401 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] « consolateurs; elle ne dépense presque rien de « ce qui lui est confié en frais étrangers aux « pauvres : tout leur est distribué et l’enfant qui « est l’objet particulier de ses soins répand une « sorte d’aisance sur le reste de la famille; elle « sollicite perpétuellement la bienfaisance pu-« blique par les résultats précis de ses comptes a et plus encore par les tableaux consolants pour « l’humanité qu’elle lui présente. Son adminis-« tration, rassemblée par la seule passion du bien, « choisie dans toutes les classes de la société, » porte partout l’intérêt dont elle est animée et « doit attirer sans cesse de nouveaux associés et « de nouveaux bienfaits. « Tels sont les détails de l’existence des motifs « et des espérances de l’association de la Charité « maternelle. Si les circonstances actuelles ont « sensiblement diminué les rétributions que lui « apportait la confiance, elle espère survivre à « cet instant de crise et accomplir un jour toute i l’étendue de son vœu. » L’association de la Charité maternelle est une de celles que la nation doit désirer de voir le plus se multiplier; son intention respectable, les sentiments naturels et sacrés qu’elle réveille, lui assurent un grand nombre d’imitateurs. C’est une de celles qui, sans doute, sera plus constamment et plus universellement soutenue par la bienfaisance particulière, et qui doitaimi subsister avec plus de certitude de ses propres ressources; elle est encore, dans ce rapport, essentielle à encourager; car cette association, tournant ainsi les mœurs vers l’occupation de la consolation des malheureux, complète, perfectionne, s’il est possible de le dire, la bienfaisance publique qui, pour être juste, doit être soumhe à des lois exactes et presque sévères dont elle ne doit jamais s’écarter. Les circonstances actuelles, diminuant la fortune des uns, alarmant les autres sur la leur, éloignant de Paris un nombre considérable de personnes riches, réduisent les ressources ordinaires de la Charité maternelle quand cependant ses besoins augmentent. Il a semblé au comité de mendicité, d’après toutes les considérations qu’il vient d’exposer, qu’il était essentiel de soutenir cette association par des secours extraordinaires jusqu’au moment où il aura lien de croire que les circonstances actuelles devront ne plus exister. En conséquence il pense qu’il devrait être donné pendant trois ans, par forme de souscription, une somme de 15,000 livres à la Charité maternelle, prise soit sur les fonds de la loterie, soit sur tout autre fonds à la disposition publique, sans que ce secours puisse être prolongé au delà de ce terme. Le comité de mendicité voit dans cette forme de secours le mode d’encouragement le plus salutaire, en ce que ne grevant� pas l’hôpital général à perpétuité , il assure à jamais l’existence d’une association sans lui fort hasardée, en ce qu’elle laisse l’administration entière de cette association aux mains qui l’ont formée, d’autant plus intéressées à la bien conduire, que de leur bonne gestion dépend le sort de leur établissement, puisque les secours ublics cesseront à une époque rapprochée. nlin cet encouragement, on ne peut trop le répéter, en assurant l’existence de la Charité maternelle, assure la création d’une infinité d’autres établissements du même genre, honorables aux mœurs de la nation, utiles aux malheureux et favorables aux finances de l’Etat. CINQUIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ÂSSEMBLÉE NATIONALE DU 21 JANVIER 1791. EXAMEN de l’instruction de V Assemblée nationale sur l’organisation prétendue civile du clergé, par M. de La Luzerne, évêque de Langres. Une instruction émanée de l’Assemblée nationale se répand dans le public; son objet est de justifier la constitution nouvelle du clergé et le serment exigé des pasteurs de l’Eglise. Mais elle attaque eu même temps très vivement tous ceux qui ont refusé de se soumettre à cette constitution, et de prêterce serment que réprouve la conscience. Je suis du nombre des évêques qui ont rejeté ce serment criminel : j’ai publié les raisons qui m’empêchaient de le prêter ; et de me soumettre à la constitution tracée par l’Assemblée jusqu’à ce que la puissance spirituelle l’eût consacrée, Inculpé, ainsi que tous mes collègues , par la nouvelle instruction , accusé comme eux d’être un calomniateur, un réfractaire aux lois, d’opposer une résistance sans objet, j’ai droit de me justifia. J’ai un autre droit en ma qualité d’évêque, et celui-là est un devoir, c’est d’instruire les fidèles confiés à mes soins des vérités essentielles à leur salut, de leur montrer le schisme où on cherche à les entraîner, de conduire leurs pas incertains à travers les pièges que l’on tend à leur foi. Je puis donc, je dois même répondre à cette instruction par laquelle on cherche à les égarer. Après avoir surpris l’approbation de l’Assemblée nationale, on veut surprendre encore l’assentiment de la nation. Oui, je le dis hautement, la délibération de l’Assemblée qui adopte cette instruction a été surprise à sa religion. Je ne parle pas de la manœuvre perfide, qui, présentant d’abord une autre adresse si scandaleusement irréligieuse, qu’elle a révolté même les artisans de la constitution du clergé, a fait adopter plus facilement une instruction où les principes catholiques sont plus ménagés. Mais que les auteurs de cette instruction disent eux - mêmes s’ils ont souffert qu’elle fût examinée : on a repoussé toute discussion ; on a étouffé la voix éloquente qui voulait en démontrer les vices; dans une seule séance, sur une simple lecture, sans permettre la moindre observation, elle a été adoptée, et sa publication ordonnée-Jamais surprise ne fut plus manifeste, et c’est cette surprise que je viens dévoiler. Plus est imposant le grand nom de l’Assembiée nationale, plus il est important de montrer au peuple que cette pièce adroitement tissue, plus adroitement extorquée, n’a pour elle que le nom de l’Assemblée nationale, et n’a pas son autorité. L’Assembiée ne peut imprimer sou autorité qu’à ce qu’elle délibère; elle ne délibère véritablement que ce qu’elle examine ; et c’est abuser des mots, que de nous donner comme l’ouvrage de l’Assemblée un écrit qu’elle a à peine entendu, qu’il ne lui a pas été permis de discuter et pour lequel ou a enlevé les suffrages avec une insidieuse précipitation. G’est cet examen qui eût dû être fait au sein de l’Assemblée qne je vais faire aujourd’hui. Je vais soumettre, à l’Assemblée elle-même, des ré-llexions qu’on craint de lui laisser entendre. Puisse cette voix, qui y fut écoutée avec quel-qu’iudulgeuce, y être encore entendue sans dé-lre Série. T. XXII. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] 402 [Assemblée nationale.] faveur! Puisse-t-elle, comme autrefois la voix d’un simple enfant, rappeler à un nouveau jugement les sages d'Israël. INSTRUCTION. « L’Assemblée nationale a décrété une instruction sur la constitution civile du clergé : elle a voulu dissiper des calomnies. Ceux qui les répandent sont ennemis du bien public; et ils ne se livrent à la calomnie avec hardiesse, que parce que les peuples, parmi lesquels ils la sèment, sont à une grande distance du centre des délibérations de l’Assemblée. « Ces détracteurs téméraires, beaucoup moins amis de la religion qu’intéressés à perpétuer les troubles, prétendent que l’Assemblée nationale, confondant tous les pouvoirs, les droits du sacerdoce et ceux de l’Empire, veut établir sur des bases, jadis inconnues, une religion nouvelle; et que, tyrannisant les consciences, elle veut obliger des hommes paisibles à renoncer, par un serment criminel, à des vérités antiques qu’ils révéraient, pour embrasser des nouveautés qu’ils ont en horreur. « L’Assemblée doit aux peuples, particulièrement aux personnes séduites et trompées, l’exposition franche et loyale de ses intentions, de ses principes et des motifs de ses décrets. S’il n’est pas en son pouvoir de prévenir la calomnie, il lui sera facile au moins de réduire les calomniateurs à l’impuissance d’égarer plus longtemps les peuples en abusant de leur simplicité et de leur bonne foi. » RÉPONSE. Les auteurs de l’instruction commencent par accuser ceux qui se plaignent des décrets sur la constitution du clergé; ils les dénoncent à la nation entière, à qui l’instruction est adressée, comme des calomniateurs , des ennemis du bien public , des hommes intéressés à perpétuer les troubles. Voilà donc tous les évêques de France, la majorité des ecclésiastiques députés à l’Assemblée nationale, plus des trois quarts des curés de Paris, tout ce qui se trouvera dans le royaume de curés, de vicaires et d’autres ecclésiastiques fonctionnaires qui refuseront de prêter le serment ordonné, parce qu’ils le jugeront contraire à leur conscience, les voilà déclarés à tout le peuple coupables de ces excès, et chargés de tout l’odieux qu’entraînent de si graves inculpations. Et quel temps prend-on, pour exciter ainsi contre les ecclésiastiques l’effervescence populaire? Celui où le fer est à la main d’une multitude d’assassins, où un grand nombre de curés ont été menacés d’une mort cruelle et ignominieuse, jusque dans le sanctuaire, où le respectable curé de Saint-Sulpice a vu le pistolet appuyé sur sa tête (1), où un vénérable pasteur a été assassiné dans la chaire de vérité (2), où la flamme dévore encore plusieurs châteaux du Quercy; où les cendres d’un grand nombre d’autres couvent des feux prêts à se rallumer. Quand les meurtriers et les incendiaires jouissent des fruits de leurs crimes, (1) Celui qui a tenté ce crime a été arrêté : sera-t-il puni ? (2) Le curé de Sept-Saux en Champagne, entre Reims et Chàlons. quand la fatale indulgence, qu’on a eu l’art d’inspirer à l’Assemblée nationale, les provoque à de nouveaux forfaits, par l’espoir d’une semblable impunité, c’est alors qu’on appelle leurs fureurs sur les ministres de la religion. Il y a dans cette provocation au moins une bien grande imprudence. Si on ne veut pas le massacre des ecclésiastiques, pourquoi, par des imputations violentes, courir le risque de susciter contre eux des furieux armés? Si on ne veut que les effrayer par l’aspect de ces phalanges dont on les menace depuis si longtemps, est-on sûr de pouvoir toujours à son gré arrêter des tigres déchaînés à qui on a fait goûter le sang? Dès les premières lignes de l’instruction, on entreprend de donner un motif odieux au courage avec lequel les décrets sur le clergé sont attaqués, et c’est, dit-on, parce que les peuples , parmi lesquels on sème la calomnie , sont à une grande distance du centre des délibérations de l'Assemblée. S’il s’agissait de faits à vérifier, la distance du centre des délibérations pourrait être un obstacle à la vérité, un encouragement à la calomnie. Mais ici, il s’agit de juger des décrets. Que l’on soit placé à la porte de l’Assemblée, ou qu’on en soit à 100 lieues, les décrets sont toujours les mêmes ; ils ont partout la même teneur, le même sens, le même esprit, le même effet ; partout ils paraissent également, ou contraires, ou conformes à la religion catholique; et il n’est pas plus facile de les calomnier au fond des provinces qu’au milieu de la capitale. Il s’agit de juger des décrets, et pour les justifier, on promet une exposition franche et loyale : de quoi ? Des intentions de l' Assemblée, de ses principes et des motifs de ses décrets. Etrange abus des mots 1 on emploie insidieusement les expressions de franchise et de loyauté; on s’en sert pour couvrir le piège tendu à l’attention des lecteurs, et pour détourner plus facilement l’état de la question. On promet d’exposer les intentions de l’Assemblée ; mais s’agit-il de ses intentions ? Combien de fois, avec les intentions les plus droites, des corps nombreux ont-ils été égarés, entraînés loin de leur but par des insinuations adroites, par des déclamations véhémentes, par des citations falsifiées et tronquées (1), et qui ne sait que tous ces moyens ont été (1) Je me contente de citer un seul exemple de l’effronterie avec laquelle on se permet d’induire en erreur la nation, par de fausses citations. C’est l’ouvrage intitulé : Lettre de M. Duranthon, à un ecclésiastique qui a été son curé, sur le serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790. Cet ouvrage est précédé du passage suivant que l’on a mis en épigraphe, pour attirer plus sûrement l’attention des lecteurs, et que l’on prétend tiré du concile de Chalcédoine. .On cite même, afin de donner plus de confiance à la citation, le volume et la page de la collection du P. Labbe, dont ce passage est, dit -on, extrait. « Licitum est imperatori de ecciesiasticarum provin-ciarum finibus detinire, et aliquarum privilégia et épiscopales urbes metropolium honore donare, et an-tistites designare, et alia hujusmodi facere » ( Concil . Calcedon. Labb., t. II, p. 128.) On ne croirait jamais cet excès d’impudence, si on en avait la preuve littérale. La citation est entièrement fausse. Il n’y arien de semblable dans le concile de Chalcédoine. Au contraire, on trouve les principes diamétralement opposés, professés par le concile et par les commissaires de l’Empereur: « Actio IV de Photio episcopo Ty ri, et Eustatio episcopo Berythi. » ( Conc ., Labb., t. IV p. 340 et seq. (La citation est même faite avec autant de maladresse que d’infidélité. Le concile de Chalcédoine n’est pas dans le deuxième volume, mais dans le quatrième du P. Labbe. On indique, pour cette [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier 1791.) employés pour amener la monstrueuse constitution du clergé? Les intentions justifient-elles les fautes ? Il n’y aurait jamais de coupable, si on admettait une pareille apologie. Tout criminel rectifierait le vice de ses actions par la droiture de ses intentions, qu’il serait impossible d’aller vérifier au fond de son cœur. L’Assemblée promet l’exppsition de ses principes; et effectivement, parmi les principes énoncés dans l’instruction, quelques-uns sont purs, sains et parfaitement conformes à la doctrine catholique. Mais il ne suffit pas de faire parade de quelques principes généraux, il faut montrer que, dans l’application, on ne s’est pas écarté de ces principes. Quel est l’hérétique qui n’a pas professé hautement la soumission à la loi de Dieu, l’attachement à la véritable Eglise? Ce sont là des principes communs à toutes les sectes séparées de l’Eglise romaine, et à l’Assemblée nationale. Il s’agit de savoir quelle est cette église, quels sont ses droits, quel est son enseignement. On n’ose pas, dans la spéculation, combattre les premiers principes, mais on les altère dans les conséquences, ou les contredit dans le fait. Qu’importe que l'Assemblée reconnaisse une autorité spirituelle, si elle en méconnaît l’étendue. C’est là ce qu’on lui a reproché, et qu’elle ne justifie pas. Ou dit à l’Assemblée, vous avez empiété sur la puissance spirituelle établie par Jésus-Christ vous avez ordonné ce qu’elle seule pouvait prescrire : vous avez, sur des objets soumis à sa juridiction essentielle, porté des lois contraires aux siennes, et opposées à sa doctrine ; et pour toute réponse, l’Assemblée dit : Je reconnais qu’il existe une puissance spirituelle établie par Jésus-Christ. Suffit-il donc d’avouer le principe, quand on est accusé d’en combattre les conséquences? Enfin l’Assemblée nationale promet d’exposer les motifs de ses décrets. Par celte expression équivoque, on est porté à croire que l’on va trouver dans l’instruction une discussion approfondie, une suite de raisonnements et d’autorités en faveur des décrets. Mais les auteurs de l’instruction sentaient trop bien la faiblesse de leur cause, pour se permettre de la discuter, d’en développer les motifs, de réfuter les raisons qui ont été objectées. Par les motifs des décrets, ils n’entendent pas les motifs qui prouvent la compétence et la sagesse des décrets, mais les motifs qui ont engagé l’Assemblée à rendre ses décrets. Il suffit de lire l’instruction pour s’en convaincre. Partout on voit les raisons qui les ont fait rendre; mais à peine en trouve-t-on quelques-unes par lesquelles on essaye de les justifier. L’exposition des motifs qui ont porté l'Assemblée à donner au clergé une nouvelle constitution prouve-t-elle que celte constitution soit conforme aux principes catholiques? Certes, il y a loin de l’un à l’autre. Et quand on admettrait qu’il y avait de très bonnes raisons pour changer la constitution du clergé, il restait toujours à considérer si l’Assemblée a eu le pouvoir d’en donner une au clergé, si elle l’a donnée conforme aux règles de l’Eglise. citation latine, la page 128; et dans le P. Labbe cette page est en grec. Recourir, pour soutenir sa cause, à de pareilles tromperies.n’est-ce pas avouer que l’on ne peut s’armer de la vérité? Je relève cette falsification entre plusieurs autres, parce qu’elle a été répétée dans plusieurs écrits ; que les journaux se sont plus à la répandre, et qu’elle a pu induire en erreur plusieurs personnes. 403 Ainsi, le moyen annoncé par les auteurs de l’instruction pour répondre aux reproches, ou, comme ils le disent, aux calomnies semées contre la constitution du clergé, est d’exposer des intentions, des principes généraux, des motifs qui ne répondent pas aux reproches, qui peuvent se concilier avec les reproches, qui laisseront les reproches dans leur entier; par là, dès le commencement de leur ouvrage, ils manifestent leur véritable but : c’est de détourner l’état de la question, de l'éluder au lieu de la traiter, d’aveugler les peuples sous prétexte de les éclairer. Nous les verrons, dans toute la suite de cet écrit, fidèles à cette marche insidieuse, mettre toujours en principe ce qui est en question, donner pour des vérités reconnues des points démontrés faux, et établir sur ces bases tous leurs raisonnements. C’est ce que nous allons faire voir. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Les représentants des Français, fortement attachés à la religion de leurs pères, à l’Eglise catholique, dont le pape est le chef visible sur la terre, ont placé au premier rang des dépenses de l’Etat celle de ses ministres et de son culte. « Ils ont respecté ses dogmes ; ils ont assuré la perpétuité de son enseignement; convaincus que la doctrine et la foi catholiques avaient leur fondement dans une autorité supérieure à celle des hommes , ils savaient qu’il n’était pas en leur pouvoir d’y porter la main, ni d’attenter à cette autorité toute spirituelle; ils savaient que Dieu même l’avait établie, et qu’il l’avait confiée aux pasteurs pour conduire les âmes, leur procurer les secours que la religion assure aux hommes, perpétuer la chaîne de ses ministres, éclairer et diriger les consciences. » RÉPONSE. L’Assemblée nationale vante son attachement à l’Eglise catholique, et elle en donne trois preuves: la première, d’avoir placé au premier rang des dépenses de l’Etat celle de ses ministres et de son culte; la seconde, d’avoir respecté ses dogmes ; et la troisième, d’avoir assuré la perpétuité de son enseignement. Reprenons ces trois raisons. Est-ce sérieusement, est-ce par dérision que l’on présente, comme un bienfait de l’Assemblée envers la religion, ses décrets sur la dépense du culte? Croit-on que la nation ait déjà oublié la spoliation aussi violente qu’injuste de tons les biens des églises, l’anéantissement de la propriété la plus antique, la plusconstaute, la plus révérée, reconnue dans tous les temps et parles rois et par la nation? Voilà l’ouvrage de l’Assemblée, voilà ce qu’elle a fait pour la religion catholique; elle a conservé à la secte de Luther ses possessions; elle a enlevé à l’Eglise de Jésus-Christ les siennes, dans les lieux mêmes où elles étaient également garanties par les traités. Et qu’a-t-elle mis à la place de ce patrimoine sacré dont elle a dépouillé les ministres du culte? De médiocres salaires qui suffiront à peine à leur subsistance, des salaires qu’ils devront exiger des peuples, qui les tiendront dans une dépendance humiliante, qui les feront regarder comme les fardeaux de ceux dont ils devaient être les appuis; enfin des salaires précaires, incertains, qui dépendront de la mobilité des principes des législatures à venir, de la variété des événements qui pourront sur- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] 404 [Assemblée nationale.] venir dans l’Etat, des fantaisies tyranniques des corps administratifs, et que l’on juge par le fait de la sincérité de cette déclaration, qu’ils ont placé au premier rang des dépenses de l’Etat celle des ministres de l’Eglise et de son culte. Une année entière s’est écoutée depuis que les églises ont été dépouillées de leurs biens, et ses ministres n’ont pas encore reçu la plus légère portion de ce mince traitement qu’on leur a laissé. Si dans le moment même de l’institution, si lorsqu’on aurait plus d’intérêt à les payer exactement pour atténuer l’idée de l’injustice commise, pour présenter une stabilité dans les principes, pour inspirer quelque confiance dans les promesses de l’Assemblée, on les laisse ainsi cruellement languir dans l’attente d’une d» tte qu’on a reconnue être sacrée, jugeons quel sera leur sort quand le souvenir de leur fortune sera effacé, quand il s’élèvera dans le peuple des murmures sur l’impôt dont on le chargera pour salarier les pasteurs, quand les besoins publics demanderont des secours extraordinaires? L’Assemblée prétend ensuite avoir respecté les dogmes de l’Eglise, et quelle preuve en donne-t-elle? Aucune. C’est cependant un des grands reproches qu’on lui fait de méconnaître les dogmes sacrés : pour toute réponse, elle assure qu’elle a respecté ces dogmes. On est entré dans le détail des dogmes auxquels les décrets portent atteinie; pas d’autre réplique, sinon l’assertion générale que l’Assemblée a respecté les dogmes. Ainsi elle met en principe précisément ce qui est en question. Elle donne pour toute preuve, pour toute réponse à des preuves, son affirmation, et on ose appeler cette manière de raisonner dissiper des calomnies. Une telle défense annonce évidemment l’impuissance de répondre; elle donne une nouvelle force aux objections proposées ; elle complète, s’il en est besoin, la preuve que la constitution du clergé attente aux dogmes de l’Eglise. Mais je ne veux pas imiter les auteurs de l’instruction dans leur manière de raisonner, et apporter, comme eux, pour toute raison, de simples allégations. Je vais leur prouver que les décrets sont contraires à la doctrine de l’Eglise, que cette opposition a été montrée dans plusieurs écrits publiés par des évêques. Je choisis pour cela l’instruction pastorale de M. l’évêque de Ghâlons, dont ils avaient sûrement connaissance puisqu’elle avait été dénoncée. Voici comment ce prélat démontre l’opposition entre les décrets de l’Assemblée et les dogmes catholiques : «Nous le savons, sans doute, que pour ménager encore la piété des fidèles, on ne leur montre ici que des arrangements purement temporels qui n’intéressent point la foi. Mais quoil n’est-ce donc pas un dogme catholique que la nécessité de l’institution canonique dans la seule et unique forme que l’Eglise prescrit? N’est-ee donc pas un dogme catholique que la supériorité des évêques sur les ministres inférieurs? N’est-ce donc pas un dogme catholique que le droit exclusif des premiers pasteurs à l’enseignement et à l’exercice de leur juridiction spirituelle? N’est-ce pas un dogme catholiqueque la primauté exercée dedroit divin par le successeur de saint Pierre, primauté qui n’est point un vain honmur, mais un vrai titre de surveillance et de gouvernement, qui ne le place ainsi au sommet de la hiérarchie que pour en faire le suprême modérateur de l Eglise universelle? Que fait cependant la nouvelle organisation du clergé? Elle nomme de plein droit les vicaires de l’épiscopat ; elle transporte arbitrairement la juridiction spirituelle à ceux qui ne l’ont point, et l’ôte à ceux que l’Eglise en a déjà investis : elle concentre l’autorité épiscopale et l’enseignement même dans une assemblée pres-bytérale : elle dénature le régime ecclésiastique, en y transportant une forme républicaine, essentiellement opposée à son esprit de subordination et d’unité : elle rend le Souverain Pontife, centre de l’unité et chef auguste de tous les pasteurs, étranger au gouvernement de l’Eglise; et déplaçant ainsi cette admirable distribution des différents degrés de l’ordre hiérarchique, elle crée un gouvernement tout nouveau, qui ne saurait naême exister civilement , parce quetrnt corps où il n’y a ni inférieurs, ni supérieurs, porte avec lui le principe immuable de la dissolution. « Ge n’est pas qu’on ait eu soin de colorer ces entreprises inouies de certains ménagements, mais ce n’est que pour tendre plus sûrement au but. C’est ainsi que l’on conserve au pape sa qualité de chef de l’Eglise, mais en la rendant nulle et sans exercice; aux métropolitains, leur prééminence, mais en n’en faisant qu’un droit précaire et illusoire; aux évêques et aux pasteurs, un fantôme d’institution qui n’est point celle que l’Eglise donne. C’est ainsi que l’on exige, pour leur installation, un serment sur la foi catholique, mais par une déclaration générale, à la faveur de laquelle on peut cacher toutes les hérésies; que l’on demande aux nouveaux évêques une lettre de communion au pape, mais dont la teneur est arbitraire, et qui, aussi vague que le serment, peut lui être adressée, comme on l’a vu souvent, par un évêque schismatique; de sorte que, toujours soumis à 1 Eglise et ne l’écoutant pas, lui laissant par le droit une autorité qu’on lui enlève tout eutière par le fait, aimant mieux favoriser le schisme que de le prononcer, et dénouer insensiblement les liens de l’unité que de les rompre avec violence, on ébranle d’autant plus fortement l’édifice, que les coups qu’on lui porte sont moins directs et plus enveloppés. » (P. 3 et 4.) Et c’est à des raisonnements de cette force, à des vérités de cette évidence, qu’on imagiue répondre, en disant froidement qu’on a respecté les dogmes de l’Eglise. Enfin l’Assemblée prétend avoir assuré la perpétuité de l’enseignement de l’Eglise. 11 semblerait qu’avant cette époque la perpétuité de l’enseignement n’était pas assurée, que c’est à notre Assemblée nationale que l’Eglise a cette obligation. Mai3 que l’Assemblée dise donc ce qu’elle a fait pour procurer à l’Eglise cette assurance. Est-ce d’avoir interverti l’ordre de la succession dans les diverses églises, cet ordre précieux par lequel l’enseignement se transmettait sans interruption dans les mêmes sièges ? Est-ce d’avoir relâché les liens d’union et de correspondance avec la chaire de saint Pierre, cette chaire élevée, d’où l’enseignement se répand dans toute la catholicité? Est-ce d’avoir réduit la profession de foi à un simple serment de faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine; serment vague, qui, sous la généralité des expressions, pourra couvrir des hérésies, comme il en a trop souvent couvert? Voilà comment l’Assemblée nationale a assuré la perpétuité de l'enseignement. Ge paragraphe finit par des aveux en faveur de la puissance spirituelle. L’Assemblée reconnaît qu’il n’est pas en son pouvoir d’y porter la main : elle convient que Dieu même l‘’a établie. Entre [Assembléa nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [21 janvier 1791.] 403 ces aveux, il en est échappé un aux auteurs de l’instruction, qui suffit pour les confondre. Cette autorité toute spirituelle a été établie par Dieu même, et confiée par lui aux pasteurs, pour. . . . . perpétuer la chaîne de ses ministres. Si la puissance spirituelle a senti le droit de perpétuer la chaîne des ministres, la puissance temporelle n’a donc pas le droit de l’intervertir. Elle excède donc son pouvoir, lorsqu’elle brise cette chaîne précieuse, en supprimant des sièges ; lorsqu’elle forme de nouvelles successions, en établissant de nouveaux évêchés; lorsqu’en déplaçant toutes les métropoles, toutes les juridictions, elle bouleverse tout l’ordre hiérarchique que l’Eglise seule, de son aveu, a droit de perpétuer. Ainsi l’erreur se trahit toujours par ses inconséquences; et il suffit de lui présenter ses propres principes pour la confondre. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Mais en même temps que l’Assemblée nationale était pénétrée de ces grandes vérités, auxquelles elle a rendu un hommage solennel, toutes les fois qu’elles ont été énoncées dans son sein, la Constitution, que les peuples avaient demandée, exigeait Ja promulgation des lois nouvelles sur l’organisation des lois civiles du clergé, il fallait fixer les rapports extérieurs avec l’ordre politique de l’Etat. » RÉPONSE. Je n’examinerai pas s’il est vrai que la Constitution demandée par les peuples exigeait effectivement de nouvelles lois sur l’organisation civile du clergé : il me serait facile de trouver, dans les cahiers donnés par les bailliages, la preuve de la fausseté de cette assertion. Mais enfin, si le vœu des peuples avait demandé cette organisation nouvelle, sur quoi auraient dû porter les changements? L’instruction elle-même nous l’apprend : il fallait fixer les rapports extérieurs du clergé avec l'ordre politique de l'Etat. C’est là le seul droit que l’Assemblée prétende, le seul qu’elle croit avoir reçu de ses commettants, le seul qu’elle croit elle-même appartenir à la puissance temporelle. Jugeons-la donc par sa propre prétention. S’est-elle bornée dans ses décrets, à fixer les rapports extérieurs du clergé avec l’ordre politique de l’Etat? Si elle a excédé cette mesure, la voilà convaincue, par ses propres paroles, d’avoir outrepassé son pouvoir. Or, je demande aux défenseurs les plus ardents de la constitution du clergé, s’ils oseraient soutenir qu’elle ne contient pas un grand nombre d’articles qui n’ont point de rapport avec l’ordre politique de l’Etat, et qui règlent simplement l’ordre intérieur de 1 Eglise, son administration. Pour éviter toute difficulté, je ne citerai pas ici ceux qui pourraient avoir une relation éloignée avec l’ordre civil, sur lesquels on pourrait contester. Mais je me demande quels rapports peuvent avoir avec l’ordre politique les articles suivants : Les articles 6 et 30 du titre second, qui restreignent les formalités religieuses à remplir par les électeurs, à l’audition de la messe ; Les articles 7, 8 et 9, etc., du même titre, dans lesquels on règle les années de service, et les autres qualités que doivent avoir les sujets pour être éligibles ; Les articles 16 et 17, 35 et 36, relatifs à la confirmation et à l’installation canonique des évêques et des curés; Les articles 18 et 37, qui défendent d’exiger des élus d’autre serment que le serment vague de taire profession de la religion catholique, apostolique et romaine; L’article 19, qui défend aux évêques de demander au pape aucune confirmation, et qui réduit toute leur communication avec le Saint-Siège à une simple lettre, en témoignage de l’unité de foi de communion qu’ils doivent entretenir avec lui ; L’article 20, relatif à la consécration des évêques. Je m’arrêfe là. Je pourrais ajouter beaucoup d’autres décrets; mais, me contentant de ceux que je viens d’indiquer, je demande quels rap* ports ils règlent entre l’état extérieur du clergé et l’ordre politique? S’il est vrai, comme l’évidence le fait sentir, qu’ils portent sur des objets entièrement du régime intérieur du clergé, l’Assemblée reste convaincue d’avoir été au delà de son but, au delà de son pouvoir; et elle est forcée d’en convenir, même d’après sa propre instruction. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Il était impossible dans une Constitution qui avait pour base l’égalité, la justice et le bien général *. l’égalité qui appelle aux emplois publics tout homme qu’un mérite reconnu rend digne du choix libre de ses concitoyens; la justice qui, pour exclure tout arbitraire, n’autorise que des délibérations prises en commun ; le bien général qui repousse tout établissement parasite; il était impossible, dans une telle Constitution, de ne pas supprimer une multitude d’établissements devenus inutiles, de ne pas rétablir l’élection libre des pasteurs, et de ne pas exiger dans tous les actes de la police ecclésiastique des délibérations communes, seules garantes aux yeux du peuple de la sagesse des résolutions auxquelles ils doivent être soumis. » RÉPONSE. Dans ce peu de lignes, il y a un grand nombre d’erreurs à relever : D’abord, on établit qu’il était impossible de ne pas créer une constitution du clergé conforme à la Constitution nouvelle de l’Etat; et où est donc cette impossibilité? Gomment nous fera-t-on comprendre que les changements introduits dans l’Etat ne pouvaient pas s’opérer avec l’organisation du clergé telle qu’elle existait : qu’il était nécessaire de bouleverser toute la hiérarchie, de changer toutes les divisions de métropoles, de diocèses, de paroisses ; de supprimer les chapitres de cathédrales, si anciens dans l’Eglise, incorporés dans la hiérarchie, dépositaires de la juridiction, au défaut des évêques? Comment nous prouvera-t-on qu’il était impossible de donner une Constitution à l’Etat, sans faire tous ces changements dans l’Eglise ? Mais telle est la marche conslante de l’instruction à laquelle je réponds : elle affirme sans cesse, elle ne prouve jamais. L’Assemblée nationale a voulu donner à l'Eglise gallicane une constitution dans le même esprit et d’après les mêmes principes qui ont dicté la Constitution de l’Etat. Mais elle n’a pas ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.) 406 [Assemblée nationale.] senti que les principes de la religion catholique étaient absolument différents de ceux de la nouvelle Constitution. La base de cette Constitution, le principe fondamental dont tous les articles sont la conséquence, est que tous les pouvoirs viennent du peuple, et doivent être conférés par lui. Au contraire, le principe constitutif de l’Eglise est que tout ce qu’elle possède, tous ses pouvoirs lui ont été donnés parJésus-Christ,etque c'est. de Dieu même qu’elle tient son gouvernement. Ainsi, d’un côté, la puissance vient de la terre ; de l’autre, elle émane du ciel ; d’un côté, elle remonte de ceux qui font gouverner à ceux qui gouvernent; de l’autre, elle descen i de Jésus-Christ à ccuxV/wc V Esprit-Saint a établis évêques pour régir l’Eglise de Dieu, d’où elle se communique aux pasteurs subordonnés, et se répand sur le peuple. C’est donc une grande erreur, dans laquelle on a engagé l’Assemblée, de prétendre donner à l’Eglise une constitution conforme à celle de l’Etat. Péchant aussi essentiellement dans le principe, il n’est pas élonnant que ses conséquences aient été aussi vicieuses, et qu’elle ait voulu partout, au régime établi par Jésus-ChrisLsubstituer les institutions démocratiques qui font la base de ses nouvelles lois. De là cette quantité de décrets aussi incompétemment qu’injustement rendus, aussi attentatoires à l’autorité de l’Eglise que contraires à ses saintes lois. J’en trouve, dans le seul article auquel je réponds, deux exemples frappants. Il était impossible dans une telle constitution (disent lesau leurs de l’instructio n) denepas rétablir les élections libres des pasteurs. On a dit, on a prouvé dix fois à l’Assemblée nationale qu’elle ne rétablissait pas les élections anciennement pratiquées dans l’Eglise. On lui a démontré, par les monuments les plus authentiques, que jamais les pasteurs du second ordre n’avaient été élus par les peuples. A ces preuves si positives, l’instruction, selon son usage persévérant, ne répond qu’en assurant qu’on rétablit les élections des pasteurs ; et il faut en croire son assertion, plus que l’évidence des faits ! Par rapport aux évêques, on a aussi démontré que les élections anciennes, et ces élections de moderne invention, n’ont rien de commun; que les électeurs des premiers siècles étaient toute autre chose que ceux à qui on confie aujourd’hui le choix des premiers pasteurs. Certes ils seraient bien étonnés, ces fidèles des beaux siècles de l’Eglise, si, se retrouvant de nos jours à l’élection d’un évêque, ils entendaient comparer ce nouveau corps électoral, où souvent on ne verra aucun ecclésiastique, à ces assemblées respectables que présidaient les évêques de la province, où les pasteurs du second ordre avaient une influence considérable. Ils seraient indignés surtout de voir se mêler aux élections les schismatiques, les hérétiques, les juifs, les idolâtres, à qui on ne permettait jamais d’approcher des saintes assemblées des fidèles. De quelle horreur ne seraient-ils pas pénétrés, en voyant que l’on force l’Eglise à recevoir ses évêques des mains de ses plus cruels ennemis, même des déistes et des athées? Et voilà ce qu’on ose appeler rétablir les élections ! On prétend ramener l’Eglise à sa pureté primitive, en ordonnant une forme d’élections entièrement différente du mode d’élections usité alors, absolument opposée à l’esprit de son antique discipline I Et parce que l’on se sert du mot commun d’élections, on veut faire croire au peuple qu’on remet en vigueur les élections anciennes. Considérons encore ce prétendu rétablissement des élections sous un autre point de vue. La manière de donner à une société ses magistrats et ses chefs ne fait-elle pas partie du régime intérieur de cette société ? N’est-ce pas à la puissance à qui Jésus-Christ a confié la juridiction spirituelle qu’il appartient de déterminer la manière dont cette puissance spirituelle doit être conférée? Aussi c’est toujours l’Eglise qui a établi les élections, en a changé la forme, les a supprimées pour leur substituer un autre mode de nomination. Mais l’Assemblée nationale n’a voulu voir dans la manière de donner à l’Eglise ses pasteurs qu’un rapport extérieur avec l’ordre politique de l’Etat. En conséquence, elle a prétendu avoir le droit de la régler exclusivement, et sans aucun concours de la puissance ecclésiastique. Elle a suivi, pour le choix des ministres de l’Eglise, l’ordre qu’elle avait déterminé pour le choix des magistrats civils. Le même corps électoral qui nomme les députés à l’Assemblée nationale et les membres de l’administration de département nommera les évêques, et les curés seront choisis par ceux qui forment l’administration de district. Ainsi elle a déjà, dans ce point, refondu le gouvernement donné par Jésus-Christ à l’Eglise, sur le modèle de la forme qu’elle a donnée au gouvernement civil. Un autre exemple de la même erreur est ce qu’elle prescrit sur les délibérations en commun. Certainement rien n’appartient plus au régime intérieur de l’Eglise que de déterminer l’autorité qui a droit de la gouverner. Ce n’est pas là un simple rapport extérieur avec l’ordre politique de l’Etat. Il n’y a même aucun rapport entre l’ordre politique selon lequel l’Etat est gouverné, et l’ordre spirituel du gouvernement de l’Eglise. Ces deux ordres n’ont rien de commun ; ils pourraient être absolument différents, sans que l’un ni l’autre n’en souffrît. L’Assemblée nationale a cependant voulu introduire dans l’Eglise la forme démocratique qu’elle a établie dans l’Etat. Elle a distribué, dans l’ordre civil, les pouvoirs entre des corps délibérants à la pluralité des suffrages, créé un Corps législatif, des corps administratifs, des corps judiciaires ; elle a de même voulu soumettre tous les actes du gouvernement de l’Eglise à de semblables délibérations. Il était impossible dans une telle Constitution... de ne pas exiger dans tous les actes de la police ecclésiastique des délibérations communes , seules garantes aux yeux du peuple de la sagesse des résolutions auxquelles ils doivent être soumis. D’après ce principe tout nouveau dans l’Eglise, l’Assemblée a soumis les évêques à ne faire aucun acte de juridiction, en ce qui concerne le gouvernement du diocèse et du séminaire, qu’a-près en avoir délibéré avec leur conseil, qui est composé de prêtres. Voilà donc toute la juridiction, tout le gouvernement de l’Eglise transféré des évêques à un conseil de prêtres dont l’évêque n’a que la présidence, et où il ne jouit que d’un suffrage. Que l’Assemblée eût ordonné que l’évêque ne ferait aucun acte de juridiction qu’après en avoir conféré avec son presbytère, et avoir pris son avis, rien ne serait plus conforme à l’esprit de l’Eglise, à la nature de son gouvernement, qui est un régime de charité et de conseil. Mais, ici, il est défendu à l’évêque de ne rien faire qu’après en avoir délibéré. Ce mot emporte l’obligation de se soumettre à la délibération. Dès lors ce n’est plus l’évêque qui gouverne, c’est le Sénat des prêtres présidé par l’évêque. Comment concilier cette disposition de l’Assemblée nationale avec les dispositions divines? L’Esprit-Saint dit qu’il 407 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791. J a établi les évêques pour régir l'Eglise de Dieu ; l’Assemblée nationale dit qu’elle établit un conseil de prêtres pour gouverner l’Eglise de Dieu. Il y a entre ces deux ordonnances une contradiction formelle, et la constitution civile du clergé est évidemment opposée à la loi de Dieu. SUITE DE L’INSTRUCTION. « La nouvelle distribution civile du royaume rendait nécessaire une nouvelle distribution des diocèses. Gomment aurait-on laissé subsister des diocèses de 1,400 parois-ms et des diocèses de 20 paroisses? L’impossibilité de surveiller un troupeau si nombreux contrastait d’une manière trop frappante avec l’inutilité de titres, qui n’imposaient presque point de devoirs à remplir. » RÉPONSE. Pourquoi cette nécessité de faire une nouvelle distribution de diocèses, conforme à la distribution civile du royaume? Quand les diocèses n’auraient pas la même éiemlue que les départements, quand les uns empiéteraient sur les autres, l’administratiun civile des départements et le régime spirituel des diocèses en iraient-ils plus mal? Non, sans doute, puisque ces deux sortes de gouvernement n’ont rien de commun. L’Assemblée a voulu réunir dans les mêmes circonscriptions tous les genres de pouvoir; elle leur a donné à tous la même étendue, les mêmes limites. Le pouvoir administratif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir religieux, ont maintenant partout la même enceinie ; 83 départements offrent 83 divisions régulières de tous ces pouvoirs. Il en résulte que tons les intérêts, toutes les relations des citoyens, vont se trouver concentrés dans les mêmes lieux. On a détruit les proviuces, parce que l’on a craint qu’elles n’eussent un esprit particulier, contraire à l’esprit public, et on en a créé 83, où l’esprit particulier sera bien plus fort, puisqu’elles rappelleront à un même point tous les rapports qui unissent les hommes, et ramèneront sans cesse tous les citoyens de chaque département à un centre commun. Voilà un grand acheminement au gouvernement fédératif. Chacun de ces départements ayant son administration, ses tribunaux, son évêque, pourra se passer des autres. L’Assemblée nationale sera comme un Congrès servant de lien quelconque à toutes ces petites républiques. Unies par une chaîne si légère, qui empêchera de se séparer celles q i se croiront lésées dans la répartition des charges, celles qu’agiteront des esprits factieux, celles que solliciteront par toutes sortes de moyens les puissances étrangères? Les chefs de chaque ordre, é us par le peuple, auront sur lui une grande influence. Il suffira de les gagner pour opéier la divisiou de l’Etat, ou au moins pour y susciter, des troubles. Il n’en était pas ainsi dans l’ancien ordre de choses: les gouvernements militaires, les administrations de généralités, les ressorts des tribunaux, les diocèses étaient circonscrits dans des limites différentes. Les citoyens avaient des relations séparées: ils dépendaient d’un pays pour un objet, d’un autre pays sous un autre rapport. Il ne pouvait pas se former un esprit particulier, un attachement exclusif à telle partie du royaume, parce que leurs intérêts étaient divisés entre les divers lieux où les conduisaient leurs affaires. De ce que l’Assemblée regarde comme une nécessité de réunir tous les pouvoirs dans les mêmes circonscriptions, il résulte que, dans son sein, le parti qui voulait la République fédérative a prévalu sur celui qui demandait la démocratie, et sur celui qui désirait conserver la monarchie, 11 serait aussi bien difficile d’apporter une raison de cette égalité d’étendue qu’on a voulu donner à tous les diocèses, à toutes les paroisses. Les forces, les talents, les qualités de ceux qui doivent les régir ne sont pas distribués à chacun dans la même mesure; il était donc utile de ne pas donner à tous une mesure égale de travail. Au reste, si quelques diocèses étaient trop étendus, quelques autres trop resserrés, ne pourrait-on pas se concerter avec l’Eglise pour faire les réformes qui auraient paru utiles? L’Eglise s’est-elle jamais refusée aux changements que la puissance civile a désirés? Voyez dans ce siècle, et même récemment, plusieurs diocèses trop vastes divisés, et de nouveaux sièges établis par l’Eglise sur la demande de nos rois. Mais on a voulu absolument que l'Eglise n’y coopérât en aucune manière. A-t-on eu raison, a-t-on eu tort de le vouloir? C’est ce que je vais examiner. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Ces changements étaient utiles, on le reconnaît ; mais l’autorité spirituelle devait, dit-on, y concourir. Qu’y a-t-il donc de spirituel dans une distribution de territoire? Jésus-Christ a dit à ses apôtres : Allez et prêchez par toute la terre . Il ne leur a pas dit : Vous serez les maîtres de circonscrire les lieux où vous enseignerez. » RÉPONSE. Certainement il n’y a rien de moins spirituel qu’une distribution de territoire. Mais ce n’est pas d’une distribution de territoire qu’il s’agit ici: c’est d’une distinction de juridiction spirituelle, et rien n’est plus spirituel de sa nature. On cherche à faire perdre de vue l’état de la question ; on s’efforce d’en substituer une autre. On présente comme la vraie question, si une opération physique, si un ouvrage d’arpenteur doit être soumis à la juridiction de i’Eilise. Mais cette illusion est facile à dissiper, et il ne faut pour cela que rétablir le véritable point de la difficulté. L’Eglise a reçu de Jésus-Christ une juridiction spirituelle sur les âmes de tous les fidèles, elle exerce cette juridiction par le ministère des pasteurs. Ces pre mières vérités sont constantes et universellement reconnues. Il s’agit de savoir si elle peut distribuer cette juridiction entre les pasteurs, charger chacun d’eux spécialement d’une partie du troupeau, lui confier exclusivement la conduite de certaines âmes, tellement qu’il n’ait pas le droit d’en diriger d’autres. Est-ce à la puissance spirituelle, est-ce à la puissance temporelle à prononcer si la juridiction spirituelle sera divisée entre les pasteurs, et à régler la manière dont elle sera divisée? Voilà ce qu’il faut examiner. La question, �réduite à ses véritables termes, est bien différente de celle que présentent les auteurs de l’instruction. Elle a été traitée et approfondie dans plusieurs ouvrages lumineux. Pourquoi éYite-t-on de la discuter ici? Pourquoi craint-on 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] de répondre aux raisons, d’examiner les autorités sur lesquelles les évêques de l’Assemblée nationale, dans leur exposition, et celui de Boulogne, dans sa lettre pastorale, ont établi le pouvoir de l’Eglise sur la distribution des juridictions? Je ne rappellerai pas tout ce qu’ils out dit, et j’en suis dispensé, puisque l’Assemblée nationale ne répond rien; leurs preuves restent triomphantes, tant qu’elles ne sont pas attaquées. De ce que Jésus Christ a dit à ses apôtres : Allez et prêchez par toute la terre , on infère qu’il a donné à eux, et à tous les pasteurs à perpétuité, une mission universelle, une juridiction sur toutes les âmes; mais ce raisonnement, ou prouve trop, ou ne prouve rien. Si, par ces paroles Jésus-Christ a rejeté toute division de juridiction, la distribution des territoires est contraire au principe divin; et dès lors l’Eglise n’a pas eu le droit de se diviser en diocèses. Aucun des défenseurs de la constitution du clergé n’a osé admettre cette conséquence : M. Camus lui-même est convenu, en propres termes : que le bon ordre , la police , doivent déterminer et distribuer les différents lieux entre les pasteurs, et donner à chacun un territoire particulier confié spécialement à ses soins. Si, au contraire, les paroles du Sauveur n’excluent point les divisions de juridiction, et n’interdisent pas aux apôtres et à leurs successeurs la faculté de se distribuer leurs fonctions sacrées, que peut-on en conclure contre le droitde l’Eglise de former ces divisions? En un mot : ou d’après le texte sacré, les circonscriptions de juridiction sont interdites, et, alors pourquoi l’Assemblée nationale se permet-elle d’en tracer une? Ou elles sont permises, et dans ce cas, c’est à la puissance dépositaire de cette juridiction qu’il appartient de les déterminer. 11 n’est pas hors de propos d’expliquer ici ces aroles sacrées dont on a tant abusé, dans l’Assem-lée nationale, pour combattre les distributions de territoire, sans penser que l’on attaquait son propre ouvrage. Jésus-Christ les adresse au corps des apôtres et de leurs successeurs. Mais de ce qu’il leur ordonne, à tous collectivement, de prêcher l’Evangile à toutes les nations, il ne s’ensuit pas qu’il donne à chacun d’eux une mission universelle, et qu’il leur prescrive individuellement d’aller exercer leur ministère dans le monde entier. Ce n’est pas ainsi que les apôtres entendirent le précepte de leur divin Maître : la manière dont ils l’exécutèrent prouve que ce n’était pas là son véritable sens. Ils se distribuèrent les diverses parties du monde, et allèrent annoncer la vérité chacun dans les contrées con liées à son zèle. Saint Pierre s’établit d'abord à Antioche, ensuite à Rome, saint Jacques reste à Jérusalem, saint Jean se fixe dans l’Asie-Mineure, et ainsi tous les autres vont répandre en divers lieux la lumière de la foi. Ils n’en observent pas moins le précepte de leur Maître: tous annoncent la vérité à toute la terre, puisqu’ils se partagent entre eux l’univers. Mais en supposant, ce qui n’est pas prouvé, ce qui est même contraire aux faits, que Jésus-Christ ait chargé chaque apôtre de la conversion du monde entier, ce serait à tort qu’on en conclurait que les apôtres n’avaient pas le droit de partager Je ministère sacré entre les évêques qu’ils établissaient. Quand le nombre des chrétiens augmenta, il devint nécessaire de distribuer les pasteurs dans les lieux où il y avait plus de fidèles. L’augmentation du travail en nécessita la division. Il fallut attacher chaque ministre à chaque portion du troupeau. De toutes les divisions la plus naturelle était de charger chacun d’eux de l’instruction et de la conversion des peuples répandus sur chaque territoire. On ne leur distribuait pas des territoires, mais on leur distribuait la juridiction spirituelle sur les âmes qui existaient dans les territoires. Voilà comment se sont formés les diocèses ; et certes le précepte donné aux apôtres d’enseigner toutes les nations n’était pas contraire à celte formation. Au reste, le principe fondamental de la catholicité est qu’à l’Eglise seule il appartient de déterminer le vrai sens des paroles divines. L’Eglise a jugé que les évêques n’avaient point reçu de Jésus-Christ une mission universelle, quand elle leur a enjoint de se renfermer dans les limites de leurs diocèses, qu’elle leur a interdit l’exercice de leurs fonctions dans des diocèses étrangers, et qu’elle a déclaré nuis les actes de juridiction qu’ils y exerceraient. On peut voir les lois de l’Eglise rapportées dans l’exposition des principes, et dans l’instruction pastorale de M. l’évêque de Boulogne. Jésus-Christ n’a point dit en propres termes à ses apôtres: Vous serez les maîtres de circonscrire les lieux où vous enseignerez. Il ne leur a pas donné le pouvoir de circonscrire physiquement des lieux ; mais il leur a donné celui de circonscrire leur enseignement dans certaines limites. Cette puissance résulte nécessairement de l’autorité qu’il leur a donnée pour régir l'Eglise ; elle est aussi démontrée par le fait, et par la circonscription de la mission et de la juridiction tracée par les apôtres et leurs successeurs. SUITE DE L’INSTRUCTION. « La démarcation des diocèses est l’ouvrage des hommes. Le droit ne peut en appartenir qu’aux peuples, parce que c’est à ceux qui ont des besoins à juger du nombre de ceux qui doivent y pourvoir. » RÉPONSE. Oui, ce sont les hommes qui ont fait la démarcation des diocèses. Mais sont-ce les dépositaires de la puissance temporelle? Sont-ce les ministres de la puissance spirituelle? La démarcation des diocèses n’est pas de droit divin, c’est le droitde circonscrire les diocèses qui émane de Dieu. Avec un pareil raisonnement on attribuerait à la puissance civile le droit de régler tout ce que Jesus-Ghrist n’a pas réglé lui-même : tout ce que l’Eglise a ordonné d’après le pouvoir qu’elle a reçu de son divin fondateur, les cérémonies du saint sacrifice et des sacrements, les prières qui se récitent dans les temples, le précepte du jeûne pendant le carême, enfin tout ce qu’a ordonné l’Eglise est l’ouvrage des hommes ; en conclura-t-on que c’est un droit des peuples de le régler? Mais, ajoute-t-on, c’est à ceux qui ont des besoins à juger du nombre de ceux qui doivent y pourvoir. C’est là sans doute le principe de là Constitution civile donnée par l’Assemblée nationale au royaume, mais ce n’est pas le principe du gouvernement donné à l’Eglise par Jésus-Christ. L’Eglise a reçu de son divin� Auteur tout le pouvoir nécessaire à sa fin, c’est-à-dire à l’instruction et au salut des peuples. L’institution des minisires est le moyen par lequel elle atteint ce but ; c’est donc à elle à les [21 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. instituer et à les distribuer dans le nombre nécessaire ; c’est donc à elle à juger cette nécessité. Si c’était à la puissance publique à fixer Je nombre des ministres nécessaires à la religion, le persécuteur ouvert ou déguisé aurait un moyen bien facile de porter des coups funestes à l’Eglise : il pourrait supprimer les établissements ecclésiastiques les plus respectables, réduire le nombre des ministres du culte au-dessous des besoins du peuple, rendre l’instruction religieuse plus difficile par la rareté des pasteurs, dégoûter les fidèles des exercices de la religion par l’éloignement des lieux saints. Ainsi s’exercerait ce funeste pouvoir d’anéantir la religion, qu’au sein de l’Assemblée nationale on n’a pas eu honte de lui attribuer. SUITE DE L’INSTRUCTION. « D’ailleurs, si l’autorité spirituelle devait ici concourir avec la puissance temporelle, pourquoi les évêques ne s’empressent-ils pas de contribuer eux-mêmes à l’achèvement de cet ouvrage? Pourquoi ne remettent-ils pas volontairement entre les mains de leurs collègues les droits exclusifs qu’ils prétendent avoir? Pourquoi enfin chacun d’eux ne se fait-il pas à lui-même la loi dont tous reconnaissent et dont aucun ne peut désavouer la sagesse et les avantages? » RÉPONSE. Les évêques députés à l’Assemblée nationale ont répondu à ces questions dans leur exposition des principes d’une manière si satisfaisante, qu’il est étonnant qu’on les reproduise. Mais puisqu’on agite encore cette malheureuse difficulté, je vais encore y répondre. J’observerai d’abord que cette transmission de pouvoirs que se feraient réciproquement les métropolitains et les évêques ne pourrait remédier qu’à un seul des vices de la constitution du cierge, à la circonscription incompétente des territoires. Elle ne validerait pas les élections irrégulières ; elle ne rétablirait pas la juridiction de l’Église méconnue ; elle ne supprimerait pas le presbytéranisme qu’on substitue à l’antique gouvernement de l’Eglise; elle ne conférerait pas aux vicaires de cathédrales la juridiction éventuelle, au préjudice des chapitres ; en un mot, elle laisserait subsister tous les inconvénients du nouveau régime, excepté peut-être un seul. Mais considérons les communications réciproques de pouvoirs entre les évêques, non plus sous le point de vue général de la constitution du clergé, mais seulement relativement à la démarcation des métropoles et des diocèses. Au premier coup d’œil il semble que ce moyen pourrait être propre à suppléer les formes canoniques, et à concilier les principes ecclésiastiques avec les décrets de l’Assemblée sur la nouvelle circonscription. Chaque évêque ou chaque métropolitain agirait régulièrement dans le nouveau territoire qui lui serait confié, parce qu’il agirait en vertu de pouvoirs délégués par le légitime pasteur. Le pouvoir de juridiction peut être communiqué, le pouvoir d’ordre peut aussi être dé égué à celui qui est revêtu de l’ordre épiscopal : ainsi les délégations mutuelles paraissent sauver la difficulté et présenter un moyen de tout concilier. Mais en approfondissant ce moyen, on voit qu’il est insuffisant, et relativement aux principes, et relativement à la pratique. 409 Les distributions de diocèses étant, de droit public ecclésiastique, déterminées et arrêtées par l’Eglise, il faudrait certainement pour les changer l’intervention de la même puissance. Cette vérité devient évidente lorsqu’il s’agit d’un bouleversement total de l’Eglise gallicane, du déplacement de tous les diocèses, de toutes les métropoles; ce ne peut être que par l’autorité de toute l’Eglise, qu’un changement total dans la forme du gouvernement soit opéré. Des délégations individuelles ne seraient que des transactions particulières entre les évêques ; elles ne porteraient pas l’empreinte d’une loi générale. Aussi a-t-on demandé, pour valider cette opération, d'abord un concile national, et ensuite une décision du chef de l’Eglise, à laquelle adhéreraient Jes évêques. La communication de pouvoirs que ferait en particulier chaque évêque ne validerait pas les décrets de l’Assemblée dans l’ordre spirituel ; elle ne produirait donc pas l’effet désiré. Le seul effet qu’elle pourrait avoir serait provisoire et pour un temps, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’Eglise se fût expliquée, et eût par son adhésion consacré les changements ordonnés par les décrets. Mais cette juridiction provisoire que se donneraient réciproquement les métropolitains et les évêques, ne remédierait pas au mal et serait sujette à de très grands inconvénients : 1° Les décrets de l’Assemblée ne seraient point exécutés, quand sur les nouveaux territoires les évêques n’exerceraient qu’unejuridiction déléguée et provisoire. L'esprit des décrets, leur prétention est de supprimer, d’étendre, de conférer la juridiction propre et ordinaire des évêques. Ceux qui ont inspiré à l’Assemblée nationale, et qui soutiennent que ces translations de juridiction spirituelle n’excèdent pas le pouvoir de la puissance politique, n’admettraient pas de pareilles délé-gations.Ges mêmes hommes, qui nous reprochent aujourd’hui de ne pas nous transmettre réciproquement des pouvoirs, nous reprocheraient alors la communication que nous en aurions faite. Ils nous reprocheraient de méconnaître la loi, de nous refuser à son exécution, de vouloir agir comme délégués, quand nous serions, selon eux, des pasteurs ordinaires, de faire au nom d’autrui ce qu’il nous est ordonné de faire au nôtre; 2° Les évêques et les métropolitains, qui auraient reçu ces délégations, auraient deux sortes de pouvoirs : un pouvoir ordinaire dans la partie qui était anciennement de leur province ou de leur diocèse, un pouvoir délégué dans le nouveau territoire qui leur aurait été assigné. Il faudrait donc, à chaque acte du ministère, distinguer ce qu’on peut faire en son nom et ce qu’on doit faire au nom du commettant. Quelle confusion, quel embarras dans l’exercice de ce double pouvoir! 3° Si parmi les évêques de France quelques-uns se refusaient à communiquer les pouvoirs spirituels, — car enfin le droit de les donner suppose celui de les refuser, — que deviendrait toute cette idée de conciliation? La difficulté est aussi grande pour une partie de diocèse que pour tout le royaume. Si la puissance civile ne peut pas changer la distribution des juridictions spirituelles, un seul évêque refusant de communiquer la sienne empêche tout exercice valide de juridiction sur son territoire. Et ce n’est pas là une hypothèse imaginée pour élever une vaine difficulté. De nouveaux sièges épiscopaux sont établis par la nouvelle Constitution : il y sera pourvu dans la forme d’élections prescrite par les décrets. Ces évêques, établis par le nouveau régime, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.] 410 choisis dans son esprit, croyant par conséquent, ou ayant intérêt de croire qu’ils sont légitimement et canoniquement installés, voudront-ils se contenter d’être des pasteurs délégués, quand les décrets les font des pasteurs ordinaires? Se réduiront-ils à n’avoir qu’une juridiction provisoire et précaire, quand la Constitution, qui fait leur titre, qui a fait leur promotion, leur en confère une pleine et absolue? 4° Lorsqu’un évêque vient à mourir, les pouvoirs de ses vicaires généraux expirent. Ainsi, au premier décès d’un évêque la difticulté revient tout entière. Ou il n’y a plus personne pour exercer le ministère pastoral dans les lieux délégués, ou il sera exercé dans ces lieux sur le mandat de la puissance politique. 5° Etsi c’est un des évêques dont les sièges sont supprimés qui vient à décéder : plus de tempérament à la difficulté, plus de remède au mal; qui est-ce qui pourra donner la juridiction, quand celui qui l'avait déléguée n’existe plus et n’a pas de successeur? Il est donc évident que la communication des pouvoirs entre les évêques n’eût ni sauvé les principes, ni remédié aux inconvénients. Pourquoi donc s’obsiine-t-on à leur reprocher de n’avoir pas pris ce faible et impraticable expédient? 11 faut le dire hautement : c’est pour se laver soi-même du reproche bien fondé de n’avoir pas adopté le moyen de conciliation , simple , légal, efficace que les évêques proposaient et demandaient. Il s’agissait d’attendre, pour effectuer les nouvelles divisions, que l’Eglise les eût sanctionnées. Quelques jours, ou tout au plus quelques semaines, et la circonscription des diocèses pouvait être exécutée sans difficulté. Non; ce ne sont point les évêques qui se sont refusés à la conciliation : ce sont ceux qui ont fait rejeter le plan si sage qu’ils proposaient, qui n’ont pas permis de le discuter, qui ont à peine laissé l’Assemblée délibérer. Ce sont ces mêmes hommes qui nous reprochent aujourd’hui de ne pas prendre le moyen précaire et insuffisant des délégations; ce sont eux qui ont empêché l’Assemblée d’adopter le moyen stable et légitime du recours à l’Eglise, et c’est de leur propre tort qu’ils veulent nous faire un crime. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Tels ont été les motifs du décret de l'Assemblée nationale sur l’organisation civile du clergé ; ils ont été dictés par la raison si prépondérante du bien public. Telles ont été ses vues : leur pureté est évidente; elle se montre avec éclat aux yeux de tous les amis de l’ordre et de la loi. Imputer à l’Assemblée d’avoir méconnu les droits de l’Eglise et de s’être emparée d’une autorité qu’elle déclare ne pas lui appartenir, c’est la calomnier sans pudeur. « Reprocher à un individu d’avoir fait ce qu’il déclare n’avoir ni fait, ni voulu, ni pu faire, ce serait supposer en lui l’excès de la corruption dont l’hypocrisie est le comble. C’est là cependant ce qu’on n’a pas honte d’imputer aux représentants des Français : on ne craint pas de les charger du reproche d’avoir envahi l’autorité spirituelle, tandis qu’ils l’ont toujours respectée, qu’ils ont toujours dit et déclaré que, loin d’y avoir porter atteinte, ils tenteraient en vain de s’en saisir, parce que les objets sur lesquels cette autorité agit et la manière dont elle s’exerce sont absolument de la sphère de la puissance civile. » RÉPONSE. Voilà donc toujours ce moyen insidieux et insuffisant pour justi fier les décrets de l’Assemblée : on vante ses motifs et la pureté de ses vues ; on répète qu’elle n’a pas envahi l’autorité spirituelle, parce qu’elle l’a respectée, parce qu'elle a toujours déclaré qu’elle tenterait en vain de s’eu saisir. Mais je le répéterai constamment à mou tour : il ne s’agit pas ici des vues de l’Assemblée, mais de ses décrets. Il ne s’agit pas de l’Assemblée, mais de ceux qui font égarée, et qui l’ont aveuglée au point de lui faire adopter, comme purement civile, une constitution qui règle un grand nombre d’objefs spirituels. Ce sont eux qui ont envahi l’autorité spirituelle, usurpé les droits de l’Eglise, méconnu ses dogmes. Ils n’ont d’autre moyen de s’en défendre, que de se couvrir du nom important de l’Assemblée, qu’ils ont trompée, et de crier qu’on la calomnie quand on dévoile ses erreurs et leurs crimes. C’est là cet excès de corruption , dont l'hypocrisie est le comble. SUITE DE L’INSTRUCTION. a L’Assemblée nationale, après avoir porté un décret sur l’organisation civile du clergé, après que ce décret a été accepté par le roi, comme constitutionnel, a prononcé un second décret par lequel elle a assujetti les ecclésiastiques fonctionnaires publics à jurer qu’ils maintiendront la Constitution de l’Etat. Les motifs de ce second décret n’ont été ni moins purs ni moins conformes à la raison que ceux qui avaient déterminé le premier. « Il était arrivé d’un grand nombre de départements une dénonciation d’actes tendant, par divers moyens, tous coupables, à empêcher l’exécution de la constitution civile du clergé. L’Assemblée pouvait faire rechercher les auteurs des troubles, et les faire punir. Mais elle pouvait aussi jeter un voile sur de premières fautes, avertir ceux qui s’étaient écartés de leurs devoirs et ne punir que ceux qui se montreraient obstinément réfractaires à la loi. Elle a pris ce dernier parti. « Elle n’a donné aucune suite aux dénonciations qui lui avaient été adressées; mais elle a ordonné, pour l’avenir, une déclaration solennelle à faire par tous les ecclésiu.-liques fonctionnaires publics, semblable à celle qu’elle avait exigée des laïques chargés des fonctions publiques, qu’ils exécuteraient et maintiendraient la loi de l’Etat. « Toujours éloignée du dessein de dominer les opinions, plus éloignée encore du projet de tyranniser les consciences, non seulement l’Assemblée a laissé à chacun sa manière de penser, elle a déclaré que les personnes dont elle était en droit d’interroger l’opinion, comme fonctionnaires publics, pourraient se dispenser de répondre. Elle a seulement prononcé qu’aiors ils seraient remplacés, ils ne pourraient plus exercer de fonctions publiques, parce qu’en effet ce sont deux choses évidemment inconciliables, d’être fonctionnaire public dans un Etat, et de refuser de maintenir la loi de l Eoit. « Tel a été l’unique but du serment ordonné par la loi du 26 décembre dernier, de prévenir ou de rendre inutiles les odieuses recherches qui portent sur les opinions individuelles. Une déclaration authentique du fonctionnaire public rassure [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791. j la nation sur tous les doutes qu’on élèverait contre lui. Le refus de la déclaration n’a d’autre bal que d’avertir que celui qui a refusé ne peut plus parler au nom de la loi, parce qu’il n’a pas juré de faire maintenir la loi. « Que les ennemis de la Constitution française cherchent à faire naître des difficultés sur la légitimité de ce serment, en lui donnant une étendue qu’il n’a pas ; qu’ils s’étudient à disséquer minutieusement chaque expression employée dans la constitution civile du clergé, pour faire naître des doutes dans les esprits faibles ou indéterminés; leur conduite manifeste des intentions et des artifices coupables; mais les vues de l’Assemblée sont droites ; et ce n’est point par des subtilités qu’il faut attaquer ses décrets. « Si des pasteurs ont quitté leurs églises au moment où on leur demandait de prêter leur serment; si d’autres les avaient déjà abandonnées avant qu’on le leur demandât, c’est peut-être par l’effet de l’erreur qui s’était glissée dans l’intitulé de la loi, erreur réparée aussitôt qu’on l’a reconnue. Ils craignaient, disent-ils, d’être poursuivis comme perturbateurs du repos public, s’ils ne prêtaient pas leur serment. « L’Assemblée, prévoyant à regret le refus que pourraient faire quelques ecclésiastiques, avait dû annoncer les mesures qu’elle prendrait pour les faire remplacer. Le remplacement étant consommé, elle avait dû nécessairement regarder comme pertu dateurs du repos public ceux qui, élevant autel contre autel, ne céderaient pas leurs fonctions à leurs successeurs ; c’est cette dernière résistance que la loi a qualifiée de criminelle. Jusqu’au remplacement, l’exercice des fonctions est censé avoir dû être continué. » réponse. Après avoir essayé de justifier les décrets sur la constitution du clergé par les intentions, les principes, les motifs de l’Assemblée, on entreprend l’apologie du serment exigé des ecclésiastiques; et toujours fidèle à la même marche, on évite d’entrer dans le fond de la question, d’examiner l’objet du serinent, de discuter sa légitimité. On suppose tout ce qu’il serait nécessaire de prouver; on met les vues et les intentions de l’Assemblée à la place des raisons. Les auteurs de l’instruction se plaignent qu’on fait naître des difficultés sur la légitimité du serment , en lui donnant une étendue qu'il n’a pas. Pourquoi donc ne disent-ils pas eux-mêmes quelle est la véritable étendue de ce serment? Si les évêques, dan-leurs écriis, ont effectivement exagéré les obligations du serment, pourquoi cette réticence? S’ils l’ont entendu dans son vrai sens, pourquoi cette plainte? Youdrait-on jeter sur l’étendue du serment une incertitude perfide, se réserver le droit de l’expliquer dans l’occasion, de l’appliquer à son gré, d’en nier les conséquences qui seraient trop embarrassantes, ou d’adopter celles qui pourraient être utiles? Je laisse ces ruses méprisables à ceux qui croient en avoir besoin, et je m’empresse de montrer que les obligations résultant du serment sont incompatibles avec la religion eaiholique. Je ne m’étudierai point à disséquer minutieusement chaque expression employée dans la constitution civile du clergé. C’est d’après le texte, l’esprit et l’ensemble des décrets que je vais prouver qu’un catholique ne peut en jurer le maintien. En publiant ses décrets sur la constitution civile 411 du clergé, l’Assemblée nationale a déclaré qu'ils étaient constitutionnels; donc ils font partie de la Constitution de l’Etat; donc, en jurant de maintenir la Constitution, on se lie au maintien de celle du clergé ; donc tous les articles de la constitution du clergé sont des objets du serment, et l’obligation de les observer, de les maintenir tous en est le résultat. Donc il suffit qu’il y ait dans la constitution du clergé quelque article contraire aux lois de l’Eglise catholique, pour qu’un catholique ne puisse pas prêter le serment exigé. Or, la mission divine supprimée par les nouvelles élections, suppressions, mutations de métropoles et de diocèses; les pouvoirs spirituels transférés par la puissance temporelle des chapitres aux premiers vicaires lors du décès des évêques; les pasteurs établis par une voie d’élection que l’Eglise n’a point consacrée, et par conséquent tous intrus; la juridiction universelle du Souverain Pontife méconnue; le presbytérianisme substitué à l’antique gouvernement que l’Eglise avait reçu de l’Esprit-Saint: ne sont-ce pas là des contradictions évidentes à la doctrine et aux lois de l’Eglise, et des obstacles insurmontables, pour tout fidèle catholique, à la prestation du serment ? Nous sommes liés par les serments sacrés de notre consécration, de notre ordination, de notre baptême; nous ne pouvons pas en prononcer qui leur soient contradictoires. En exigeant des pasteurs le serment de maintenir une constitution à la doctrine de l’Eglise, l’Assemblée attache au refus de ce serment une peine, c’est la destitution de leur office. Je vais considérer cette destitution sous un double point de vue ; je vais montrer qu’elle est tyrannique et incompétemment prononcée; je vais prouver que l’Assemblée n’a ni dû ni pu l’infliger. Les auteurs de l’instruction emploient l’artifice le plus adroit, pour dissimuler tout ce qu’aura d’injuste et de barbare la destitution des pasteurs, qui, fidèles à leur religion, auront refusé le serment. Selon eux, l'Assemblée n’a ordonné le serment que pour n’avoir pas à punir ceux qui s’étaient élevés contre la constitution du clergé. Elle a voulu jeter un voile sur de premières fautes, avertir ceux qui s’étaient écartés de leur devoir. Ainsi ils présentent à l’Assemblée et àlanalionce terrible et révoltant décret d u 27 novembre, comme un acte d’indulgence et de bonté. Ils montrent l’Assemblée toujours éloignée du dessein de dominer les opinions, plus éloignée encore du projet de tyranniser les consciences, laissant à chacun sa manière de penser, tellement que les fonctionnaires seront dispensés de répondre. Ede a seulement prononcé, ajoutent-ils, qu’alors ils seraient remplacés. Quelle expression douce et bénigne pour annoncer l’effet le plus atroce ! Ainsi vont être dépouillés de leur état, privés de tous les moyens de subsistance, condamnés au supplice prolongé de l’indigence, livrés, eux et leurs fa-milles qu’ils soutenaient, à toutes les horreurs, et à la mort lente de la misère, ces vertueux ecclésiastiques qui, fidèles à la voix de leur conscience, auront rejeté un serment contraire à la religion. On se vante de ne pas tyranniser les consciences, au moment où on met tous les pasteurs dans la cruelle alternaiive d’un serment criminel ou de leur ruine (lj.Youdraient-ils d’une pareille liberté (1) Depuis que cette réponse est faite, l’Assemblée, avertie par l'indignation publique de l’atrocité du décret, vient d’accorder 500 livres à tous les curés destitués pour avoir refusé le serment. M. Fréteau avait proposé, lors du décret, ce qu’on vient de faire ; mais 412 [Assemblée nationale. J ceux qui disent que nous sommes libres de ne pas prêter le serment? Si ce n’est pas là une persécution ouverte contre l'Eglise, que l’on me dise en quoi consiste la persécution ? Et voilà où a conduit la religion, cette conjuration impie des athées, des déistes, des protestants, dont un célèbre orateur du Parlement d’Angleterre a dévoilé les perfides manœuvres. Par quels motifs, par quels moyens cherche-t-on à pallier, à justifier ces vexations que l’on fait éprouver à l’Eglise ? Parce que, dit-on, ce sont deux choses évidemment inconciliables, d'être fonctionnaire public dans un Etat, et de refuser de maintenir la loi de l'Etat ... Le refus de la déclaration n'a d'autre effet que d'avertir ue celui qui a refusé ne peut plus parler au nom e la loi, parce qu'il n’a pas juré de maintenir la loi. Ainsi les coupables auteurs qui ont fait adopter à l’Assemblée et la constitution dite civile du clergé, et l’instruction prétendue justificative, ne dissimulent plus leurs maximes anticatholiques. Ce n’est plus, selon eux, an nom de Jésus-Christ que parlent les pasteurs de l’Eglise, c’est au nom de la loi. Au moins ici nos adversaires deviennent conséquents. Dès que la religion n’est plus une émanation divine, mais une simple institution politique, c’est au magistrat politique à conférer la mission, à donner le droit a’exercer les fonctions religieuses. Est-ce de l’Eglise, est ce de l’Etat que les mi-nistresdu culte sont fonctionnaires ? On ne s’attendait pas à voir s’élever une pareille question. Sans doute les pasteurs ont, d’après les lois civiles, des fonctions à exercer dans l’Etat ; mais ces fonctions de l’ordre temporel sont secondaires et accessoires à leur profession. Leur ministère principal et direct est d’être les ambassadeurs de Jésus-Christ, les délégués de l’Eglise, les pasteurs des âmes. C’est de l’Eglise qu’ils tiennent la mission, en vertu de laquelle ils exercent ce ministère sacré: comment l’autorité politique peut-elle les en dépouiller ? Qu’elle punisse la résistance à ses ordres, par la privation de ces fonctions civiles qu’elle a ajoutées aux fonctions spirituelles, elle n’excédera pas dans cette disposition la mesure de son pouvoir. Ce sera une injustice, puisque les pasteurs ont dû refuser le serment, ce ne sera pas une usurpation. Mais il il paraît qu’on n’avait pas l’idée de la vertu et du courage du clergé de France. On a espéré que la tentation de la faim ferait succomber tous les curés et vicaires ; leur courage religieux a forcé d’en revenir à la proposition de M. Fréteau. Mais on a eu garde de l’étendre aux vicaires, dont 20,000 se trouvent réduits à la mendicité. Il est clair que le but est de les ramener au serment par la crainte du besoin, et par ce moyen de remplacer les curés. Mais grâce à Dieu, cette politique infernale échouera vis-à-vis des vicaires comme vis-à-vis des curés. Il n’est pas inutile que le public sache quel est l’auteur de cette atroce persécution contre le clergé. M. Martineau s’en défend et dit que c’est M. Camus, qui, contre le vœu du comité, a proposé à l’Assemblée de forcer le roi à sanctionner le décret du 27 novembre. M. Camus d’un autre côté, à qui on a fait des reproches, a répondu: C’est Barnave qui l’a voulu. Ainsi, en dernière analyse: 1° C’est M. Barnave, protestant, qui a la douce satisfaction de se venger sur tout le clergé de France, bien doux et bien tolérant, des dragonades autorisées par quelques fanatiques du dernier siècle ; car on sait que Bossuet, le cardinal de Noailles et l’archevêque Le Tellier y étaient opposés ; 2° C’est la majorité de l’Assemblée nationale, qui, tout en parlant de son attachement à la religion catholique, ne fait qu’exécuter le projet de vengeance d’un de ses ennemis. (Note de l'Editeur.) [21 janvier 1791.] lui est impossible d’enlever à un évêque, à un curé, ce qu’ils ne tiennent pas d'elle, leurs pouvoirs spirituels, leur mission et leur juridiction sur les âmes. Malgré les décrets, malgré les jugements, ce caractère sacré leur restera toujours. Toujours ils seront les vrais pasteurs des peuples. Ceux qui oseront entreprendre de les remplacer seront des intrus, des schismatiques que l’Eglise, dont ils diviseront l’unité, rejettera de son sein, que les peuples devront méconnaître, éviter, pour suivre les fidèles pasteurs que l’Assemblée nationale aura proscrits. Je ne sais si on doit être plus étonné, ou plus révolté, de l’iuconcevable maxime exprimée dans l’instruction. L'Assemblée a dû regarder tomme perturbateurs du repos public ceux qui, élevant autel contre autel , ne céderaient pas leur place à leurs successeurs. Quoi ! ce sont ces anciens pasteurs canoniquement installés, qui ont exercé paisiblement leurs fonctions jusqu’au moment où des mandataires de la puissance civile sont venus les y troubler, qui sont accusés d’élever autel contre autel? Assurément, l’un des deux est coupable de ce crime : ou celui qui a été établi par l’Eglise, ou celui qui, en vertu des décrets, prétend le remplacer. Il y a deux chaires dans la même Eglise; l’unité est divisée, et c’est par le fait de l’un ou de l’autre des compétiteurs. Mais est-ce par celui qui siège eu vertu de la mission de l’Eglise, ou par celui qui a reçu la sienne de l’Assemblée nationale? Peut-il y avoir un doute sur cette question? « Gomment, disait saint Gyprien, peut-on regarder comme pasteur celui qui, tandis que le véritable pasteur existe encore et préside dans l’Eglise de Dieu par l’ordre d’une succession légitime, vient, ne succédant à personne, et commençant un ordre nouveau, se rendre l’ennemi de la paix du Seigneur et de l’unité divine (1)? » Telle est la force des principes catholiques. On ne peut être ni revêtu, ni dépouillé des pouvoirs spirituels, que par la puissance spirituelle et par les moyens qu’elle a établis. Quiconque entre dans le sanctuaire par une autre voie n’est pas le pasteur du troupeau; il est, selon l’expression de Jésus-Christ, un mercenaire, un voleur , un larron. Il est, de plus, uu schismatique, s’il prétend siéger dans une chaire dont un autre pasteur n’a pas été légitimement exclu. Voilà le sort qui attend ces profanateurs prêts à envahir les places de ceux qui n’auront pas prêté le serment ; l’Eglise leur prépare les anathèmes dont elle écrasa autrefois les sectateurs de Donatet de Novatien. SUITE DE L’INSTRUCTION. « Serait-ce le sacrifice de quelques idées particulières, de quelques opinions personnelles qui les arrêterait ? L’avantage général du royaume, la paix publique, la tranquillité des citoyens, le zèle même pour la religion, seront-ils donc trop faibles dans les minisires d’une religion qui ne prêchent que l’amour du prochain, pour déterminer de tels sacrifices? Dès que la foi n’est pas en danger, tout est permis pour le bien des hommes, tout est sacrifié par la charité. La résistance à la loi peut entraîner, dans les circonstances présentes, une suite de maux incalculables; l’obéissance à la loi maintiendra le calme dans tout l’Empire; le dogme n’est point en danger ; aucun article de la foi catholique n’est atta-(1) Epist. LXXVI ad magnum. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 413 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1791.J qué. Gomment serait-il possible, dans une telle position, d’hésiter entre obéir et résister? » RÉPONSE. Ce ne sont point des idées particulières, des opinions personnelles dont il s’agit ici : ce sont les droits essentiels de l’Eglise, ses lois saintes, ses dogmes sacrés qui sont attaqués, et de pareils sacrifices ne sont point en notre pouvoir. Ce ne sont pas là des biens qui nous appartiennent et dont nous puissions disposer à notre gré. Nous en sommes dépositaires, comptables� à Dieu et à l’Eglise. On cherche à nous entraîner par les considérations les plus puissantes sur nos cœurs: on nous présente Davantage du royaume, la tranquillité des citoyens, la paix publique. Quelle paix, grand Dieu! que celle dont la ruine de la religion est la condition! Quels sacrifices n’avons-nous pas faits à cette paix précieuse? Dépouillés de nos honneurs et de nos biens, nous n’avons fait entendre aucunes réclamations; calomniés, ersécutés, nous n’avons élevé aucuns murmures. ’il n’était encore question que de nous, si nos seuls intérêts étaient compromis, on verrait toujours en nous la même soumission, une obéissance aussi absolue. Mais les droits inviolables de l’Eglise, mais le sacré dépôt de la foi, rien ne les arrachera jamais de nos mains. On ose parler des maux que notre résistance peut entraîner : c’est qu’on craint le bien qu’elle doit produire ; c’est qu’on sent qu’elle sauvera la religion. Ce serait notre obéissance à ces décrets destructeurs qui causerait le plus grand des maux, qui entraînerait notre malheureuse patrie dans un schisme aussi déplorable que celui qui a perdu l’Angleterre. Dans une telle position , il nous est impossible d’hésiter entre obéir et résister. SUITE DE L’INSTRUCTION. < Français, vous connaissez maintenant les sentiments et les principes de vos représentants; ne vous laissez donc plus égarer par des assertions mensongères. »> RÉPONSE. Français, les projets des ennemis de votre foi sont maintenant à découvert. Vous pouvez enfin juger par quel motif on calomniait vos pasteurs ; on vous les présentait comme vos ennemis; on vous suscitait contre eux; on vous engageait à les exclure de vos assemblées. Ges criminelles manœuvres cachaient des vues plus profondes. G’était la religion catholique que l’on se proposait de renverser. Il a fallu commencer par détruire votre attachement à vos pasteurs, votre confiance en eux, et perdre les ministres pour anéantir plus facilement le ministère. Arrêtez-vous sur le bord de ce précipice qui est ouvert devant vous, et dont vous pouvez à présent sonder toute la profondeur. Ne vous laissez pas entraîner dans ce schisme effrayant où vous poussent les mains coupables qui ont causé tous vos autres maux; conservez à ce royaume l’unité précieuse, la pureté de foi, qui depuis tant de siècles fout sa gloire et son bonheur. Vous allez vous trouver entre deux classes de pasteurs, et obligés de choisir ceux dont vous suivrez la voie, à qui vous confierez la direction de vos âmes. Hésiterez-vous entre ceux qui ont reçu leur mission de l’Eglise, par les moyens canoniques qu’elle a établis, et ceux qui tirent la leur de l’Assemblée nationale; entre ceux dont le ministère, par une succession non interrompue, remonte jusqu’aux apôtres, et ceux qui .interrompant cette vénérable tradition de ministère, vont commencer une succession nouvelle; entre ceux qui restent unis de communion à la sainte Eglise romaine et à toutes celles de la catholicité, et ceux que les anathèmes du Souverain Pontife et de tous les évêques vont frapper sur leurs sièges usurpés ; entre ceux qui, avant ces jours de désolation, jouissaient de toute votre estime, et des inconnus que l’intrigue et la simonie vont conduire au milieu de vous; entre ceux qui, sacrifiant toutes leurs possessions, toutes leurs espérances, ne peuvent être animés que du noble motif du devoir, et ces avides intrus, impatients d’envahir le sacré ministère, dont leur ambition et leur avarice seuls suffiraient pour les faire déclarer indignes? Ab! mes frères, il s’agit ici de votre plus grand, de votre plus cher intérêt, de votre salut éternel : il n’en est point hors de l’Eglise; il n’y a pas d’Eglise loin des pasteurs légitimes. Ecoutez la voix salutaire de votre conscience, qui vous crie de ne pas vous engager à la suite de ces ministres prévaricateurs qui vous conduiraient dans le schisme, et de vous rapprocher plus fortement que jamais de vos anciens, de vos véritables pasteurs qui, seuls unis à l’Eglise par le lieu sacré de l’unité, peuvent seuls vous y tenir fermement attachés. FIN DE L’INSTRUCTION. « Et vous, pasteurs, réfléchissez que vous pouvez, dans cet instant, contribuer à la tranquillité des peuples. Aucun des articles de la loi n’est en danger. Cessez donc une résistance sans objet; qu’on ne puisse jamais vous reprocher la perte de la religion, et ne causez point aux représentants de la nation la douleur de vous voir écartés de vos fonctions par une loi que les ennemis de fa Révolution ont rendue nécessaire. Le bien public en réclame la plus prompte exécution, et l’Assemblée nationale sera inébranlable dans ses résolutions pour la procurer. » RÉPONSE. Pasteurs des peuples, ministres et défenseurs de la foi, accourez à son secours, dans le moment où elle est si violemment attaquée; ralliez-vous autour de vos évêques, dont l’unanimité vous présente un si grand exemple. Il en est temps encore; votre courageuse résistance peut sauver l’Eglise, et empêcher qu’on ne ravisse à votre patrie la vraie religion, le patrimoine le plus sacré que nous ayons reçu de nos pères, l’héritage le plus précieux que nous puissions transmettre aux générations futures. Oh! vous qui, vous élevant au-dessus de toutes les espérances et de toutes les craintes de la terre, avez rejeté le coupable serment, bravé la pauvreté, la calomnie, la persécution, la mort, vous savez qu’une immense récompense doit un jour vous dédommager amplement de vos pertes. Mais j’ose vous annoncer que vous De tarderez pas à la recevoir dès ce monde. Votre courageuse résistance, forçant tous les respects, désii-lera enfin les yeux trop longtemps fascinés. La 4] 4 (Asseriiliite nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 janvier 1791.] même loi civile qui vous proscrit aujourd’hui vous ramènera au milieu de vos peuples, plus grands par votre abnégation, plus honorés par vos disgrâces, plus chéris par vos malheurs. C’est là que vous recueillerez le premier fruit de vos sacrifices, celui qui fut toujours sur la terre le premier objet de vos travaux, le vœu le plus cher de votre cœur, l’estime, la vénération, l’amour de vos paroissiens, qui auront appris par vos épreuves à connaître de plus en plus vos vertus, et dont l’attachement sera encore augmenté de la crainte qu’ils auront de vous perdre. Et vous qui, dans ce grand combat de la conscience contre l’intérêt, n’avez pas montré le même courage, vous que les suggestions étrangères, que le défaut d’instruction, que la crainte de la misère, que la terreur d’un peuple soulevé, que les larmes d’une famille, dont vous êtes les seules ressources, ont engagé à prêter le déplorable serment, et à faire le premier pas vers le schisme, vous avez par une grande faute scandalisé l’Eglise; mais elle vous tend encore les bras, pour vous relever de votre chu te. Elle vous crie ce que son divin fondateur disait au chef des apôtres : Et tu aliquando convenus confirma fratres tuos. Gardez-vous de coœommer ce schisme dont vous avez pris le criminel engagement. Hâtez-vous de révoquer le funeste serment arm-ché à votre faiblesse. Votre malheureuse démarche a pu ou scandaliser, ou égarer votre troupeau. Que votre glorieux retour, réparant toutes les impressions fatales, édifie les uns et ramène les autres. Plus une rétractation coûtera à votre cœur, plus elle sera méritoire devant Dieu, efficace pour les hommes. Et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. Voyez les grands exemples qui vous ont été donnés, et dans l’Assemblée nationale, et dans les paroisses de la capitale. Rougiriez-vous d’imiter, dans leur réparation, ceux que vous avez eu le malheur d’imiter dans leur erreur? Ah! c’est de persister dans votre faute, c’est d’y entraîner ceux que vous êtes chargés d’en préserver, c’est d’abandonner l’Eglise lorsqu’elle a besoin de votre appui, c’est enfin de résister à la fois, et à la loi qui vous commande, et à votre conscience qui vous presse, que vous auriez à rougir. Et lu aliquando conversus confirma fratres tuos. Le moment va arriver, que vous n’avez pas prévu, quand vous avez prononcé le fatal serment ; il vous presse; vous ne pouvez le retarder. Il va paraître au milieu de vous, cet évêque intrus qu’aura élevé une élection irrégulière. Auquel de vos serments serez-vous fidèles? Sera-ce à celui que vient de vous arracher la crainte, ou de vous extorquer la séduction? Sera-ce à celui que vous prononçâtes au pied de votre légitime évêque, lorsqu’il vous introduisit dans le sanctuaire ? 11 n’y à plus à hésiter; il faut à ce moment même opter. Il faut irrévocablement décider si vous et le peuple, que vous êtes chargés de conduire, serez catholiques ou schismatiques. Oserez-vous franchir cette nouvelle barrière? Oserez-vous vous charger encore de ce péché ? Non, j’ose l’espérer, je l’attends de votre foi ; l’excès même du crime ouvrira vos yeux, arrêtera vos pas. Vous dissiperez toutes les illusions, vous surmonterez loutes les terreurs, vous vous réunirez à vos légitimes évêques, à vos fidèles collègues; plus éclairés par vos erreurs, devenus plus forts par votre chute, vous confirmerez dans la vraie foi, par votre glorieux retour, ce peuple que votre égarement a pu ébranler. Et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GRÉGOIRE. Séance du samedi 22 janvier 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. t/re de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. Boucher. Je ferai une observation sur le décret que vous avez rendu relativement à la formule de publication des lois. Cette formule et la manière dont elle est ordonnée sont insuffisantes; les simples mots: mandons et ordonnons, etc., qu’on lit au bas de chaque loi, ne permettent pas de faire distinguer les lois qui sont constitulionnelles de celles qui ne sont que réglementaires. Je croirais bon qu’à la fin de la loi il fût mis par le roi ces mots : Nous avons accepté, et, par ces présentes signées de notre main , acceptons et mandons, etc., ou bien, suivant la nature des lois promulguées, ceux-ci : Nous avons sanctionné, et, par ces présentes signées de notre main, sanctionnons et mandons , etc... Je demande que le comité de Constitution soit tenu de présenter incessamment à l’Assemblée des vues sur cet objet. M. d’André. Cette ligne de démarcation entre les lois constitutionnelles et les lois réglementaires doit être tracée parle comité de révision, Je demande donc le renvoi de la proposition aux comités de révision et de Constitution réunis. (Cette motion est décrétée.) Un membre du comité d'aliénation propose et l’Assemblée nationale décrète la vente de biens nationaux à différentes municipalités dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait par son comité de l’aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites suivant les formes prescrites, déclare vendre les biens nationaux dont l’état est annexé aux procès-verbaux respectifs des évaluations ou estimations desdits biens, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790, et pour les sommes ci-après, payables de la manière déterminée par le même décret ; Savoir : A la municipalité de Chalon - sur - Saône , pour la somme de . . . A la municipalité d’E-pervans et la Rougère. A la municipalité de Grignon et les Granges. A la municipalité de Nuits. ... ............ A la municipalité de Pujaux .............. A la municipalité de Bernis ............... A la municipalité de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.