m [12 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nale, a été autorisé à faire transporter à Paris les papiers qui sont aux archives, en les accompagnant en personne dans la route; à les déposer dans son cabinet à Paris, et à faire préparer, de concert avec MM. les commissaires de l’Assemblée, le lieu où les archives doivent être établies pour y porter les papiers le plus tôt possible. M. le Président a fait part à l’Assemblée de plusieurs lettres, par lesquelles M.lecomte d’Helm-stat, député de Sarreguemines, M. ilelage, curé de Saint-Christolv, député deBordeaux, et M. Du-pré de Balay, député des bailliages de Verdun et Clermont, prient l’Assemblée nationale de l’autoriser à leur faire délivrer un passe-port pour se retirer chez eux. M. le président a également fait part à l’Assemblée des motifs de leur demande. L’Assemblée les a jugés légitimes, et M. le président a été autorisé à signer les passe-ports demandés. Un de MM. les députés, nommés pour présenter au Roi le décret sur la réformation provisoire de la procédure criminelle, a fait part à l’Assemblée de leur mission, et a ajouté qu’en présentant à la sanction du Roi ledit décret, ils avaient rappelé à Sa Majesté celui sur le prêt à intérêt qui lui avait été déjà présenté, et que Sa Majesté leur avait répondu qu’elle connaissait l’importance et l’urgence de ce décret ; qu’elle en prendrait connaissance, et qu’elle ferait connaître incessamment ses intentions. M. le Président a invité l’Assemblée de se réunir en bureaux demain, à huit heures et demie du matin, pour procéder, si fait n’a été, au renouvellement du comité des recherches. Ensuite il a été fait lecture d’une adresse de l’assemblée générale des représentants de la commune de Paris à toutes les municipalités du royaume de France ; laquelle adresse avait été envoyée à M. le président pour en faire part à l’Assemblée. On a été aux voix pour savoir si l’on commencerait l’ordre par la liste des nouveaux dons patriotiques, et il a été décrété que l’ordre du jour commencerait par la lecture de ladite liste. En conséquence, un de MM. les trésoriers a fait lecture des nouveaux dons patriotiques détaillés dans un registre tenu à ces lins : l’Assemblée nationale y a répondu par des applaudissements réitérés. Cette lecture étant faite, les députés du bailliage de Cambresis ont dit qu’étant instruits de l'offre faite sous le nom du sieur Renoux, par une lettre datée de Cambrai le 3 octobre, d’une somme de 300,000 livres, provenant de la vente d’une partie des biens de l’Aumône-Jonart, et d’une rente de 20,000 livres perçue par ledit sieur Renoux depuis six ans, ils avaient l’honneur de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale un désaveu formel du sieur Renoux, consigné dans une lettre par lui adressée à M. le marquis d’Estour-mel, l’un des députés, en date du 12 octobre, et dans une lettre de M. l’archevêque de Cambrai de même date et à la même adresse. Ils ont ensuite fait lecture desdites lettres, ét ont demandé que le comité des recherches fût autorisé à faire toutes les recherches nécessaires pour connaître l’auteur de la lettre du 3 octobre, finissant par ces mots: « l’abbé Benoux, scelleur de l’archevêché, » et que cette lettre leur fût confiée « sous récépissé » pour être adressée pâteux au sieur de Neuville, prévôt de la ville de Cambrai, avec injonction de la part de l’Assemblée nationale audit sieur de Neuville, de prendre toutes les informations nécessaires à l’effet de découvrir l’auteur de ladite lettre. On a été aux voix sur cette motion, et il a été décrété que MM. les députés du bailliage du Cam-brésis étaient autorisés à retirer moyennant leur récépissé, la lettre du 3 octobre, finissant par ces mots: « l’abbé Renoux, scelleur de l’archevêché ». L’ordre du jour appelle la discussion sur la, question des lettres de cachet et sur la liberté individuelle. M. de Castellane (1). Messieurs, nul homme ne peut être accusé , arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi , et selon les formes qu’elle a prescrites. Tels sont, Messieurs, les propres expressions contenues dans l’article 7 de notre déclaration des droits, et bien que la loi qui doit mettre noire liberté individuelle à l’abri de toute atteinte ne soit pas encore portée, je l’avoue, j’avais pensé que tous les Français protégés, par l’opinion publique, par la position actuelle des choses, et votre volonté connue, étaient, dès à présent à l’abri des ordres arbitraires ; je croyais aussi que ceux qui en avaient souffert jouissaient en ce moment de leur liberté ; qu’enfm la France était à jamais délivrée de toutes les bastilles qui pendant si longtemps se sont offertes aux regards indignés du voyageur et ont déshonoré la surface du pays que nous habitons. Je suis excusable, Messieurs, de m’étre rendu coupable de cette erreur, puisque je l’ai partagée avec vous-mêmes ; sans elle vous ne souffririez pas que des citoyens qui n’ont été ni publiquement accusés, ni légalement jugés, gémissent encore sous le despotisme ministériel, qu’ils en éprouvent la plus cruelle influence, lorsque le despotisme n’existe plus. Et cependant, Messieurs, les prisons d’Etat, que le peuple n’a pas détruites, au mépris des intentions du Roi, du vœu de tous nos commettants, des premières règles de la justice, renferment encore des citoyens innocents, ou qui doivent le paraître à nos yeux, jusqu’à ce qu’ils aient été ju�és. " Nous ne pouvons laisser subsister un instant-de plus cet ordre de choses, sans devenir coupables des souffrances prolongées de ces infortunés. Ils ne poussent pas un soupir que nous ne devions nous reprocher ; ils ne versent pas une larme qui ne dépose contre nous. Je sais que plusieurs de ces malheureux n’ont pas été directement sacrifiés aux vengeances ministérielles. Les châteaux éloignés de la capitale. étaient principalement, remplis par les soins des agents subalternes de l’autorité, qui s’en servaient pour satisfaire leurs haines personnelles, ou peuplés de ceux que des intérêts de famille, ou des fautes de jeunesse faisaient traiter comme des criminels par des parents injustes ou cruels, qui profitaient de la facilité coupable du gouver-ment pour les soustraire à la société. Peut-être enfin peut-on y compter quelques coupables qu’on’ a voulu dérober au supplice; et si la lettre de cachet qui les en a sauvés, doit, à leur égard, être considérée comme une grâce, elle n’en est pas (1) Cette motion est très-abrégée au Moniteur, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 octobre 1789.] 413 moins un attentat contre la société à qui elle dérobe l’exemple, seul avantage que le public relire des châtiments infligés aux criminels. Le Roi, qui peut leur faire grâce lorsqu’ils sont condamnés, n’a sûrement pas et ne peut avoir le droit d’empêcher leur jugement. Vous devez donc également ouvrir la porte des prisons d’Etat et au grand nombre d’innocents (tous ceux qui ne sont pas juridiquement con-dannés sont innocents aux yeux de la loi), et au petit nombre de criminels qu’elles peuvent renfermer ; mais devez-vous leur rendre à tous la liberté sans aucune précaution ? Je ne le pense pas ; je crois que vous jugerez dans votre sagesse qu’il est nécessaire de remettre dans une prison légale ceux qui seraient décrétés, afin qu’il soit sans délai, procédé à leur jugement par les juges que leur donne la loi ; et si le résultat de leur procès était de les condamner à une peine plus forte que la prison perpétuelle, vu le châtiment illégal auquel ils auraient été soumis, je crois qu’ils devraient être recommandés à la clémence du Roi, qui commuerait Ja peine prononcée contre eux par les tribunaux, en celle de la privation plus ou moins longue de leur liberté. Je me tiens heureux, Messieurs, d’être dispensé de vous redire, en ce moment, les vérités si souvent et si utilement répétées, contre l’usage des lettres de cachet. Ces vérités si neuves encore, lors du célèbre ouvrage sur les prisons d’Etat, sont heureusement devenues triviales depuis sa publi ¬ cation. C’est à elles que nous devrons l’abolition totale de cette absurde tyrannie, malgré les sophismes décrédités du despotisme, de la bassesse et de l’intérêt personnel. On ne nous parlera plus à contre-temps de l’honneur des familles, qui ne pouvait être conservé, disait-on, que par les ordres arbitraires. Cette phrase si rebattue ne servira plus de masque aux partisans secrets de l’esclavage, toutes les classes des citoyens repousseraient loin d’elles cet infâme privilège d’être jugées par le Roi, plutôt que par la loi. Ceux qui n’étaient que trompés, ne le sont plus ; on abhorre généralement les lettres de cachet ; et le petit nombre d’hommes que l’intérêt personnel engage à en désirer secrètement la conservation est du moins réduit au silence. Aussi, Messieurs, je n’ai jamais douté un moment de l’existence prochaine de la loi que vous porterez à cet égard; mais cette loi, qui doit tout prévoir, qui doit prévenir les moyens détournés qui pourraient reproduire le désordre ancien, ne saurait être rédigée avec trop de soin. Il est donc nécessaire que vous preniez d’avance un moyen de rendre justice à ceux qui gémissent encore sous l’oppression, au sein même de la liberté. Sans doute nous avons tardé trop longtemps à prononcer leur délivrance; sans doute le jour de réunion des députés nationaux aurait dû voir briser leurs fers, et nous n’aurions pas dû attendre que le peuple se fît ouvrir, à main armée, quelques-uns de ces asiles du désespoir, pour en délivrer les pâles'habitants. Pressé par le sentiment profond du devoir et par le vœu de mes commettants, j’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée nationale de prendre l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que le premier des droits de l’homme en société consiste à ne pouvoir être privé de sa liberté, que dans les cas prévus par la loi, et avec les formes qu’elle a prescrites ; « Considérant qu’elle ne remplirait qu’impar-faitement un des devoirs les plus impérieux, si elle se contentait d’empêcher à l’avenir les funestes effets des ordres arbitraires, et négligeait de rendre la liberté à ceux qui gémissent encore sous le poids de l’ancien despotisme ministériel, « A décrété et décrète que tous ceux qui sont exilés et détenus par lettre de cachet, ou par un ordre quelconque des agents du pouvoir exécutif, seront incontinent mis en liberté : « Qu’en conséquence, Sa Majesté sera suppliée de faire expédier, sans délai, des ordres aux gouverneurs ou commandants des diverses prisons d’Etat, afin qu’ils aient à délivrer les prisonniers confiés à leur garde, observant cependant que si quelques-uns d’entre eux étaient juridiquement accusés, ilsfussentrenvoyés devant leurs juges naturels, pour leur procès leur étant fait, les pièces en être envoyées à M. le garde des sceaux, qui en ferait son rapport à Sa Majesté, laquelle serait suppliée de considérer, dans sa sagesse, le châtiment illégal auquel les coupables auraient été préalablement soumis, d’user en leur faveur du droit qu’elle a de faire grâce, et de commuer la peine qu’ils auraient encourue en celle d’une prison plus ou moins longue, selon la nature des délits. « Et sera le présent décret porté au Roi par M. le président, et Sa Majesté suppliée de le faire proclamer, afficher et exécuter dans toute l’étendue du royaume. » Plusieurs amendements sont successivement proposés. M. Barrère de Vleuzac (1). Messieurs, quand une nation est riche d’une déclaration des droits de Vhomme et du citoyen, les bastilles et les geôles royales sont inutiles; et les provinces, dont la surface est déshonorée par l’existence de ces donjons menaçants, ont le droit de les faire disparaître. C’est ce que mes commettants ont pensé lorsqu’ils ont écrit dans leur cahier l’article qui suit : « Demander que le château de Lourdes, demeure ancienne des comtes de Bigorre, ne soit plus une prison d’Etat, ne serve plus d’effroi à la liberté publique et civile; qu’en conséquence, les prisonniers qui y sont renfermés dans ce moment soient rendus à leurs familles et les accusés renvoyés devant leurs juges naturels. » Ainsi, Messieurs, quand même l’humanité ne m’en aurait pas fait un devoir; quand même je n’aurais pas entendu la voix d’un de mes concitoyens, d’un vieux militaire qui gémit dans les prisons de Briscous (2), je dois à la province que j’ai l’honneur de représenter d’appuyer la motion que vient de faire M. de Castellane avec tant d’énergie et de sensibilité. Au milieu des Pyrénées, image de la liberté, comme elles devraient en être l’asile, s’élève un fort que nos comtes élevèrent pour y établir leur séjour; nos pères s’en servirent pour se défendre des Sarrasins, et dans les guerres particulières; (1) Celte motion n’a pas été insérée au Moniteur. (2) M. le chevalier Noguès de Tarbes, ancien officier des gardes du corps, détenu par lettre de cachet depuis plusieurs années. On en publiera un jour les motifs.