[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.J 523 « Citoyens, nous conviendrons avec douleur que les perceptions languissent, que le Trésor public est sans aliment, et que la nation ne reçoit plus de la nation en proportion de ses besoins. Soldats, nous vous dirons avec franchise que nous ignorons quel est l’espèce, le degré, la forme de protection que la garde nationale doit à la contribution commune, comment nous pouvons assurer l’exécution si importante de vos décrets, et forcer à s’y soumettre le citoyen qui s’y dérobe. Citoyens et soldats, tout ensemble, nous savons que les armes que la Constitution nous donne sont lés armes de la loi; que ce seraitun sacrilège d’en user pour se défendre d’elle ; que la loi c’est la liberté; que la liberté c’est la loi; que la contribution est la dette de tous, est la créance de tous, est enfin le salut de tous. Hâtez-vous donc, Messieurs, d’intéresser notre honneur civique et militaire à défendre nos intérêts publics et à sacrifier nos intérêts personnels. Sans doute, ces vérités patriotiques seront la base de l’institution que nous attendons de vous, et si nous osons en ce moment prévoir votre sagesse et vos décrets, pardonnez-nous l’impatience qui nous porte à les provoquer. « Nous ne craignons nas non plus, Messieurs, d’être désavoués par trois millions de nos camarades, en vous assurant que la garde nationale, lorsqu’elle ambitionne une soumission constitutionnelle, est bien éloignée de ces prétentions inquiètes, de ces vains et puérils désirs de prérogatives et d’honneurs si incompatibles avec l’égalité des citoyens. Grâce à vous, toutes les distinctions ont disparu : nos grades ne seront jamais des titres. Le meilleur citoyen sera toujours le soldat le plus brave; et, sous ce rapport, tous ayant les mêmes sentiments, l’honneur de servir sera toujours égal à l’honneur de commander. La patrie a une dette plus particulière à remplir envers le citoyen qui, renonçant à des travaux utiles, à l’habitation de ses pères, aux caresses de ses enfants, aux charmes consolateurs de l’amitié, va sous un ciel étranger et combattre et mourir : que l’Etat s’acquitte envers lui par les dédommagements de la fortune, et les honneurs qui la suppléent; mais nous, Messieurs, en remplissant des fonctions aussi nobles, nous avons bientôt oublié quelques heures de fatigue dans les jouissances paisibles que nous retrouvons au sein de nos foyers. Partout, à chaque instant, la liberté nous environne, les armes même que nous portons, nous en rappellent et la douceur et les devoirs : c’est la liberté qui nous récompense et nous décore, c’est elle qui nous paye avec usure les sacrifices qu’elle a rendus nécessaires. Ce sentiment vraiment français, ce sentiment qui nous permet d’allier la fierté d’un soldat libre aux fonctions guerrières d’un citoyen subordonné, n’a plus besoin que de voir tracer par vous les lpis auxquelles il doit être soumis, et que nous vous jurops de respecter et de chérir. Signé : La Fayette. » Pi' entière division. Dupas, Desvoyes, Julien, Alexandre Clément, commandant; Mangelschos, capitaine; Etienne, Renard, Muendin, Savart, Julien, Jozeau, Bos-quillon, Lâchât, Colonval. Seconde division , Donnadieu, grenadier; Croissant, Yvrié, La VUlette, Jltifresne, de Gbeffontaine, Thomas, Guyaux, capitaine-commandant; Jolly, Morin, Georges Gestas, Hulin, Desroches. Troisième division, Ghevigny, Frontherbelin, Beauregard, Roger Darquinvailiers, Gorbiar, Lenitz, de Mauper-tuy, Leroux, Dupont, Coqueleu,Quevssat, Barrois, tambour-major. Quatrième division. Dersotz, Larisser, Maurin, Goillot, Bisson, Le Bon, Pouplin, de Frourville, Gusin, Martinet, Gathot, chirurgien-major; Didier, Bertaud, Hiard, Bourdois. Cinquième division. Colette, Seguin, Mouchelet père, Chapuis, Saul as, Florin, Le Gousté, Lalleman, Richard, Fauvot, capitaine de cavalerie, Saint-Fray, Hutau, Prunier, Gontard, Bunier, Ghassant, aumônier du cinquième bataillon. Sixième division. Mercier, Bertaux, Fleury, Legrand, Fulval, Pyron, Leroy, Lenoir, Cellier le jeune, Bonnetête, Goupar, Fontigny, Morellée, Font, Mauilier, Girard, de Romefort, de Silly, commandantet député du bataillon Saint-Honoré. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale n’a pas oublié et n’oubliera jamais les services que les gardes nationales ont rendus à la liberté, et particulièrement ceux de l’armée parisienne. Elle ne peut qu’approuver votre empressement, votre impatience, dans la demande que vous faites pour obtenir une organisation légale. Je puis vous annoncer que ce travail peut être présenté à l’Assemblée sous peu de jours. Elle vous invite d’assister à sa séance. » M. deMurinais. Je demande l’impression des deux discours qui viennent d’être prononcés. M. Madier-Montjau. La pétition de la commune de Paris me paraît d’une telle importance que je demande qu’il en soit délibéré sur-le-champ. (L’Assemblée ordonne l’impression des deux discours.) M. le Président. L’ordre du jour est la reprise de la discussion sur l'affaire d'Avignon. M. l’abbé Jacquemart, député d'Anjou (1). Messieurs, une grande question est soumise, dans ce moment, à votre discussion : toute l’Europe attentive n’attend, pour vous juger, que la décision que vous allez porter. Vous avez solennellement déclaré que la justice et la paix seraient désormais l’âme de toutes vos opérations, le but de toutes vos mesures politiques; que pleins de respect pour les possessions de vos voisins, vous étiez résolus à vous renfermer dans les limites qui vous sont garanties par les traités : c’est à vous de nous dire aujourd’hui, si vous n’avez voulu débiter qu’une (!) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. l’abbé Jacquemart, 524 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] maxime philosophique ou si vous avez prétendu établir un grand principe dans la morale des princes et des nations. De nouveaux Thémistocles vous proposent un projet dont l’utilité est fort équivoque, mais dont l’injustice et l’immoralité sont faites pour révolter les âmes les moins délicates. Sans avoir à votre confiance les titres d’Aristide, j’oserai vous dire : Français, ce qu’on vous propose ne convient peut-être pas à vos intérêts; mais, à coup sûr, il ne convient ni à l’honnêteté, ni à l’équité, qui doi-vent caractériser une nation destinée à servir de modèle à toutes les autres, encore moins aux grands principes de désintéressement que vous venez de professer avec tant de solennité. On vous a proposé d’abord de réunir à votre Empire la ville d’Avignon et son territoire; depuis les députés de cette ville n’ont pas craint d’ajouter à ce magnifique présent, le comtat Venaissin ; et si la fortune eût secondé le courage et les généreux desseins de leurs commettants, ils auraient pu vous l’offrir à titre de conquête. On a essayé de colorer cette injustice par les grands principes; on vous a dit que tout pouvoir vient du peuple, que son autorité est sacrée et inaliénable, qu’il ne fait que la déléguer, qu’il peut toujours la reprendre lorsque son bonheur et sa liberté sont en danger. Mais est-il bien vrai que ce peuple, qu’on se propose d’agréger à la nation, veut se donner à elle, et se soustraire à l’obéissance qu’il a jurée à son ancien maître? Les députés de la ville d’Avignon vous en assurent : mais sont-ils, en cela, les interprètes fidèles de la volonté générale? Sont-ils vraiment revêtus du caractère sacré des députés? Dans quelles circonstances ont-ils été investis de ces pouvoirs? C’est au sein du meurtre et du carnage qu’ils ont reçu leur mission ; c’est en caractères de sang qu’elle est écrite; c’est lorsque la plus saine partie des citoyens est en fuite; que l’autre, consternée par les scènes d’horreur dont elle est environnée, est incapable de former un vœu qu’on suppose la réunion de toutes les volontés; est-ce donc ainsi, Messieurs, que doit se manifester la volonté générale? La liberté n’est-elie pas le premier de ses caractères? Et peut-elle exister, cette liberté, au milieu des désordres de la plus affreuse sédition ? Lorsqu’il s’agit des plus grands intérêts, de la destinée de tout un peuplé, peut-on regarder comme le vœu général, celui de quelques factieux sans propriété, sans autre intérêt à la chose publique, que le désir de profiter de ses calamités, ou de s élever à la faveur d’un changement de domination? Quelles preuves vous administre-t-on pour constater ce vœu général ? des signatures mendiées ou forcées, des listes suspectes et enflées de tous les noms qu’on a pu se procurer dans les écoles publiques. Sont-ce là des autorités assez importantes, pour vous faire courir les risques d’une grande injustice, et vous exposer à perdre l’estime et la confiance de vos voisins ? Lorsque les Brabançons, pour assurer leur indépendance, vinrent implorer la protection de la France, de concert avec le monarque, vous repoussâtes avec indignation, et sans vouloir l’entendre, la demande d’un peuple qui avait commencé par se faire justice les armes à la main(l). Les circonstances étaient-elles donc si différentes de celles où nous nous trouvons, ou plutôt n’é-(1) L’Assemblée, convaincue alors que le droit de faire les traités et les alliances appartenait au monarque, refusa d’ouvrir les dépêches qui lui étaient adressées par le congrès du Brabant, taient-ellespas toutes à l’avantage des Brabançons? D’abord il ne s’agissait, pour eux, que de les protéger et non de les réunir : dans le premier cas, on aurait pu vous croire généreux; dans le second, on sera toujours tenté de vous croire injustes et ambitieux. Chez eux la volonté générale paraissait clairement et énergiquement exprimée, il existait peut-être des griefs, dont ils pouvaient demander le redressement; leurs droits, leurs privilèges paraissaient attaqués ; mais rieu de tout cela ne milite en faveur des Avignonais : dans tous les actes destinés à exprimer la volonté générale, je vois percer les caractères de l’intrigue, les traces de la violence; dans tous, je lis des noms, des signatures multipliées; dans aucun, je ne puis distinguer un vœu librement ou régu-lièremeul exprimé; dans cette prétendue réunion de toutes les volontés, je n’aperçois qu’une faction puissante, qui en opprime une plus faible. Si j’examine les plaintes articulées dans le manifeste des Avignonais, je n’y trouve qu’exagéra-tion et invraisemblance : jamais il n’exista de domination plus douce et plus paternelle que celle du Souverain Pontife; nulle part les impôts ne sont plus modérés, les peuples moins grevés. Si les Avignonnais se plaignent de leur souverain, les Gomtadins, leurs co-sujets, chérissent ses lois et veulent vivre et mourir sous sou empire; est-il possible que le même prince ait été un tyran pour les uns, une divinité tutélaire pour les autres? Dans cette incertitude, prendre un parti, ne serait-ce pas s’exposer à commettre tout à la fois une haute imprudence et une grande injustice ? Ne devez-vous pas craindre qu’une pareille conduite ne répande l’alarme chez tous vos voisins, ne provoque leur ressentiment, ne figue toute l’Europe contre vous et n’aboutisse enfin à rendre odieuse votre Constitution ? Si l’insurrection des peuples est un titre à notre protection, un motif pour nous d’étendre les bornes de notre Empire, est-il une nation dans l’Europe qui doive trembler? et de quel œil, les princes verront-ils un gouvernement qui tend à renverser tous les autres? une nation qui, sous les dehors de la justice et de la paix, dépouille ses voisins, recule ses frontières ? Cette politique artificieuse et lâche convient-elle à l’honneur et à la loyauté française? Est-il généreux d’attaquer un prince, parce qu’il est faible et incapable de résister ? Si la ville de Neufchâtel vous faisait les mêmes offres qu’Avi-gnon, les accepteriez-vous? Serait-il prudent d’indisposer vos voisins, au moment où vous croyez avoir à redouter vos propres concitoyens ? de provoquer la guerre, lorsque les intérêts de votre liberté naissante vous font un devoir de désirer la paix? ne pouvez-vous pas, ne devez-vous pas craindre chez vous les événements malheureux dont on vous propose lâchement de tirer avantage? S’il se rencontre un prince ambitieux qui fasse naître ou fomente le mécontentement dans nos provinces frontières, lui sera-t-il bien difficile, à la faveur de ces intrigants subalternes qui pullulent partout, de se procurer des titres aussi colorés que ceux dont vous voulez vous prévaloir sur Avignon? Dans l’hypotbèse présente, que répondre z-vous à l’Empereur, s’il vous disait : Tout pouvoir vient du peuple; il peut toujours le reprendre, lorsqu’il ne trouve plus son bonheur et sa sûreté sous les lois qu’on lui impose. Je vous ai cédé la Lorraine et l’Alsace : les habitants de ces provinces ont consenti à devenir parties intégrantes de votre Empire, mais sous la réserve tacite et toujours entendue de leurs droits et de leurs privilèges; aujourd’hui qu’ils les jugent en [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] 5$5 péril, ils se jettent dans les bras de leur ancien souverain. Je ne puis ni ne dois les repousser; je suis fondé à faire pour eux ce que vous avez cru devoir faire pour les Avignonais. Je ne sais, Messieurs, si un pareil argument resterait sans réplique, mais je sens que s’il était soutenu par une armée puissante, étayé d’une grande majorité, il deviendrait très embarrrassant ; qu’il finirait peut-être par réunir les suffrages, et fixer l’opinion générale; je sens, enfin, que, dans les circonstances, il serait très impolitique de nous jeter dans de pareils embarras. Mais j’entends M. Bouche qui s’écrie et qui me dit, que malgré la ressemblance des faits, l’espèce n’est pas la même; que la France, dans la réunion proposée, ne fait que rentrer dans des droits qu’elle n’a jamais perdus ; que le titre d’aliénation ayant été vicieux dans son principe, rien n’a pu légitimer la possession du Souverain Pontife. Ce n’est donc plus sur le vœu, le consentement des Avignonais, qu’il fonde ses prétentions, mais sur des titres antiques et surannés, tels à peu près que ceux que nous pourrions faire valoir aujourd’hui sur le Milanais, le royaume de Naples, l'Empire romain même, rétabli par Charlemagne et possédé par ses enfants. Mais est-ce de bonne foi qu’on voudrait faire revivre des titres si futiles et si décriés ? le droit sacré de la prescription, sur lequel repose la tranquillité des nations et des individus, n’est-il donc qu’une chimère ? mais si le titre de propriété fut vicieux dans son origine, n’a-t-il pas été rectifié par le consentement de la nation? Jusqu’à l’époque de cette étonnante Révolution, le monarque n’était-il pas le représentant de la nation? Louis XIV et Louis XV qui crurent devoir s’emparer de cette possession du pape, ne l’ont-ils pas confirmée, en la lui rendant ? Si les conventions de ces princes ne sont pas des tilres sacrés aux yeux des représentants de la nation, nous fournissons à tous les souverains un prétexte plausible de rompre les traités les plus solennels, de refondre le système politique de l’Europe, de faire valoir les prétentions les plus caduques et les plus absurdes. Dois-je réfuter ici, Messieurs, les motifs peu délicats, d’après lesquels on a cru pouvoir vous déterminer à la réunion proposée? on vous a dit que la ville d’Avignon convenait à votre situation géographique, à la prospérité de votre commerce; mais ce qui convient à vos intérêts, est-il ce qui convient à votre loyauté? Il ne s’agit pas d’être puissants, mais d’être justes. La nation française serait-elle donc moins généreuse que le peuple d’Athènes, auquel elle se glorifie de ressembler? On vous a dit que la ville d’Avignon, séparée de vous, serait l’asile de tous les mauvais citoyens ; et plût à Dieu qu’ils eussent tous choisis cette retraite, où ils ne pourraient nous nuire! Nous n’aurions pas à regretter ce numéraire précieux, dont la disette fait aujourd’hui une des plus cuisantes calamités. On vous a dit que cette langue de terre serait un foyer de contre-révolution, un centre de ralliement pour les armées savoyardes, qu’on fait voyager si gratuitement et si ridiculement. Et quoi, Messieurs, trois millions de soldats, pleins de courage et* d’énergie, ne suftisén t-ils donc pas pour nous rassurer contre des dangers imaginaires ? Que signifie cette marche inepte et impoiitique des armées savoyardes, à travers dévastés provinces hérissée? de soldats, pour se rallier ensuite dans un coin de terre, déjà dévasté par les discordances civiles? Je terminerai mon opinion, Messieurs, par un raisonnement qui me paraît décisif. Il est de principe que l’universalité ou au moins une très-grande majorité des co-sujets d’un Etat peut seule en changer la forme, s’ériger en République, se donner un souverain, et s’il en était autrement, Messieurs, il n’est pas de province, de ville, de village même qui ne pût prétendre au droit de former une fédération particulière. Or, la ville d’Avignon, en supposant même que la plus grande partie de ses habitants ait voté pour la réunion, ne constitue pas la majorité des sujets du saint-siège, puisque sa population n’excède pas 25,000 âmes, tandis que celle du comiat s’élève à plus de 120,000 ; comment donc a-t-on pu nous assurer que le vœu général sollicitait la réunion ? Je sais, Messieurs, qu’on n’a pas craint de vous dire que la ville d’Avignon était un Etat séparé et indépendant du comfat ; mais je sais aussi que cette assertion n’a jamais été prouvée ; je sais que ces deux Etats sont réunis, depuis plusieurs siècles, sous la domination d’un même prince, sous l’autorité d’un même gouverneur, qu’ils ont les mêmes lois, les mêmes tribunaux, qu’ils payent les mêmes contributions, qu’ils réunissent enfin lous les caractères de l’association la plus intime : j’en conclus que la ville d’Avignon, seule, n’a pu rompre les conventions sociales, consenties par elle et par ses co-sujets, j’en conclus enfin qu’elle n’a pu se donner à la France sans le consentement des Gomtadins : et je demande la question préalable sur le projet de décret proposé par M. Pétion. J’oserai, Messieurs, y substituer celui-ci : « L’Assemblée nationale décrète que le roi sera supplié d’interposer sa médiation et ses bons offices auprès du Souverain Pontife, pour obtenir à la ville d’Avignon les conditions les plus favorables, et lui procurer les avantages de la Constitution française, déjà sollicités par les Gomtadins. » Tel est, Messieurs, le rôle vraiment grand, vraiment généreux, qui convient aux représentants d’une nation qui vient de jeter les fondements de sa liberté. C’est ainsi que vous devez répondre à la confiance des Avignonais, c’est ainsi que vous devez mériter celle des peuples et des souverains de l’Europe. M. Robespierre, député du département du Pas-de-Calais (1). Messieurs, je réclame, pour la question qui vous est soumise, l’attention religieuse qu’ont obienue de vous les plus grands objets de vos délibérations. Ce n’est pas sur l’étendue du territoire avignonais que se mesure l’importance de cette affaire, mais sur la hauteur des principes qui garantissent les droits des hommes et des nations. La cause d’Avignon est celle de l’univers ; elle est celle de la liberté. Il serait également inutile de la défendre devant des esclaves, et coupable rie douter de son succès devant des hommes libres, devant des fondateurs de la liberté. Elle me paraît se réduire à deux propositions que je prouverai successivement : 1° Le peuple avignonais a le droit de demander sa réunion à la France; 2° L’Assemblée nationale ne peut se dispenser d’accueillir ceite pétition. Le peuple avignonais ne peut être considéré que sous l’un ou sous l’autre de ces deux rapports : ou comme une partie de la nation française, qui n’en a jamaisété légitimement séparée, et qui (1) Le discours de M. Robespierre est incomplet au Moniteur< 526 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] veut lui fester unie, ou comme un peuple devenu étranger à la France, qui demande à s’unir à elle. Or, dans l’une et l’autre de ces hypothèses, la demande du peuple avignonais est juste. La preuve de cette proposition découle des premiers principes du droit public ; elle exige l’exposition de quelques faits préliminaires, ou plutôt d’un seul fait. La ville d’Avignon et son territoire, qui faisaient partie de la Provence, furent vendus en 1348 par la reine Jeanne, au pape Glément VI. S’il était question de la vente d’un immeuble, ou de quelque objet qui fut dans le commerce, je vous rappellerais avec les historiens que la reine Jeanne était mineure; qu’elle était grevée de substitution ; que le contrat dont nous parlons était le prix de l’absolution qu’elle négociait avec le pape, au tribunal duquel elle était citée pour le meurtre de son mari ; que, parvenue à sa majorité, elle réclama contre cet acte scandaleux ; que les Etats de Provence, à qui elle avait promis avec serment de ne point; l’effectuer, se hâtèrent de protester; je mettrais sous vos yeux la foule des protestations renouvelées depuis cette époque jusqu’à nos jours par ses successeurs comtes de Provence, ou rois de France ; où plutôt les droits de la France sur cette partie de l’Empire, maintenus et exercés par eux, par nos derniers rois, par Louis XVI lui-même, et la maxime que l’Etat avignonais n’était, entre les mains des papes, qu’à titre précaire et d’engagement, consacrée par les arrêts de nos cours souveraines, et reconnue comme un point incontestable du droit public français. Enfin, je vous présenterais à la fois et tous les obstacles qui s’opposent à la prescription, et dansles vices qui frappent d’une éternelle nullité les actes contraires aux bonnes mœurs, c’est-à-dire aux principes indestructibles de la justice et de la raison, et contre lesquels réclament sans cesse les titres mêmes qui doivent en être la base. Mais il s’agit des droits des nations, il est question de savoir si la reine Jeanne a pu détacher de la Provence le peuple avignonais, pour le vendre au pape : et pour vous un seul mot décide cette question. Vous le savez, l’autorité des princes n’est qu’une portion de la souveraineté du peuple mise en dépôt entre leurs mains ; ils ne peuvent donc ni la vendre, ni l'aliéner en aucune manière. Le peuple même ne le peut pas, parce qu’il ne peut se dépouiller de ces droits essentiels, attachés à la nature de l’homme, que la société a pour but de protéger et de maintenir, et qu’elle ne peut jamais détruire. La souveraineté réside également dans tous les citoyens qui forment l’association politique. Une partie d’entre eux ne peut en dépouiller l’autre ; une partie ne peut retrancher l’autre de la société pour la soumettre à un pouvoir étranger. La nation provençale elle-même n’aurait pu céder les Avignonais au pape. La reine Jeanne le pouvait-elle, contreles réclamations mêmes de la nation provençale ? Non : les Avignonais sont donc toujours restés de droit une portion intégrante de la Provence, et par conséquent de la nation française à laquelle la Provence a été incorporée. Eh ! comment pourriez -vous méconnaître cette vérité, vous, Messieurs, qui, les premiers, avez solennellement promulgué tes lois immortelles sur lesquelles elle repose? Seriez-vous moins éclairés sur ce point, ou plus indifférents que nos anciens magistrats, que Louis XIV, que Louis XV, que nos jurisconsultes, que nos publicistes de tous les temps ? Mais veut-on qu'en dépit de ces principes évidents, Avignon ait cessé de faire partie de la France ? Il faut donc le considérer comme un peuple séparé qui demande à s’unir à elle. Or, dans cette nouvelle hypothèse, qui peut lui en contester le droit ? Si une nation n’est qu’une société d’hommes réunis pour leur intérêt commun, sous des lois et sous un gouvernement commun ; si les lois ne sont que les conditions de la société déterminée par la volonté générale des associés, et le gouvernement, l’organisation de l’autorité publique établie pour le maintien des lois, qui pourra disputer à un peuple, quel qu’il soit, le pouvoir de changer à son gré et ses lois et son gouvernement, et, à plus forte raison, ceux à qui il a confié les fonctions de ce môme gouvernement? Et certes, si un homme pouvait dire à un peuple: < Je retiendrai, malgré vous, le pouvoir que vous avez remis en mes mains ; vous ne changerez ni vos lois ni votre gouvernement, parce que j’ai des droits sur tout cela », cet homme, sans doute, n’aurait pas été établi pour le gouvernement ; le gouvernement aurait été établi pour lui ; l’autorité qu’il exercerait ne serait point une charge publique, une portion déléguée de la puissance du peuple ; ce serait un droit personnel, une propriété particulière ; la souveraineté du peuple serait aliénée à son profit; les lois, le Gouvernement ne seraient plus l’ouvrage de la volonté générale ; il n’y aurait plus de peuple ; il n’y aurait plus d’association politique ; il ne resterait plus qu’un maître et des esclaves. L’application de ces principes au peuple avignonais et au pape est facile. Elle a rencontré une objection, faible, nulle, suivant moi, mais que le premier rapporteur de cette affaire a jugée assez solide pour en faire la base de son rapport contre Avignon. En convenant de la vérité de nos principes, il a considéré Avignon comme formant, avec les autres contrées soumises au gouvernement du pape, un seul et même Etat, pour en conclure, que cette cité n’avait pu changer son gouvernement sans leur concours; mais celte objection croule avec le fait sur lequel elle est fondée. Deux peuples peuvent confier au même individu le soin de tenir les rênes de leür gouvernement , et rester cependant étrangers l’un à l’autre. G’est ainsi, pour me borner à un seul exemple, que l’Angleterre et le Hanovre reconnaissent le même prince, et ne sont pas la même nation. L’homme, dont les idées sont dépravées par 10 despotisme, s’accoutume aisément à ne distinguer les nations que par fe nom de leurs rois, parce que, dans l’ordre de ses pensées, les nations sont à la place des rois, et les rois à la place des nations ; il lui semble que deux peuplades se confondent sous la main d’un monarque, comme deux troupeaux sous l’empire du même pâtre : mais dans l’ordre de la raison et de la vérité, les peuples sont de grandes sociétés d’hommes libres qui, réglant avec une puissance souveraine et leurs intérêts et leurs actions, ne s’associent, ne s’allient, ne s’identifient que par des conventions réciproques, par un consentement mutuel. Sans celte condition, soit qu’elles aient pour rois des individus différents, soit qu’elles se trouvent avoir adopté successivement le même, elles forment toujours des corps politiques distincts, unis au prince qui les régit à des titres différents, indépendants des autres Etats soumis au même prince. Or, quel que soit 527 I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 novembre 1790.] le titre en vertu duquel le pape a exercé l’autorité publique à Avignon, quel pacte est intervenu, quelles relations ont existé entre le peuple de cette ville et les autres pays où il régnait? Au contraire, toutes les barrières qui pouvaient marquer la séparation de ces différents peuples, ont été conservées et subsistent encore ; différence des mœurs, des lois, des usages, du gouvernement, de la constitution civile, militaire, judiciaire. Absolument étranger aux Etats du pape en Italie, Avignon ne l’est pas moins au comtat Venaissin auquel il lient immédiatement. Je m’arrête sur ce point, parce que c’est particulièrement au comtat Venaissin que l’on a voulu incorporer l’Etat d’Avignon, pour présenter la pétition de ce peuple, comme un vœu partiel, auquel celui des habitants du comtat n’était point réuni. Mais cette assertion doit paraître bien étonnante, lorsqu’on la rapproche des faits notoires qui prouvent que le comtat et Avignon furent toujours regardés comme deux Etats tellement distincts, qVil n’y eût jamais rien de commun entre eux. C’est en 1275 que le comtat Venaissin est cédé au pape Grégoire X, par Philippe-le-Hardi. moyennant la levée d’une excommunication. C’est en 1348 qu’Avignon et son territoire sont vendus à Clément VI, par la reine Jeanne, pour payer une absolution. Depuis cette époque même, comme auparavant, on voit ces deux pays toujours régis comme deux Etats différents. Le comtat a ses Etats ; Avignon des assemblées connues sous le nom de parlements généraux. Le comtat est gouverné par un recteur; Avignon par un légat. Chacun de ces pays a ses lois, ses tribunaux particuliers; les brefs, les bulles, les ordonnances des papes, données pour l’un, ne regardent point l’autre, à moins que le contraire ne soit expressément ordonné. Que dis-je? La révolution même opérée au même temps, dans l’un et dans l’autre, ne nous présente-t-elle pas la preuve la plus sensible de cette distinction? Les Comtadins ont actuellement une assemblée représentative, à laquelle ils n’ont jamais soupçonné que les Avignonais dussent être appelés ; tandis que ceux-ci délibèrent et agissent séparément pour leurs intérêts politiques. Enfin, la vérité de ce fait est à la fois reconnue par l’un et l’autre peuple ; et l’assemblée du comtat elle-même, quelque déclarée qu’elle soit contre le peuple d’Avignon, vient de vous l'attester encore dans une lettre adressée à l’Assemblée nationale. Je puis même ajouter ici une anecdote assez importante : c’est que l'assemblée du comtat, résidant àCarpentras, pour qui M.Tronchet a montré autant de bienveillance, qu’il a déployé de rigueur contre le peuple d’Avignon, vient de lui écrire une lettre, pleine sans doute des expressions de sa juste reconnaissance, mais où elle réfute l’erreur qu’il a commise, en pensant qu’Avignon et le comtat étaient un seul et même Etat. Mais c’est ici que l’étonnement redouble. Vous vous rappelez, Messieurs, quels éloges on a donnés devant vous à la conduite de l’assemblée venaissine, qui, en dépit du pape, a osé changer les lois et la constitution de ce pays, et cela sans le concours du peuple avignonais, sans le concours des autres, sujets du pape. On a donc pensé que le comtat Venaissin avait le droit de faire tout cela sans le consentement des Avignonais; on n’a donc pas cru que le comtat Venaissin formât un seul et même Etat avec celui d’Avignon. Or, par quelle espèce d’enchantement les adversaires du peuple avignonais réunissent-ils, divisent-ils, à leur gré, les pays soumis au pape? Par quelle fatalité arrive-t-il qü’Avignon fait partie du comtat, lorsqu’il s'agit de juger ce que le comtat a fait sans Avignon ; et qu’il n’en fait plus partie, lorsqu’il s’agit de juger la demande qu’ Avignon forme sans le comtat ? Pourquoi les droits des peuples sont-ils pesés dans une balance si inégale ? Ce n’est pas sans doute parce que l’assemblée comtadine change son ancien régime despotique contre une constitution aristocratique, et que les Avignonais ont secoué Je joug du despotisme, pour adopter la Constitution française. Ce n’est pas parce que le siège de l’assemblée du comtat est l’asile et l’arsenal de tous les ennemis du peuple français, et qu’Avi-gnon est l’objet de leur haine, de leur terreur et de leurs complots. Il reste donc démontré que le peuple avignonais était maître de changer la forme de son gouvernement, et que la demande qu’il fait de s’unir à la France est juste. Répondrai-je aux futiles prétextes par lesquels on s’est efforcé d’obscurcir cette grande vérité ? Non. Mais qui n’a pas été indigné d’entendre sans cesse réclamer les droits, la propriété du pape? Juste ciel 1 les peuples la propriété d’un homme I et c’est dans la tribune de l’Assemblée nationale de France, que ce blasphème a été prononcé! Qui n’a pas été au moins étonné de cette citation de l’article du décret sur le droit de' la paix et de la guerre, où l’Assemblée nationale déclare que la nation n’entreprendra jamais aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes; comme si le consentement mutuel, par lequel deux peuples s’unissent et se confondent, ou par lequel une partie d’un peuple se réunit au tout, avait quelque chose de commun avec la conquête ; à moins que les auteurs de cette objection, ne voyant dans le décret de l’Assemblée nationale qu’un sens moral et figuré, n’aient pensé sérieusement qu’elle avait voulu s’interdire à elle-môme cette espèce de conquête, qui est l’ouvrage de la sagesse, de la justice et de la raison ? Mais que répondrons-nous àcetautre argument? c’est au milieu des troubles, c’est au milieu du sang, c’est après une insurrection violente que le peuple avignonais demande à être uni à la France ; donc il faut rejeter sa pétition ? Que ceux qui raisonnent ainsi engagent donc les despotes à rendre eux-mêmes aux nations l’exercice de leurs droits, ou qu’ils révèlent aux nations le secret de les ressaisir , sans insurreétion ; ou plutôt qu’ils fassent le procès au peuple français même, et à ses représentants, ou qu’ils pardonnent aux Avignonais de les avoir imités. Voudrail-on leur faire un crime de l’horrible conspiration tramée contre eux par les aristocrates, qui ont ensanglanté leur révolution, par le massacre des citoyens ; ou bien les croit-on indignes de réclamer les droits des hommes, parçe qu’ils ont été forcés de combattre et de vaincre les lâches ennemis de la liberté et de la justice? Quelles autres objections aurions-nous eues à réfuter, si les aristocrates d'Avignon avaient été les rapporteurs de cette grande affaire? Mais ce qui est vraiment inconcevable, c’est que le premier rapporteur du comité, qui nous a objecté les troubles d’Avignon, comme si une révolution devait s’opérer sans troubles, n’a pas même jugé à propos d’en rechercher la cause. Que dis-je I Muni de la procédure qui en contenait l’histoire authentique , il s’est fait une loi de la cacher aux yeux de l’Assemblée nationale, sous le prétexte absurde de je ne sais quel vice de forme, que personne n’a pu comprendre; et, 528 (Assemblée nationale.] grâce à cette figure oratoire, les représentants de la nation auraient ignoré et les attentats commis contre le peuple d’Avignon par les aristocrates de cette ville, et leur coupable intelligence avec ceux de la France. Il est vrai que, par une contradiction assez bizarre, en même temps qu’on couvrait ces faits d’un voile mystérieux, sous le prétexte de l’illégalité de cette procédure, on tirait de cette même procédure des inductions en faveur des ennemis du peuple avignonais, pour déterminer l’Assemblée nationale à rendre la liberté à ceux de leurs complices qui étaient détenus prisonniers à Orange. Certes, d’après de pareils procédés, nous devons trouver assez naturel que, prodiguant toutes les chicanes que le plaideur le plus absurde épuise dans une cause désespérée, les mêmes adversaires d’Avignon aient feint de douter de son véritable vœu, sous le prétexte que le procès-verbal de ses délibérations ne contenait pas l’énonciation du nombre des votants I Oui, c’est en vain que tous lès événements, qui se sont passés à la face de l’univers, attestent ce vœu et la vérité des délibérations authentiques qui l’expriment; c’est en vain que le peuple avignonais tout entier a combattu pour les soutenir; c’est en vain qu’il a repoussé le petit nombre de dissidents qui voulaient l’opprimer; c’est en vain que les armes de France brillent sur les portes de la ville, que de nouveaux officiers municipaux, nommés par lui, l’administrent; que des députés qu’il a envoyés sollicitent publiquement, auprès de l’Assemblée nationale, sa réunion à la France; c’est en vain que, le 14 juillet, tous les citoyens ont prêté le serment civique qu’ont fait tous les Français ; que quatre députés Font renouvelé solennellement au Champ-de-Mars, avec ceux des autres parties de l'Empire; c’est en vain que la garde nationale avignonaise a présenté à l’Assemblée nationale une adresse, où elle manifeste la résolution de combatire jusqu’à la mort pour la défense des frontières de l’Empire français ; que le 9 septembre, cette même garde réunie en armes, avec tous les citoyens des deux sexes, a juré de périr mille fois, plutôt que de rentrer jamais sous le joug du pape, et de renoncer à l’union avec la France; c’est en vain que toutes les gardes nationales françaises des départements voisins, confédérées avec eux, mettent au rang des premiers devoirs du civisme et de la fraternité, celui de les défendre contre les ennemis communs de la liberté; on ne veut rien voir de tout cela; et on scrute froidement les procès-verbaux, pour y découvrir, s’il est possible, ce qu’on appelle un défaut de forme ; et on observe gravement qu’ils ne portent pas le nombre des personnes, qui ont assisté aux assemblées, sans songer que les intérêts des nations et la vérité ne sont pas soumis à ces subtilités du barreau, et que, par la même raison, on annulerait presque tous les décrets de l’Assemblée nationale. Mais laissons-les s’applaudir de cette découverte; et après avoir prouvé que la pétition du peuple avignonais est juste dans les deux hypothèses, où on pouvait le considérer, prouvons que la plus impérieuse nécessité force l’Assemblée nationale à l’accueillir. Ici, je ne vous dirai pas que c’est une véritable nécessité pour les représentants du peuple français de respecter ces principes éiernels de la justice, sur lesquels ils ont fondé l’édifice de notre Constitution, de défendre, autant qu’il est en eux, cette cause sacrée des nations, qui est [18 novembre 1790.] leur propre cause, et qui ne peut guère succomber, sans entraîner dans sa chute, ou sans ébranler leur propre ouvrage. Je ne vous rappellerai pas combien il importe à votre gloire et à votre puissance, au maintien de cette force morale dont vous êtes revêtus et qui vous est si nécessaire, de ne point livrer à la fureur de ses ennemis et des vôtres, un peuple dont tout le crime fut de suivre votre exemple, et de se dévouer pour la défense de vos principes et de vos lois. Je ne vous rappellerai pas des raisons d’intérêt politique, plus palpables peut-être pour les âmes vulgaires, quoique bien moins importantes et bien moins étendues. Je ne vous parlerai pas de la conservation de ces établissements publics que la France s’est réservés à Avignon. Je ne vous dirai pas que tant qu’Avignon resterait séparé de l’Empire français, sa position entre plusieurs de nos provinces rendrait impossible l’exécution de ce système salutaire du reculement des barrières aux frontières de la France; que la situation de cette ville au confluent du Rhône et de la Durance, le rocher qui la domine, la facilité qu’elle peut donner à ceux qui en seraient les maîtres, de mettre des entraves à la communication du Languedoc, de la Provence, du Dauphiné, en font une place infiniment importante et nécessaire à la France, et vous invitent à ne point violer la plus irréfragable de toutes les lois, celle de la nature même, qui a voulu qu’elle fut, qu’elle ne pût être qu’une portion du territoire français. Je fixerai vos regards sur un intérêt beaucoup plus pressant, sur les circonstances impérieuses qui lient le sort d’Avignon à celui de la Révolution française et au salut de cet Empire. Rappelez-vous avec quelle inquiète prudence il faut pourvoir au maintien d’une Constitution naissante, qui sera longtemps en butte aux attaques de tant d’ennemis puissants. Voyez au sein de cette partie de la France, où ils ont déjà fait germer les funestes semences des dissections civiles, le comtat venaissiu et Avignon placés nécessairement pour être, ou le principal foyer des conjurations, ou le ferme appui de la tranquillité publique, suivant le juge ment que vous prononcerez sur le sort du peuple avignonais. Quel danger n’y aurait-il pas à le laisser retomber sous le jo g de ceux qui, unis par des passions et des intérêts communs aux mécontents de la France, conspireront avec pour amener impunément une explosion fatale à notre glorieuse Révolution? C’est de ce pays que, dans nos troubles domestiques les papes soudaient sur ce royaume tous les fléaux du fanatisme, de la guerre civile et religieuse, qui l’on si longtemps désolé. G’est là que les ennemis du peuple avignonais et du peuple français peuvent vous préparer de nouveaux troubles. Rappelez-vous, Messieurs, cette fameuse journée uu lü juin, où les aristocrates avignonais, de concert avec le gouvernement papal, se baignaient dans le sang des citoyens, en poussant des cris de : Vive l' aristocratie ! S’ils ont été vaincus et repoussés, ils n’om pas pour cela abandonné leurs sinistres projets. Jetez les yeux sur lus dépositions authentiques et nombreuses de cette procédure, si soigneusement écartée, qui vous montre le plau de contre-révolution, qu’ils ont formé, lié aux troubles de Nîmes, aux complots des mécontents dans ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] les provinces méridionales, à l’espoir des secours de l’Espagne, de la Savoie et du pape ; et quelque extravagante que puisse vous paraître cette idée, fixez votre attention sur les événements qui se passent dans le comtat. Ecoutez les adresses de vos gardes nationales qui sont dans ces contrées les sentinelles de la liberté ; écoutez celles des municipalités voisines, vous apprendrez que l’assemblée de Carpentras, qui a signalé plusieurs fois sa haine pour les principes de l’Assemblée nationale, qui a formellement adopté la protestation de la minorité contre ses décrets, a convoqué secrètement un nouveau camp fédératif de trente mille hommes; que des amas immenses de blé et d’armes se font tous les jours dans le comtat; qu’alarmée de ces préparatifs, évidemment sans objet, dans toute autre hypothèse que celle d’une conspiration avec l’aristocratie française, la garde nationale d’Orange a arrêté, à plusieurs reprises, une quantité de caisses de fusils destinés pour Carpentras. Vous verrez qu’elle vous renouvelle avec ins-, tance la demande qu’elle a déjà faite de trois mille fusils, pour être en état de s’opposera leurs entreprises. Le comité militaire de celte milice citoyenne, en garnison à Orange, en confirmant ces faits, vous dit, en propres termes, dans une autre adresse, que Carpentras avait acheté des canons à Toulon, que la municipalité de cette ville n’avait pas cru devoir lui laisser parvenir; que, dans l’impossibilité de s’en procurer, l’assemblée du comiat en faisait actuellement jeter en fonte vingt-huit pièces de tout calibre; 'que des voitures chargées de halles pour Carpentras avaient été arrêtées sur le territoire d’Avignon ; mais que toutes ces précautions u’ont pas empêché que plus de quatre mille fusils et de quarante mille sabres n’aient été introduits. D’un autre côté, ce rassemblement des Piémon-tais, des Savoyards, des contre-révolutionnaires de Nîmes, d’Avignon et d’une foule de ci-devant nobles français, le projet annoncé des prêtres et des nobles qui dominent dans le comtal, de porter leurs forces sur Avignon, où ils trouveront une artillerie considérable; les intrigues qu’ils ourdissent dans cette ville; l’or qu’ils y répandent, les écrits incendiaires qu’ils y font circuler : tout cela ajoute encore aux alarmes des citoyens des, contrées méridionales de la France, surtout lorsqu’ils rapprochent tous ces faits du rassemblement des ennemis aux frontières, des mouvements excités dans le Languedoc, et des trames de toute espèce ourdies dans le même temps par les ennemis de la Révolution: ils sentent que le seul moyen de déjouer tous les complots, c’est de protéger à Avignon la cause populaire, en réunissant cette ville à la France; c’est de réunir de même temps à la France ce même comtat venaissin, qui n’a pas été plus légitimement vendu et aliéné qu’Avignon. Ce sont leurs vœux, ce sont ceux de la France entière qui appuient la juste demande du peuple avignonats. Mais ce qui est bien digne d’attention, c’est qu’avant que les circonstances actuelles eussent fait une nécessité de cette réunion, les droits et l’intérêt de la nation avaient déterminé les provinces voisines d’Avignon, la Provence et la principauté d’Orange, à charger leurs députés, aux Etats généraux, de la demander aussi bien que celle du comtat. Quelle objection pourrait balancer les raisons irrésistibles qui vcus forcent à la prononcer? Serait-ce la crainte ridicule de nous attirer la lro SÉRIE. T. XX. 529 guerre ? Comme si la réunion d’une petite enclave du domaine français, déjà opérée plusieurs fois, et toujours regardée comme légitime, était un événement fait pour alarmer les nations étrangères et pour embraser l’Europe. Chacun le sent assez : ou les puissances qui nous sont suspectes, veulent la guerre ou elles ne la veulent pas : si elles ne la veulent pas, un acte aussi indifférent pour elles, et aussi juste, ne les déterminera point à nous la faire : si elles la veulent, elles sauront bien se passer d’un si frivole prétexte. Au reste, dans les circonstances où nous sommes, nous n’avons qu’une règle de conduite; nous n’avons qu’une seule arme à opposer aux tyrans, s’ils osent se liguer contre notre liberté; c’est la résolution inéb-anlable de vivre ou de périr pour elle. Restez inviolablement attachés à vos principes, et vous êtes invincibles: si vous les abandonnez, si vous montrez quelque faiblesse, vous êtes déjà vaincus. Il ne me reste donc plus qu’une observation à faire, purement relative à la manière d’exécuter la réunion dont je parle. Il est nécessaire du moins de défendre la pureté des principes de notre Constitution, contre l’erreur de ceux qui, je ne sais pourquoi, ont proposé de remettre au roi le soin de régler cette affaire. Ils n’ont pas vu que l’article du décret sur la paix et la guerre, qui donne au roi le pouvoir d’arrêter et de signer les traités avec les puissances étrangères, sauf la ratification du Corps législatif, ne peut aucunement s’appliquer à la question actuelle. L’acte par lequel un peuple est agrégé ou conservé à la nation, est un acte du pouvoir constituant, puisqu’il a pour objet de déterminer l’étendue de l’association politique ; c’est un article du pacte social, qui ne peut être réglé que par ia volonté mutuelle des associés : il n’a donc rien de commun avec les relations particulières du corps politique, supposé formé et organisé, avec les sociétés étrangères, dont le détail ou les préliminaires sont abandonnés au pouvoir exécutif. Eh ! d’ailleurs, qu’est-ce que le roi peut prononcer sur le fond de cette question ? c’est-à-dire, les Avignonais seront-ils membres de la nation française ? N’est-il pas évident qu’elle ne peut être résolue que par la nation elle-même, ou par ses représentants? Il est donc impossible que le roi puisse intervenir dans cette affaire, jusqu’à ce que vous ayez vous-mêmes déclaré cette volonté souveraine dont vous êtes les organes. C’est alors seulement qu’il pourrait être chargé de l’exécution de ces décrets, et même des négociations qui pourraient en être la suite. Mais quel sera l’objet de ces négociations ? Je n’ai pas besoin d’observer que ce ne peut être la souveraineté d’Avignon, puisque votre décret aura décidé ce pomt. Ce ne sera pas non plus aucune indemnité relative à cette souveraineté, puisqu’il n’est point dû d’indemnité pour la perte d’un droit usurpé, ou plutôt pour la cessation d’un long outrage fait à l’humanité et aux droits des nations. Quel sera donc l’objet de ces négociations? Sera-ce l’indemnité des droits féodaux dont le pape sera privé par l’effet de vos décrets? A la bonne heure si vous pouviez le ranger dans la classe de nos ci-devant seigneurs : mais si vous considérez que la jouissance de ces prétendus droits ‘féodaux n’était que la suite et l’effet de la souveraineté qu’il avait usurpée ; si vous considérez que des siècles d’une injuste jouissance sont plutôt des motifs d’une immense restitution que des titres d’indemnité ; qu’il ne peut pas même exister de réparation assez grande pour compenser la viola-34 830 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] • tion des droits sacrés des peuples et les crimes du despotisme; alors vous pourrez croire que vous ferez un grand acte de justice et même de générosité, si, écartant l’idée de ces négociations absurdes et sans objet, vous vous contentezd’adopter le projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer : « L’Assemblée nationale déclare que la ville d’Avignon et son territoire font partie de l’Empire français, ordonne que tous ses décrets y seront aussitôt envoyés pour y être exécutés comme dans le reste de la France. » M. Bouche. Je demande l’impression du discours de M. Robespierre. (L’impression est mise aux voix et ordonnée.) M. Bu Châtelet, député de Bar-le-Duc (1). Messieurs, peut-être que si l’affaire d’Avignon n’avait été soumise qu’à la discussion de votre comité diplomatique, les opinions se seraient assez rapprochées pour pouvoir vous présenter un vœu commun, mais n’ayant pu s’accorder avec une partie des membres du comité que vous aviez chargés spécialement de l’examen de cette question importante, chacun s’est réservé le droit de vous offrir individuellement le résultat de ses propres réflexions. Trois questions également importantes se présentent d’abord dans la discussion de cette affaire. La première : Quels sont les droits de la nation française sur la souveraineté d’Avignon et de son territoire ? La seconde : Quel est l’usage que l’Assemblée nationale de France peut et doit faire du vœu que le peuple avignonais lui a fait parvenir d’être réuni à l’Empire français? La troisième : La France a-t-elle droit, comme elle a intérêt, de faire passer des forces à Avignon pour y protéger les établissements qui lui appartiennent, et pour y assurer le maintien de 1 �tranquillité publique ? Ces trois questions tiennent au droit des gens, au droit public et au droit naturel. Ces droits doivent être également respectés par une grande nation, dont le premier vœu doit être, sans doute, de protéger partout la liberté qu’elle vient d’acquérir, mais dont le premier devoir est celui d’être juste. Quant aux droits de la France sur la souveraineté d’Avignon, les discussions savantes, que plusieurs jurisconsultes célèbres ont entreprises sur cette matière, semblent avoir accumulé autant de doutes qu’ils en ont écartés, et n’ont jamais pleinement résolu la question ; ce qui paraît seulement constater d’une manière irrésistible, d'après tous les monuments de l’histoire, et par une suite de faits, c’est que nos rois n’ont jamais renoncé formellement à leurs droits, et qu’ils n’ont pas balancé à les exercer en dépouillant les papes de la souveraineté d’Avignon, toutes les fois qu’ils ont eu à se plaindre des entreprises ou des procédés de la cour de Rome; mais on voit en même temps que la fin de ces querelles passagères a toujours été la restitution pleine et entière de ce petit pays au saint-siège, .et que, soit par ménagement pour le chef de l’Eglise, soit çar esprit de justice, la question n’a jamais été définitivement résolue. Quant au titre primordial par lequel Avignon (1) Le discours de M. Du Châtelet est incomplet au Moniteur. et son territoire ont été réunis aux domaines du saint-siège , si la légalité peut en être attaquée, une possession de plus de cinq cents années doit avoir suffi pour en effacer les vices ; ou il n’y aurait rien de stable dans toutes les conventions humaines. Si donc la France a toujours conservé et conserve encore d’anciens droits sur la souveraineté d’Avignon, il paraît au moins certain qu’ils n’ont jamais été exercés que par la force, et qu’ils n’ont jamais été formellement avoués par les papes ; et, si tel est encore le véritable état de la question, pourriez-vous penser que cette controverse, agitée infructueusement depuis tant de siècles, ait été maintenant assez éclaircie pour vous mettre en état de prononcer avec justice dans votre propre cause? Et ne craindriez-vous pas d’abuser de votre toute-puissance, si vous ne donniez pas au moins à la partie intéressée le temps de vous fournir ses moyens de défenses légitimes? Il est peu de nations qui ne conservent, dans la poussière de leurs archives politiques, de vieilles prétentions qui n’ont jamais servi qu’à légitimer les droits du plus fort, si de tels droits peuvent jamais être légitimes. G’est pour prévenir les dangers de cette politique ténébreuse que l’on a imaginé dans notre droit public moderne ces garanties réciproques si souvent éludées; c’est ce qui adonné naissance à ces lignes funestes qui ont plus d’une fois propagé les malheurs de l’humanité, et rendu l’Europe entière un théâtre de dévastation et de carnage. Il est inuli e, pour le bonheur de l’humanité, de persuader aux grandes nations que leur premier intérêt et leur plus grande gloire est de se faire justice entre elles par les voies de conciliation, toujours préférables aux succès les plus brillants de la guerre la plus heureuse; ces vérités éternelles ne peuvent être trop répétées; il est digue de vous de les enseigner et de les pratiquer dans ce siècle de lumières, et l’exemple que deux grandes puissances viennent de donner à l’Europe, en s’accordant sur leurs prétentions, au moment de mesurer leurs forces, est un heureux présage des progrès de cette douce philosophie qui doit un jour bannir la discorde de la surface de la terre. Si les grandes puissances de l’Europe doivent avoir pour règle immuable la modération et la justice dans la discussion de leurs plus grands intérêts, combien une grande nation, et surtout une nation généreuse, ne doit-elle pas adopter 1rs mêmes principes envers une puissance faible et désarmée, qui ne peut lui opposer aucun moyen de résistance? G’est sous ce point de vue qu’il est digne de vous d’envisager encore les droits de la France, sur Je petit Etat d’Avignon ; votre but, dans votre propre cause, doit être, avant lout, celui d’être juste ; et vous ne pouvez, suivant mon opinion, remplir complètement ce but, qu’en suppliant constitutionnellement le roi de faire traiter, par une négociation amiable avec le pape, de ses droits quelconques, sous la ratification nationale, ou de convenir avec la cour de Rome des indemnités légitimes auxquelles elle aurait droit de prétendre ; et c’est par cette seule voie que vous pourrez vous flatter de concilier avec la modération et la justice tous les intérêts et tous les vœux. G’est ici le moment de fixer votre attention sur celui du peuple avignonais; mais d’abord est-il prouvé que ce vœu ait été prononcé et recueilli d’une manière légale? Et quand il l’aurait été, 531 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] quand même, par la conséquence d’un principe général, vous pourriez penser que le peuple avi-gnonais a été libre de vous l’offrir, vous croiriez-vous par cela seul forcé de l’accepter? Vous croiriez-vous même libre de le faire, tant que la question de droit restera indécise? Ne serait-ce pas donner atteinte, par cette démarche au moins précipitée, à tous les droits des souverains, et même aux vôtres ; et ne pourriez-vous pas craindre de fournir, par là, un exemple dangereux, et pour un bien petit intérêt, à plusieurs portions précieuses et éloignées de l’Empire français? Enfin, ne pourriez-vous pas être soupçonnés de saisir plutôt un prétexte qu’un principe, pour satisfaire, je ne dirai pas votre ambition, car cette idée ne peut se lier au peu d’importance d’Avignon, mais vos seules convenances? Je me garderai bien d’entrer dans une discussion approfondie du principe en lui-même, j’abuserais des moments de l’Assemblée si je voulais établir ceux sur lesquels je fonde mon opinion à cet égard : je dirai seulement qu’on D’a pas même fait une juste application de ce principe, quand on a cherché à vous persuader que l’offre qui vous est faite par une partie du peuple d’Avignon, peut être assimilée à celles que vous auriez pu recevoir de la petite république de Genève ou de tout autre peujde dont l’indépendance serait généralement reconnue; sans doute que, dans cette situation, tout peuple serait libre par l’acte de sa seule volonté de solliciter son association avec tel autre Etat voisin, et que celui-ci pourrait l’accepter ou le refuser au gré de ses intérêts et de ses convenances. Mais si les convenances réciproques étaient les seules règles à suivre, si toutes les offres, toutes les propositions de ce genre étaieut dans le cas d’êtreadoptées par la seule force d’un principe général, enfin qu’il fût applicable à touslescasetàtoutes les circonstances, le plus léger caprice des peuples, l’instabilité des opinions, et surtout celle des choses, feraient naître un germe éternel de discorde entre tous les souverains et toutes les nations. Il me reste à traiter ce qui concerne le droit et l’intérêt de la France, relativement au rétablissement de la paix et de la tranquillité publique dans la ville d’Avignon, et encore, suivant mon opinion, le droit rigoureux que vous pourriez exercer avec justice ne s’étendrait pas au delà des précautions d’une sage prudence pour empêcher que cette espèce de contagion ne vînt troubler la tranquillité des départements dont ce petit pays est entouré; mais les établissements que la France possède dans la ville d’Avignon, la nécessité et l’intérêt de les protéger, semblent vous autoriser à donner une plus grande latitude aux mesures que vous pourrez prendre pour éteindre le feu de la discorde, et doivent vous engager à prier le roi de prendre des moyens convenables pour pouvoir y faire passer incessamment des forces suffisantes pour remplir ce double objet, moyens auxquels la cour de Rome pourra d’autant moins refuser, qu’il ne paraît pas qu’il soit désormais en son pouvoir d’arrêter et de prévenir efficacement le renouvellement des troubles qui ont déjà produit plusieurs événements funestes dans la ville d’Avignon, dont le récit a excité votre juste sensibilité. C’est d’après ces diverses considérations que j’aurai l’honneur de vous soumettre le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que les droits de la nation française, souvent exercés, et toujours réclamés sur la souveraineté de la ville et du territoire d’Avignon, sont imprescriptibles, décrète : « 1° Que le roi sera prié de les faire examiner et régler définitivement par une négociation amiable avec la cour de Rome, de même que les indemnités, s’il y a lieu, en faveur du saint-siège, pour le tout être communiqué à l’Assemblée nationale, afin d’y être confirmé constitutionnellement; « 2° Qu’il n’y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur la pétition du peuple avignonais; « 3° Que le roi sera prié de prendre incessamment les mesures convenables pour faire passer à Avignon un nombre suffisant de troupes de ligne, pour y protéger les établissements français, et pour y assurer le maintien de la tranquillité publique. » M. l’abbé Charrier de La Roche, député de Lyon (1). Messieurs, une grande question de droit public et politique vous est soumise. Une pétition vous a été présentée par des Avignonais, pour réunir leur ville, avec son territoire, à la France. Accueillerez-vous cette demande, et enleverez-vous au pape un Etat qui s’est déclaré libre et indépendant de sa domination ? Tel est le point de vue sous lequel je vais rapidement glaner sur un champ déjà presque épuisé, t t où des orateurs plus instruits et plus capables de fixer votre opinion que moi, après avoir développé contradictoirement les grands principes de la matière, m’avertissent de ne vous en offrir, pour ainsi dire, que les résultats. En admettant ceux que vous a fait valoir le premier opinant sur cette importante discussion, je crois pouvoir en tirer des conséquences diamétralement opposées à son système, en vous promettant toutefois un projet de conciliation également éloigné des deux extrémités qui le touchent. La souveraineté réside dans le peuple : il peut l’exercer de la manière qui convient le mieux à ses intérêts et à son bonheur ; il peut, en la déléguant, la conserver ou s’unir à un autre peuple, en adoptant sa Constitution, et se soumettant à ses lois. Mais ce droit inaliénable ne peut être exercé que par une nation réunie et complète, un peuple entier, et non pas une portion du peuple; en un mot, un peuple qui s’appartient à lui-mê ne. Appliquons ces principes, dont je suppose la vérité, et n’entends point contester ici la certitude, à la question dont il s’agit. Le peuple avignonais, nous dit-on, s’appartient à lui-même, et forme une association à part, entièrement distincte et séparée des antres portions de l’Etat du pape ; ce que chacune ne pourrait faire isolément, il le peut, si cette démarche convient à ses intérêts, parce qu’il est un peuple complet, indépendant, et comme étranger aux diverses sections du territoire ecclésiastique. Cette indépendance, cette isolation, s’il est permis de s’exprimer ainsi, vient-elle de ce que le comtat d’Avignon est séparé par la terre et par les mers du reste de la domination pontificale, et n’entreiient aucune relation politique avec les co-Etats; ou bien de ce que l’origine de son acquisition n’est pas la même, et que les Etats du pape, en Italie, ne lui sont pas soumis au même (1) Le discours de M. Charrier de La Roche est incomplet au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.) 532 (Assemblée naiioneie.] titre; ou enfin lui reconnaissons-nous ce caractère, parce qu’il s’est déclaré libre et indépendant d’un régime oppresseur, qu’il ne devait plus supporter ? Dans le premier cas, vous autoriserez toutes nos colonies à se séparer de nous quand il leur plaira; car elles sont à la France ce que le corn-tat d’Avignon est à Rome, séparées par un intervalle immense, et situées sur un climat qui les isole encore plus de la métropole. Dans la seconde hypothèse, vous autoriserez la portion de la Navarre, qui est unie à la France, à se séparer de nous quand elle voudra; car elle a formé constamment, jusqu’à nos jours, un Etat distinct et séparé du reste de l’Empire, avec un sceau, des coutumes et une dénomination même qui ne s’est jamais confondue avec celle de la France. Il y a plus, vous autoriserez même le corps germanique à réclamer le comtat comme une annexe ancienne de la Provence, qui était elle-même un fief de l’Empire; et voilà une semence de guerre fournie aux puissances du dehors, que vous n’entendez sûrement pas développer au préjudice de la tranquillité générale, dont nous avons un si grand besoin. Enfin, dans la dernière supposition, s’il suffisait, en thèse générale, de se déclarer indépendant pour l’être en effet, il n’est pas de province en France, ou dans tel autre Etat que ce soit, qui ne pût se servir de ce prétexte pour rompre les liens de l’association politique, démembrer un Empire, le désorganiser et le dissoudre totalement, après avoir passé par tous les désordres de l’insurrection et de l’anarchie. Mais s’il était vrai que le comtat d’Avignon formât un Etat entièrement isolé de l’Italie, où réside le prince qu’il a reconnu jusqu’à présent, je ne le crois pas plus étranger pour cela au comtat Venaissin qui l’avoisine, que vous savez néanmoins en être parfaitement distingué, et qui ne vient pas de la même source, puisqu’il était une dépendance du comié de Toulouse, que possède la France, au même titre que le pape gouverne le comtat, et que celui d'Avignon relevait du comté de Provence. Or, il fait au moins un même corps, un même tout réuni avec le comtat Venaissin, quoique ayant chacun des Etats et un régime particuliers ; comme la Bretagne faisait partie du même Empire que le Languedoc et la Bourgogne, quoique ayant eu des administrations distinctes et séparées, jusqu’aux nouvelles institutions que vous leur avez données sous le règne de la liberté. Leur proximité, leur contiguïté, leurs relations, leurs habitudes, leurs intérêts, tout est commun, tout contribue à les confondre dans l’ordre politique, en un seul peuple, une nalion indivise comme les autres provinces qui forment le territoire de la France. Il faudrait donc, pour autoriser la prétention des Avignonais, que le comtat Venaissin la partageât avec eux, et avec d’autant plus de raison, qu’Avi-gnon et son territoire n’est presque rien en comparaison du surplus de ce malheureux pays. Or, loin que le comtat Venaissin s’unisse aux Avignonais pour fortifier leur démarche, il la combat, il la désapprouve, il proteste hautement de sa fidélité envers le pape, dont il ne veut pas changer la domination contre notre liberté et nos impôts. A quoi se réduit donc le système des Avignonais, réduits à eux seuls, et ne pouvant plus, san� le comtat Venaissin, former une prétention qui ne peut être invoquée par une portion du peuple contre le vœu de la majoiité du même peuple? C’est comme si l’Alsace voulait rentrer sous les lois del’Ernnire, et la Flandre française se réunir aux Pays-Bas autrichiens; la Lorraine et la Franche-Comté réclamer leur ancien gouvernement, avec d’autant plus de fondement, peut-être, que leur union à la France remonte à peine au delà d’un siècle, tandis que le comtat en compte déjà plus de quatre dans son dernier Etat. Mais il y a plus, si le comtat d’Avignon offrait un vœu bien prononcé pour changer de loi, on pourrait peut-être apporter plus d’attention à sa demande; mais quels sont ses organes? La ville d’Avignon et son territoire forment une population d’environ trente-cinq ou quarante mille âmes : c’est beaucoup, et je force la mesure, pour ne pas chicaner sur le calcul; car si elle était moindre, mon argument serait plus fort, relativement à la population du comtat. Or, sur ce nombre, quatorze cents personnes au plus, malgré la réclamation du reste, demandent à s’unir à la France. Reconnaître un tel vœu, ce serait détruire toutes les bases de l’association politique, ébranler tous les principes qui ont assuré jusqu’ici la tranquillité des peuples, et conservé le droit des gens. Je ne parle point des factions, des intrigues et de toutes les manœuvres que l’on dit qui ont été employées pour exciter cette insurrection du plus petit nombre contre le plus grand; assez d’autres, avant moi, se sont étendus sur cet objet; et d’ailleurs je n’aime pas à partir, pour étayer mon opinion, de points sur lesquels chacun a ses preuves, ses dénégations, et prétend affaiblir celles de ses adversaires par des arguments fondés sur des faits équivoques, incertains et toujours contestés. En vain dirait-on que le comtat est une ancienne dépendance de l’Empire français, et que nous ne ferions que réclamer notre bien en accueillant sa demande. Charlemagne, roi des Français, possédait aussi une partie de l’Italie, de l’Empire germanique et de l’Espagne. Prétendrait-on pour cela au recouvrement des immenses possessions qui ont passé à d’autres puissances? Je dis plus : si, parce que le territoire d’Avignon faisait partie intégrante de la nation provençale, il ne pouvait en être séparé en vertu de la loi constitutionnelle du pays, on pourrait encore une fois, en vertu du même argument, fournir un prétexte à l’Empire pour demander l’Alsace; et à l’Alsace, pour retourner à l’Empire, dont elle n’est séparée que depuis un siècle. C’est ainsi qu’avec les armes que fournit l’inté rêt du moment, quand il n’est pas épuré dans le creuset de la plus rigoureuse équité, on s’égare et ou s’expose à tout renverser. Ne nous écartons donc pas des principes ; il faudra bien y rallier les raisonnements et les faits. Or, d’après les principes des adversaires mêmes que je combats, en rendant hommage à la pureté des inientions qui les animent, je trouve tous les moyens d’établir que les Avignonais, dans l’état actuel, n’ont pas plus le droit de se donner à la France, que la France n’en a de les accepter. Mais, quand ce droit serait incontestable, serait-il convenable et prudent d’en user ? Je ne veux qu’un coup d’œil jeté sur le tableau de la situation politique d’Europe pour sentir que ce ne serait pas le moment d’executer un tel projet, et que les plus grands obstacles, si nous sommes sages, nous avertissent de ne pas nous ingérer dans cette affaire, également délicate et périlleuse. Je n’ai pas les lunettes à longue vue du ca- {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790.] 533 binet diplomatique, mais il faudrait fermer les yeux et se boucher les oreilles pour ne pas entendre ce qui se dit, et ne pas voir ce qui se passe autour de nous. L’Angleterre a dépensé plus de cent millions pour s’établir, sous un prétexte apparent et frivole, dans un état d’armement formidable, qu’elle n’a pas diminué, qu’elle semble augmenter, même depuis que le prétexte a cessé. L’Espagne est aussi dans la même mesure, avec des forces proportionnées à la puissance de sa marine. L’Empire et nos frontières du même côté sont couverts de troupes prêtes, au moindre signal, à se porter dans tous les lieux sans que leurs chefs, d’un moment à l’autre, puissent leur indiquer leur route. On n’ignore pas que toutes ces puissances réunies sont prévenues contre ce qui se passe en France ; et un membre de votre comité diplomatique vous l’a dit avec beaucoup plus de sincérité peut-être que de discrétion. Elles peuvent, sans doute, se servir de mille prétextes pour nous nuire, si elles en ont formé la résolution ; mais il ne faut pas du moins le leur fournir maladroitement, et autoriser les hostilités qui nous menacent. Je suis loin de croire qu’avec l’immensité de nos ressources et les courageux enfants de la patrie que vous avez armés pour notre sûreté au dedans et notre défense même au dehors, s’il le fallait, nous ayons à prévoir une invasion, ou quelque acte d’hostilité redoutable. Mais un grand peuple, qui travaille à sa Constitution et s’occupe du rétablissement de ses finances, a besoin des douceurs de la paix pour le faire avec succès, avec sûreté. N’indisposons donc pas des puissances rivales et jalouses de notre prospérité future, en nous appropriant un pays qu’elles ne verront pas de bon œil changer de domination, surtout quand nous avons avancé que toute idée d’agrandissement désormais serait contraire à notre politique, qui doit être la bonne foi, le désintéressement et la générosité réunis ensemble, et forçons-les à rendre plus de justice aux principes de notre Constitution, en pratiquant les maximes que nous avons consacrées. Vous avez annoncé, en effet, l’édifiante et noble maxime, que, n’aspirant à aucune conquête, et n’étant dirigés par aucun esprit d’ambition, vous vouliez entretenir la paix avec toutes les puissances. Mais ne serait-ce pas en détruire la réalité, ou du moins en faire suspecter les motifs, que de consacrer, sans réserve et sans examen, le droit d’insurrection de la part de tout peuple mécontent contre le gouvernement établi, puisque ces principes, mis en pratique dans les autres Etats, tendraient bientôt à les démembrer, et nous incorporer à des peuples imitateurs des Avignonais; et qu’il n’est pas vrai d’ailleurs que nous fassions le procès à notre dévolution, parce que nous n’avons pas besoin de cette doctrine pour favoriser une opération régénératrice, que le roi lui-même a préparée, a sanctionnée, en donnant l’exemple généreux de son accession aux principes constitutifs de notre Etat ; et qu’elle n’est pas le fruit de l’insurrection accessoire, postérieure et partielle, qui en a quelquefois ensanglanté le progrès, mais de l’adhésion libre et uniforme de toutes les provinces du royaume, qui ont solennellement et unanimement applaudi à votre ouvrage, malgré les mécontentements qui ont éclaté et les sacrifices que chacun a fait à la chose publique? Mais je reviens à mon sujet. En vain dirait-on que la ville d’Avignon et son territoire ne sont qu’un point imperceptible, en comparaison de toute la France; ce début, ce germe d’ambition peut insensiblement s’échauffer et s’accroître. L’Europe peut l'envisager comme une pierre d’attente pour élever un plus grand édifice; et après cette facile acquisition, celle du comtat Venaissin tout entier pourrait d’autant plus facilement la suivre, que les Avignonais, d’une part, ont tout tenté, dans l’expédition infructueuse de Gavaillon, pour détacher cette contrée voisine, du gouvernement qu’ils abjurent; et de l’autre, que ce ne serait rien faire pour les intérêts de nos perceptions aux frontières, comme on vous l’a répété plus d’une fois dans cette tribune, que d’adopter Avignon, sans le surplus de cette fertile et superbe contrée, qui sera toujours une occasion naturelle de fraudes, malgré nos précautions pour les prévenir; et cependant on ne peut se dissimuler que l’union de ces deux provinces à la France ne fût pour elle un accroissement de forces, également spécieux et facile ; et la ville d’Avignon seule, par l’heureux site de sa position, et l’industrie présumable de ses habitants, pourrait devenir une ville puissante de commerce, un entrepôt de richesses dans tous les genres. En voilà sans doute assez pour légitimer la résistance de l’Europe à une réunion que ses armements sont destinés peut-être à combattre. En vain dira-t-on que cette contrée est un foyer de mécontents, dont on peut avoir tout à craindre pour le renversement de votre ouvrage, et qu’il n’y a de ressource efficace pour les réprimer, que de la soumettre à la domination française. On serait en droit d’en dire autant des îles de Jersey et de Guernesey, qui touchent presque nos côtes sur l’Océan, et ont été, de tout temps, le repaire des forbans, le réceptacle des corsaires anglais, et cependant nous n’avons jamais pensé à les désarmer par le même moyen qu’on nous propose contre les réfugiés du comtat. Mais je n’ai que deux mots à répliquer contre cette dernière objection, relativement à cette dernière province. L’occupation seule d’Avignon ne suffirait pas pour faire cesser les inquiétudes de votre patriotisme ; et le comtat Venaissin tout entier, qui se refuse à ce système de réunion, ne sera pas plus redoutable, à l’avenir, pour la France, qu’il ne l’était, avec le territoire d’Avignon, par le passé ; et, dans tous les cas, si l’on y machinait des entreprises contraires aux intérêts de la nation, le prince qui les gouverne, ne le souffrirait pas ; ou, tout au moins, s’il vous refusait une satisfaction légitime, un seul régiment français suffirait, comme en 1768, pour l’exiger, et vous la procurer à vous-mêmes. Enfin, Messieurs, s’il est un foyer de ce qu’on appelle aristocratie, que vous ayez à craindre dans le comtat d’Avignon, n’en est-il pas un semblable dans le pays de Luxembourg, où vous savez qu’il y a des troupes et des mécontents ? Faudra-t-il, par ce motif, s’emparer de cette dernière province ? Le souverain qui la gouverne est plus puissant que celui du comtat; et vous avez toutes sortes de raisons pour ménager son alliance, et ne pas l’indisposer contre nous. J’ajoute, par une conséquence nécessaire, que vous devez également respecter les droits du pontife sur le comtat d’Avignon. Car, enfin, quoique je ne sois pas initié dans le secret des négociations politiques, il ne faut pas être bien clairvoyant pour prévoiries suites funestes d’une démarche imprudente et impossible à soutenir, {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 novembre 1790. . «34 peut-être, sans s’exposer à revenir sur ses pas. Je suppose qu’avant ou après un décret qui aurait prononcé, sur le vœu des Avignonais, la réunion du comtat à la France, l’ambassadeur de l’Empire, ou celui d’Angleterre, vous notifiât, au nom de la couronne qu’il représente, que, par un arrangement particulier, le pape a cédé le comtat à l’une de ces deux puissances, soit en toute souveraineté, soit en dépôt seulement, comme il est arrivé plus d’une fois, de la part du faible, pour résister à l’oppression du fort, et qu’elles lui en ont garanti la restitution dans un temps, et sous les conditions connues entre eux; quel parti prendriez-vous alors? Vous seriez forcés d’opter entre la renonciation à cette conquête, ou la guerre. Je ne pousse pas plus loin ma conjecture ; elle est probable, elle est possible, et je vous laisse le soin d’en tirer la conséquence. Il est cependant un moyen digne de la loyauté française qui vous caractérise, pour sortir de ce défilé, et terminer cette question délicate avec honneur. Le comtat d’Avignon et le comtat Venaissin sont enclavés dans la France. Tous les intérêts politiques, commerciaux, industriels et administratifs se réunissent, d’après leur position géographique, pour en désirer la réunion à l’Empire français ; mais il faut y travailler sans secousse, sans injustice, sans usurpation, avec la franchise et la droiture qui conviennent à un. grand peuple, et qui sont consacrées, par vos actions comme par vos principes ; mais surtout sans porter ombrage aux autres puissances de l’Europe, et sans dépouiller le prince qui gouverne cet Etat aussi légitimement que l’Empire français réunit toutes les provinces qui le composent. D’un autre côté, cet Etat est trop éloigné des possessions italiennes qui forment la souveraineté du pape ; et cet éloigDement, dans l’ordre des intérêts pécuniaires, lui est peut-être plus à charge qu’utile. Il serait possible que ces convenances locales et mille autres intérêts qu’on pourrait y joindre fussent la matière d’une négociation politique, que le roi serait supplié d’entamer et de faire avec Je pape, pour l’échange et l’acquisition libre et volontaire du comtat. L’indemnité en argent serait peut-être plus simple et plus convenable aux intérêts des parties contractantes ; et si le pape voulait librement s’y prêter, il y trouverait des revenus qui lui manquent, et la conciliation serait bientôt terminée. Si cet arrangement pécuniaire, ne lui convenait pas, on pourrait négocier un échange contre quelque petit Etat d’Italie qui serait plus à portée de son gouvernement, et par cela même plus lucratif pour le Trésor apostolique. Il ne m’appartient pas d’indiquer les éléments de celte négociation ; mais un exemple, auquel je n’attache aucune réalité, aucune vraisemblance, qui peut-être ne serait pas susceptible de succès, peut fournir l’idée d'une infinité d’autres, et suffirait pour éclaircir ma pensée. Le duc de Parme unit à ce premier titre le duché de Plaisance. On pourrait engager ce prince à céder une portion de son Etat au pape, et dédommager le duc de Parme pour la cession de la Corse, avec le titre de roi, si toutefois les Corses, devenus nos frères, voulaient se prêter à cet arrangement, sous la protection et avec la Constitution de la France, qui n’oublierait jamais cette marque éclatante de leur patriotisme, et ne les dépouillerait d’aucun des privilèges des citoyens français, qui leur sont dévolus, comme les habi" tants du comtat en jouissent. C’est ainsi que nous avons acquis la Lorraine, enclavée, comme le comtat, dans nos provinces, par son échange avec la Toscane, située en Italie, comme les autres Etats du pape, et qui fut l’indemnité du duc de Lorraine, père de l’empereur actuel. Enfin, Messieurs, dans l’état actuel où se trouve le comtat, et au milieu des troubles qui l’agitent, je pense que, pendant cette négociation, ou toute autre qui tendrait au même but, il conviendrait que, de concert avec le pape qui le désire, le roi fût supplié de prendre cette malheureuse contrée sous la protection immédiate de la France; d’y envoyer des commissaires pacificateurs, pour y rétablir le calme et la subordination, s’il se peut, par les voix douces de la persuasion et de la confiance ; et, dans le cas où Je succès ne répondrait pas à cet espoir, d’y faire défiler quelques troupes, pour protéger les bons citoyens contre les ennemis du bien public qui se refuseraient à la conciliation. En conséquence, et pour me résumer, puisqu’il n’est ni de la dignité, ni de la justice, ni de la sagesse, ni de la politique de la nation de s’incorporer le peuple avignonais, sans le concours du prince qui le gouverne, je pense qu'il n’y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur la pétition des Avignonais, tendant à réunir le comtat à la France, sans l’aveu et le consentement exprès du pape ; et que le roi sera supplié d’entamer avec Sa Sainteté une négociation dans le sens que j’ai ci-dessus expliqué : enfin, que, de concert avec le pontife, il est convenable, pour prévenir des troubles ultérieurs dans le comtat, de mettre ce pays sous la protection immédiate de la France, pour y rétablir l’ordre et la paix, par toutes les voies qui seront jugées nécessaires. M. le Président lève la séance à 10 heures du soir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du vendredi 19 novembre 1790 (1). La séance est ouverte à 9 heures et demie du matin. MM. les secrétaires donnent lecture des procès-verbaux des deux séances de la veille. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Gillet-Lajacqueminière, membre du comité de commerce, au nom de ce comité et de ceux des finances et d’imposition fait un court rapport et présente deux décrets relatifs l'un aux postes, l'autre aux messageries. Il dit : La situation de vos comilés chargés de la suite du travail sur les postes et messageries, après avoir examiné la demande de l’administration des postes et rendant à cette administration la justice qui lui est due, me charge de vous représenter que, s’il a pu exister quelque incertitude sur le (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.