313 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790,] PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 23 JUILLET 1790. OPINION de M. Charrier de la Roche, député de Lyon , sur cette question (1) : Y aura-t-il des juges d'appel , autres que ceux des tribunaux de district (2)? Le projet de transformer les tribunaux de district en tribunaux d’appel, réciproquement les uns envers les autres, m’a paru plus ingénieux que solide, et plus économique sans doute que susceptible d’exécution. Il présente surtout un inconvénient capital qu’on ne peut éviter qu’en établissant des tribunaux d’appel permanents, hiérarchiques, et qui en soient toujours distingués. En effet, si le tribunal À, par exemple, devient par l’appel le reviseur du tribunal B, et que le tribunal B, réciproquement envers le tribunal A, jouisse du même avantage, voilà deux tribunaux intéressés à se ménager mutuellement, s’ils s’entendent, ou à casser leurs jugements, s’ils sont mécontents l’un de l’autre; et comme les tribunaux sont établis pour les justiciables, comme les corps administratifs pour les administrés, quelle funeste position pour des plaideurs, également exposés par le danger de la connivence ou de la rivalité des deux tribunaux, exerçant alternativement l’un sur l'autre une autorité suprême, une juridiction sans appel. G’est le même inconvénient qui lit rejeter, avec un cri d’indignation générale, l’établissement des deux degrés de juridiction concentrés dans les grands bailliages, sous le dernier ministère. Le même principe produira les mêmes effets, et une semblable organisation fera craindre les mêmes abus; ce sera, en un mot, le plan despotique de MM. de Lamoignon et de Brienne, en deux volumes au lieu d’un. On redoute l'esprit de corps et l’aristocratie des grandes corporations envers ceux qui leur sont subordonnés; mais ce danger, souvent réel et funeste pour la liberté, ne peut plus subsister avec les lois que vous avez consacrées; et, comme il faut prudemment le proscrire, le prévenir même là où il est, là où il peut être avec quelque vraisemblance, il ne faut pas indiscrètement, et sans motif, le voir où il n’est pas, où il ne peut plus être, et se former des chimères pour le combattre. Vous avez créé des corps administratifs et subordonnés; vous êtes obligés d’admettre des évêques et des curés, des officiers et des soldats; des juges de paix etdedistrict; enun mot, une hiérarchie perpétuelle et sagement combinée dans la distribution de tous les pouvoirs civils, politiques et religieux; en assignant à chacun ses limites, ses droits et son autorité, vous les contiendrez dans leur sphère, et chaque législature, en les surveillant, leur ôtera, sans doute, toute (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) J’avais demandé la parole pour énoncer mon opinion dans l’Assemblée sur l’importante question dont il s’agit ; mais n’ayant pu l’obtenir à mon tour, et la discussion ayant été fermée avant que tous les orateurs inscrits sur la liste où j’étais aient eu la liberté de parler, j’ai cru devoir la rendre publique, à l’instar de tant d’autres, sans altérer en rien ma soumission pour les décrets de l’Assemblée nationale. ( Note de l'auteur.) ambition d’usurper ce qui ne leur appartient pas. Dans l’ancien ordre des choses, toutes les autorités étaient arbitraires et souvent confondues; de l’usage légitime, il n’y avait qu’un pas à l’abus, qu’il était facile de colorer, de justifier même sous le prétexte ordinairement invoqué du bien public ; dans l’ordre nouveau, la loi sera la règle de tous, et nulle inaction désormais n’est à craindre; les tribunaux supérieurs ne seront donc pas un achoppement pour la liberté, des parlements travestis, dont, en aucun cas, ils ne peuvent avoir avec apparence de succès les prétentions et l’influence. Ils seront même un sujet d’émulation pour ceux de première instance, afin que, d’une part, l’intégrité des premiers juges les rende dignes d’être appelés un jour au rang des juges suprêmes; et que, de l’autre, si ces derniers étaient tentés d’abuser de leur puissance, ils auront toujours la perspective devant les yeux d’être réprimés et destitués après la révolution des six années de leur exercice; et puisque la magistrature désormais ne peut plus être, d’après vos décrets, un état invariable pour celui qui l’exerce, ne serait-il pas juste de compenser, de racheter les inconvénients de son incertitude, par la multiplication des charges et la gradation des tribunaux, où la vertu, jointe aux lumières, servirait de degré pour parvenir à des emplois supérieurs et à une plus haute destinée? On oppose à ce plan l’économie si nécessaire dans les circonstances, car les autres objections ont été d’ailleurs suffisamment résolues. Je la juge nécessaire, tout comme vous; mais la parcimonie ne doit pas être confondue avec elle ; il n’y a jamais rien de trop dans les dépenses qu’exige le bien de l’Etat, quand elles sont mesurées sur le besoin; vous pouvez ensuite économiser sur le nombre des tribunaux supérieurs, dont la multiplication sera toujours plus favorable au plaideur avide qu’au plaideur honnête ; sur le nombre des juges dans chaque tribunal, dont la diminution des procès, et surtout la rareté des appels rendra la réduction plus facile; enfin sur les honoraires et le traitement de ces juges, si l’on a soin d’exhorter les électeurs de n’appeler à ces fonctions augustes, par un choix bien circonspect, que ceux dont la fortune et la réputation leur donnent lieu de présumer qu’ils ne sacrifieront jamais leur délicatesse et leur conscience, aux droits immuables de la justice. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 23 JUILLET 1790. Opinion de M. Pison Du Galland (1) sur la proposition de rendre les tribunaux appelables les uns des autres (2). Il ne suffit pas de rendre la justice facile et expéditive, il faut la rendre respectable, pure et éclairée. (i) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) L’opinant n’a pu émettre son opinion, quoique inscrit sur la liste, la discussion ayant été ouverte et fermée dans la séance du 23 juillet.