[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790.] 317 pose est si important qu’il est difficile de se déterminer après une seule lecture ; cependant il est impossible de n’être pas frappé de son insuffisance; il ne fallait pas se borner à réformer quelques détails, mais on devait toucher à la composition des conseils de guerre. Vainement vous auriez donné un conseil à l’accusé, si, comme les autres citoyens, les soldats ne tenaient de vous le droit d’être jugés par leurs pairs. Je ne prétends rien dire de désobligeant à l’armée française en exposant avec force un sentiment que vous trouverez, sans doute, plein de justice. Il est impossible de décréter, dans les circonstances actuelles, que les soldats n’auront pas d’autres juges que les officiers... (Il s'élève quelques murmures.) J’en conviens, il faut du courage pour dire, dans cette tribune, où une expression d’un membre patriote a été interprétée d’une manière défavorable, qu’il y a entre les soldats et les officiers des intérêts absolument opposés. Si cette réflexion est juste, serez-vous suffisamment rassurés sur le sort des soldats qui pourraient être accusés? Ne craindrez-vous pas que quelquefois cette différence de sentiments sur la Révolution ne fasse naître des préjugés contre l’innocence des soldats? Ne craindrez-vous pas que, sous prétexte de discipline, on ne punisse le patriotisme et l’attachement àla Révolution? Mes observations sont conformes aux principes de l’Assemblée nationale ; elle ne les violera pas quand il s’agit de la sûreté des braves soldats auxquels nous devons une reconnaissance si sincère et si méritée. — Je demande que désormais le conseil de guerre soit composé d’un nombre égal d’officiers et de soldats. M. Alexandre de Carnetli. Je serais loin d’élever des objections contre le décret qui vous est présenté, si je croyais qu’il pût remplir le but que le comitése propose, le rétablissement de l’ordre dans l’armée, et si, en ne changeant pas la composition du conseil de guerre, il était possible de rétablir cet ordre. Nous ne pouvons, dans les circonstances présentes, laisser le conseil de guerre composé d’officiers ; il ne serait pas convenable qu’il fût uniquement composé de soldats; mais je proposerai un mode bien simple: par exemple, s’il s’agissait de juger un soldat, le conseil de guerre serait composé de trois personnes du grade de l’accusé, un caporal, un sergent, un sous-lieutenant, un lieutenant, un capitaine et un officier supérieur. Je ne crois pas cependant que nous devions nous occuper, en ce moment, de former un conseil de guerre, lorsque nous pouvons appliquer les jurés aux tribunaux militaires. A l’instant où vous aurez décrété les jurés au criminel, les comités militaires et de constitution vous présenteront un projet fondé sur cette base. M. Démeunier. Les deux comités réunis avaient senti et adopté ce que vient de direM. de Robespierre ; mais les bases de leurs travaux n’étaient point arrêtées ; c’est par respect pour les soldats, par reconnaissance pour l’armée, que je demande qu’on donne provisoirement, et dès aujourd’hui, un conseil à l’accusé, ne fût-ce que pour quinze jours. M. Garat l'aîné. Je ne puis croire que l’Assemblée adopte les jurés, même en matièrecrimi-nelle ; mais aux militaires, les délits sont si simples, que les jurés pourraient y être appliqués dès aujourd’hui. Cependant où serait l’inconvénient de décréter, dès à présent, des articles applicables à tous les projets ? J’observerai de plus que je ne vois rien qui concerne la récusation, ce point bien important pour les accusés. (On demande l’ajournement.) M. de Beaumetz l’adopte et l’appuie. M. Prieur. Je demande que, si l'on ajourne, tout jugement militaire soit suspendu. M. le ehevalier de Marinais. Le mode indiqué par M. deLamethest entièrement suivi à Malte ; on y a fait une addition qui tourne au profit du respect dû aux chefs ; elle consiste dans l’établissement d’un conseil de révision composé de trois officiers généraux. Ce tribunal a la puissance d’amender en moins les peines prononcées contre les subordonnés... En appuyant l’observation de M. Garat, je demande que la récusation soit prononcée et fixée aux trois quarts des juges. M. de Sillery. Je me suis trouvé à beaucoup de conseils de guerre ; j'en connais tous les inconvénients. Je demande une formation nouvelle des conseils de guerre, et que jusqu’alors il soit sursis à toute condamnation militaire. M. Barnave examine les différentes opinions à des points fixes, et présente cette conclusion, que l’Assemblée ordonne au comité de constitution et au comité militaire de présenter incessamment un projet de formation de tribunaux militaires, et que, jusqu’à ce moment, il soit sursis à tout jugement. M. de Cazalès. Ce sursis est impossible, à moins qu’on ne veuille consommer, en France, l’anarchie la plus complète. M. Charles de Cameth. Je ne crois pas qu’on puisse trouver ce danger à surseoir à tout jugement militaire; mais si, au contraire, on laissait aux plus puissants un moyen semblable, il serait possible qu’ils en abusassent; il se pourrait alors que les plus faibles vissent qu’ils sont plus nombreux et qu’ils peuvent devenir plus forts ; il se pourrait qu’ils voulussent user de leur force, et c’est alors que naîtrait une véritable anarchie. S’il y a eu des désordres dans l’armée, on doit les rapporter, non aux soldats, mais à des causes qui sont dans un sens contraire à la Révolution. J’adopte entièrement les conclusions de M. Barnave. M. Démeunier. On vous a proposé de renvoyer l’organisation militaire aux comités militaire et de constitution ; vous avez depuis longtemps décrété ce renvoi. On vous propose d’ordonner un sursisse ministre a déjà suspendu tout jugement; il n’y a donc lieu àdélibérer ni sur le renvoi, ni sur le sursis, ou plutôt on doit, sans délibérer, passer à l’ordre du jour. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’elle attendra le travail définitif que doivent lui soumettre le comité de constitution et le comité militaire réunis, sur l’organisation des conseils de guerre. L’ordrejour appelle ensuite la discussion sur V ordre judiciaire et la continuation des débats sur l’établissement des jurés. M. Brillat-Savarin. Je me suis convaincu que l’établissement des jurés, bien loin de procu- 318 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790. rer les avantages qu’il semblait promettre, n’a pas même ceux de l’ancien ordre judiciaire. Les jurés, se renouvelant sans cesse, n’auraient jamais les lumières nécessaires à des juges; ils pourraient avoir, au contraire, des préjugés dangereux, ceux des rivalités, des jalousies, de l’esprit du corps. La procédure ancienne évite tous les inconvénients; lefaitetle droity sont distingués. L’instruction sert à établir le fait ; mais voici une raison bien plus forte encore : jamais on n’avait vu moins de procès que dans lessix années qui ont précédé l’Assemblée nationale. Les ordonnances étaient tellement connues, qu’il n’y avait presque plus de procès de forme. Les coutumes ont été fixées parla jurisprudence ; on commençait à jouirde la paix après des siècles de troubles: vous réalisez cet axiome : nouvelles lois, nouveaux procès. Je pense donc qu’il faut rejeter les jurés comme dangereux dans leur essence, inutiles dans leurs effets, et inconvenants à nos mœurs actuelles. (Quelques personnes demandent l’impression de ce discours ; un plus grand nombre réclame la question préalable. D’autres demandent que l’on continue l’ordre du jour. II est continué.) M. Thonret (1). Messieurs, jé me propose d’examiner la motion incidente qui fut faite à la séance du 8 de ce mois, et qui tend à changer l’état de la délibération, pour accorder la priorité au projet présenté par M. l’abbé Siéyès. Votre comité vous a proposé un plan d’ordre judiciaire. M. Duport vous en a offert un autre, ayant pour base l’établissement actuel du juré, tant au civil qu’au criminel. M. Ghabroud vous a exposé de nouvelles vues, qui, d’un côté, se rapprochent du plan de M. Duport, et de l’autre, de celui du comité. Enfin, M. l’abbé Sieyès vous a fait distribuer un projet, en 176 articles, différent en tout de tous les autres plans. Vous avez décidé, le 31 mars dernier, qu’avant de soumettre aucun de ces plans à la discussion, et avant d’en adopter aucun comme ordre de travail, vous examineriez et fixeriez un petit nombre de principes fondamentaux, que vous avez regardés comme éléments nécessaires de toute délibération ultérieure. La série des questions propres à déterminer ces principes a môme été adoptée, et positivement décrétée. Ce décret a été exécuté pendant plusieurs jours par le débat ouvert et prolongé sur les deux premières questions: Établir a-t-on les jurés? Les établira-t-on tant en matière civile que criminelle ? Les développements donnés par M. Duport, le sens reçudumot/we.etl’exempledn seul juré, actuellement connu et pratiqué, nelaissent pas de doütequ’ii a toujours été question des vrais jurés, pris dans là classe commune des citoyens, simples juges du fait, très différents par leur caractère, et par leurs fonctions, des officiers de justice qui prononcent séparément sur le droit. J’ai eu l’honneur, Messieurs, de vous exposer mon opinion ; elle est entièrement pour l’établissement actuel du juré en matière criminelle, et contre son établissement actuel en matière civile ; mais, comme quelque parti qu’on prenne sur cette question des jurés, il faut toujours une organisation de tribunaux, j’ai montré que, dans toutes les hypothèses, on pourrait se rallier aisément au plan (1) Le Moniteur ae donne qu’une analysé dü discours de M. Thouret. du comité, en ne mettant que trois juges en chaque district, et en substituant pour l’appel, aux tribunaux de département et aux cours de vingt juges, une organisation beaucoup plus simple, moins dispendieuse, exempte de tout ce qui pourrait inquiéter pour la liberté publique, et terminant toutes les affaires en chaque département; organisation qui rendrait les tribunaux également propres à faire le service avec le juré civil, ou sans lui. Plusieurs personnes ont parlé après moi toujours sur les deux premières questions de la série décrétée; et cette discussion, après avoir duré pendant six séances, touchait au moment d’être terminée, lorsque la prédilection de quelques membres pour le plan de M. l’abbé Sieyès, a fait naître la motion d’anéantir le décret positif sur l’ordre du travail, de perdre le fruit de son exécution commencée, de cesser de délibérer sur les questions admises pour en venir à délibérer sur les plans, et d’accorder la priorité de discussion au projet de M. l’abbé Sieyès. Je pense que cette motion ne tend point à accélérer le travail, non seulement parce qu’elle en trouble l’ordre, mais, surtout, parce que la marche qu’elle indique est, au fond, la moins propre à faciliter et à assurer la délibération. Un plan est un ensemble, ou il n'est rien: par conséquent, accorder à un plan la priorité de discussion, c’est s’engager à en accorder toutes les bases et leurs résultats nécessaires, puisque ce plan est un ensemble; ou c’est s’exposer à un embarras très fâcheux, si les progrès de la discussion obligeaient ensuite à s’écarter du plan, parce qu’alors l’ensemble étant dérangé, il ne t esterait rien. Il faut donc examiner rapidement si le projet de M. l’abbé Sieyès nous permet d’espérer que la majorité des suffrages s’y ralliera promptement et facilement. I. On l’a présenté, d’abord, commedevant rapprocher les diverses opinions sur les jurés ; d’une part, parce qu’il les emploie au civil et au criminel , et d’autre part, parce que le jury qu’il propose est d’une espèce très différente des jurés de M. Duport. • Ce premier point mérite d’être éclairci très-soigneusement, car il importe beaucoup de ne laisser subsisteraucune équivoque sur l’important objet de cette délibération. Passons d’abord sur la ressemblance dans les mots, et venons au fond de la chose. Le jury de M. l’abbé Siéyès n’est point proprement le juré qui a fait jusqu’ici la matière de la discussion ; c’est une institution qui en est essentiellement différente, et qui ne produit pas plusieurs des avantages du vrai juré, surtout celui qui est le plus désirable dans les poursuitescriminelles. Cet avantage, que rien ne peut remplacer, est celui de la séparation des pouvoirs et de la division des fonctions, qui, attribuant à deux ordres de personnes différentes le jugement du fait et l’application de la peine, fournit la seule combinaison par laquellela liberté et la sûreté individuelles peuvent être pleinement garanties dans le danger des accusations. Les membres des jurys de M. l’abbé Siéyès n’ont; point de fonctions séparées on différentes de celles déjugé. Ils ont la plénitude de ce dernier caractère, et celle du pouvoir qui en dérive. L’article 121 du projet les établit juges de toutes les questions, sans en excepter aucune , questions de fait , questions de droit , questions mêlées de droit et de fait, jusqu’à la question pénale inclusivement : cette dernière disposition lève toute incertitude. Us ont si complètement et si éminemment le caractère de juge, qu’ils l’effacent, pour ainsi dire, dans l’officier de justice mis à leur tête pour les diri- 319 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790.] ger, et tfüi, suivant l’article 122 du projet, doit se regarder plutôt comme un directeur de justice, chargé par la loi de faire rendre la justice , que comme un juge de l’ancien étatde choses, chargé de la rendre lui-même. Je vois par là que les jurys formeraient seuls le fond de toute la judi-cature qui subsisterait désormais en France; mais je ne vois point en eux le juré dans sa nature propre, sous ses rapports les plus intéressants, et, surtout, sous celui que nous entendons, que nous désirons tous en matière criminelle, et dont notre devoir ne nous permet pas de priver la nation; celui d’assurer la liberté par la séparation des fonctions pour le jugement du fait, et pour celui de là peine. La priorité accordée au plan de M. l’abbé Siéyès ne hâterait donc pas la délibération sur la question des jurés. Loin d’être propre à rapprocher les opinions, il tendrait à les écarter davantage; il y introduirait un nouveau germe de division, puisqu’on était d’accord de l’admission du vrai juré en matière criminelle, et que ce dernier système l’exclut. C’est à ce dernier mot que l’attention doit se fixer; le jury qui nous est offert n’est pas le juré qu’il nous faut pour le jugement des crimes. II. Il vous a été dit, Messieurs, que si vous accordez la priorité au plan de M. l’abbé Sieyès, l’ordre judiciaire sera non seulement organisé, mais encore en pleine activité au premier juin prochain. Cette promesse suppose évidemment que toutes les bases du plan et la plupart de ses détails ne donneraient lieu à aucune difficulté sérieuse. Je n’ai rien à dire sur cela à l’Assemblée, qui a sous ses yeux le projet imprimé; mais je dois lui observer qu’en supposant que l’organisation complète pût être décrétée, dans le système proposé, sous un mois, l’activité de la justice resierait encore suspendue longtemps après; puisque, suivant le plan, il faudrait faire, outre le décret constitutionnel, quatre lois d’exécution sans lesquelles le nouvel ordre judiciaire resterait sans mouvement. La première de ces lois est le code général de police, dans lequel, suivant l’article 7 du plan, la police générale, surtout, dont l’organisation forme une des grandes parties du projet, trouverait tous ses développements. Il est évident qu’avec des décrets conformes au plan, mais sans ce code dont l’objet est tout neuf dans notre législation, la police générale si importante resterait entièrement paralysée. La seconde loi est celle qui, suivant les articles 23 et 24, contiendrait les règles nécessaires pour séparer avec précision deux classes d’affaires, dont les unes seraient jugées définitivement par la justice primaire, et les autres, nommées causes d’instance ou d'appel, pourraient être soumises aux. juges du département. La troisième loi est, aux termes des articles 53 et 54, celle qui distinguerait dans le nombre des affaires soumises aux juges du département, les Causes d’ Assises, des causes de Tribunal; nouvelle distinction, dont le plan donne pour bases spéculatives, très difficiles à réaliser dans la pratique : d’une part, la nature des affaires susceptibles de se prêter à des formes promptes et expéditives, et dont l’importance ne fait pas craindre une trop dangereuse influence sur une multitude de passions ; et, d’autre part, tant V importance personnelle ou même réelle des affaires, que la difficulté de la matière ou de l'instruction. Là quatrième loi est le règlement du dépôt provisoire, c’est-à-dire du tarif des épices que chaque plaideur serait tenu, suivant les articles 66* 67, 68, 69 et 70 du plan, de consigner, avant l’instruction de son affaire, pour payer les jüges et le greffier; Je ne m’occupe pas, en ce moment, du fond de cette idée ; mais je ne crains pas de dire que la rédaction de ce règlement ou tarif, nécessairement pi*éalableà toute exécution du plan, ferait le désespoir de ceux qui en seraient chargés. C’est une source de corruption et d’abus, pire que tout ce qui existait dans l’ancien régime, que cetfeinstitution du dépôt provisoire , si le tarif n’en est pas réglé avec assez de précision pour prévenir les extorsions arbitraires ou artificieuses des greffiers, à qui le droit est donné de fixer et d’exiger la consignation pour chaque procès; or, toutes les bases manqueront pour arriver, non seulement à cette précision dans la composition du tarif, mais surtout à l’exactitude de son application. Aucune de celles indiquées par le plan n’est praticable. On aura, dit l’article 68, consulté, pour faire le règlement, la nature des procès et le temps présumé qu'il sera nécessaire de donner à leur jugement » Qu’est-ce qui peut, avant que l’instruction d’une affaire soit commencée, déterminer par présomption le temps qu’elle emportera? Gomment la nature desprocès , quanta la difficuJ té et à la longueur, soit de l’instruction, soit du jugement, peut-elle s’établir autrement que par l’instruction même? Faut-il entendre que la nature des procès serait distinguée par les diverses classes d’actions qui servent à les introduire? On retomberait, paria, sous l’oppression de l’arbitraire et des inductions subtiles qui soulèvent la nation contre le tarif du contrôle, combiné de même sur la classification des contrats. Sans doute, il sera impossible de bien faire jamais ce règlement du dépôt provisoire; mais comme, en le faisant, il faudrait le rendre le moins mauvais possible, il imposerait la nécessité d’un très long travail. Tant que les quatre lois que je viens d’exposer ne seront pas publiées, le plan de M. l’abbé Sieyès, quoique décrété constitutionnellement, arrêterait le cours delà police générale et de la justice civile et criminelle dans tout le royaume. J'ajoute qu’il changerait encore si essentiellement toutes les données sur lesquelles l’instruction des affaires est établie dans les tribunaux actuels , qu’il rendrait la confection d’un nouveau code de procédure civile indispensable dès ce moment. C’est d’après cela qu’il faut juger si le moyen de rétablir l’activité delà justice au premier juin prochain seraitd’ac-corder la priorité au plan de M. l’abbé Sieyès. III. Ce plan, nous a-t-on dit, a, par dessus tous les autres, l’avantage particulier d’attacher les gens de loi à la constitution pat* le traitement favorable qu’il leur fait. Vérifions, Messieurs, cette assertion, en jugeant de la véritable position des gens de loi, comme il ne faut pas douter qu’ils en jugeraient eux-mêmes, si le plan était exécuté. Il y a maintenant dans tous les districts un ou plusieurs tribunaux permanents qui font un service continu, et dans lesquels toutes les affaires, quelque importantes qu’elles, soient, sont instruites et jugées. M. l’abbé Sieyès ne laisserait, dans ces districts que de simples Assises par tournées, dont le service intermittent cesserait pendant une grande partie de l’année, et se bornerait pendant sa durée au jugement sommaire des petites causes qui peuvent se prêter à des formes promptes et expéditives. Tous les procès plus importants seraient enlevés aux -districts et portés au tribunal du département. Le résultat est que, par là» l’état des gens de loi dans les dis- 320 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790.1 tricts, c’est-à-dire dans les neuf dixièmes du royaume, serait infailliblement anéanti. L’indemnité que M. l’abbé Sieyès leur offre est de les appeler tous à être inscrits, de droit, sur la liste des éligibles pour les jurys, et de les faire payer de leurs vacations lorsqu’ils seront employés ; mais (ju’est-ce que le produit de quelques vacations à gagner par les fonctions accidentelles de juge dans les petites affaires portées aux assises, en comparaison de celui d’un travail habituel et permanent qui serait détruit? N’est-ce pas précisément parce que ce faible avantage serait divisé et réparti entre tous les gens de loi de chaque district, qu’il n’en pourrait dédommager aucun? Enfin, qu’v aurait-il là qui pût tranquilliser un père de famille en lui assurant les moyens de soutenir son état et de suffire aux besoins de sa maison? Je sais bien que ces considérations d’intérêts personnels, quelque touchantes qu’elles soient pour notre sensibilité individuelle, ne peuvent balancer ici, dans aucun système, la nécessité de l’intérêt général; mais il faut convenir du moins qu’elles ne peuvent être vantées en faveur du plan de M. l’abbé Sieyès, et que si la priorité n’est due qu’au projet qui conserverait l’état des gens de loi, ce n’est pas au sien qu’elle peut être accordée. Sous ce rapport particulier, il est beaucoup moins avantageux que le plan du comité, et que celui même de M. Duport, qui laisserait aux assises de chaque district l’instruction et le jugement de toutes les affaires, quelque grande que fût leur importance. IY. Un examen rapide de quelques-unes des bases principales du plan ne le présente pas d’une manière plus favorable pour obtenir la priorité de discussion. Je remarque d’abord qu’il entraîne une dépense si considérable que pour en sauver la moitié au Trésor public, M. l’abbé Siéyès est obligé de continuer à faire payer les juges parles plaideurs, il met déjà à la charge de l’Etat : Pour les magistrats primaires. 6,000,000 liv. Pour 996 juges de département à 2,000 livres chaque .......... 2,092,000 Pour les 83 grands-juges de France ........................ 996,000 Total à payer par le Trésor public ....................... 9,088,000 liv. M. l’abbé Sieyès convient que le traitement de 2,000 livres pour les juges de département est insuffisant et qu’il doit être élevé à 6,000 livres par les produits du dépôt provisoire. G’est une augmentation à fournir par les plaideurs, de ............................. 4,184,000 Il n’y a encore rien dans tout cela pour le payement des jurys ; et cette dépense à raison de dix membres à payer dans chaque affaire, soit civile, soit criminelle, ne peut pas être évaluée pour tout le royaume au-dessous de 4,000,000 de livres dont une partie, savoir le coût des procès criminels poursuivis d’office, serait encore à la charge du Trésor public, ce qui n’a pas été aperçu par le plan ; et le surplus serait payé par les plaideurs ........................ . 4,000,000 Total suivant le projet de M. l’abbé Siéyès ............ 17,272,000 !iv. Je ne doute pas que beaucoup de bons esprits ne soient frappés de l’énormité de cette dépense ; mais ce qui doit les alarmer tous, clest l’abus perpétué de faire salarier le juge directement par les parties. Un de vos décrets les plus solennels a ordonné, en termes absolus, que la justice sera rendue gratuitement, et toute la France a applaudi; ce vœu a été unanime. Le plan de M. l’abbé Sieyès est donc en contradition, et avec votre décision positive et avec l’opinion publique. Quand le principe ne serait pas déjà décrété, pourriez-vous, Messieurs, consacrer l’indécence d’une judicature mercenaire, prenant dans la bourse du plaideur le prix de son travail? L’idée d’un dépôt provisoire, réalisé avant l’instruction et immuable ensuite, sauve, il est vrai, la honte et l’immoralité d’un payement à tant par pièce, ou par heure ; mais sauve-t-elle de même la tentation et la possibilité des disputes non moins scandaleuses sur l’application du tarif pour la quotité du dépôt ? Serait-il d’ailleurs d’une bonne constitution judiciaire d’interdire l’accès des tribunaux aux citoyens qui ne pourraient pas, ou rassembler la somme qui en ouvrirait l’entrée, ou s’en dessaisir sans nuire à leur défense ultérieure? Enfin, n’y a-t-il rien là qui rende la balance inégale entre les diverses classes des citoyens, en favorisant trop dangereusementie riche au détriment du pauvre? Je sais que le plan n’annonce l’emploi et le payement des gens de loi dans les jurys , que comme un ordre de choses momentané; mais je demanderai toujours, quand arrivera-t-elle cette époque fortunée où la législation générale sera devenue assez simple en France, pour que tous les citoyens soient bons légistes et bons juges? D’ailleurs, il resterait toujours le supplément de 4,184,000 livres à fournir par le dépôt provisoire, pour compléter le traitement des juges de département. M. l’abbé Sieyès pense que la justice n’est due gratuitement qu’au premier degré et qu’on peut la faire payer sur l’appel. Cette distinction est écartée par le décret du 4 août, et elle serait difficile à justifier en principe ; car, ou le degré de l’appel est dû comme nécessaire à la sûreté de la justice, et, en ce cas, cette dette de la société envers ses membres, doit, comme toutes les autres, être acquittée par elle ; ou le degré de l’appel n’est pas dû parce qu’il serait regardé comme inutile, et, en ce cas, il faut le supprimer. Dans les deux hypothèses le plan de M. l’abbé Sieyès ne peut plus subsister : la première lui enlève son moyen d’exécution et la seconde détruit sa base constitutive. En me renfermant dans la question de priorité, il suffit que ce plan porte en entier sur la conservation de l’appel, pour qu’il ne puisse pas être préféré à la série des questions décrétées ; puisque au nombre de ces questions est positivement celle de la conservation ou de l’abolition de l'appel, et que si la décision de l’Assemblée passait à ce dernier avis, le plan serait totalement renversé. Y. Je dirai deux mots sur la constitulion de la justice primaire qui est une partie tellement fondamentale dans le projet, que si elle n’élit pas admise, il n’y aurait plus de projet. Peut-on croire à une prompte et facile réunion des suffrages en faveur de ce premier degré composé d’un lieutenant de police, et d’un lieutenant de justice, non en chaque canton ou même en chaque ville, mais en chaque assemblée primaire? Ainsi dans un canton, où il peut y avoir plusieurs assemblées primaires, il y aurait autant de lieutenants de police et de lieutenants de justice que [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1T90.J 321 d’assemblées-, et dans une ville de 40,000 âmes, il en faudraitdix de chaque espèce, ayant chacun juridiction et tribunal à part. * M l’abbé Sieyès porte avec raison le nombre des assemblées primaires dans le royaume à 6,000 : voilà doue 6,000 établissements de police, et autant de tribunaux de justice, entraînant la nécessité de 12,000 officiers publics, pour n’en avoir encore qu’un dans chaque établissement. Quelle multitude de petits ju�es et de petits tribunaux! Il est impossible d’abord qu’ils ne donnent pas lieu aune foule de questions de compétence ; les occasions en naîtront sans cesse de la multiplication des ressorts et du trop grand rapprochement des limites : or, c’est un vice capital, dans une organisation judiciaire, que d’y donner matière à ces avant-procès par lesquels les parties se ruinenten plaidant pour savoir où elles devront plaider. Il est indubitable ensuite que dans un grand nombre d’assemblées primaires, surtout dans celles des campagnes, il ne se trouvera personne qui puisse remplir convenablement la place de lieutenant de justice, en considérant que la compétence de ce juge est étendue par ce plan à toutes les espèces d’affaires, quelque considérables qu’elles soien t, ou par l’importance de leur objet, ou par la difficulté des questions de droit, ou par la complication des faits. Je conviens que, suivant le plan, le lieutenant de justice pourra être assisté de deux arbiires, lorsque les parties auront voulu en nommer ; mais cela même rend la difficulté plus pressante, car ces arbitres devant être pris parmi les membres de l' assemblée primaire , et devant être de même en état de juger toutes les questions de droit, puisqu’ils seront tenus de donner leur avis d'après la loi, il est hors de doute que, dans beaucoup d’assemblées primaires, il ne se trouvera pas d’arbitres capables de celte fonction, et que, presque toujours, l’impéritie favorisera la partialité dans ceux que les parties feront intervenir. Enfin, le plan ne donne pas aux lieutenants de justice les moyens nécessaires pour parvenir à bien juger le procès d’une certaine importance ; car aucune forme ni méthode d’instruction régulière ne leur est tracée ou prescrite. J’observe même ici que le caractère de cette justice primaire n'en pas clairement déterminé ; d’une part, elle est comptée comme un premier degré de juridiction, et devient le fondement du degré supérieur de l’appel ; d’autre part, elle n’a aucune organisation convenable à un vrai tribunal juridictionnel ; il est même dit qu’elle n’est destinée qxx' à procurer aux parties des sentences arbitrales , etelie dégénère, par là, en simple bureau de paix'. Sous le premier rapport, elle n’est pas constituée de manière à produire une bonne et suffisante instruction des affaires, et elle manque ainsi de la principale utilité des premiers tribunaux ; sous le second, elle sérail plutôt une institution de bienfaisance qu’une véritable partie de l’organisation judiciaire. En tout, les résultats de ce système seraient que la justice primaire se trouverait souvent mal rendue, que les appels se multiplieraient en rai-sou de la foule des mauvais jugements, et que l’épuisement de ce premier degré ne fournissant pas aux tribunaux d’appel les bases d’une décision suffisamment éclairée, ceux-ci seraient encore, comme le plan l’annonce, des tribonauxd instruction . Cependant cette justice primaire, tout lra Série. T. XV. incomplète et insuffisante qu’elle est, coûterait au Trésor public 6 millions par an ! VI. Je finis par quelques observations sur la composition des tribunaux du second degré. Elle consiste dans les jurys, soit pour le service des assises par tournées dans les districts, soit pour celui du tribunal séant par chambre au chef-lieu de chaque département. �le connais l’avantage de ce mode de judicature, qui ferait disparaître les jugesfixes et permanents, pour établir chaque citoyen juge à sou tour. Je ne demande point comment il se formerait des juges ayant la science des lois et l’expérience des affaires, lorsque, chacun jugeant accidentellement, personne ne s’occuperait essentiellement de se rendre capable de bien juger. Le plan paraît résoudre cette difficulté, en annonçant que tousles citoyens ne serontadmis dans les jurysqae quand* la diversité des coutumes étant abolie, un nouveau code complet et simple, parfaitement entendu de tous les citoyens, les mettra tous eu état d’être juges, et en statuant que jusque-là les jurys serontcomposés presqu’entièrement d egens de loi. Je veux bien attendre patiemment celle heureuse révolution ; mais le temps du passage pourrait être assez long pour que la composition actuelle des jurys, quoique annoncée comme un simple provisoire, me paraisse mériter toute notre attention. Suivant le plan, tous les gens de loi , sans exception, seront inscrits, de droit, sur le tableau des éligibles pour les jurys. Chaque jury sera rie dix-huit membres pour un procès civil, et de vingt-sept pour un procèscriminel. Le jwri/aura, pour un procès civil, cinq sixièmes d egens deloi, c’est-à-dire 15 sur 18, et il eu aura 14 sur 21 pour un procès criminel. Je remarque d’abord qu’il y a, dans ce plan, une insuffisance évidente de 6 membres, qu’il serait indispensable d’ajouter dans le jury au civil. M. Tabbé Sieyès a oublié d’accorder au demandeur le droit de récusation, dont il est cependant impossible de le priver, puisque ses plus dangereux ennemis pourraient se trouver sur la liste. Il faudrait donc, pour que le demandeur pût jouir, à cet égard, d’un droit égal à celui du défenseur, que le jury au civil fût composé de 24 membres, dont 20' seraient gens de loi ; afin qu’a-près que les deux parties en auraient récusé chacune 6, il restât 12 juges. Je m’arrête là, et je n’examine pas l’embarras où l’on se trouverait lorsque le nombre des parties, ayant toutes le droit indubitable de récuser, serait plus considérable. Je viens maintenant à l’exécution du plan dans chaque chef-lieu de district, et dans chaque ville d’assises , où les juges passeront dans leurs tournées. Deux jurys, au moins, seront nécessaires, un pour le civil, et l’autre pour le criminel ; sans parler des jurys spéciaux qui pourront être demandés, 'outre les communs-jurys. Or, pour la composition des deu x jurys indispensables, il faut 34 gens de loi, savoir : 20 pour le civil et 14 pour le criminel. Je mets eu fait que ce nombre de gens de loi, dislraction faite encore de ceux qui seront employés dans chaque affaire, comme conseils et comme défenseurs, est impossible à trouver dans la plupart des chefs-lieux de district, et des petites villes où les assises seront tenues. Quatre ou cinq juges et dix ou douze avocats forment tout le fond des gens J de loi dans la plupart des juridictions infé-‘ rieures. 21 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790. J 322 Voyons ensuite, si, dans les villes plus considérables qui pourront fournir le nombre suffisant de gens de loi, tout inconvénient sera sauvé. Non, sans doute; il en resterait un très grave partout où il ne se trouverait que la quantité suffisante pour le complet, et où il n’y aurait pas un excédent considérable pour les renouvellements. Alors les mêmes hommes demeureraient membres permanents dans les jurys, et l’effet du plan deviendrait, par l'exécution, diamétralement contraire aux principes qui en fondent la théorie. Mais il se présente ici une nouvelle considération sur l’importance de laquelle je ne crains pas d’attester tous ceux de mes collègues qui, comme moi, sont hommes de loi. Pensent ils qu’il soit sans embarras du côté de la confiance publique, et qu’il soit, au fond, convenable, à l’honneur et au bien de la justice, d’établir ainsi juges de droit et forcément de fait dans les lieux où le renouvellement est impossible, tous ceux indistinctement que l’abusive facilité de l’admission au tableau leur a donnés pour confrères ? Je n’ëtendrai pas davantage cette réflexion; j’en dis assez pourn’être pas coupable de sacrifier à des considérations d’état le devoir que m’impose le caractère public dont je suis honoré. J’observerai encore, dans le même esprit, que l’effet inévitable du plan serait de concentrer toute l’influence de l’autorité judiciaire dans la classe des gens de loi. Ils seraient prépondérants, parle nombre, dans les jurys ; et quand ils y seraient en minorité, l’avantage leur resterait toujours sur des collègues dénués de la science et de l’expérience des affaires. Les jurys , ainsi livrés à la merci des gens de loi des petites juridictions, qui y ont porteront l’esprit, les habitudes et les préjugés de leur ancien état, pourraient-ils donc nous conduire à une bonne et briève justice ? Il n’est que trop certain que la réalité démentirait douloureusement les excellentes intentions de M. l’abbé Sieyès. Est-il possible de ne pas dire encore qu’un des grands vices de ce plan serait de cumuler habituellement, dans les mêmes personnes, lajudi-catureet la postulation, et d’établir tous les avocats d’un même tribunal alternativement juges les uns des autres, dans les causes qu’ils défendent? Ainsiil serait connu d’avance que Pierre ju-gant aujourd’hui une cause défendue par Paul son confrère, deviendrait, l’instant d’après, ou le lendemain, le défenseur d’une autre affaire dont le confrère Paul serait juge à son tour. Cette position n’est pas bonne pour la justice, et sans approfondir jusqu’à quel excès les abus qu’elle rend possible seraient dans le cas de se réaliser, il suffit bien, pour la rendre intolérable, qu’elle établisse le danger, et qu’elle en produise le soupçon. Je conclus que la composition des jurys proposés n’a ni les avantagés du vrai juré, ni même ceux d’un tribunal de juges, et que, comparée à ces deux établissements, elle présente des inconvénients particuliers qui ne se trouvent mi dans l’un, ni dans l’autre. Appliquant ensuite à la question de priorité toutes les observations dont l’ensemble du plan de M. l’abbé Sieyès est susceptible, je pense que ce plan ne peut nous faire arriver ni facilement, ni promptement, à terminer la constitution de l’ordre judiciaire, encore moins à le mettre en activité. Je crois que l’Assemblée doit maintenir l’exécution de son décret du 31 mars dernier, et profitant de la longue discussion qu’elle a entendue sur la question des jurés, prendre sur ce point une résolution devenue nécessaire -à l’organisation ultérieure des tribunaux. L’examen réitéré des difficultés de cette matière m’a confirmé, de plus en plus, que anus ne devons pas penser à l'établissement actuel du juré au civil ; un grand nombre de nos collègues savent comment l’opinion publique s’est manifestée sur ce point, dans les provinces, depuis que les divers projets qui nous divisent y sont connus ; mais je persiste à penser que tous les intérêts sont sauvés, toutes les opinions ménagées, le besoin et les convenances du moment conciliés avec les espérances pour l’avenir, si les tribufiauX sont organisés de manière à faire dès à présent le service criminel avec le juré, au civil sans iè juré, et à n’avoir «besoin d’aucun changement par la suite, lorsque le juré civil pourra être •établi. Je propose la question préalable contre la motion tendant à donner la priorité de discussion au plan de I. l’abbé Sieyès. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la prio ¬ rité demandée pour le plan de M. l’abbé Sieyès. M. de Beaumetz. L’Assemblée vient de faire une chose très sage: demander la priorité pour un plan, c’était préférer le désordre à l’ordre pour abréger. Je demande qu’en revenant aux questions proposées par M. Barrèrede Yieuzac.et adoptées par l’Assemblée, on ferme la discussion sur ces premières ; elles sont ainsi conçues : « y aura-t-il des jurés? les établira-t-on au civil? » M. C�babroud . Je laisse de côté les considérations politiques et morales, parce qu’elles ont été suffisamment discutées. TJne seule a été omise. Je suis accusé ; je suis traduit devant les juges ; ils vont décider de ma liberté et de ma vie: on dit qu’en ce cas on me donnera dès jurés. On m’en refuse au civil, parce que, dit-on, les intérêts civils sont moins importants; cependant nous voyons souvent les hommes attacher plus d’intérêt à leur fortune qu’à leur liberté. A Constantinople, le despotisme jette les hommes dans les cachots, et n’ose toucher aux limites des pro-priétés. Si donc l’examen par jurés est bon en soi au criminel, il est encore plus essentiel au civil... Mais cet examen est-il bon en soi ? Il ne reste pas de doute sur la nécessité de distinction du fait et du droit; il ne peut donc pas en rester sur celle de l’examen parjurés... J’ai besoin d’attention et d’indulgence, car je vais dire le secret de mon métier ; ce métier n’existe que par l’obscurité de la loi. Ceux qui -n’ont pas étudié les lois romaines ne savent pas que cent cinquante lois portent sur la définition des mots, et 3,000 sur l’interprétation des phrases ; comme si la loi ne devait pas être uniquement iaüéfinttion et le précepte ! Des commentateurs ont encore ajouté leurs visions à cette obscurité, et voilà où nous en sommes; car nous avons adopté tout Cela... N’est-il pas bizarre que nous jugions nos concitoyens sur des conjectures calquées sur des mœurs dont nous n’avons rien conservé ! . . . Nos rapports viennent des faits : je ne conçois pas plus de droit sans fait, que la blancheur et le profondeur dans l’existence des corps; ainsi il y aura toujours des faits ; ils seront ou certains ou obscurs; s’ils sont certains, ou passera sur-le-champ à l’examen du droit ; s’ils sont obscurs, il faudra examiner le fait. S’il s’agit, par exemple, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 129 avril 1790.] 323 d’une convention, les expressions dont je me suis servi, moi, habitant de la campagne, ne peuvent être expliquées que par le peuple de : mon pays, qui connaît mon idiôme et mes rapports. Dans tous les autres cas c’est absolument la même chose. En refusant les jurés au civil, on a proposé de faire la distinction du droit et du fait par le juge. Le fait et le droit .peuvent donc se distinguer; mais alors on laisse au juge l’effrayant arbitraire de cette distinction, pour la refuser aux citoyens du même pays. On objecte l’état actuel de notre jurisprudence; mais on peut la réformer, et alors vous épargnerez des peines aux jurisconsultes; vous dénicherez, si j’ose m’exprimer ainsi, une foule de questions de droit ; vous diminuerez, au grand contentement du peuple, nos bibliothèques des dix-neuf vingtièmes. La jurisprudence anglaise est aussi compliquée que la nôtre,, et cependant en Angleterre les j urés sont établis au civil. Le despotisme seul a pu redouter cette disposition ; il avait besoin, pour exister, de retenir l’âme des citoyens dans un sommeil de mort ; l’activité continuelle est l’âme delà liberté. Dût cette activité nous coûter cher, c’est en exigeant tous les sacrifices, quand le peuple, pour être libre, est prêt à les faire tous, que vous établirez des instutitions utiles. Si dans •ce moment la perspective de quelques sacrifices nous étonne ou nous effraie, baissons nos têtes, recevons le joug : nous ne sommes pas dignes d’être libres. — Je conclus à l’admission des jurés tant en matière civile qu’en matière criminelle. (On demande de nouveau que la discussion soit fermée.) M. Duport monte à la tribune pour soutenir le plan qu’il a proposé. Plusieurs membres réclament sencore la clôture de la discussion. M. le Préside»! .prend les voix et l’Assemblée prononce que la discussion n’est pas fermée, mais qu’elle est renvoyée à demain. M. le garde des sceaux adresse à l’Assemblée les pièces suivantes, pour être déposées dans les archives : 1° Une proclamation sur le décret de l’Assemblée naUonale du 28 février, portant que la paye de tout les soldats français sera augmentée de trente-drux deniers par jour. 2° Une proclamation sur le décret du 8 mars concernant les colonies. 3° Six expéditions d’une proclamation sur un autre décret du 28, concernant les colonies, et d’une Instruction qui leur est adressée par l’Assemblée nationale. 4° Des lettres-patentes sur le décret du;ll de ce mois, concernant la contribution.de la somme de 18,0b0 liv. à lever dans la ville de Montauban, èn sus de la capitation de La présente année. 5° Des lettres-patentes sur le décret du même jour, qui autorise la ville .d’Ax, ainsi que toutes les autres villes du royaume, A continuer de percevoir les droits d’octrois. 6° Une proclamation sur le décret du 15, portant que les électeurs du. département de l’Aisne, qui s’assembleront à Ghauny, pourront procéder à l’élection des membres qui composeront le corps administratif du département. 7° Une proclamation sur le décret du 16, qui met de nouveau les juifs d’Alsace et des autres provinces du royaume sous la sauvegarde de La loi. 8° Et des lettres-patentes sur le décret des 20, 23 mars et 19 de ce mois, contenant diverses dispositions relatives aux administrations de département et de district, et à l’exerciee de la police. M. le Président invite l'Assemblée à se retirer dans ses bureaux pour l’élection du président. La séance est levée à deux heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ OOÜTTES. Séance du jeudi 29 avril 1790, au matin (1). M. de La Réveil 1ère de liépeaux, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Dufraisse-Duchey s’étonne que la lettre de M. de Virieu à M. de Bonnay n’ait pas été insérée au procès-verbal, et, eetfe omission est d’autant plus inexplicable que les discours des présidents y sont .relatés d’après une habitude constante. M. de JLa Réveil) ère sde ILépeaux. Je n’ai pas cru qu’il fût dans l’intentipu de l'Assemblée d’approuver et de consacrer, par une insertion dans le procès-verbal, les expressions injurieuses que contient la lettre de M. de Virieu. Je citerai, par exemple, cette phrase : « lorsqu’après avoir eu le bonheur de ramener la question à son véritable jour et à un état de modération... » L’Assemblée peut-elle souffrir qu’on dise qu’elle était hors de l’état de modération 7 peut-elle souffrir que l’on qualifie d 'injustes attaques les motions qui ont été faites? M. de Ronnay, occupant la présidence , propose de mettre aux voix la question de savoir si le procès-verbal restera tel qu’il est, et de ne pas discuter cette lettre. M. Voidel. 11 faut mettre aux voix cette question : « Les expressions de la lettre de M. de Virieu compromettent-elles la dignité de l’Assemblée? » Ou demande que toute discussion soit arrêtée. Cette demande est miseaux voix. — La première épreuve paraît douteuse. M. le comte de Clermont-Tonnerre. Ces expressions sont-elles injurieuses ? Je ne de crois pas. L’Assemblé� en terminant par la question préalable les motions présentées, n’a-t-elle pas solennellement reconnu que ces motions étaient d’ira-justes attaques...? S’il y a unepersonne qui croie que cette attaque a été modérée , je la prie de se lever, et de soutenir que la lettre ne doit pas être insérée. AL Refermo». L’Assemblée doit écarter la façon de penser individuelle d’un président, et non la consacrer, quand l’insertion de cette lettre pourrait avoir des suites dangereuses : elle pourrait (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.