154 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de la futilité, des tableaux conçus sans génie, exécutés sans nerf, et dont les sujets n’offrent d’ordinaire qu’une immoralité révoltante, résultat inévitable de la corruption d’un gouvernement dissolu. Parmi les morceaux précieux qui concourent à la formation du Muséum national, il en est qui, longtemps relégués par le dédain, ont été cruellement endommagés par le temps; il en est que de certains soi-disant peintres, pour se maintenir dans les places qu’ils occupaient sous le monarchisme, ont sacrifiés à la nullité de leurs talents; il en est que la médiocrité, toujours jalouse, cherchant à épaissir les nuages répandus par l’ignorance, avait impunément mutilés... Les chefs-d’œuvre dont Lesueur orna le cloître des ci-devant Chartreux en sont une preuve cruelle. Il n’est pas de moyen que le despotisme n’ait employé pour river les fers du peuple; il savait que les productions sublimes pouvaient élever son âme, il s’efforçait d’étouffer le génie; il savait que la futilité pouvait l’étourdir sous le poids de ses chaînes, il proclamait, il exaltait, il favorisait le futilité. Naturellement basse et rampante, la médiocrité, protégée et sottement enorgueillie de porter sur sa poitrine quelque demi-aune de cordon noir, comprimait effrontément la fierté du vrai mérite, qu’une méfiance tyrannique repoussait avec dureté. C’est par cette politique atroce que les satrapes sont parvenus à voiler le génie, à dessécher le germe du vrai talent, à écarter l’artiste philosophe, dont les crayons hardis auraient osé présenter au peuple l’image éblouissante de la liberté à côté de la figure hideuse de l’Esclavage. Hâtons-nous de réparer les dégâts commis dans les arts par l’intérêt politique des tyrans; hâtons-nous de préserver d’une destruction totale des morceaux précieux échappés à l’ignorance, à la jalousie, à la malveillance, à la. malice, à l’insouciance, à la stupidité liguées pour comprimer le génie, pour anéantir ses productions, pour étouffer l’amour des vertus. Hâtons-nous de réparer un mal plus récent encore, celui que l’impéritie des restaurateurs employés par la ci-devant commission des monuments a commis en retouchant des chefs-d’œuvre dont elle était incapable de sentir les beautés. David, au nom du comité, vous a fait sur le même objet des observations très-étendues. Réparons donc ce mal, et prenons des mesures telles que nous puissions à l’avenir écarter du Muséum le charlatanisme insinuant qui, sous la hardiesse de la présomption, cacha toujours l’incapacité. Le but de ces mesures, but auquel il est nécessaire d’atteindre, est celui de découvrir des artistes restaurateurs capables de réparer les dégradations dont nous venons de parler. La Convention nationale a décrété que tout ouvrage exécuté pour la république serait mis au concours, et que son exécution ne serait confiée qu’à ceux des concurrents qui, au jugement d’un jury établi à cet effet, seraient reconnus les plus habiles. Jamais la république n’a eu d’intérêt plus pressant à consacrer le principe que dans la circonstance présente. Il s’agit de conserver des morceaux d’autant plus précieux que leur perte deviendrait irréparable. Les talents des Raphaël, des Titien, des Corrège, sont ensevelis avec eux. C’est au génie républicain qu’il appartient de les faire revivre; c’est à lui seul qu’il appartient de lire dans les sublimes ouvrages de ces maîtres, et c’est en les méditant que l’homme né pour les arts peut opérer ce prodige. H est des artistes qui, pénétrés d’une juste admiration pour les ouvrages des grands hommes dont l’intelligente sagacité a porté l’art de peindre à un si haut degré de perfection, ont préféré consacrer leur travaux à découvrir des moyens de conserver, de réparer ces chefs-d’œuvre à l’ambition de se faire une réputation par des talents moins utiles. Contents du bien qu’ils pouvaient faire, ils ont travaillé dans l’obscurité, et n’ont voulu d’autre récompense de leurs soins et de leurs recherches que la satisfaction de pouvoir conserver à la postérité des chefs-d’œuvre qui, sans leur zèle et leur ardent amour pour les arts, eussent été perdus pour elle. Persuadé qu’à l’invitation de la Convention nationale les artistes qui, dans le silence de leurs ateliers, ont fait des découvertes heureuses pour arrêter le dépérissement des ouvrages des grands maîtres, s’empresseront d’en faire usage pour réparer les tableaux de la République, votre comité d’instruction vous propose d’ouvrir un concours (1) . BOUQUIER propose un projet de décret que la Convention adopte ainsi qu’il suit : «La Convention nationale, considérant combien il importe pour le maintien et les progrès des arts de pourvoir à la restauration des monumens précieux qui forment la collection du Muséum national; après avoir entendu le rapport de son comité d’instruction publique, décrète: «Art. I. H sera ouvert un concours pour la restauration des tableaux, statues, bas-reliefs, et généralement de tout monument de sculpture formant la collection du Muséum national. « II. Lès travaux des concurrens seront jugés par un jury formé à cet effet. « III. Ce jury sera composé des membres du Conservatoire et de 8 citoyens nommés par la Convention, sur la présentation du comité d’instruction publique. « IV. Il suivra dans ses opérations les mêmes formes que le jury des arts. « V. La Convention nationale charge ses comités de salut public et d’instruction, d’arrêter un règlement pour l’exécution du présent décret ». Un membre demande l’impression et la distribution du rapport et l’insertion au bulletin. Cette proposition est décrétée (2). (1) Mon., XXI, 53. (2) P.V., XL, 134. Minute de la main de Bou-quier. Décret n° 9650. Reproduit dans Bin, 6 mess.; J. univ., nos 1674, 1675; J. Perlet, n° 641; Débats, nos 642, 643; J.-S. Culottes, n° 496; C. Eg., n° 675; M.U., XLI, 119-120; Mess. Soir, n°674; F. S P. n° 355; J. Mont., n° 59. Mentionné par C. univ., p. 2450; J. Fr., n° 638; J. Paris, n° 541; Ann. RF., n° 207; Rép., nos 185, 187; J. Lois, n° 634; Ann. pair., n° DXXXX; Audit, nat., n9 639; J. Sablier, n° 1397. Voir ci-après, séance du 9 mess., n°31. 154 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de la futilité, des tableaux conçus sans génie, exécutés sans nerf, et dont les sujets n’offrent d’ordinaire qu’une immoralité révoltante, résultat inévitable de la corruption d’un gouvernement dissolu. Parmi les morceaux précieux qui concourent à la formation du Muséum national, il en est qui, longtemps relégués par le dédain, ont été cruellement endommagés par le temps; il en est que de certains soi-disant peintres, pour se maintenir dans les places qu’ils occupaient sous le monarchisme, ont sacrifiés à la nullité de leurs talents; il en est que la médiocrité, toujours jalouse, cherchant à épaissir les nuages répandus par l’ignorance, avait impunément mutilés... Les chefs-d’œuvre dont Lesueur orna le cloître des ci-devant Chartreux en sont une preuve cruelle. Il n’est pas de moyen que le despotisme n’ait employé pour river les fers du peuple; il savait que les productions sublimes pouvaient élever son âme, il s’efforçait d’étouffer le génie; il savait que la futilité pouvait l’étourdir sous le poids de ses chaînes, il proclamait, il exaltait, il favorisait le futilité. Naturellement basse et rampante, la médiocrité, protégée et sottement enorgueillie de porter sur sa poitrine quelque demi-aune de cordon noir, comprimait effrontément la fierté du vrai mérite, qu’une méfiance tyrannique repoussait avec dureté. C’est par cette politique atroce que les satrapes sont parvenus à voiler le génie, à dessécher le germe du vrai talent, à écarter l’artiste philosophe, dont les crayons hardis auraient osé présenter au peuple l’image éblouissante de la liberté à côté de la figure hideuse de l’Esclavage. Hâtons-nous de réparer les dégâts commis dans les arts par l’intérêt politique des tyrans; hâtons-nous de préserver d’une destruction totale des morceaux précieux échappés à l’ignorance, à la jalousie, à la malveillance, à la. malice, à l’insouciance, à la stupidité liguées pour comprimer le génie, pour anéantir ses productions, pour étouffer l’amour des vertus. Hâtons-nous de réparer un mal plus récent encore, celui que l’impéritie des restaurateurs employés par la ci-devant commission des monuments a commis en retouchant des chefs-d’œuvre dont elle était incapable de sentir les beautés. David, au nom du comité, vous a fait sur le même objet des observations très-étendues. Réparons donc ce mal, et prenons des mesures telles que nous puissions à l’avenir écarter du Muséum le charlatanisme insinuant qui, sous la hardiesse de la présomption, cacha toujours l’incapacité. Le but de ces mesures, but auquel il est nécessaire d’atteindre, est celui de découvrir des artistes restaurateurs capables de réparer les dégradations dont nous venons de parler. La Convention nationale a décrété que tout ouvrage exécuté pour la république serait mis au concours, et que son exécution ne serait confiée qu’à ceux des concurrents qui, au jugement d’un jury établi à cet effet, seraient reconnus les plus habiles. Jamais la république n’a eu d’intérêt plus pressant à consacrer le principe que dans la circonstance présente. Il s’agit de conserver des morceaux d’autant plus précieux que leur perte deviendrait irréparable. Les talents des Raphaël, des Titien, des Corrège, sont ensevelis avec eux. C’est au génie républicain qu’il appartient de les faire revivre; c’est à lui seul qu’il appartient de lire dans les sublimes ouvrages de ces maîtres, et c’est en les méditant que l’homme né pour les arts peut opérer ce prodige. H est des artistes qui, pénétrés d’une juste admiration pour les ouvrages des grands hommes dont l’intelligente sagacité a porté l’art de peindre à un si haut degré de perfection, ont préféré consacrer leur travaux à découvrir des moyens de conserver, de réparer ces chefs-d’œuvre à l’ambition de se faire une réputation par des talents moins utiles. Contents du bien qu’ils pouvaient faire, ils ont travaillé dans l’obscurité, et n’ont voulu d’autre récompense de leurs soins et de leurs recherches que la satisfaction de pouvoir conserver à la postérité des chefs-d’œuvre qui, sans leur zèle et leur ardent amour pour les arts, eussent été perdus pour elle. Persuadé qu’à l’invitation de la Convention nationale les artistes qui, dans le silence de leurs ateliers, ont fait des découvertes heureuses pour arrêter le dépérissement des ouvrages des grands maîtres, s’empresseront d’en faire usage pour réparer les tableaux de la République, votre comité d’instruction vous propose d’ouvrir un concours (1) . BOUQUIER propose un projet de décret que la Convention adopte ainsi qu’il suit : «La Convention nationale, considérant combien il importe pour le maintien et les progrès des arts de pourvoir à la restauration des monumens précieux qui forment la collection du Muséum national; après avoir entendu le rapport de son comité d’instruction publique, décrète: «Art. I. H sera ouvert un concours pour la restauration des tableaux, statues, bas-reliefs, et généralement de tout monument de sculpture formant la collection du Muséum national. « II. Lès travaux des concurrens seront jugés par un jury formé à cet effet. « III. Ce jury sera composé des membres du Conservatoire et de 8 citoyens nommés par la Convention, sur la présentation du comité d’instruction publique. « IV. Il suivra dans ses opérations les mêmes formes que le jury des arts. « V. La Convention nationale charge ses comités de salut public et d’instruction, d’arrêter un règlement pour l’exécution du présent décret ». Un membre demande l’impression et la distribution du rapport et l’insertion au bulletin. Cette proposition est décrétée (2). (1) Mon., XXI, 53. (2) P.V., XL, 134. Minute de la main de Bou-quier. Décret n° 9650. Reproduit dans Bin, 6 mess.; J. univ., nos 1674, 1675; J. Perlet, n° 641; Débats, nos 642, 643; J.-S. Culottes, n° 496; C. Eg., n° 675; M.U., XLI, 119-120; Mess. Soir, n°674; F. S P. n° 355; J. Mont., n° 59. Mentionné par C. univ., p. 2450; J. Fr., n° 638; J. Paris, n° 541; Ann. RF., n° 207; Rép., nos 185, 187; J. Lois, n° 634; Ann. pair., n° DXXXX; Audit, nat., n9 639; J. Sablier, n° 1397. Voir ci-après, séance du 9 mess., n°31.