386 [Assemblée nationale.] M. l’abbé Arnaud adresse à l’Assemblée une brochure intitulée : Etablissement qui intéresse l’utilité publique et la décoration de la capitale. M. de Châteaunenf-Randon. On a faussement répandu que le régiment de Toul, artillerie, en garnison à La Fère, s’est refusé à protéger la perception de l’impôt. Je vais déposer sur le bureau le certificat de la municipalité de cette ville, qui fait l’éloge de l’activité, de la discipline de ce régiment, et de l’esprit patriotique qui l’a animé dans les circonstances épineuses survenues depuis la Révolution. C’est avec satisfaction que j’informe l’Assemblée que cette bonne conduite est en partie l’effet du zèle des officiers de ce régiment, et particulièrement de M. Bellegarde, maréchal de camp, commandant de ce corps, officier distingué, connu par les malheurs dont le despotisme ministériel l’a rendu si longtemps victime, à qui on doit l’invention et le secret des boulets inflammables dont il a fait hommage au gouvernement, qui a refusé une somme de 100,000 livres qui lui était offerte, et qui s’est contenté d’une pension de 6,000 livres, dont moitié est réversible sur la tête de sa femme et de son fils. Cette récompense peut être soumise au plus sérieux examen du comité des pensions ; je ne la crois pas susceptible de réduction. M. Régnier, au nom du comité des rapports. M. Quiilard a fait connaître à la municipalité de Monton, en Angoumois, le décret qui porte que les fermiers des biens ecclésiastiques jouiront de leurs baux. La municipalité a refusé l’exécution de ce décret, et a mis aux enchères les biens dont M. Quillard était fermier. Deux lettres à ce sujet ont été successivement écrites à la municipalité, l’une par le comité ecclésiastique, l’autre par ce même comité et par celui des rapports. La municipalité de Monton n’y a eu aucun égard; les enchères ont été continuées : cette municipalité s’est portée à des voies de fait contre M. Quillard ; elle a saisi ses récoltes. Ce citoyen s’est déterminé à venir lui-même solliciter votre justice, et il a appris qu’on menaçait de brûler les bâtiments de sa ferme. Le comité a pensé qu’il était nécessaire de réprimer ces excès; il vous propose en conséquence un projet de décret conçu en ces termes: « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare qu’elle improuve la conduite des officiers municipaux de Monton, comme contraire au respect dû à ses décrets sanctionnés par le roi de donner les ordres nécessaires à l’administration du département de Charente, pour faire assurer au sieur Quillard la aisible jouissance des objets compris en son ail, ainsi que la restitution de ce qui lui a été indûment enlevé ; de donner également ordre au présidial de Poitiers, d’informer contre les auteurs, fauteurs et complices des excès, violences et voies de fait commis contre ledit sieur Quillard et sa famille, et de les punir suivant la rigueur des lois. » (Ce projet de décret est adopté sans discussion.) L’ordre du jour portait un rapport des comités réunis de Constitution et des finances sur le traitement des juges et des membres des assemblées administratives. Ce rapport est ajourné à la séance de lundi prochain 30 du présent mois. Un rapport des comités de judicature et de finances sur la liquidation des offices de judicature est ajourné au mardi 31 août. [28 août 1790.] L'Assemblée reprend la discussion sur la liquidation de la dette publique et sur les moyens proposés par M. de Mirabeau pour en assurer. I acquittement. M. de Rony d’Arsy. Notre position vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis des étrangers n’est pas heureuse; mais les embarras qui assiègentle royaume tiennent tous au délabrement de ses finances; il faut en sortir par un généreux effort. Nous devons une somme énorme; la totalité de la dette publique est de 4,800 millions; mais la dette constituée, viagère et perpétuelle, s’élevant à 2,400 millions, et n’étant point exigible, il ne faut pas songer, quant à présent, à la rembourser. Reste donc à payer la dette à terme, qui se monte également à 2,400 milions. Eh bien ! acquittons-nous une bonne fois par une seule opération, grande, simple, magnifique; que la nation puisse enfin dire : je ne dois rien. Elle sera peut-être la seule de l’Europe à qui il soit permis de tenir ce langage. Mais quelque brillant que semble ce dessein, il ne serait pas digne des législateurs de la France, si le système que je vous propose n’était pas juste en lui-même, avantageux à la nation , utile aux créanciers de l’Etat, favorable à ceux à qui l’Etat ne doit rien, exempt de tous inconvénients importants, préférables aux autres plans publiés. Rien de plus juste que de s’acquitter, non seulement des dettes actuellement échues, mais de celles qui sont plus exigibles, de leur nature, à des termes préfixes. Rien de plus avantageux à la nation, car cette dette courte étant un intérêt de 120 millions par année qu’il faut imposer sur les peuples, c’est soulager le pauvre peuple d’un fardeau énorme, que de faire ce remboursement salutaire. Rien de plus utile aux créanciers de l’Etat, car dans l’état actuel on ne leur paye point les capitaux échus, et l’on paye mal les arrérages. C’est donc les ramener au bonheur, les sauver du désespoir, les rendre à l’industrie, au commerce, à l’agriculture, que de les rembourser de ce qui leur est dû, et les mettre enfin à même d’échanger un titre vacillant contre une terre nationale, la plus solide de toutes les possessions. Rien de plus favorable à ceux à qui l’Etat ne doit rien, car, par l’émission de 400 millions d’assignats, et par le décret qui ordonne la vente des biens du clergé, tous les propriétaires de terres sont ruinés. Tel héritage qui valait trois cent mille livres ne se vendrait aujourd’hui que deux cents. Mais lorsque, par une émission considérable de valeurs, vous aurez mis tous les créanciers en état d’acquérir des biens nationaux, il s’établira une concurrence qui rendra à toutes les terres des particuliers leur ancienne et véritable valeur. Ce système est exempt de tous inconvénients capitaux. La plus forte objection qu'on puisse lui opposer est celle du danger qu’il peut y avoir à mettre en circulation deux milliards et demi de numéraire fictif. Il existe déjà pour deux milliards et demi d’effets non circulants, qui entravent le commerce et attirent vers eux des fonds qui seraient si précieux à l’industrie nationale; il serait donc utile de changer ces papiers stagnants contre des feuilles plus légères, qui auraient toute la mobilité et tous les avantages de la monnaie : la circulation n’en peut recevoir d’atteinte; elle n’aspirera pas plus de numéraire qu’elle ne peut en contenir. Plongez une éponge dans un vase ou dans l’Océan, elle ne s’imbibera pas davantage. Ce système paraît pré-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.] 337 férable aux autres plans publiés. Celui de M. Cia-vières est d’accord avec mes principes. Si ce célèbre Genevois n’a d’abord demandé une émission que d’un milliard, c’est qu’il a craint de perdre la cause entière en prenant des conclusions trop étendues. M. l’évêque d’Autun voudrait que la dette constituée et la dette exigible entrassent en concurrence dans l’achat des biens nationaux. Mais ces biens ne pouvant suffire à acquérir l’une et l’autre de ces dettes, il serait absurde et injuste d’accorder la même faveur à des titres aussi dissemblables. Il en résulterait d’ailleurs que les contrats anciens, qui ont déjà perdu 30 et 40 pour cent, pourraient enchérir avec trop d’avantage sur les terres ecclésiastiques, qui finiraient par devenir la propriété des anciens qui n’ont aucun droit à exiger un remboursement; et les créanciers à terme, lorsqu’ils se présenteraient, ne trouvant plus de terres à acquérir, montreraient en vain à la nation leur titre échu, son décret et son impuissance... J’ai été surpris hier de voir le ministre des finances, qui jusqu’ici n’a présenté aucun plan, n’a offert que des moyens partiels, que des palliatifs inutiles; qui n’a proposé que de misérables impôts, qu’une alliance monstrueuse avec la caisse d’escompte, que ce ministre, dis-je, vînt attaquer le seul plan général et suffisant qu’on ait proposé. Si je connaissais moins la pureté des intentions de M. Necker, je croirais qu’il a voulu continuer d’être nécessaire, car vous sentez que lorsque vous aurez tout payé, il n’y aura plus de finances, et par conséquent plus de ministre des finances. Je conclus : 1° à une émission de 2,400 millions d’assignats-monnaie, forcés, sans intérêt d’aucune espèce; 2° à ce que les écus soient exclus de l’achat des biens nationaux qui ne pourront se vendre que contre assignats; 3° à ce que cette grande et importante question soit discutée aujourd’hui, et ajournée ensuite à quinzaine, pour avoir le temps de consulter l’opinion publique, qui seule doit faire loi en matière si intéressante. (Ce discours est très applaudi.) M. Brillat-Savarln. En proposant une émission d’assignats pour deux milliards, on .s’est trop retenu dans les bases, et l’on ne s’est pas assez occupé de l’application de ce système, dont l’effet certain serait d’enrichir les créanciers de l’Etat et de ruiner ceux qui ne sont pas créanciers. Les assignats perdent en ce moment, et cependant il n’y en a que pour 400 millions opposés à deux milliards de numéraire effectif. Ils perdront 30 0/0 quand la somme des assignats sera égale à celle du numéraire effectif. D’après cette première donnée, je dis que tous ceux qui ne sont pas créanciers de l’Etat éprouveront une perte considérable : si leur fortune consiste en une créance sur des particuliers, ils seront payés en assignats qui perdront. On dira qu’ils pourront convertir ces effets en domaines nationaux, mais ces domaines auront une hausse momentanée. Quatre millions de pères de famille n’ont pas dans l’année pour deux cents livres de payements à faire; ils se trouveront à la merei des capitalistes. Avec de l’argent on fait tout ce qu’on peut faire; avec des assignats; avec des assignats on ne fait pas tout ce qu’on peut faire avec de l’argent. L’effet de leur émission sera le désespoir de tous les citoyens qui ne sont pas créanciers de l’Etat, c’est-à-dire des plus fidèles amis de la Constitution. M. l’abbé Gouttes. Je 11e crois pas qu’il soit possible d’ajouter quelque chose à ce qui a été dit hier par le rapporteur du comité des finances et par M. de Mirabeau l’aîné; je présenterai seulement quelques considérations. Nous devons, il faut payer ; nous n’avons que des fonds pour nous acquitter, il faut les vendre ; si nous trouvons un moyen d’accélérer ces ventes, il faut l’adopter. En donnant des quittances de finances, on aurait des intérêts à payer. Les biens nationaux mal administrés, s’ils n’étaient pas vendus, ne produiraient pas assez de revenus pour payer ces intérêts ; ainsi le peuple surchargé se plaindrait de votre opération, et peut-être de la Constitution. En créant des assignats vous n’avez plus ces dangers à craindre : vous détruisez des papiers livrés aux agioteurs, des papiers qui corrompent les mœurs, et vous les remplacez par un numéraire fictif qui les protège; vous favorisez l’agriculture et le commerce, en forçant le créancier à tourner ses spéculations sur le commerce et l’agriculture. Il faut aider le peuple à faire de petits achats ; les petits propriétaires sont les plus utiles. Je réclame, pour le peuple, des assignats de petites sommes, ou bien que, pour l’achat des valeurs peu considérables, l’argent soit admis en concurrence avec les assignats; c’est le seul amendement que j’aie à faire au projet de M. de Mirabeau l’aîné. M. Rewbell. On a proposé, pour éteindre la dette publique et se débarrasser des biens nationaux, une création d’assignats sans intérêts. Le ministre a dit qu’il y avait des dangers, parce que les assignats ne sont pas au pair. Il aurait été utile d’attaquer cette objection. Pourquoi les assignats ne sont-ils pas au pair ? G’est parce qu’ils ne peuvent servir aux besoins usuels; c’est parce qu’il n’y a pas assez de numéraire effectif pour ces besoins. Cette objection n’existerait plus, si l’on créait pour 30 millions de monnaie de billon. Je n’ai pris la parole que pour demander qu’on s’occupât de cette création. Un député extraordinaire d’Alsace est venu solliciter à ce sujet ; partout il a trouvé des visages de glace... Je demande seulement ; 1° qu’on décrète dès aujourd’hui que le prix des domaines nationaux ne pourra être effectué qu’en assignats; 2° qu’il sera créé pour 30 millions de monnaie de billon, et que tout porteur d’un billet de 200 livres pourra le présenter pour un payement de 6 livres, et que le reste du montant de ce billet lui serafour-ni en billon ; 3° que, dès demain, on fera le rapport sur la fabrication des monnaies de billon et sur la ventes des cloches. M. de Toustain de Vîray (1). Messieurs, je sens toute l’importance et l’étendue de l’objet qui vou3 occupe ; bien persuadé en même temps de mon insuffisance pour entrer dans une discussion longue et approfondie, je n’abuserai pas de vos moments précieux : je ne suis -qu'un soldat, et je n'ai que du zèle. Je brûle du désir de voir ma patrie heureuse. Le patriotisme seul m’inspire et réclame l’indulgence de ceux qui, par une dissemblance d’opinion, me seraient opposés. Il ne faut pas se le dissimuler, Messieurs, de votre opération va résulter ou la félicité ou le malheur de la nation. J’ai entendu, dans cette tribune, des membres respectables par leurs ver-(1) Le discours de M. de Toustain de Viray n’a pas été inséré au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.] 388 [Assemblée nationale.] tus et leur civisme, vous faire un tableau effrayant de tous les maux dont nous serions environnés, si l’on adoptait l’émission de deux milliards d’assignats; ils vous ont peint les manufactures anéanties, le commerce ruiné, l’agriculture dépérissante, les marchandises et la main-d’œuvre augmenter en proportion du numéraire fictif; enfin, les comestibles en tout genre rehaussés à un prix qui porterait la désolation dans la portion du peuple, dont votre devoir est de vous occuper plus essentiellement. Je ne puis qu’applaudir à leur zèle patriotique; il suffit de la bonne foi et d’un jugement sain, pour convenir et être convaincu de la vérité et de la solidité de tous ces raisonnements; iis ont été trop bien développés par M. l’évêque d’Autun, M. Malouet et plusieurs autres membres, pour qu’il puisse rester des doutes à cet égard. Tous les malheurs qu’entraînerait une émission de deux milliards de papier-monnaie, dont la contrefaçon serait le moindre ; tous ces malheurs, dis-je, sont incalculables, font frémir d’horreur, et précipiteraient l’Etat dans un abîme effrayant. Examinons maintenant, Messieurs, de sang-froid et sans prévention, la position de la France. Une longue suite de dilapidations dans les finances l’a précipitée dans le plus grand désordre; des emprunts successifs, onéreux à l’Etat, avantageux aux seuls capitalistes, ont porté la dette publique à un taux excessif. Il est instant de prendre un parti. Vous devez compte à la nation, et du choix et de l’exécution. La tâche est pénible, sans doute; mais il faut avoir le mâle courage de l’exécuter. Je sais qu’une pareille opération doit frapper nécessairement sur quelqu’un, mais mettons tous nos soins et notre impartialité à ne pas commettre d’injustice manifeste, à assurer, autant que la circonstance l’exige, le sort de ceux sur qui pourrait porter cette opération. Je ne vois qu’un moyen pour arriver à votre but; c’est de rembourser sur-le-champ la dette exigible de l’Etat, avec deux milliards de reconnaissances de créances, ou de quittances de finances ne portant point intérêt, et n’étant point mises en circulation ; alors tous les malheurs dont on nous menaçait disparaîtront, et vous allégerez la dette publique de 100 millions. Voilà la marche que votre devoir vous impose pour soulager le peuple ; le malheur de la circonstance vous le commande impérieusement. H faut, pour être juste envers vos créanciers, que les reconnaissances de créances, ou quittances de finances, dont ils seront porteurs, puissent seules être reçues en payement des domaines nationaux, et que l’argent comptant n’y soit pas admis; parce moyen, ceux qui ne seront pas dans l’intention d’acheter des terres, échangeront nécessairement leurs reconnaissances de créances contre l’argent de ceux qui voudront acheter des domaines nationaux : vous vous acquitterez alors, en remettant entre les mains de vos créanciers le seul signe représentatif de vos domaines. L’hypothèque est spéciale et unique ; elle peut se réaliser à volonté; et certes, le bien général et la raison exigent, puisque la dette est remboursée, qu’elle ne pèse plus sur le peuple, et qu’il ne soit plus écrasé par le poids énorme des intérêts. Si quelqu’un peut souffrir de cette opération la raison dit qu’il vaut mieux qu’elle porte sur le riche que sur le pauvre. Les capitalistes se plaindront sans doute; leur spéculation est de tout envahir ; ils chercheront à vous émouvoir, en vous parlant de ceux à qui ils doivent (que je traite de sous-capitalistes). Je répondrai aux uns et aux autres, que la même créance qui était hypothéquée soit sur des fonds versés dans le Trésor public, soit sur des places ou des charges de quelque nature qu’elles soient, ne sera pas affaiblie, puisqu’elle se reportera sur la terre que l’assignat représente, et que la spéculation financière ne tardera pas à effectuer. Je leur dirai de plus : Soyez citoyens avant tout! Rappelez vos justes inquiétudes sur le délabrement de nos finances, et transportez-vous au ministère de M. de Galonné : certes, la position est bien différente; mais malheureusement l’intérêt particulier vient se mêler trop souvent à l’intérêt public, et ne manque jamais, pour cacher sa cupidité, de se couvrir du manteau de la vertu et de l'intérêt général. Je crois cependant, Messieurs, devoir vous faire une observation en faveur des créanciers de l’Etat, de la dette constituée, dans la classe indigente, dont la créance ne dépasserait pas 6,000 livres. Il me semble qu’il serait de votre justice de laisser à ceux-ci le remboursement à leur choix: il faut être sévère, mais sans dureté. Je voudrais aussi, qu’à commencer de la publication du décret qui sera porté, on continuât à payer pendant six mois aux créanciers de l’Etat les intérêts affectés à leurs créances. Si vous aviez daigné, Messieurs, accueillir la motion que j’ai eu l’honneur de vous soumettre il y a six mois, qui remplissait à peu près les mêmes vues, on n’aurait pas payé depuis ce temps 12 millions par mois d’anticipations de leurs intérêts; ni ceux de la dette publique, qui auraient cessé à cette époque. Mais, Messieurs, vous avez cru qu’il était de votre sagesse de mettre de la lenteur dans une décision aussi importante; vous avez voulu laisser mûrir les opinions par le développement des idées particulières, les peser, les combiner, et tirer de leur choc une solution qui pût faire le bonheur du peuple, votre principal objet. Ce motif vous commande de hâter votre décision, et vous impose l’obligation de vous renfermer dans les principes de justice et de sagesse qui doivent diriger tous vos décrets. Votre lenteur, jusqu’à présent, n’était que prudence; mais songez que la dette pèse tous les jours sur la nation, et que vous lui devez compte de votre retard. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant la nécessité indispensable et urgente de mettre de l’ordre dans les finances, a cru devoir employer les moyens les plus sages et les plus prompts pour diminuer le fardeau delà dette de l’Etat, qui pèse sur le peuple, et lui enlève une partie de son nécessaire pour fournir aux intérêts de cette somme. En conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit: Art. 1er. Il sera délivré sur-le-champ aux créanciers de l’Etat, pour deux milliards, soit de reconnaissances de créances, soit de quittances de finances, ou d’obligations nationales, hypothéquées sur les domaines nationaux. Art. 2. Ges reconnaissances de créances ou quittances de finances, seront Je signe représentatif des domaines nationaux ; elles seront seules [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.] 389 reçues en payement de ces biens, l’argent comptant même n’y sera pas admis. Art. 3. Elles ne porteront point intérêts, et ne pourront pas être mises en circulation forcée. Art. 4. Les intérêts affectés à chaque créance continueront à être payés seulement pendant six mois, à commencer de la publication du présent décret; mais les créances qui ne porteraient point intérêts ne pourront profiter du bénéfice ci-d6ssus« Art. 5. Ces reconnaissances de créances, ou quittances de finances seront délivrées en forme de remboursement aux créanciers de la dette exigible de l’Etat, à commencer du premier octobre 1790. Et dans le cas où les créanciers de l’Etat ne se seraient pas présentés pour recevoir ainsi leur remboursement, toute rente ou intérêt cesseront, de plein droit, à compter de ce jour. Art. 6. La reconnaissance de créance ou quittance de finance sera faite au nom du créancier de l’Etat, et portera la totalité de sa créance, de manière qu’il sera dans la nécessité de l’endosser pour la passer au profit d’un autre. Art.. 7. Lorsque le créancier de l’Etal sera dans Je cas d’acheter des domaines nationaux, à un moindre prix que la totalité de sa créance, les municipalités alors mettront au bas de sa quittance de finance ou reconnaissance de créance, que telle somme est acquittée, et que le titre n’a plus de valeur, que pour la somme de, etc. Art. 8. Les créanciers de l’Etat, de la dette constituée, dont le capital ne dépasse pas 6,000 livres, ne pourront être forcés d’accepter le remboursement ; ils resteront maîtres du choix. Art. 9. Les municipalités seront chargées delà vente des domaines nationaux, mais ne pourront la consommer, sans l’autorisation des départements qui vérifieront si ces biens ne sont pas donnés au-dessous de leur valeur, auquel cas ils arrêteraient la vente. Les départements jugeront aussi, conjointement avec les municipalités, des cas où il serait plus avantageux de morceler ces biens et de les vendre en détail pour en tirer un meilleur parti. Art. 10. Les dispositions ultérieures seront conformes au mode déjà établi par l’Asemblée nationale pour les 400 millions d’assignats décrétés le , et seront exécutées selon leur forme et teneur. M. l’abbé Brousse (1). Messieurs, la liquidation de la dette publique ne présente pas seulement à l’examen une grande question de finance; elle offre encore en administration, en politique, en économie commerciale et industrielle, un des problèmes les plus importants qui puissent appeler l’attention publique : de sa solution dépend peut-être le succès de la Révolution elle-même. J’essayerai de le considérer sous ces différents rapports ; mais je n’imiterai pas la réserve, trop prudente, de ceux qui se sont contentés jusqu'ici de combattre les mesures successivement proposées, sans rien substituer à leur place ; comme si dans une telle matière, dans de telles conjonctures, c’était par des raisonnements seuls qu’il fallait réfuter un plan, et non pas par un plan meilleur. En étendant mes vues sur tout ce qui a trait à (1) Le discours de M. l’abbé Brousse n’a pas été inséré au Moniteur. cette discussion, je ne me bornerai pas à combattre les systèmes qui me semblent s’éloigner du but; je chercherai à mettre en regard celui qui me paraît s’en rapprocher d’avantage. Je me garderai bien, surtout, d’isoler cette question des circonstances qui nous environnent. La traiter dans son abstraction métaphysique, ce serait s’exposer au malheur de ce philosophe, qui se précipitait dans un abîme en cherchant à lire dans les cieux. Notre situation est difficile et périlleuse : nous avons des engagements immenses, que nous avons juré formellement de remplir, et nous tiendrons notre serment. Ces engagements produisent des dettes de deux espèces : les unes n’ont point de capital exigible, et il nous suffit d’en acquitter exactement l’intérêt ; les autres sont formées de capitaux exigibles, et dont l’échéance est arrivée : tels sont les remboursements que nous devons à la dette du clergé, à la suppression des offices et des cautionnements, à l 'arriéré des départements, enfin aux effets publics, dont le payement est échu. Tous ces objets sont bien réellement exigibles. Je m’étonne qu’on leur ait contesté cet avantage, et j’ai peine à revenir sur des vérités si évidentes. Le principe de la suppression des charges, une fois décrété, il faut que cette suppression s’exécute. Mais en détruisant les avantages, qui en résultaient pour les possesseurs, il faut bien leur rendre le prix qu’ils ont déboursé pour en jouir: l’équité l’exige, la déclaration des droits en fait une loi impérieuse. L’hypothèque spéciale des créanciers du clergé va être détruite par les ventes : leur remboursement est de rigueur. Les effets publics suspendus ne réclament pas avec moins d’instance.’ Tous ceux qui en étaient porteurs avaient des délégations sur des branches particulières des reveous de l’État : par une inconcevable injustice, le despotisme a dévoré leur gage; c’est une vérité reconnue par le comité des finances. Il n’est pas possible de songer à retarder le payement de l 'arriéré des déparlements. Gomment faire attendre encore des fournisseurs, qui attendent depuis si longtemps? II faut donc un remboursement effectif à toutes ces créances. Quels sont nos moyens pour l’opérer ? Nous avons pour payer deux sortes de biens; les uns en revenus , ce sont les impôts répartis sur tous les individus du royaume ; les autres en fonds , ce sont les biens immenses, dans lesquels la nation est rentrée. La première ressource, celle des impôts, est bornée. Le peuple souffre, le peuple succombe sous sa charge, elle ne peut plus être augmentée. L’Assemblée nationale, dans son adresse aux Français pour l’émission des assignats, en a fait solennellement la promesse. Gomment pourrait-on oublier cet engagement sacré? La seconde ressource, celle des biens nationaux, est plus étendue. Si l’on pouvait convenir avec les créanciers de l’État de les leur donner en payement, l’opération serait bien facile. Mais les dispositions de la plupart d’entre eux s’y opposent, et il n’est ni juste ni possible de chercher à les y contraindre. Quel moyen donc employer pour liquider cette dette? 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.J Ici se présente d’abord le système des quittances de finances , qui a paru avoir de nombreux partisans. Ce système a été développé sous différentes formesingénieuses, mais dont le résultat, en définitive, est toujours le même. Il se réduit à donner à ceux à qui il est dû, un titre nouveau, pour remplacer l’ancien. Ce n’est point un payement qui est fait par là, ce n’est encore que la promesse d’un payement. Que fera, de ce titre, celui qui en est le porteur? Pourra-t-il le transporter à d’autres ? Non : seulement il pourra s'en servir pour acheter des terres nationales. Mais si ce porteur ne peut pas penser à acquérir; si ce porteur a des créanciers lui-même, comment remplira-t-il ses engagements? S’il veut s’en débarrasser, il faudra donc qu'il cherche, à force de sacrifices, à trouver des acheteurs? Et si le grand nombre des vendeurs d’un tel effet en avilit la valeur, est-ce un payement total que vous aurez fait à ce créancier? • Non: ce ne sera qu’un acquittement partiel qu'il aura reçu : est-ce là ce que vous aviez garanti de la loyauté d’une grande nation ? Le premier ministre des finances disait, dans son avant-dernier mémoire, « où serait la justice d’une disposition qui tendrait à faire valoir le prix des domaines qu’on veut vendre, en donnant à ses créanciers des billets dont ils seraient forcés de faire usage d’une seule manière ; des billets, dont le discrédit probable devient dès-à-présent l’une des bases de la spéculation for-mée au nom de l’intérêt public. » A quel système, plus qu’à celui des quittances de finances, peut s’appliquer une telle objection? Avec ces quittances point de payement réel : avec ces quittances, point de payement intégral. Ces deux points me semblent démontrés. Mais ce n’est pas le seul reproche à leur faire. Ces quittances de finances porteront-elles un intérêt ? Oui, sans doute, puisqu’elles sont représentatives d’un titre qui en produisait. A quel taux les fixera-t-on ? sera-ce à 3 0/0 ? Mais alors vous manquez à la foi promise : presque tous les capitaux avaient un intérêt su-érieur. Il faut le dire, vous faites une véritable anqueroute. Les élèverez-vous à 5 0/0 ? Mais alors, d’un côté, ces quittances resteront dans les portefeuilles : car, qui voudra les échanger loin de soi, loin de ses convenances, contre des terres dont le revenu ne serait guère que de 2 ou 3 0/0 au plus, tandis qu’en conservant ces quittances, on peut avoir 5 0/0 sans embarras? Vous vous écartez ainsi du but de l’opération; alors les biens nationaux ne se vendront pas, et tous vos plans sont renversés. D’un autre côté, quel effrayant aliment vous donnez à l’agiotage ! N’était-ce donc point assez de cinq à six cents millions d’effets de pareille nature, avilis sur la place ? Faut-il y joindre deux milliards de nouveaux papiers, qui vont s’avilir encore davantage ? Enfin, songez-vous à la surcharge que vous allez mettre sur le peuple ? Vovez à quelle somme additionnelle d’impôts vous conduit l’intérêt de deux milliards que vous aurez à payer ? Les revenus des biens nationaux suffiront-ils pour l’acquitter? Je suis loin de soupçonner les mains qui recevront ces revenus ; mais quelque pures que j’aime à les croire, ne connaît-on pas et les frais et les inconvénients des administrations communes ? Il vous restera toujours une différence énorme à faire disparaître, et vous n’aurez, pour la couvrir, que la voie des impôts. Mais, comment parviendrez-vous à les lever ? vous avez promis si solennellement d’adoucir le sort du peuple! oseriez-vous l’aggraver? Ce besoin de soulagement n’est pas le seul que vous ayez à satisfaire. Les manufactures épuisées, les arts languissants, tous les genres d’industrie aux abois, attendent de vous de nouveaux secours pour les ranimer. Où sont ceux que vous leur destinez?.... Vous n’avez rien à leur offrir !.... Tout va donc périr autour de vous de langueur et de misère ! Est-ce alors qu’on peut espérer ces jours de calme et de tranquillité, si nécessaires après tant d’agitations et d’alarmes 1 Et si quelque événement imprévu, si quelque entreprise nouvelle venait troubler la paix publique, où seraient les ressources qu’exigerait la défense du royaume? quels moyens de prévoyance vous resteraient pour soutenir les droits d’un peuple libre? Si la perception des impôts seulement était retardée, où trouver des secours pour en attendre le recouvrement ? Ainsi, ce système injuste envers les créanciers de l’Etat, déshonorant pour la nation, est encore accablant pour le peuple, cruel pour le commerce, pour l’industrie, et effrayant pour l’avenir. Il faut donc le rejeter sans retour. Une autre théorie a été développée. Elle consisterait à payer toute la dette actuellement exigible avec des assignats sans intérêts,� mais forcés, qui seraient exclusivement reçus dans le prix des biens nationaux. « Par là, dit-on, le créancier qui reçoit son « payement pourrait payer à son tour. Le numé-« raire fictif, qui lui serait donné, aurait pour « lui toute la valeur du numéraire réel. 11 serait « donc pleinement désintéressé. » « Par-là, dit-on encore, la vente des biens « nationaux, impraticable sans ce nouveau moyen « de richesses, puisqu’avec les anciens moyens, « les terres patrimoniales ne peuvent se vendre, « par-là les ventes des biens nationaux s’opére-« raient avec activité. » « Le peuple serait soulagé du fardeau de cent « millions d’impôts. » « Un numéraire nouveau s’introduirait dans « la circulation : répandu partout, il fertiliserait « toutes les branches de l’industrie; enfin, amis « ou ennemis, il forcerait tous ceux qui le recer « vraient à s’intéresser à ses succès . » Une telle mesure, il faut l’avouer, a de la grandeur ; mais que d’objections contre elle1. Distinguons d’abord celles que la routine, l’intérêt personnel, ou l’esprit de parti, ont pu dicter. D’une part, de funestes souvenirs sont encore présents. Il n’est pas facile d’oublier et de ûe pas rapprocher les malheurs du système. D’une autre part, la doctrine des assignats ferme inexorablement le champ des spéculations. Car, comment spéculer sur des valeurs absolues dont le cours est forcé ? Avec cette doctrine des assignats s’évanouit l’espoir de voir renaître ces moyens de prospérités particulières, chers à tant de citoyens, qui ne peuvent y renoncer sans re- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.] 391 [Assemblée nationale.] gret. La crainte des pertes particulières se mêle involontairement aux discussions publiques. Enfin les ennemis, secrets ou publics, de la régénération française, n'ont plus d’espoir que dans l’embarras des finances : s’il existe un moyen de le prolonger et de l’accroître, est-il étonnant qu’ils l’embrassent avec ardeur ? Au milieu de ces agitations diverses, qu’il soit permis à celui qui est, sans espoir, comme sans crainte, sur le succès ou sur la ruine de la théorie des assignats, d’en examiner les inconvénients et les avantages, de rapprocher les objections et les réponses, soigneux d’écarter de lui également, et les préjugés de l’habitude, et les erreurs de l’esprit de système. Le danger des papiers-monnaies est assez connu : tous les livres d’économie politique, et, plus encore, les faits, se réunissent pour les proscrire. De tels papiers sans gage connu, sans hypothèque déterminée, ne méritent ni estime ni confiance; ce ne sont toujours, comme on l’a très bien dit, que des emprunts le sabre à la main. Mais peut-on attacher cette défaveur à vos assignats ? Non certes ; qui pourrait élever des doutes sur leur solidité? Ils ont une hypothèque indestructible; ils ont une délégation "spéciale : leur valeur est aussi sûre et aussi disponible que la terre qu’ils représentent. Ils sont à la fois, comme l’argent, et monnaie et marchandise: monnaie , pareequ’ils ontcours partoutle royaume; marchandise, parce qu’ils sont un objet certain et une valeur absolue, ils ont même un autre avantage, c’est celui d’être le signe d’une chose productive de sa nature, avantage que n’a pas l’argent. C’est donc une sorte de numéraire territorial, si l’on veut, mais aussi solide que le numéraire métallique. « Mais, dit-on, quoi de plus effrayant que cette « immense émission, dont on nous menace ! Déjà « la circulation ne pouvait supporter le fardeau « des 400 millions décrétés ; comment ne succom-« bera-t-elle pas sous le poids énorme des nou-« veaux? Le numéraire, si rare, disparaîtra tout « à fait ; comment payer les troupes? Comment « fournir aux besoins des marchands, des manu-« facturiers ? Les assignats s’aviliront, leur dis-« crédit s’étendra à tout; le commerce intérieur « n’aura plus d’aliments, le commerce extérieur « sera détruit, les ouvriers quitteront une patrie « qui ne pourra plus les nourrir. Quelles pertes, « quels malheurs, et qui peut en prévoir la « lin ! » Ces objections, que sans doute on ne trouvera pas affaiblies, peuvent paraître effrayantes ; mais sont-elles bien justifiées? Elles portent toutes sur un point, la baisse des assignats ; et ce point est-il démontré? Pour l’établir qu’invoque-t-on? La perte des assignats actuels. Mais il faudrait avant tout examiner et l’effet et la cause. Il est constant que, dans le détail des petits payements, le besoin des appoints a fait donner aux écus, qui les complètent avec facilité, une supériorité de 5 à 6 pour 100 sur les assignats, çpii sont de sommes trop élevées pour les besoins journaliers de la vie ; et le change, à cet égard , a éprouvé la différence, qui s’est quelquefois fait sentir dans divers pays, lorsqu’une certaine espèce de monnaie nécessaire s’est trouvée rare. Mais dans les grands payements de la banque, du commerce, des manufactures, dans les transactions ordinaires de la société, a-t-il existé une seule fois des différences, un abaissement quelconque dans la valeur des assignats ? Vous avez eu 20,000 livres à payer en banque ; vous avez eu 50,000 livres à rembourser devant notaires : avez-vous eu quelques pertes, même quelques difficultés à essuyer en les fournissant en assignats? Personne ne peut le dire. Ce n’est donc que l’incommodité, ou la difficulté d’un trop grand écart entre la dernière somme des assignats et les petites valeurs de détails, qui a introduit la différence dont on parle ; et n’esl-il pas aisé de la faire disparaître par une combinaison meilleure, par une autre division de la somme des assignats ? Prenez garde encore aux circonstances dans lesquelles ces premiers assignats ont paru ! Le papier forcé de la caisse d’escompte perdait 7 à 8 0/0; et c’est la caisse d’escompte qui a fourni les premières promesses d’assignats ! C’est sous son enveloppe que les assignats ont paru. Est-il étonnant qu’ils aient partagé son discrédit? Est-il étonnant que l’habitude l’ait continué ? S’il y a du remède à l’inconvénient, il faut cesser d’invoquer l’inconvénient en preuve ; la thèse reste à démontrer. Examinons-là donc sérieusement en elle-même ; voyons quels seront les effets de cette nouvelle émission d’assignats, et suivons-les , pour ainsi dire, de main en main. Avant tout , convenons bien de la somme et du mode de cette émission : car il est important de ne rien exagérer et de bien s’entendre. D’abord, il n’est pas question de la porter subitement à deux milliards, comme beaucoup de personnes l’ont cru : la dette actuellement exigible n’est que de 1,340 millions : là se bornent nos obligations rigoureuses. Il y aura par la suite d’autres remboursements à faire ; mais leur terme n’est pas arrivé. En ce moment , nous n’avons besoin que d’être exacts ; le temps nous permettra quelque jour d’être prévoyants. Ces 1,340 millions, joints aux 400 déjà existants, formeraient un total de 1,740 millions, ce qui certainement , dans les suppositions les moins favorables , n’excéderait pas la valeur des biens nationaux. Et qu’on ne craigne pas même que cette nouvelle émission fonde tout à coup dans le commerce : le principe seul en sera décrété sur-le-rhamp ; mais son exécution, par la nature des choses, ne s’opérera que lentement et dans de longs intervalles. La liquidation des offices et des cautionnements exige des formes longues et compliquées : la dette arriérée et les effets seuls n’entraînent point de délais. Mais la valeur de ces deux objets, si peu considérable, pourrait-elle surcharger la circulation? Ges idées établies, voyons ce qui doit en résulter, et suivons de près l’objection : elle se réduit à ce dilemme : « Ou les assignats chasseront le numéraire, et « alors comment fournir aux besoins publics, à « ceux du commerce? Ou ils ne le chasseront pas, « et alors quelle surabondance, par conséquent, « quel renchérissement dans toutes les denrées, « et quel bouleversement général ! » Analysons chaque partie du dilemme séparément. Yeut-on que les assignats effrayent le numéraire et le chassent de la circulation ? Cependant que deviendrait ce numéraire? Déjà il est enfoui depuis longtemps : les propriétaires inquiets s’épuisent dans l’attente d’un temps plus tranquille. Gomment laisser perpétuellement en 392 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.] fonds mort, le capital qui doit les faire vivre? La faim ne commandera-t-elle pas à la peur? Fera-t-on passer ce numéraire à l’étranger? Mais que de dangers , que de frais, pour en risquer !’ exportation ! et que rapportera-t-il ainsi trans-p rlé? réimporte, supposons ce numéraire disparaissant devant les assignats, qu’arriva-t-il? Que les assignats feront seuls la circulation. Mais qui les empêchera d’y suffire? Qui empêchera qu’ils ne remplacent complètement le numéraire caché? Leur trop grande élévation seule, leur division en trop fortes sommes. Mais on peut éviterla fautecommise pour l’émission des premiers : on peut les couper de diverses manières ; on peut faire des assignats de petites sommes jusqu’à vingt-quatre ou vingcinq livres.On peut enlin fabriquer quelques monnaies our les appoints. Vingt millions proposés en illon, le double à peu près à créer en pièces de 10 sols, d’argent seul; ces moyens, d’un décompte facile, divisible à l’infini , peuvent écarter sans retour presque tous les inconvénients : car il n’en sera pas de ces monnaies nouvelles comme de nos écus, que leur poids et leur valeur intrinsèques invitent à exporter ou à fondre. Qui pourrait chercher à exporter ou à fondre des monnaies d’une aussi faible valeur , dont la perte serait immense , en raison des frais de la fabrication et du droit qu’y ajoute l’empreinte du prince? Avec ces simples précautions, quelle fourniture serait retardée? quelle solde serait embarrassante ? quels détails de manufactures seraient contrariés ? où seraient les troubles, les malheurs du commerce intérieur ? Craindrait-on pour celui qui se fait au dehors ? mais celui-là ne doit jamais s’opérer avec le numéraire quand il est bien dirigé. C’est avec des objets d’échange qu’il doit solder ses demandes : et quel royaume fut jamais plus riche en moyens de s’acquitter ? N’avons-nous pas nos vins, nos blés, nos huiles, nos savons, nos denrées de toute espèce, surtout nos marchandises coloniales? Que demandons-nous à nos voisins, aux étrangers, si j’excepte quelques articles nécessaires à l’armement de nos flottes, que leur demandons-nous autre chose, que des objets de luxe et de fantaisie; des objets dont l’esprit public seul, sans rompre les traités, suffit pour arrêter l’importation plus sûrement, plus promptement que l’armée de commis la plus nombreuse et la plus vigilante ? Cette balance de commerce, qui doit toujours pencher pour nous dans les temps ordinaires, a pu nous être contraire depuis quelque temps; mais les mêmes circonstances désastreuses n’existent plus : nous n’avons plus à acheter à grands frais nos subsistances; le sol de la France a repris sa fertilité, et le patriotisme, qui parcourt et qui échauffe toutes les classes, est prêt, quand on voudra l’exciter, à repousser toutes les fabrications, qui ne sont pas nationales. Tout assure donc que nous sommes au moment de reprendre notre supériorité naturelle. Où sont alors les craintes d’être forcés de solder nos besoins avec un numéraire, qui fuirait loin de nous? - Ainsi, même avec les seuls assignats, à l’aide de quelques précautions, qui sont dans notre pouvoir, nous éloignons toutes les difficultés. Mais veut-on changer la thèse? Préfère-t-on de supposer que nos assignats circuleront fraternellement avec le numéraire réel, ce qui est infiniment plus probable? . Que craignez-vous alors? — La trop grande abondance de signes représentatifs, et le renchérissement des valeurs 1 Mais d’abord, prenez garde que cette abondance de numéraire territorial ne sera pas éternelle. Prenez garde que ces assignats ont un écoulement préparé : les biens nationaux les attendent, et comment n’exciteraient-ils pas l’empressement général ? Ces biens portent des fruits, et les assignats proposés sont sans intérêt. Et si vous doutez de cet empressement des porteurs d’assignats à rechercher les ventes, qui vous empêche de les exciter encore par la promesse d’une prime, qui ne serait accordée que pendant un certain espace de temps? Ensuite, avez-vous bien calculé les besoins accumulés de l’agriculture, du commerce, de l’industrie ? Savez-vous quelle est la mesure précise de leurs demandes, après tant d’années de détresse, d’oppression, lorsque le règne de la liberté commence? Qui pourra prononcer qu’un milliard de plus, mis en circulation dans de telles circonstances, (et vous n’aurez jamais plus à la fois, dans le système dont il s’agit ici) loin d’être une surcharge accablante, ne sera pas plutôt un germe de vie et de bonheur? Voyez plutôt par ce nouveau secours les arts et l’activité commerciale se ranimer, s’élever à de nouvelles entreprises, tenter des spéculations plus hardies, la mer se couvrir de nouvelles flottes, les routes chargées de nouvelles richesses, l’agriculture abandonnant les entraves de la routine, et prenant un nouvel essor, tous les genres de prospérités se répandant sur le sol favorisé de la France, ce beau royaume s’embellissant encore, et présentant partout des moyens invincibles de force, de puissance! Voilà les biens promis à une mesure vaste et courageuse ! Et ne doivent-ils pas faire oublier des craintes imaginaires? Ne seraient-ils pas préférables encore à cet état de langueur, qui vous tue, quand ils seraient mêlés de quelques maux? L’obstacle, le seul obstacle qu’un tel système ait à craindre, c’est la résistance de l’opinion; avec son secours tout est possible, tout est facile, sans elle, tout devient funeste et impraticable. La malveillance et mille passions ennemies cherchent, de toutes parts, à la soulever; c’est donc au patriotisme à l’éclairer, à la conduire. Français, vous n’avez à craindre que vous-mêmes : restez unis, et vous serez invincibles et heureux. La crise qui vous tourmente n’est que passagère; c’est le dernier terme de votre courage et de vos efforts : saisissez le moyen, que le ciel en sa bonté vous laisse pour sauver votre tranquillité, votre gloire, pour jouir du fruit des travaux de vos intrépides représentants, pour assurer les bienfaits de cette Constitution, que vous avez tant désirée, qui vous deviendra chaque jour plus chère 1 Par là, vous éloignez à jamais de vous le3 incertitudes de l’avenir, le désordre des finances, toutes les calamités de la misère. Quelques embarras momentanés, quelques douleurs peut-être se feront encore sentir ; eh bien ! supportez-les avec confiance. Encore ce sacrifice! la prudence l’avoue, la patrie l’attend, et la nécessité le commande. Je conclus : 1° à ce qu’il soit décrété, que la dette exigible sera successivement, au fur et à mesure de sa liquidation et des ventes des biens nationaux, remboursée en assignats forcés et sans intérêts ; 2° Qu’il sera incessamment fabriqué 20 millions [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.) d’espèces nouvelles en billon, et le double de cette somme en monnaie d’argent, de la valeur de 10 sols ; 3° Je demande que toutes les sociétés patriotiques de France soient invitées à employer tous les moyens, qui sont en leur pouvoir, pour obtenir que leurs concitoyens ne se servent désormais, pour leur usage, que de marchandises de fabrique nationale ; et que les motifs de cette invitation soient développés dans une adresse imprimée et répandue dans tout le royaume. M. Germain (1). Messieurs, depuis qu’une foule d’orateurs et d’écrivains distingués se sont livrés à l’examen de la question importante qui vous occupe en ce moment, deux points capitaux semblent partager tous les esprits. Ici on demande la création de deux milliards d’assignats-monnaie, exclusivement à tout autre moyen. Là, on ne veut absolument que des quittances de finances, à l’exclusion des assignats-monnaie; et ces deux plans présentés, discutés et défendus avec une égale énergie, semblent, au premier coup d’œil, mériter une égale préférence. Comptable de mon opinion, j’aurai cependant le courage de m’élever contre l’un et l’autre système. En m’adressant d’abord aux partisans des quittances de finances, et parcourant les diverses hypothèses dans lesquelles ils se sont placés; je dis à ceux qui demandent que ces quittances portent intérêt à 5 0/0 : Désirez-vous bien sincèrement que le numéraire reparaisse, que la Constitution s’achève, que le calme et la paix renaissent dans tout le royaume? Ne vous le dissimulez plus; il n’est qu’un seul moyen; là, est évidemment le salut de la chose publique : c’est de vendre les domaines nationaux, et le plus promptement possible. Si vous êtes d’accord avec moi sur ce point, comment avez-vous pu imaginer que des titres qui porteraient intérêt à 5 0/0, qui seraient appuyés sur le gage le plus solide qui fût jamais offert, qui n’exigeraient, enfin, aucune espèce de soin, seraient transformés avec assez d’empressement en propriétés qui n’offriront qu’un produit de 3 à 4 0/0? Cette chance n’étant pas même probable, les quittances de finances à 5 0/0 sont donc inadmissibles. Je dis ensuite à ceux qui n’entendent accorder à ces quittances qu’un modique intérêt, à bien plus forte raison à ceux qui n’en accordent aucun : Quoi! vous voulez que moi, créancier du ci-devant ordre du clergé; que moi, dont vous vendez le gage auquel je ne puis atteindre; que moi, qui, pour en jouir paisiblement, m’étais condamné au plus faible revenu, je sois tout à coup privé, peut-être même du nécessaire? Vous voulez que moi, dépouillé, il est vrai, par des circonstances impérieuses, d’un office qui me suffisait et à ma famille, je sois à l’instant et forcément réduit à la plus extrême détresse? Vous voulez que moi, malheureux fournisseur ou porteur d’effets suspendus, qui ai fait les plus grands sacrifices pour expier la faute de m’être imprudemment livré à un gouvernement pervers, je sois encore exposé ou à manquer à mes engagements, ou à presser ma ruine entière, en livrant à la rapacité de vils agioteurs, un titre que je n’aurai pas la faculté de transmettre? Non, Messieurs, ce ne sera pas en vain que vous aurez placé les créanciers de l’Etat sous la sauve-393 garde de l’honneur et de la loyauté français! Ce ne sera jamais par votre fait que le citoyen peu fortuné deviendra la proie de l’avide opulence, et je crois en avoir dit assez pour vous démontrer que quelque spécieux que soient les motifs sur lesquels s’appuient les défenseurs du système pur et simple des quittances de finances, il serait ou du plus grand danger, ou de la plus haute injustice de l’adopter. Et qu’on ne nous dise pas, pour entraîner ou pour subjuguer l’opinion, que les places de commerce ont émis tel ou tel vœu. Je serais peut-être fondé à demander si la plupart de ces vœux ont été formés avec la maturité nécessaire; mais il me suffira de répondre qu’il y sera fait droit en ce sens, qu’après avoir provoqué les lumières de toutes parts, vous jugerez indispensable de peser scrupuleusement, et dans votre sagesse, toutes les considérations qui vous auront été soumises. Je m’adresse maintenant aux partisans d’une création nouvelle de deux milliards d’assignats-monnaie; et tout en avouant qu’il serait infiniment désirable que l’esprit public fût asœz formé parmi nous pour qu’on pût tenter cette émission, je n'hésite pas à soutenir que, dans la position actuelle des choses, elle entraînerait infailliblement les plus grands désordres. En effet, Messieurs, qui de vous oserait se flatter qu’une mesure aussi extraordinaire triompherait, et des effors des malveillants, et des inquiétudes qui doivent naturellement agiter tous les esprits? Est-ce donc lorsque le malade est déjà dans un état convulsif qu’il faut hasarder l’un de ces remèdes violents, qui peuvent le tuer à l’instant! Eu tel cas, la nature appelle des calmants; le grand art est de la seconder; c’est ainsi que voulant rappeler la confiance, vous ne perdrez pas de vue qu’elle s’obtient avec le temps, mais qu’elle ne se commande pas; et telle est, quoi qu’on en puisse dire, la seule marche digne de vous. J’arrive, Messieurs, au développement de mes vues; et pour y procéder avec l’ordre et la précision nécessaires, je pose et divise en quatre parties le problème qu’il s’agit de résoudre : il consiste, ce me semble: 1° A procurer justice et satisfaction à tous les créanciers de l'Etat , directs ou indirects ; 2° A ne troubler ni l'ordre public, ni nos relations commerciales ; 3° A accélérer tout à la fois la vente des domaines nationaux ; 4° Enfin , à soulager le peuple dans ses contributions , même dès Vannée 1791. Pour partir de bases certaines, j’ai recours au dernier rapport de votre comité des finances sur la dette publique ; j’y vois, et très clairement, que celte dette, en y ajoutant 200 millions pour besoins extraordinaires, ne s’élève pas même à cinq milliards; j’en sépare la dette dont les capitaux sont aliénés, et que dans aucun cas vous ne pouvez être forcés de rembourser, ou ce qui est même chose, la dette constituée en rentes viagères et perpétuelles. Il me reste alors deux milliards cinq cents millions, qui se décomposent comme il suit : Pour les assignats en émission, ou qui sont près d’y être. ..... . ........ ........ 400,000,000 liv. Pour les assignats destinés àdesbesoius extraordinaires. 200,000,000 (1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. A reporter , 600,000,000 liv. 394 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1190.] Report ..... 600,000 liv. Pour la dette exigible, ou jugée telle, en raison des offices, cautionnements et autres objets que vous avez cru devoir rembourser .......... 1,340,000,000 Pour la dette dont le remboursement est promis, mais ne doit s’effectuer que successivement, et à des termes plus ou moins éloignés ..... 560,000,000 Total ............ 2,500,000,000 liv. Je commence par vous proposer, Messieurs, de retrancher de vos remboursements actuels les 560 millions, qui, payables à époques diverses, ne le sont réellement que dans le cours de vingt années ou environ, et assurément personne n’a droit de se plaindre. Ce n’est pas que je veuille priver ces créanciers de l’espérance d’un remboursement prochain. Je suis même persuadé qu’avant de vous séparer, les circonstances vous auront mis à portée d’y pourvoir. Et quel service important vous aurez rendu, Messieurs, Iorsqu’ayant anéanti cette multitude d’effets, source éternelle de l’agiotage, vous aurez reporté à l’agriculture et au commerce les richesses énormes dont ils étaient depuis si longtemps privés! Je reviens à mon objet; et je soutiens que, quoiqu'il soit bien constant dans l’opinion générale, et surtout d’après les renseignements qui vous arrivent chaque jour, que les domaines nationaux s’élèveront à plus de deux milliards 500 millions, quoique l’étendue de vos moyens et de vos ressources ne dût, en définitive, laisser aucune inquiétude; vous vous devez cependant de rester, dans l’émission que vous vous proposez, plutôt à 500 millions au-dessous de la valeur de vos domaines nationaux, que de vous placer à 10 millions au-dessus. J’insiste, dis-je, sur cette mesure, que je regarde comme indispensable, si vous voulez donner à vos nouvelles valeurs toute la faveur et le crédit dont elles seront susceptibles. Au moyen de cette soustraction, la dette à convertir, soit en assignats-monnaie, soit en quittances de finances, ou obligations nationales transmissibles de gré à gré, se trouve, comme on le voit, réduite à. 1,340 millions. J’observe, et il vous sera facile de juger, Messieurs, que parmi les créanciers qui composent cette masse, il s’en trouve qui peuvent avoir des besoins pius ou moins pressants. J’ai promis de procurer justice et satisfaction à tous. Je dirai donc aux uns : Vous qui avez des engagements prochains à remplir, ou qui méditez quelques entreprises pour lesquelles il vous faut absolument du numéraire, accourez avec un titre liquide, et aussitôt je vous en compterai le montant en assignats -monnaie. Il est entendu qu’ils ne porteront point intérêt, puisqu’ils équivalent à des écus. Je dirai aux autres : Vous qui n’avez besoin que de compter sur un intérêt raisonnable jusqu’à ce que vous ayez trouvé quelque domaine, ou tout autre emploi à votre convenance, présentez-vous également avec un titre liquide, et je vous remettrai des obligations nationales, portant intérêt sur le pied de 4 0/0 l’an jusqu’au premier janvier 1792 ; à cette époque je vous payerai cet intérêt ; je vous rembourserai même, s’il y a lieu, votre capital en assignats-monnaie ; autrement je vous continuerai l’intérêt, mais seulement à raison de 3 0/0, par ce motif irrésistible, que tous les intérêts particuliers doivent fléchir devant l’intérêt général. Je vais plus loin, Messieurs; je dirai aux uns et aux autres : Vous pouvez avoir des bailleurs de fonds pour offices ou pour cautionnements ; vous pouvez en un mot, pour vos propres besoins, désirer de recevoir partie en assignats-monnaie, et l’autre partie en obligations nationales. Que chacun prononce, et il sera fait droit à sa demande. Je suppose enfin que tel porteur d’assignats-monnaie voulût, par la suite, les échanger contre des obligations nationales : il convient qu’à l’instant le Trésor public lui soit ouvert ; et voilà comment j’estime qu’on peut respecter, et toutes les propriétés, et tous les droits. J'ai promis de plus de ne troubler ni l'ordre public, ni nos relations commerciales ; et j’aurai sans doute rempli ce but, si le nouvel ordre de choses, loin de détériorer notre position, ne tend qu’à l’améliorer. Pour y arriver plus sûrement, je demanderai d’abord que l’émission à faire de nouveaux assignats-monnaie, en ycomprenant les 400 millions existants et tout ce qui sera jugé nécessaire pour les besoins extraordinaires, ne puisse s’élever au delà de 900 millions, ou tout au plus un milliard, en sorte que ce milliard rempli, il ne puisse, sous aucun prétexte, être fait une nouvelle émission qu’à mesure des extinctions, le tout sous la surveillance de commissaires qui seront nommés à cet effet par l'Assemblée nationale, et successivement par la prochaine législature. D’après ces précautions, les personnes les plus effrayées doivent, ce me semble, se rassurer. Examinons, au surplus, ce que deviennent dans mon système les objections qui se dirigent en général contre l’émission dont il s’agit. Les denrées et les mains-d’œuvre vont, dit-on, nécessairement doubler. A cela je n’opposerai qu’un raisonnement infiniment simple, et le voici : on est d’accord sur ce que, dans les temps ordinaires, il circule environ deux milliards de numéraire effectif. Sa rareté actuelle donne lieu de supposer qu’il y en a moitié, ou peut-être les deux tiers enfouis. En n’admettant pas au delà d’un milliard d’assignats-monnaie, ces deux numéraires réunis n’excéderont donc point la quantité qui se trouve habituellement dans la circulation. C’est donc une crainte purement chimérique que celle du doublement des denrées et des mains-d’œuvre. Si l’on m’objecte qu’il est possible que le numéraire reparaisse très promptement, oh ! alors on fait ma cause trop belle. Je réponds, d’une part, que deux ou trois milliards de valeur de plus, jetés dans le commerce, offrent aux assignats un écoulement beaucoup plus que suffisant; je réponds d’ailleurs que l’option que j’accorde à ceux qui voudraient échanger leurs assignats contre des obligations nationales, ne peut assurément laisser la plus légère inquiétude. Mais enfin, me dira-t-on, les assignats perdent aujourd’hui 5 à 6 0/0 ; et si vous les doublez ou les triplez, ils perdront deux ou trois fois plus. Outre que les considérations qui précèdent repoussent complètement cette objection, j’en appelle encore à la bonne foi de ceux qui y persisteraient, et je leur demande à quoi ils peuvent réellement attribuer la perte qu’éprouvent les assignats. Ce n’est pas assurément qu’ils ne méri- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [28 août 1790.] tentet n’ayant obtenu la confiance la plus étendue ; ce n’est pas qu’il y en ait en trop grande abondance, puisqu’il est au contraire reconnu que la stagnation actuelle des affaires, est en partie occasionnée par l’absence des signes d’échange. La vraie raison, la seule incontestable, c’est que comme il existe encore des malveillances et des craintes, comme il en existera plus ou moins jusqu’à ce que votre Constitution soit achevée, comme le numéraire, resserré par l’effet de ces deux causes, ne peut être remplacé dans toutes les circonstances par les assignats: il faut absolument que celui qui en a besoin fasse un sacrifice en faveur de celui qui le possède. Or, si par les mesures que vous allez prendre, une foule de valeurs, mortes entre les mains des créanciers de l’Etat, sont incontinent restituées à la circulation, si ces valeurs, en rendant au commerce et à l’industrie toute leur activité, rappellent nécessairement la confiance, croyez que la cupidité, s’alarmant à son tour, se pressera au-devant de vos besoins, et c’est alors que des obligations nationales, et les assignats, et l’argent, et les changes mêmes, reprendront un juste niveau. Je dirai plus, et il n’est qui que ce soit qui n’en convienne, c’est que pour opérer cette grande métamorphose, il ne faudrait peut-être qu’avoir entamé la vente de vos domaines nationaux. Si vous examinez ensuite combien les ventes, qui ne peuvent manquer de se succéder journellement, feront sortir de numéraire réel en même temps qu’elles engloutiront le numéraire fictif; si vous examinez enfin combien il vous faudra de temps, et pour la fabrication des assignats, et pour la liquidation des offices, et surtout pour l’épurement des opérations de vos comptables, vous jugerez facilement que jamais peut-être vous ne parviendrez à obtenir un milliard d’assignats en circulation : d’où je conclus que mon système ne pourra troubler ni l’ordre public, ni nos relations commerciales. J'ai promis encore d'accélérer la vente des domaines nationaux. Entre les divers moyens qui peuvent y conduire, il en est qui tiennent à une forte coaction, et je les récuse hautement. Je n’aime point par exemple que, sous le prétexte de forcer la main aux créanciers de l’Etat ou à ceux qui les représenteraient, on vous propose, ou de ne les rembourser qu’en assignats, ou de ne leur donner que des obligations nationales sans intérêts, ou en accordant un intérêt, de ne leur en faire raison qu’à l’instant où il viendrait s’éteindre avec le capital dans la caisse de l’extraordinaire. Ce serait évidemment rendre le petit créancier tributaire du capitaliste, livrer le faible au fort; et certes de tels moyens seraient inconciliables avec la pureté des principes qui vous animent. Il en est d’autres que vous ne considérerez que comme un juste aiguillon, comme un noble encouragement, et ce sont là les seuls dignes d'une nation libre et généreuse. Je vous inviterais donc à déclarer: 1° Que tous ceux qui payeront comptant le prix d’une acquisition quelconque auraient à prix égal la préférence sur ceux qui n’offriraient de payer qu’à terme ; 2® Que ceux qui auraient acquis avant le 1er avril prochain, et ne payeraient qu’une partie de leur acquisition, jouiraient d’une prime de 2 0|0 sur les capitaux qu’ils verseraient, soit en argent, soit en assignats, soit en obligations nationales ; 3° Que ceux qui ayant acquis avant le 1er avril prochain, payeraient la totalité de leur acquisi-395 tion avant ladite époque, jouiraient d’une prime de 4 0[0 ; 4° Qu’indépendarnment des avantages ci-devant indiqués, ceux qui payeraient, soit en obligations nationales, soit en assignats faisant partie de3 400 millions déjà décrétés, jouiraient encore, savoir: pour les obligations nationales, de l’intérêt acquis au jour du payement, et pour les assignats, de celui devant échoir au 15 avril, époque à laquelle je pense que les intérêts doivent cesser pour cette espèce d’assignats. J’ai promis , enfin, de soulager le peuple dans ses contributions, même dès Vannée prochaine ; et la démonstration me sera bien facile. Vous vous rappelez, Messieurs, que mes assignats ne porteront pas d’intérêt, et que celui de 4 0[0 accordé à mes obligations nationales ne sera payable pour l’année 1791 qu’en janvier 1792. Voilà donc votre année 1791 absolument dégagée des intérêts de 2 milliards de* capitaux, sauf ceux à acquitter pour la partie de 400 millions d’assignats qui ne serait point rentrée avant le lr° avril. Vous voilà donc en état, dés que vous aurez définitivement réglé votre dépense publique, de déterminer avec toute certitude la quotité de vos contributions. Il est constant que dans les temps désastreux, qui sans doute ont disparu pour jamais, un capital de 2 milliards aurait coûté tout au moins 120 millions d’intérêts pour l’année. De là 120 millions d’impositions sur le peuple. Si vous considérez maintenant le mouvement d’accélération que doivent nécessairement imprimer à vos obligations nationales les dispositions ci-dessus énoncées, vous conviendrez, j’espère, qu’il ne vous restera peut-être pas 20 millions de ces intérêts à acquitter dans l’année 1792. Il est vrai que vous aurez fait le sacrifice de quelques primes, mais on ne peut se dissimuler qu’en procurant aux acquéreurs la facilité de pousser les enchères, elles viendront, en définitive, se fondre dans l’intérêt général. Je dois, avant de terminer, Messieurs, jeter un coup d’œil rapide sur deux questions secondaires. On vous a proposé de ne recevoir en payement des acquisitions, que les assignats, à l’exclusion de l’argent et de tout autre papier. J’avoue que je ne serais point de cet avis, et par trois raisons. .La première, c’est que ce serait jeter une sortede défaveur sur vos assignats. La seconde, c’est qu’il est telles personnes qui, ne connaissant absolument que l’or ou l’argent, préféreraient ne jamais acquérir, s’il fallait s’en dessaisir une heure seulement contre quelque espèce de papier que ce fût. La troisième, c’est qu’il arrivera de deux choses l’une : ou les assignats et les obligations nationales seront au pair, ou ils seront au-dessus; dans le dernier cas, on peut en masse se reposer du soin des échanges sur l’intérêt de chaque individu. On vous a, de plus, invités à autoriser l’émission d’une certaine quantité de petits assignats, en descendant jusqu’à 24 livres, et même jusqu’à 6 livres. Quelque séduisants que soient au premier aspect les motifs sur lesquels on se fonde, je déclare qu’en les méditant, ils n’ont servi qu’à m’éloigner de ce système. Je dois donc, contre l’opinion de la classe laborieuse du peuple, et parce qu’avant tout, ses intérêts me sont chers, vous presser de résister à une mesure qui, en lui imposant de nouvelles charges, la livrerait encore à toutes les manœuvres des ennemis de la chose publique. Ce qui me paraît 396 [Assemblée nationale.] sans inconvénient ; ce qui serait peut-être désirable, c’est qu’il soit fait des billets de 100 livres, 125 livres, 150 livres, et ainsi dans les coupures que vous jugerez les plus propres à favoriser les échanges. 11 me reste une dernière considération à vous présenter, et je la crois de toute justice: ce serait que pour mettre les titulaires d’offices et autres à portée de jouir plus promptement de la faveur que pourraient offrir les premières ventes de vos domaines nationaux, vous ajoutassiez à votre comité de liquidation tel nombre de membres qui répondrait efficacement à ces vues. J’oserais former le même vœu pour votre comité d’aliénation, dont les opérations sont devenues aussi multipliées qu’elles sont importantes. Je me résume, Messieurs, et en me référant aux dispositions de détail énoncées dans le cours de mon opinion, je me borne à vous proposer de décréter: 1° Que toutes les créances sur l’Etat, à l’exception de celles constituées en rentes viagères ou perpétuelles, et de celles à terme, seront le plus incessamment possible remboursées, soit en obligations nationales, transmissibles de gré à gré et portant intérêt à 4 0|0, soit en assignats-monnaie,- sans intérêt, le tout au choix des porteurs ; 2° Qu’en aucun temps et sous aucun prétexte il ne pourra être mis en circulation au delà d’un milliard d’assignats; 3° Qu’il sera fait des assignats de 100,125, 150 liv., et ainsi dans les diverses coupures, qui tendraient le plus à favoriser les échanges ; 4° Que les obligations nationales et les assignats seront reçus dans l’achat des domaines nationaux en concurrence avec l’argent ; 5° Qu’il sera accordé aux acquéreurs telle ou telle prime, et suivant les cas qui seront incessamment déterminés. Ces principes, ou tous autres, étant décrétés,* je désirerais que votre comité des finances fût chargé de vous présenter, dans le plus court délai, les dispositions qui tendraient à leur plus parfaite exécution. M. Lebrun, membre du comité des finances. C’est à regret que j’ai vu présenter à votre délibération le projet qui vous occupe en ce moment: je ne m’attendais pas à lui voir obtenir ce dangereux honneur. Ce projet, je l’avais désapprouvé, dans le sein du comité, comme un rêve dont les ministres ignorants berçaient desdespotes soumis. On a dit qu’il était juste, grand, salutaire ; qu’il était Tunique remède à vos maux ; on vous a dit : Hâtez-vous; ne voyez-vous pas l’hiver qui s’approche et ses longues nuits, et les calamités qu’elles nous préparent, etc., etc ? Ainsi, en vous remplissant d’espérance et de terreur, on s’est flatté de vous entraîner; mais ce n’est pas avec de pareils leviers qu’on peut mouvoir une Assemblée législative. Hier, vous n’entendiez que vanter un projet désastreux, vous le discutezaujourd’hui : hier, c’était un orviétan merveilleux qui devait sauver la France et cicatriser ses blessures ; aujourd’hui, c’est un fatal poison qui doit tuer l’Assemblée nationale et la Constitution. Vousavez donc unedetted’environ 3 ou4 milliards; sans doute, il serait avantageux de l’éteindre : si le moyen qu’on vous propose est juste, s’il ne doit pas amener unefatale convulsion, il faut l’adopter dès aujourd’hui; mais examinons les procédés de cette opération. On sépare la dette exigible de la dette constituée ; rien de plus juste. [28 août 1790.] Avec quoi la rembourse-t-on ? avec des biens ecclésiastiques. Sont-ils égaux à cette dette? Eh 1 qu’importe s’ils ne le sont pas? Il faut qu’ils le deviennent. Je rembourserai avec un bel et bon papier territorial qui ne portera pas d’intérêt; mes créanciers ne pourront faire aucun usage de ce papier, ils en seront embarrassés ; les capitaux tomberont dans le discrédit : on prendra peu de biens territoriaux pour beaucoup de papier, et j’aurai remboursé la dette. Cette opération est une injustice ; c’est outrager l’Assemblée nationale que de la lui proposer. Si vous voulez manquer aux engagements de l’Etat, manquez-y du moins avec un peu de loyauté; dites à vos créanciers : Nos ressources sont grandes, mais c’est au temps à les féconder; la vente des fonds nécessaires pour nous acquitter avec vous ne peut .se faire que d’une manière lente; s’il fallait vous payer des intérêts, nous serions écrasés; nous serons justes : dans deux ans nous vous rembourserons les capitaux, nous vouspayerons les intérêts. Vous n’avez pas de créancier qui n’acceptât des conditions aussi franches... Vous jetez 1,900 millions depapier àvoscréan-ciers : ils n’ont ni pain ni argent; il faudrait donc que votre papier devînt du pain et de l’argent. Tout dans le gouvernement se changera en papier. Est-ceavecdu papier qu’on payera des employés, qu’on payera l’armée? est-ce avec du papier que vous mettrez en merdes vaisseaux qui attendent leur armement ? Vous ferez des assignats de 24 livres, mais il faudra donc que toutes les denrées valent 24 livres. Je ne parle pas des défaveurs du change; je ne parle pas de l’intérêt du commerce et des manufactures... On dit que ces belles opérations sauvent la Révolution ; moi je dis qu’elles tuent la Révolution et l’Assemblée nationale. Avant que ces 1,900 millions d’assignats soient mis en circulation, l’argent disparaîtra. Les provinces s’animent; vous tombez avec l’opinion ; la Constitution tombe avec vous. Ses ennemis ont des propriétés et du crédit ; le clergé pourrait revivre; en modifiant les dîmes on contenterait le cultivateur; les biens des moines se vendraient sans obstacles, et dans quelques mois votre Constitution ne serait qu’un souvenir. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les propositions qui vous sont faites. (II s'élève beaucoup de murmures.) M. Chabroud. Il y a deux manières de discuter une question, celle des adeptes et celle des apprentis. Un arithméticien chiffre ce qu’une femme compte sur ses doigts. Cette dernière méthode est la mienne, et je demande la permission de raisonner un moment sur cette grande question, avec ceux qui ont besoin qu’on la simplifie pour qu’elle soit mise à leur portée. Je l’envisage sous le rapport de l’intérêt de l’Etat, de l’intérêt des créanciers, de celui du commerce et de celui des propriétés. Quant à l’intérêt de l’Etat, la vente des biens domaniaux est nécessaire, non seulement relativement au besoin de payer la dette de l’Etat, mais encore relativement à la Constitution. Tant que les biens nationaux, ci-devant ecclésiastiques, ne seront pas aliénés, tant que vous aurez à craindre la résurrection d’un corps de prêtres riches, vous ne pourrez compter sur la liberté ; vous devez donc hâter la vente des biens nationaux. Vous ne parviendrez pas à la réaliser sans une émission d'assignats-monnaie. A défaut de cette émission, quels seraient vos moyens ? D’une part, le numéraire existant; de l’autre, les titres des créances; ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1790.) 397 le numéraire est déjà insuffisant, il le sera bien davantage quaud vous augmenterez le nombre de fonds en circulation. Le sixième des fonds actuellement dans le commerce ne peut être vendu, parce que les capitaux ne sont pas disponibles. On propose des quittances de finances ; mais elles porteraient des intérêts, et il est de l’intérêt de l’Etat de rendre l’impôt le moins lourd possible. Les assignats-monnaie procureront aux contribuables un soulagement de 100 millions ; les impôts se payeront mieux, puisqu’ils seront diminués et que les moyens de payer seront augmentés. Ainsi donc l’émission des assignats-monnaie présente de grands avantages pour l’Etat. Vous avez encore l’espérance raisonnable de parvenir à la diminution du taux de l’intérêt: ce taux se soutient à raison du besoin du plus grand nombre des emprunteurs et du plus petit nombre des prêteurs. En diminuant la masse des capitaux, la concurrence des prêteurs sera plus grande, celle des emprunteurs diminuera et les conditions seront meilleures. Voilà les considérations qui me font penser que l’intérêt de l’Etat est engagé à l’émission d’assignats proposée. J’examine ensuite cette opération sous le rapport de l’intérêt des créanciers de l’Etat. Ils ont intérêt à être payés, à l’être solidement. Vous satisfaites cet intérêt, et créant un papier dont la solidité est supérieure à celle même du numéraire effectif, ils sont payés, ils le sont solidement ; vous leur donnez non seulement du numéraire, mais encore une fraction de propriétés territoriales. Vous devez leur remettre une valeur effective dont ils puissent disposer comme de l’argent qu’ils ont prêté à l’Etat. Si vous leur fournissez une quittance de finance, ce nouveau titre ne les remettra pas dans la position où ils étaient lorsqu’ils ont fait leur prêt. On dit que le papier n’aura pas la valeur du numéraire effectif ; mais les assignats sont le type essentiel de la terre, qui est la source de toute valeur. Vous ne pouvez distribuer la terre en valeur circulante, mais le papier devient la représentation de cette valeur ; ainsi il est évident que les créanciers de l’Etat n’éprouveront nul préjudice. On objecte que les biens nationaux ne sont pas seulement l’hypothèque de la dette exigible, mais encore des créanciers porteurs de titres constitués; mais ceux-ci n’ont pas compté sur ce gage, ils n’ont donc rien à demander. En mettant entre les mains des créanciers de l’Etat l’équivalent de leur prêt, ils n’ont donc aucun reproche à vous faire. Ici vient naturellement une observation. M. de Mirabeau l’aîné a proposé que l’acquisition des domaines nationaux ne pût être faite qu’avec des assignats ; il me semble d’abord que cette proposition n’a en soi aucune réalité : celui qui aura de l’argent achètera des assignats pour acquérir des terres ; ainsi il aura toujours acheté des fonds territoriaux avec de l’argent. Cette illusion n’a d’autre objet que d’attirer une plus grande confiance à un papier qui n’en a pas besoin. Je dis, de plus, que si cette proposition avait quelque réalité, elle aurait des dangers certains. En effet, si les assignats-monnaie étaient le seul moyen d’acquisition, ils obtiendraient trop de préférence sur l’argent. Ils passeront nécessairement dans les mains des capitalistes et dans celles des personnes d’offices, ou ces créanciers achèteront eux-mêmes des biens nationaux et ne se dessaisiront pas de leurs assignats ; alors il n’y aura pas de concours dans les ventes, et les fonds ne s’élèveront pas à leur juste valeur; ou, au contraire, ils ne voudront pas acheter et spéculeront en vendant chèrement leurs assignats. Je crois donc qu’il n’y a aucun inconvénient à admettre concurremment dans les ventes l’argent et les assignats. J’ajoute encore que les capitalistes habitant Paris ne peuvent n’avoir pas de vues pour les acquisitions; ils seraient alors obligés de faire passer leurs assignats en province : il me paraîtrait convenable de leur épargner cet embarras en ouvrant un emprunt à 4 0/0, auquel seraient admis les créanciers de l’Etat, qui ne voudraient pas être payés en assignats-monnaie : ce serait une épreuve de l’opération, car un grand nombre de créanciers, dans cette position, préféreraient les assignats. J’examine maintenant la question sous le rapport des manufactures : je serai bref, car j’avoue mon insuffisance, et je ne ferai qu’une réflexion qui appartient à tout esprit juste. Indépendamment des idées acquises, vous augmentez considérablement le numéraire ; et il est de l’intérêt des manufactures que le numéraire soit abondant. Quand il abonde, on emprunte à un taux modéré, on paye moins cher quand on paye comptant. Sous ces deux points de vue les manufactures languissent. Je viens au dernier rapport sous lequel je me suis proposé d’examiner l’émission de 2 milliards d’assignats : l’intérêt des propriétés. Les propriétés ne se vendent pas ; le profit attire continuellement les hommes ; les possesseurs d’argent, attachés par cet attrait aux opérations du gouvernement, n’achètent pas les fonds territoriaux qui tombent en discrédit. La richesse fondamentale de l’Etat est dans les propriétés; il faut les favoriser : vous faites le contraire si vous n’admettez pas une émission d’assignats. Vous avez la sixième partie des biens libres, le rachat des droits féodaux, les biens nationaux et les moyens d’acquisition manquent quand vous augmentez les ventes. On craint une trop grande émission ; on dit que l’excès serait dangereux ; à présent le sixième des biens-fonds ne peut se vendre. En vendant les biens nationaux et en créant des assignats pour leur valeur, vous ne mettrez en circulation que l’équivalent de ces biens ; il reste toujours le déficit actuel dont souffrent le commerce, l’agriculture et les propriétés. Je pense donc qu’il faut décréter la proposition de M. de Mirabeau l’aîné. J’adopte l’amendement de M. l’abbé Gouttes, et je demande qu’incontinent après l’ouverture des ventes, il soit ouvert au Trésor public un emprunt à 4 0/0. M. Bégoiien. Une émission immense d’assignats-mou naie mérite la plus grande attention. La première émission était seulement de 400 raillions, et vous a paru d’une importance majeure; vous avez laissé reposer l’opinion publique, vous avez voulu voir celle des villes de manufacture et de commerce. A présent qu’il s’agit de doubler le numéraire, je demande que, pour une opération de la plus sérieuse considération, vous adoptiez la même mesure. Je propose donc d’ajourner la délibération du 15 septembre, de la renvoyer au comité des finances pour qu’il émette un vœu, et d’entendre les députés extraordinaires du commerce qui sont établis près de cette Assemblée. Toutes ces précautions n’ont d'autre objet que d’éclairer une délibération dans laquelle on jouera à pair ou non la Constitution. M. Brîots de Beanmetz. Je réclame la divx— 398 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sion de cette motion, et je n’en adopte que l’ajournement. J’y joins une motion nouvelle. On a entendu hier la lecture du mémoire du ministre des finances. Ce ministre, après avoir fait des réflexions et des objections contre l’émission de deux milliards d’assignats, a cru devoir, par modestie sans doute, s’abstenir de présenter un vœu sur ce qu’il faut faire pour acquitter la dette publique. Cependant ceux qui sont à la tète des affaires du gouvernement doivent avoir le généreux courage d’éclairer l’Assemblée et la France entière des lumières de leur expérience. Je demande donc que le comité des finances soit chargé d’engager le ministre à présenter les moyens qu’il croit propres à faire la liquidation de la dette publique. Je n’ai pu apercevoir l’opinion de M. Necker dans son mémoire, car je l’ai vu également effrayé de la baisse des assignats et de la trop grande valeur qu’ils donneraient aux biens nationaux. Je ne vois pas comment les assignats pourraient former encombrement, stagnation, et en même temps se presser, se heurter comme des corps nombreux qui veulent passer dans un défilé étroit. J’ai vu encore la grande disette du numéraire comparée à la disette des grains. Cette comparaison peut être juste, et en la poussant un peu loin, il est possible de dire qu’il suffit de pronostiquer la disette pour la créer. J’insiste donc pour l’ajournement à quinzaine, et je demande que la discussion se prolonge demain et tous les jours destinés aux finances jusqu’à cette époque. Sur une matière si neuve, dans des questions si importantes et si ardues, nous ne saurions trop nous aider du choc des opinions. Je demande de plus que le comité engage le ministre à présenter son plan. M. Belley d’Agier. Je n’ai qu’une observation à faire : c’est sur la latitude de l’ajournement. Vous avez un terme qui fixe cette époque, c’est le moment des rapports sur l’impôt et sur la liquidation des charges. La quotité de l’impôt influera sur la valeur des terres, le mode de liquidation des charges déterminera les sommes que les titulaires pourront employer à l’acquisition des biens nationaux : ainsi jusqu’à ce que ces deux rapports soient faits, il n’est pas nécessaire de nous hâter. L’ordre de votre travail se trouve réglé par la nature de vos travaux. J’observerai, d’ailleurs, qu’un ajournement à quinzaine serait insuffisant pour réunir les lumières et le vœu du royaume. M. de Hrleu. Si vous continuez la discussion, vous perdrez infailliblement un temps considérable. En indiquant le terme de l’ajournement, il faut dire que la discussion sera reprise alors. M. Barnave. Dans la position où nous sommes un terme moyen est nécessaire. Sans doute, il faut prendre toutes les précautions possibles pour ne pas précipiter la détermination proposée. Ainsi, quoique je pense que la vente effective des biens nationaux, l’acquittement effectif de la dette publique et l’achèvement de la Constitution soient attachés à cetle mesure, je conviens qu’il faut y apporter une prudente lenteur; mais je crois qu’un ajournement plus étendu que celui indiqué par M . de Beaumetz rendrait cette opération impossible et inutile. Vous savez combien la fabrication matérielle des 400 millions d’assignats a employé de temps. J’adopte donc purement et simplement l’ajournement à quinzaine, en continuant jusqu’à ce moment la discussion, et en y donnant tous les jours destinés aux finances, sauf à la continuer [28 août 1790.] encore si à cette époque la délibération n’est pas mûre. M. Anson. De la décision de cette grande question dépend celle de la quotité de l’impôt. Le comité de l’imposition demande quelle sera cette quotité pour l’année 1791. Si vous décidez que la liquidation se fera en assignats sans intérêt, plutôt qu’en quittances portant intérêt, cela fera une différence au moins de 100 millions à imposer. Ainsi on doit regarder le mode de liquidation comme le préliminaire de l’opération de l’impôt* Je pense donc qu’il faut discuter la question présente pendant tous les jours de la semaine prochaine. Le 10 septembre l’Assemblée verra si la discussion est assez avancée. (Plusieurs amendements sont proposés et écartés par la question préalable.) M. Brlois de Beaumetz adopte le terme du 10 septembre; sa motion est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que jusqu’à la décisiou de la question présentée sur la liquidation de la dette publique, laquelle décision ne pourra avoir lieu avant le 10 du mois de septembre prochain, tous les jours destinés aux discussions de finances seront consacrés à l’examen de ladite question; charge, en outre, son comité des finances de demander à M. le premier ministre des finances de communiquer les plans sur les moyens qu’il croit les plus avantageux de procéder à la liquidation de la dette publique, » M. Bewbell. On n’a rien prononcé contre ma motion : je la renouvelle et je demande que l’Assemblée ajourne à demain le rapport sur une fabrication de monnaie de billon et sur la vente des cloches. M. de Virîeu. Je reconnais avec le préopinant la nécessité de hâter la délibération de l’Assemblée sur ces deux objets, mais je ne crois pas qu’on puisse les séparer d’une motion plus étendue et relative à la fabrication de toutes les monnaies. J’atteste ceux qui, comme moi, se sont occupés de cette matière, qu’elle présente des friponneries immenses qui appellent toute la sévérité de l’Assemblée nationale. Je vous supplie de nommer une commission de sept personnes pour s’occuper de toutes les questions relatives à l’administration de la comptabilité, au jugement des monnaies et au commerce des métaux. (V Assemblée applaudit .) M. Bewbell. C’est une opération très étendue que l’Assemblée actuelle ne pourrait pas achever, qu’elle ne peut pas même entreprendre : vous retarderiez jusqu’à trois ans la fabrication instante de la monnaie de billon . M. de Foucault. Je fais une troisième motion, et je demande qu’il soit indiqué une séance extraordinaire pour examiner ce qu’on a fait et ce qu’on a à faire. Tous les membres qui ont des motions à présenter les présenteront ; on écartera ce qui n’est pas urgent. (L’Assemblée est consultée sur la proposition de M. Rewbell, et les rapports sur la fabrication d’une monnaie de billon et la vente des cloches sont mis à l’ordre du jour de demain.) M. de Virieu. C’est l’année dernière, au mois de septembre, que yous avez nommé les tréso-