’univers et de la postérité, de la dissolution déchirante du plus bel empire qui ait jamais existé. Mais devons-nous voter par acclamation, sans examen? Non, Messieurs. Le ministre si digne de notre confiance n’a sûrement pas eu l’idée de nous faire illusion ; il ne veut point emporter nos délibérations par un entraînement momentané. Concilions le devoir de notre prudence avec celui de notre zèle. Que le comité des finances s’assemble dès ce soir, qu’il s’instruise de la nécessité de l’emprunt quant au fond, qu’il nous fasse connaître son opinion sur la forme, et qu’il mette l’Assemblée en état d’ouvrir sa séance dès demain par celte délibération, de laquelle peut dépendre médiatement ou immédiatement le sort de la France. M. le comte de Mirabeau. J’avoue que je suis pressé entre la nécessité d’un emprunt et la lettre impérieuse des mandats. La première idée qui se présente à moi, c’est de donner l’exemple des contributions patriotiques et volontaires. Offrons notre crédit individuel ; voilà ce que nous devons à nous-mêmes et à la chose publique : s’il faut quelque chose de plus, adressons-nous à nos commettants, demandons leur autorisation, pour subvenir au courant de mois en mois ; surtout, faisons convoquer les assemblées provinciales, afin qu’elles pourvoient aux moyens de rétablir les perceptions et de rendre aux provinces la tranquillité. Au reste, ce que je dis ici n’est peut-être pas ce que je proposerais si j’avais le temps de réfléchir, du moins je ne l’assure pas ; mais je conclus de la situation dans laquelle je me trouve que la délibération doit être ajournée. M. de Blacons demande le renvoi au comité, et la réserve d’assigner pour gage de cet emprunt les biens du clergé qui appartiennent à la nation. On demande de tous côtés d’aller aux voix pour savoir si on délibérera à l’instant, ou si on enverra au comité des finances. Cette proposition, avec tous les mémoires remis par M. Nccker, est renvoyée au comité des finances, qui est chargé de les examiner et d’en faire demain le rapport à l’Assemblée. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du samedi 8 août 1789. M. le Président dit que le comité des finances n’a pas terminé ses opérations, qu’il n’achèvera que sur les onze heures ; que, jusqu’à ce moment, il propose d’entendre le comité des rapports. Cette proposition n’est pas acceptée. On revient au projet d'arrêté du 4 sur les privilèges. M. Frcteau donne lecture de l’article VI ; il est ainsi conçu ; « Les justices seigneuriales sont supprimées sans indemnité, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fondions jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée au moyen de rapprocher la justice royale des justiciables » M. lePrésident observe qu’il n’y a de discussion à faire que sur la forme de la rédaction. Ce ¬ pendant il y a plus de douze personnes qui ont parlé toutes sur le fond, ce qui a troublé l’ordre. M. de Custine propose d’ajouter: « toutes justices. » M. Pison du Galland propose de changer la fin de l’article, et d’y substituer : * Jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée à un remplacement plus avantageux pour le peuple, d’après les renseignements des assemblées provinciales. » M. le baron de «fuigné ajoute qu’il ne faut pas supprimer les justices foncières, parcequ’elles sont un lieu entre le vassal et le seigneur, soit par [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1789.] les tutelles, soit par les inventaires, enfin par tous les actes d’une justice locale. M. le comte de Dortan représente qu’en abolissant les justices seigneuriales on donne une grande liberté aux gens de la campagne pour toutes sortes de dévastations, que les forêts étaient déjà dévastées, et qu’ainsi les procédures commencées pour fait de ces délits demeureraient suspendues, et qu’il n’y aura plus de frein à opposer à la licence. M. Lanjnïnais détruit cette assertion en disant que les procédures commencées ne seront pas suspendues, puisque les officiers des justices seigneuriales doivent encore continuer leurs fonctions. M. de Gustine. Votre intention a été, en supprimant les justices seigneuriales, d’améliorer le sort des peuples-, mais votre but ne sera pas rempli, tant que vous laisserez subsister les prévôtés. Je demande que l’article porte : « Que toutes les justices seigneuriales seront supprimées, sous quelque dénomination qu’elles soient. » M. de Turkeim, député de Strasbourg, demande une exception par rapport à l'Alsace, où des princes étrangers possèdent divers droits de féodalité en vertu des traités passés avec nos rois, et dont ils ne manqueront pas de réclamer l’exécution. Il fait le détail de ces droits, et demande qu’ils ne soient pas supprimés sans indemnité. M. Lemoine de Bielle-Isle réclame le remboursement des justices qui ont été données en engagement et par le Roi, et que l’Assemblée autorise les déclarations des députés qui sont gênés par leurs mandats. Un député de la noblesse dit qu’en supprimant les justices seigneuriales, on romprait le lien qui attache le seigneur avec les tenanciers ; que la noblesse ne pouvait mieux faire que d’offrir de faire rendre la justice gratuitement. M. Kesmeuniers propose d’accorder aux municipalités la police des campagnes, et aux notaires royaux la connaissance des tutelles et curatelles. M. PIson du Galland remarque qu’en voulant procurer l’avantage du peuple, l’Assemblée ne faisait que celui des officiers royaux, et il propose d’ajouter par amendement à l’article : « Jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à leur remplacement. » Quelques autres membres parlent ensuite et touchent au fond de l’article. . M. le Président observe que la discussion ne doit porter que sur la rédaction. En faisant remarquer que l’article, tel qu’il a été rédigé par le comité, est à peu près le même que celui proposé par M. Pison du Galland, il dit qu'au changement ou amendement proposé, on pourrait substituer celui-ci : « Jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée nationale à un nouvel ordre judiciaire. » Cet amendement est adopté. L’article est mis aux voix et presque unanimement décrété ainsi qu’il suit : « Toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans indemnité, et néanmoins les officiers 365 de ces justices continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée nationale à l’établissement d’un nouvel ordre judiciaire. » M. le duc d’ Aiguillon, au nom du comité des finances. Messieurs, le comité des finances s'est occupé, d’après vos ordres, d’examiner l’état actuel des finances du royaume. Il a pris l’aperçu du rapport entre la recette et la dépense, et'il m’a chargé de le placer sous vos yeux, pour vous mettre à portée déjuger de la nécessité de l’emprunt qui vous est proposé. M. d’Aiguillon détaille ensuifeles divers articles de dépense et de recette, et il en résulte que le total de la recette des mois d’août et septembre, ne se porte qu’à 37,200,000 livres, tandis que la dépense doit nécessairement se monter* à 60,000,000. 11 a ensuite proposé des réflexions et quelques changements que le comité a jugés nécessaires dans le préambule et les divers articles du projet présenté par M. Necker, et il lit un projet de décret qui modifie celui du ministre. Le rapport fait, M. le Président pose ainsi qu’il suit les questions qui doivent être l’objet de la délibération : 1° Votera-t-on un emprunt ? 2° Quelle en sera la qualité? 3° Quelle en sera la force? La première est mise d’abord a la discussion. M. le duc de Lévis parle le premier. Nous ne pouvons, dit-il, consentir d’emprunt avant la constitution. Ainsi l’ordonnent nos commettants, qui nous ont liés par nos mandats. Nous l’avons juré, et nous ne pouvons pas transiger avec nos mandats ni avec nos serments.Mais l’Etat est près de sa ruine, le laisserons-nous périr? Non, sans doute; nous avons des fortunes considérables; que nos biens servent de sûreté aux préteurs, et nous aurons ainsi concilié nos mandats et nos serments avec les moyens de sauver l’Etat. M. ISuzot. L’on ne peut transiger avec sa conscience, l’on n’élude pas la sainteté des serments.- voilà ce que j’ai entendu dire bien souvent ici , voilà ce que je répète aujourd’hui. Lorsque les ordres se sont réunis, plusieurs, pressés par le péril de l’Etat, se sont rendus dans cette salle; mais ils ont consulté le vœu de leurs commettants : ne puis-je pas invoquer aujourd’hui cette rigidité de principes que l’on nous imposait dans d’autres temps? Nous sommes entre le danger de forcer une banqueroute, et la crainte de violer nos pouvoirs ; il faut éviter l’un et l’autre malheur. J’observerai que la lecture que l’on nous a faite des détails donnés par le contrôleur général a été très rapide, et plus encore le projet d’emprunt; qu’il serait bon d’examiner individuellement ces differents états puisque nous devons délibérer individuellement. Je pourrais ajouter quele comité des finances ne peut rien examiner en notre nom ; que la puissance qui nous est déléguée, nous ne pouvons la déléguer ; que je suis venu ici pour discuter, pour vérifier les finances, et que je ne puis charger uu autre de l’acquit de ma conscience. Mais rentrons dans la question ; et d’abord je déclare que je lie peux consentir d’emprunt, tant que la constitution ne sera point faite, tant que la dette de l’Etat ne sera point discutée et vérifiée. On dit que l’Etat est en danger; certes la