[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1789.] 471 au Roi le tribut de son respect et de son amour. Elle n’a pu se défendre de céder à une occasion si naturelle de vous offrir ses sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame; permettez-moi de vous les exprimer tels que nous les formons, vifs, empressés et sincères. Ce serait, Madame, avec une véritable satisfaction, que l’Assemblée nationale contemplerait un moment dans vos bras ce" illustre enfant, que les habitants de la capitale vont désormais regarder comme leur citoyen, le rejeton de tant de princes tendrement chéris de leurs peuples, l’héritier de Louis IX, de Henri IV, de celui dont les vertus font la gloire de la France. Il ne jouira jamais, non plus que les auteurs de ses jours, d’autant de gloire et de prospérité que nous leur en souhaitons. » La Reine a répondu : « Je suis touchée au delà de toute expression des sentiments de l’Assemblée nationale. Si j’eusse été prévenue de son intention, je l’aurais reçue d’une manière plus digne d’elle. Voici mon fils. » La Reine a pris M. le Dauphin dans ses bras, et l’a porté dans les diverses parties du salon de jeu où était l’Assemblée. La réponse de la Reine a été suivie d’acclpma-tions réitérées de Vive la Reine ! vive M. le Dauphin! À son arrivée et à sa sortie, l’Assemblée nptio-nale a été conduite et reconduite avec les honneurs accoutumés. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du mercredi 21 octobre 1789 (1). La séance a été ouverte par la lecture des procès-verbaux de la veille. M. le Président a fait part à l’Assemblée d’une lettre qu’il a reçue du comité d’Alençon, à l’occasion de l’affaire de M. le vicomte de Cara-man, et du détachement de Picardie. Cette lettre, contenant envoi d’une délibération du comité d’Alençon, et d’un cahier d’informations faites à l’occasion de cette affaire, est conçue en ces termes : « Nosseigneurs, « Nous avons déjà eu l’honneur de vous marquer que, par un événement malheureux, la milice nationale a été forcée d’arrêter M. le vicomte de Caraman et le détachement de Picardie, en garnison en cette ville ; mais l’arrêté que nous avons l’honneur de vous adresser ci-joint vous attestera suffisamment que notre but n’a jamais été de les juger. Nous nous sommes seulement crus obligés de rassembler les preuves et les documents nécessaires pour éclaircir la vérité d’un fait qui a aigri les esprits, mais qui, nous l’espérons, ne renouvellera pas parmi nous ces scènes d’horreur dont tout bon Français doit détourner les yeux. Nous n’avons épargné aucune précau-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. tion pour prévenir les effets funestes de l’effervescence, et nous continuerons d’y apporter tous nos soins. « Nous vous adressons une expédition de la procédure. Nous aurions désiré pouvoir vous présenter un tableau et un résultat de cette affaire { mais avant cherché tous les moyens d’en accélérer là fin, nous n’avons eu que le temps de faire copiera la hâte, cahier par cahier, pièce par pièce, tous les différents actes qui composent cette procédure. « Nous n’attendons que vos ordres pour savoir la manière de transférer M. de Caraman, et ceux qui sont détenus avec lui, au lieu que vous croirez convenable. Nous vous prions de nous tracer la marche que nous devons suivre, et les précautions que nous devons prendre pour concilier dans ce transport la décence avec la sûreté. « Nous sommes avec un profond respect, Nos� seigneurs , vos très-humbles et très-obéissants serviteurs. « Les membres du comité national d'Alençon , a Signé : ÛEMUR, président; BüSSON DÉ LORME, QüILHEÎ, secrétaires. * D’Aleqçon, 19 octobre 1789. » Lecture faite de ladite lettre, les membres du comité des recherches ont été avertis de s’assembler à l’heure de midi pour s’occuper de cette affaire, et on a passé ensuite à la lecture des adresses ci-après : Délibération de la ville de Moulins, pour assurer la perception des inipôts généralement quelconques, et maintenir la tranquillité publique. Mémoire du clergé de la province de Hainaut, contenant des réclamations contre la motion qui vient d’être faite à l’Assemblée nationale, pour la vente des biens ecclésiastiques. Ce mémoire est approuvé par les députés ordinaires des Etats du Hainaut, de Valenciennes et des autres parties y réunies. Adresse des officiers municipaux de la ville d’Avranches, contenant une délibération pour assurer l’exécution du décret de l’Assemblée nationale, du 26 septembre dernier, concernant les impositions. Ils la prient d’agréer cette délibération comme une preuve de leur respect et de leur dévouement. Délibération des citoyens de tous les états de la ville et communauté de Villeneuve-d’Agénois, par laquelle ils adhèrent, de la manière la plus formelle, au décret de l’Assemblée qui soumet tous les citoyens français à venir au secours de l’Etat en péril par le sacrifice du quart de leurs revenus annuel. Ils s’engagent solennellement à payer, dans le terme prescrit, cette imposition extraordinaire. Adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville dePouilly-sur-Loire, qui demande une justice royale. Adresse du même genre de la ville de l’Argen-tière en Yivarais. Adresse du même genre de la commune de Baud en Bretagne. Adresse de la communauté de Saint-Sever en Gascogne, contenant félicitation, remerciements et adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale, de la nuit du 4 au 5 août dernier, notamment à l’article 10, qui contient le sacrifice de tous les privilèges particuliers des provinces, et à l’ar- 472 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1789.1 [Assemblée nationale.] ticle 27, qui proclame Louis XVI restaurateur de la liberté française. Adresse de la ville de Bagnols en Languedoc, contenant félicitations, remerciements et adhésion. Elle supplie l’Assemblée de s’occuper, sans relâche, de l’organisation des assemblées provinciales et municipales, et des milices bourgeoises. Adresse du même genre, de la communauté de Syan de la même province. Elle assure l’Assemblée que, quoique limitrophe du Roussillon, elle a payé exactement ses impositions, et que, d’après la formation de sa milice, elle n’a souffert aucun trouble, et que tout s’y passe dans le meilleur ordre possible. Adresse des citoyens formant la milice nationale d’Uzès, contenant une délibération où ils adhèrent à tous les arrêtés de l’Assemblée, notamment à ceux relatifs aux impositions et au sacrifice de chaque citoyen du quart de ses revenus. Ils s’engagent, de la manière la plus formelle, d’acquitter leur contribution dès qu’ils seront instruits de la forme dans laquelle ils devront la faire, et déclarent que, pleins de confiance aux lumières et au courage de l’Assemblée, en la bienfaisance de notre auguste monarque, et au zèle actif du premier ministre des finances, ils sacrifieront jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour maintenir l’ordre, et procurer autant qu’il est en eux l’exécution des décrets nationaux. Après la lecture desdites adresses, plusieurs députés des représentants de la commune de Paris, qui s’étaient déjà fait annonceront été introduits. L’un d’eux a pris la parole, et a fait part à l’Assemblée d’un grand malheur arrivé à l’occasion d’un nommé François, boulanger, rue du Marché-Palu, district de Notre-Dame, qui a été amené devant eux sur les huit heures et demie du matin, par plusieurs femmes et hommes qui l’accusaient d’avoir caché dans sa boutique plusieurs pains. Il a également fait part à l’Assemblée du contenu en l’interrogatoire qu’ils avaient fait subir à ce boulanger, des bons témoignages que plusieurs bourgeois du district s’étaient empressés de rendre sur son compte, des sages précautions qu’ils avaient prises pour calmer le peuple qui se portait en foule sur la place de Grève, et qui demandait à grands cris que ce boulanger fût pendu, des violences et excès commis par le peuple sur plusieurs membres du comité de la police. Il a ajouté enfin que, malgré les précautions prises, les bons témoignages en faveur de l’accusé et son innocence, le peuple avait forcé les gardes nationales, enlevé et pendu ledit François, boulanger; que ce même peuple paraissait disposé à enlever et à pendre aussi deux autres boulangers détenus dans les prisons du Châtelet, et qu’il était instant que l’Assemblée nationale s’occupât des moyens les plus propres à assurer les subsistances nécessaires à la capitale et au royaume, et à décréter dès à présent, et sans se déplacer, une loi contre les attroupements, en observant à l’Assemblée que sans cette loi il n’était plus au pouvoir de la commune et de la garde nationale de Paris de contenir les attroupements qui devenaient tous les jours plus alarmants. La députation s’est retirée après avoir déposé sur le bureau un extrait en due forme du procès-verbal qui avait été dressé à l’occasion de ce malheureux événement. M. de Foucault propose de prendre sur-le-champ un arrêté, par lequel il serait ordonné à tous les districts et à la garde nationale d’employer tous leurs moyens et toutes leurs forces pour saisir les premiers fauteurs de ce délit, et de rédiger une Joi martiale qui serait aujourd’hui même portée à la sanction. M. ttarnave. J’observe que l’Assemblée s’éloignerait du terme de ses pouvoirs si elle faisait l’arrêté demandé par le préopinant. En se rappelant le fait énoncé du malheureux boulanger, il paraît certain que la crise actuelle ne provient pas d’une disette effective, et que la cause qui l’a produite doit être sévèrement recherchée. Il sérail peut-être à propos que l’Assemblée ordonnât au comité des recherches de se concerter avec le comité de police de la commune pour découvrir les manoeuvres coupables qui occasionnent ces mouvements. L’Assemblée ne peut non plus se refuser à rendre une loi martiale, qui serait exécutée dans tout le royaume. Divers membres réclament la priorité, les uns pour le projet présenté par M. le comte de Mirabeau, les autres pour celui de M. Target. L’Assemblée décide que les deux motions seront réunies et qu’elles auront la priorité sur les autres. En conséquence, il est décrété : 1° Que le comité de Constitution se réunira sur-le-champ pour s’occuper de la rédaction d’un projet de loi contre les attroupements , qui puisse être décrété ce jour même, et présenté incontinent à la sanction royale; 2° qu’il sera enjoint au comité des recherches de faire toutes recherches et informations nécessaires pour découvrir les auteurs des troubles et manœuvres qui peuvent avoir lieu contre la tranquillité publique et le salut de l’Etat; 3° qu’il sera pareillement enjoint au comité de police établi à l’hôtel-de-ville de Paris, de fournir au comité des recherches tous les renseignements qui pourront lui être parvenus ou lui parvenir sur cet objet ; 4° que le comité de Constitution proposera lundi prochain à l’Assemblée un plan pour l’établissement d’un tribunal chargé de juger les crimes de lèse-nation, et que provisoirement et jusqu’à ce que ce tribunal ait été établi par l’Assemblée nationale, le Châtelet de Paris est autorisé à juger en dernier ressort les prévenus et accusés de crimes de lèse-nation, et que le présent décret qui lui donne cette commission sera aussi présenté à la sanction royale ; 5° que les ministres du Roi déclareront positivement quels sont les moyens et les ressources que l’Assemblée nationale peut leur fournir pour les mettre en état d’assurer les subsistances du royaume et notamment de la capitale, afin que l’Assemblée nationale ayant fait tout ce qui est à sa disposition sur ce sujet, puisse compter que les lois seront exécutées, ou rendre Tes ministres et autres agents de l’autorité garants de leur inexécution. Une nouvelle députation de la commune de Paris est introduite à la barre et demande qu’il plaise à l’Assemblée de hâter la rédaction de la loi qu’elle a sollicitée contre les attroupements, en ajoutant qu’il avait été reconnu qu’une accélération de deux heures pouvait être très-utile eu égard aux circonstances. Dette nouvelle députation remet sur le bureau une délibération des représentants de la commune de Paris, conçue en ces termes : « L’assemblée générale des représentants de la commune de Paris, délibérant sur la nécessité de s’opposer aux émeutes et attroupements dont elle