300 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 août 1791.] dispositions différentes : la première, c’est celle que les biens destinés à des services d’utilité publique appartiennent à la nation et sont à sa disposition; je pense qu’à cet égard, il ne peut y avoir aucune difficulté; la seconde, c’est qu’elle a pareillement à sa disposition les biens destinés aux dépenses du culte, biens qui appartenaient au ci-devant clergé ou dont il avait du moins la jouissance usufruitière. ( Rires ironiques à droite. Applaudissements à gauche.) Ces biens-là appartiennent-ils à la nation, oui ou non? Sont-ils ou ne sont-ils pas à sa disposition? Voilà une question générale qui est déjà tranchée et qui ne peut plus souffrir la moindre difficulté. Si elle en éprouvait quelqu’une, vous verriez bientôt, comme le disait M. Prieur, le crédit national ébranlé jusque dans s�s fondements. ( Applaudissements à gauche. Murmures à droite). Je ne conçois même pas comment il peut y avoir l’ombre d’un doute sur cette question-là; car si le crédit public repose sur les assignats, si les assignats sont hypothéqués sur les biens nationaux, il est évident que si vous élevez la moindre difficulté sur les biens nationaux, je ne dis pas pendant un jour, mais pendant deux heures, vous portez un préjudice éternel au crédit des assignats. (. Applaudissements à gauche. Murmures à droite.) D’après cela, je m’oppose absolument à l’ajournement do paragraphe. Cependant l’amendement de M. Gombert peut être juste en un point; c’est qu’il faut établir constitutionnellement que les ministres du culte doivent être élus par le peuple. Voilà la constitution civile du clergé. M. Lanjuinais. Ah ! la voilà. M. d’ André. Elle est toute là : les ministres du culte doivent être élus par le peuple; il faut sans doute au«si assurer à ces ministres leur subsistance. Mais je vous le demande, mettez-vous dans la Constitution que les juges, que les administrateurs seront payés? cela n’est pas constitutionnel. ( Applaudissements à gauche.) Pourquoi parleriez-vous des seuls fonctionnaires du culte? Ainsi la marche que vous avez à suivre est extrêmement simple. Il y a des précautions à prendre; il faut que les bases de la constitution civile du clergé soient dans la Constitution; omis. ce n’est pas au titre des droits naturels et civils des citoyens garantis par la Constitution que vous devez placer cette disposition, cela n’a rien de commun avec ce titre, et c’est pour cela qu’on a demandé une conférence, Je demande donc qu’en renvoyant l’amendement de M. Gombert dont j’appuierai très fortement une partie lorsqu’il sera représenté, qu’en renvoyant, dis-je, cet amendement aux comités, pour y entendre les personnes qui voudront s’y présenter, vous ne vous exposiez pas au plus grand danger, en retardant l’adoption de la disposition fondamentale sur laquelle je propose que l’Assemblée aille de suite aux v oïx. (Applaudissements à gauche.) M. Tanjuinais. Je demande à répondre. Plusieurs membres : Non 1 non ! La discussion fermée ! M. Tanjuinais. La justice, la raison ( Murmures prolongés .)... c’est un mensonge (Bruit.) (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. Thouret, rapporteur. Voici, avec la proposition de M. de La Rochefoucauld et avec une ad-ditiou relative aux aliénations, la rédaction définitive que nous proposons pour le deuxième alinéa : « Les biens destinés aux dépenses du culte et à tout service d’utilité publique, appartiennent à la nation, et sont dans tous les temps à sa disposition. La Constitution garantit les aliénations qui ont été ou seront faites suivant les formes établies par la loi. » (Cet alinéa est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur. Nous passons au troisième alinéa qui est ainsi conçu : « Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics pour le soulagement des pauvres infirmes et des pauvres valides manquant de travail. » M. Rabaud-Saint-Etiennc. Pour donner à cet article plus de moralité et plus de solennité, je demande que l’on dise : « La nation regarde comme une dette le soulagement ces pauvres infirmes et des pauvres valides manquant de travail. En conséquence, il sera créé et organisé à cet effet un établissement général de secours publics. » M. Barrère de Vieuzac. En adoptant la rédaction du comité, je demande seulement qu’on y ajoute : et des enfants trouvés..., qui sont une des dettes les plus sacrées de la société, surtout depuis l’abolition du régime féodal. Cette classe de déshérités est assez malheureuse ; elle peut être utile à la nation, elle est digne de vos soins et de votre humanité, vous devez consacrer expressément la dette de la société envers eux, et à laquelle ils ont des droits incontestables. M. Ciarat, aîné. J’appuie l’amendement de M« Barrère. La nation ne doit pas en effet venir seulement au secours des pauvres infirmes ou valides, mais encore au secours des enfants que des pères assez dénaturés et des mères assez barbares ont abandonnés. Quant à la rédaction de M. Rabaud : « La nation regarde comme une dette... » on dirait à l’entendre que la nation se rend débitrice par bienveillance, par pure générosité; faisons donc la parler comme il convient. Je propose en conséquence la question préalable sur la rédaction de M. Rabaud, et je demande que celle du comité soit mise aux voix en y ajoutant l’amendement de M. Barrère pour les enfants trouvés. M. Dupont (de Nemours). L’amendement de M. Barrère est d’une grande justice. S’il est un établissement qui honore l’humanité, c’est celui qui a éié fait pour les enfants abandonnés ; il est d’un personnage dévoué à la r< connaissance des siècles, c’est saint Vincent-de-Paul, et jamais on n’a rien fait de plus beau. J’appuie donc cet amendement et je propose pour l’alinéa la rédaction suivante : « Il s"ra créé et organisé un établissement général de secours publics pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et procurer du travail aux pauvres valides. » M. de Ta Rochefoucauld-Liancourt. Pour ne pas exciter les hommes à la paresse, je propose, par amendement à la proposition de M. Dupont, de dire : « et procurer du travail aux pau- [Assemblée nationale./ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 août 1791.] 301 vres valides qui ne pourraient pas s’en procurer.» M. Pierre Dedelay (ci-devant Delley d’Agier), appuie l’amendement de M. de La Rochefoucaud-Liancourt. M. Thouret, rapporteur. J’adopte et la proposition de M. Dupont et l’amendement de M. de Liancourt ; je propose, en conséquence, pour l’alinéa la rédaction suivante : « Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics pour élever les enfants orphelins et abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et procurer des moyens de travail aux pauvres valides qui n’auraient pas pu s’en procurer par eux-mêmes. » (Cet alinéa est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur. Voici, Messieurs, le quatrième et dernier alinéa du troisième paragraphe : « Il sera créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignements indispensables pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division du royaume. » M. Fréteau-Saint-Just. Je crois que c’est une dette de la nation ne procurer à tous les citoyens une instruction gratuite pour les objets indispensables; mais je demande qu’on admette aussi à des secours gratuits, pour des connaissances plus relevées, ceux des sujets qui, par des concours, auront été reconnus pouvoir faire partager à la nation le fruit d’une éducation plus étendue. Je demande donc le renvoi aux comités pour présenter une nouvelle rédaction. M. de Ta Rochefoucauld-Liancourt. Sans doute, dans la législation vous trouverez convenable d’établir une éducation gratuite plus relevée pour les jeunes citoyens qui s’en montreront dignes ; mais je ne crois pas que dans la Constitution vous deviez garantir aux citoyens autre chose qu’uDe éducation nécessaire à tous les hommes. Je considère la disposition comme suffisante. (Lè quatrième alinéa du troisième paragraphe est mis aux voix et adopté.) M. Vadier. La Constitution a garanti les propriétés, il en est une bien précieuse, c’est l’honneur. Vous avez décidé que les mêmes délits seraient punis des mêmes peines ; il vous reste à détruire un grand préjugé, un préjugé barbare qui imprime la honte d’un crime aux parents de ceux qui l’ont commis et à toute une génération. Il est digne de la Constitution française de prévoir ce cas; aussi je demande qu’il soit ajouté au titre premier la disposition suivante : « Gomme le crime est personnel, la honte ne pourra jamais être imputée aux parents de celui qui l’a commis. » M. Thouret, rapporteur. Il me semble que la disposition qu’on propose n’est poiut de nature à trouver place dans la Constitution, surtout dans le titre premier où l’on veut la placer. Certainement il ne s’agit point ici d’un droit individuel, civil et politique; il s’agit seulement d’un remède à employer contre un préjugé, contre une erreur d’opinion. La loi a fait sur cela tout ce qu’elle est susceptible défaire ; mais ranger cette disposition dans le principe des maximes constitutionnelles, il semble que cela est absolument hors de place. Plusieurs membres : A l’ordre du jour. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. Thouret, rapporteur. Nous passons, Messieurs, au titre II relatif à la division du royaume et à l’état des citoyens. Voici l’article premier : <« La France est divisée en quatre-vingt-trois départements, chaque département en districts, chaque district en cantons. » M. Rabaud-Saint-Ftienne . Dans tous les décrets constitutionnels concernant la division du royaume, l’Assemblée a tout rapporté au principe d’unité qui doit assurer la stabilité d’un Empire; le royaume y est toujours représenté comme une chose une. Afin qu’on ne puisse jamais dans la Constitution trouver un argument puur une subdivision en républiques fédératives, je demande que ce principe-là soit consacré et qu’il soit dit : « Le royaume est un et indivisible; son territoire est distribué pour l’administration en 83 départements, chaque département en districts, chaque district en cantons. » M. de Custine. Comme il est possible que la France soit composée de plus de 83 départements, je demande que l’on dise simplement : « La France est divisée en départements, chaque département en districts, chaque district en cantons. » M. Thouret, rapporteur. C’est dans la grande division des départements, c’est-à-dire dans leur grand nombre, dans leur multiplicité, qu’est la garantie centrale pour la subordination de chacun d’eux ; c’est aussi là une garantie contre le danger des institutions fédératives. Vous avez décrété que le royaume était distribué en 83 départements, il faut que cette distinction soit constitutionnelle; elle est, bien entendu, relative à l’état actuel du royaume. M. Rœderer. En ce cas on peut mettre : « Le territoire, dans ses limites actuelles, est divisé en 83 départements. » M. Thouret, rapporteur. Les comités avaient pensé que le nombre de 83 départements ne pourrait être augmenté ou réduit que dans le cas où le territoire du royaume serait lui-même accru ou diminué; mais après des réflexions plus profondes, les comités se sont convaincus que cette disposition manquait de convenance. D’une part, elle avait l’air d’annoncer des conquêtes auxquelles, par la Constitution même, la nation a renoncé; d’un autre côté, elle semblait prévoir d’une manière peu agréable la possibilité de la diminution du territoire français. On doit sentir suffisamment que c'est l’état actuel du territoire qui a déterminé le nombre des départements, si, par des événements possibles, mais peu probables pourtaut, le territoire français venait à augmenier de manière qu’il y eût occasion de faire plus de départements, ou a souffrir, par la perte au territoire actuel, une diminution sensible, cela est suffisamment sous-entendu.