[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 71 1 tés où se compromet presque toujours la dignité des représentants de la nation. Je propose donc, en me résumant, que l’Assemblée décrète : « 1° Que Sa Majesté sera suppliée de dépêcher incessamment auprès des Etats-Unis, comme envoyés extraordinaires, des personnes de confiance et d’une suffisante capacité, pour réclamer, au nom de la nation, tous les secours en blés ou en farines qu’elles pourraient obtenir, tant en remboursement des intérêts arriérés dont les Etats lui sont redevables, qu’en acquittement d’une partie des capitaux ; c 29 Que le comité des finances proposera le plus tôt possible à l’Assemblée le'plan d’une caisse nationale, qui sera chargée dorénavant du travail des finances relatif à la dette publique, d’en faire ou d’en diriger les payements, de percevoir les revenus qui seront affectés à ces payements, et en général de tout ce qui peut assurer le sort des créanciers de l’Etat, affermir le crédit, diminuer graduellement la dette, et correspondre avec les assemblées provinciales sur toutes les entreprises favorables à l’industrie productive ; « 3° Que les ministres de Sa Majesté seront invités à venir prendre dans l’Assemblée voix consultative, jusqu’à ce que la Constitution ait fixé les règles qui seront suivies à leur égard. » On demande l'impression de cette motion, en exposant que son importance ne permet pas de délibérer sur-le-champ. M. le comte Mathieu de Montmorency représente que les objets qu’elle renferme peuvent se réduire à des termes si simples qu’il sera facile de délibérer sans délai, et que l’Assemblée aurait épargné des moments précieux et des débats très-longs, si les ministres avaient été présents. M. Duquesnoy. Je propose que les ministres, qui sont membres de cette Assemblée, y aien t voix délibérative, après avoirété réélus par leurs bailliages et sénéchaussées. M. Blin (1). La question qui s’agite aujourd’hui devant vous, Messieurs, quoique réduite à une simple disposition provisoire, et tout à fait détachée de la Constitution, semble néanmoins tellement liée avec la question que vous avez ajournée mardi dernier (2), par l’autorité que donne toujours pour l’avenir l’exemple de ce qui a eu lieu au passé, que je ne puis nrempêcher de vous supplier d’accorder à la discussion de cette question vraiment intéressante tout leMemps, toute la réflexion que son importance exige. Quelle que soit, suivant un grand nombre de ceux qui ont parlé hier, la nécessité qui nous presse et qui nous commande, il n’en est point de plus impérative que celle d’agir sagement , et deux ou trois jours consacrés à l’examen d’un point capital n'entraînent point une perte de temps irréparable, quand une fausse mesure occasionnerait des inconvénients qu’il est de votre sagesse de prévenir, et auxquels une longue suite d’années ne remédieraient pas, si une fois elle était adoptée. On nous propose d'inviter les ministres du Roi (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de l’opinion de M. Blin. (2) Les ministres du Roi et autres agents du pouvoir exécutif sont-ils, ou nt sont-ils pas éligibles à l’Assemblée nationale ? à venir siéger dans l’Assemblée nationale , et à prendre voix consultative , jusqu’à ce que la Constitution ait statué à leur égard. L’on a appuyé cette motion sur trois considérations principales : la première, qu’il est une multitude d’éclaircissements relatifs à l’administration, que le besoin du moment exige, et que l’on ne peut recevoir que des ministres ; la seconde, que la méthode de communiquer avec les ministres par l’intermédiaire d’un comité est une pratique dangereuse ; la troisième enfin, que c’est un usage reçu en Angleterre, dont le gouvernement nous offre des titres de perfection que l’on chercherait en vain dans les autres gouvernements de l’Europe. Je vais examiner, le plus brièvement qu’il sera possible, le degré de poids et d’autorité qu’il convient �d’attacher à ces considérations. Une pareille tâche offre deux écueils faciles à éviter, quand on n’aspire qu’à faire valoir la cause de la vérité. Ces deux écueils sont la timide circonspection de la crainte et le langage exagéré de la prévention ; mais pour que la discussion actuelle soit fructueuse, cela ne suffit pas encore, et je crois qu’il importe surtout d’en bannir la composante facilité d’une ambition prochaine ou éloignée. D’abord, je conviens qu’il est beaucoup de points de l’administration sur lesquels l’Assemblée (qui n’est point une assemblée administrative) ne saurait réunir toutes les connaissances requises. Ce n’est pas dans un jour que l’on devient grand administrateur, et nous pouvons convenir sans honte que nous sommes encore dans l’enfance par rapport à cet art, devenu difficile à cause de la multiplicité des machines dont on l’a compliqué. Mais si les ministres ont dans cette partie l’avantage sur nous, l’expérience a-t-elie prouvé jusqu’ici que leur manière d’administrer les empires est la meilleure possible, et ne pourrait-on pas, sans être taxé de prévention ou de calomnie, affirmer que les ministres sont encore loin de réunir sur les différentes branches de l’administration toute la masse de lumières qui existe dans une nation éclairée? Je suppose que ces points ne sont pas constatés ; et je dis que, si l’Assemblée nationale doit toujours tendre à la plus grande perfection possible, ce ne sont pas seulement les ministres qu’elle doit consulter, mais encore tous ceux qui peuvent ajouter aux lumières qui naissent de la discussion toutes les lumières que fournit la méditation ; et par conséquent que le premier devoir de l’Assemblée est ae ne rien décréter d’important avant d’avoir pris tout le temps nécessaire pour peser mûrement et attentivement ses résolutions. Or, cet avantage, elle peut se le procurer, même en ce qui regarde les ministres, sans leur intervention personnelle dans l’Assemblée : car s’ils sont vraiment zélés pour le bien public, il leur sera très-facile de communiquer leurs réflexions, sur le sujet en débat, à des députés qui en feront part à l’Assemblée et qui les feront valoir ; ou de les adresser directement à l’Assemblée, qui ne doit repousser rien de ce qui porte le sceau de la raison, de l’évidence et de l’utilité. On objectera peut-être l’exemple des décrets du 4 août. Je réponds que ces décrets n’étaient point des lois, mais simplement des principes à suivre dans la législation, et qu’en iusistant sur leur promulgation, l’Assemblée n’a pas manqué de déclarer qu’elle apporterait, dans la confection des lois qui en résulteraient, la plus grande et la plus respectueuse attention aux observations que Sa Majesté avait eu la bonté de lui communiquer. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 742 [Assemblée nationale.] Il ne reste donc que les cas urgents, et pour lesquels il faut une prompte détermination. — Ici, Messieurs, j’ose faire une question, et je demande si presque tous les cas de cette nature qui se sont offerts pendant le cours de la session n’ont pas eu pour objet les embarras de la puissance exécutive? Je n’en citerai pas d’exemples : ils vous sont tous présents. Mais j’en conclus qu’en provoquant nos décrets, nos ministres ont pu, ont dû même mettre sous nos yeux toutes les considérations qu’il fallait peser, et qu’à cet égard ils ne seraient jamais excusables d’avoir jeté l’Assemblée dans de fausses mesures. Il n’y a pas longtemps que le respectable auteur de la motion vous a fait prendre un décret qui en est la preuve (I). Je ne m’arrête pas davantage sur cette première considération. Je passe à la seconde, et je prie que l’on veuille bien expliquer nettement et sans détours comment et pourquoi la communication avec les ministres par le moyen d’un comité pourrait être dangereuse? Les membres de l’Assemblée qui composent chaque comité ne sont-ils pas ceux qui réunissent au plus haut degré l’estime et la confiance de tous les députés ; et la vérité ainsi que l’erreur sont-elles moins la vérité et l’erreur parce que en sortant de la bouche du ministre, elles auront passé par les oreilles d’un comité avant de frapper les vôtres? Ne nous abusons pas, Messieurs ; le temps d’un ministre adonné aux affaires de son département, est un temps fort précieux. Un comité peut varier ses heures de conférence ; l’Assemblée ne peut accorder que le temps de sa séance : l’on presse dans le cabinet des objections que l’on ne fait qu’indiquer au public; le petit nombre d’acteurs permet des détails, des explications qui ne sont pas admissibles dans une grande assemblée ; enfin l’excuse si commode, si satisfaisante , si souvent employée par le chancelier de l’échiquier, dàns la Chambre des communes d’Angleterre, où siège ce ministre, et que l’on propose pour modèle, l’excuse , dis-je : L’intérêt de l'Etat ne permet pas d'en dire davantage , serait d’une faible ressource dans un comité, et pourrait, dans l’assemblée générale, servir utilement l’ignorance ou la mauvaise foi d’un ministre. Je ne crois donc pas que cette seconde considération obtienne auprès de vous plus de poids que la première. Ainsi, examinons eu peu de mots quelle influence peut avoir l’exemple tiré de l’Angleterre. Je ne répéterai point les observations succinctes que j’ai eu l’honneur de vous faire hier très-rapidement, au sujet de la vénalité et de la corruption dont le ministre sait tirer un parti si avantageux, pour assurer son empire et son influence dans le parlement britannique. Personne, je crois, ne contestera la vérité des faits que j’ai indiqués, lorsqu’il est à la connaissance de tout le monde que la majorité du parlement d’Angleterre ne prend même pas la peine de se cacher dans le trafic de ses suffrages. Il est d’ailleurs des observations d’un autre genre qui ont, j’aime à me le persuader, plus d’analogie avec notre situation, et qui suffisent pour établir dans tout son jour la cause que je soutiens. En effet, si l’on consulte les transactions du parlement d’Angleterre, depuis le milieu du règne (1) «L’Assemblée nationale décrète que les ministres seront invités à déclarer nettement quels sont les moyens de pourvoir sûrement aux subsistances du royaume, afin que l’Assemblée, etc., etc.» actuel surtout, on observera, non pas sans regret, que les motions les plus intéressantes, les plus utiles, ont été faites par le parti de l’opposition, et rejetées en très-grande partie par la majorité, c’est-à-dire par le ministre; et souvent même, lorsque ces motions ne contrariaient en rien les vues du ministère; mais uniquement parce que le ministre, qui ne peut pas tout embrasser, n’avait pas le temps de s’en occuper. On verra le slamp-act passé sous une administration, retiré sous une seconde, et reproduit sous une troisième, malgré la triste expérience qu’on en avait faite. En 1775, un membre de la Chambre des communes demande la représentation de la copie cl’une lettre écrite par un des ministres, parce que cette lettre contenait des matières d’instruction qui méritaient toute l’attention de la Chambre. Le ministre répond qu’il est seul le juge des matières qui doivent ou ne doivent pas être soumises à l'examen de la Chambre. Cette réponse occasionne un débat très-vif. On fait la motion de présenter une humble adresse au Roi pour demander que la lettre soit mise sous les yeux de la Chambre; mais la majorité, toujours aux ordres du ministre, vient à son aide et fait rejeter la motion (1). Il me serait aisé de citer beaucoup de faits de cette nature, qui ne prouvent que trop le danger de l’influence ministérielle eu Angleterre. Mais je craindrais, Messieurs, d’abuser de votre attention. Je passe sous silence, pour la même raison, l’affaire scandaleuse de M. Wilkes, et je m’arrête au temps de la guerre d’Amérique. Cette époque est une source féconde de grandes et utiles leçons, dont il ne tient qu’à nous de proüter dans les circonstances actuelles. — Est-ce à la cité de Londres, est-ce aux diverses villes et aux corporations d’Angleterre, qui, bien que peu instruites encore de la vraie théorie des rapports coloniaux, ont présenté tant d’adresses infructueuses et mal accueillies en faveur des colonies du continent d’Amérique, ou bien aux résolutions et à l’administration du ministère que l’on doit attribuer la perte de ces colonies? Si tord Nortli, escorté de sa majorité, n’avait pas dominé dans la Chambre des communes, pense-t-on que tant de discours éloquents, tant de remontrances énergiques faites par M. Burke et autres orateurs de l’opposition; que le fameux discours, prononcé à la barre par M. Glover, seraient demeurés sans effet, et que des hommes instruits, livrés aux seules lumières de leur raison, dégagés de toute influence ministérielle, auraient embrassé un parti évidemment contraire aux intérêts de la nation qu’ils représentaient? Non, sans doute; et la conduite du ministère anglais, pendant toute la guerre d’Amérique, est une preuve palpable de la grande vérité publiée récemment par un auteur dont nous avons tous admiré les vues profondes (2) : Les Rois et les Nations n’ont d’ennemis que les ministres. Mais je suppose que le danger de cette terrible influence ministérielle soit écarté, évitera-t-on aussi qu’il ne se forme, dans une assemblée où siégeront les ministres du Roi, un parti ou une opposition, qui, loin d’accélérer les travaux du Corps législatif, ne serviront au contraire qu’à retarder sa marche et ses décisions? En effet, il est moralement impossible que sur 1,200 hommes choisis dans toute la nation, il ne s’en trouve pas (1) Voyez Annual Register, vol. 18, page 101. (2) M. le marquis de Cazeaux, auteur de la Simplicité de l’idée d’une constitution, etc. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789. J 713 quelques-uns doués des grands talents, des qualités éminentes, qui accroissent l’émulation jusqu’à la convertir en ambition : alors, les ministres, au lieu d’étre consultés, deviendront bientôt l’objet d’une attaque personnelle; les passions entreront en jeu de part et d’autre; le bien, l’intérêt public seront perdus de vue, et l’Assemblée, réduite au rôle de spectatrice de ces combats particuliers, n’aura, pour s’occuper des affaires, que les courts intervalles qui seront accordés à chaque mutation par le nouveau ministère. Heureux encore si, dans cette lutte hasardeuse, la fortune favorise toujours les ministres dignes de notre confiance; et si, pour opérer leur chute, on ne cause pas de grands maux à l’Etat. Lorsque M. Pitt et lord Camden firent la déclaration qui fournit des arguments aux colonies anglaises et qui réveilla leur courage, ils ne songeaient vraisemblablement , dit fauteur des Lettres de Junius, qu’à renverser un ministre (M. Grenville), et ils ont en effet séparé une moitié de l’empire de l’autre. Ce que j'ai dit jusqu’ici répond, si je ne me trompe, à une grande partie des raisons alléguées en faveur de l’admission des ministres; le dernier exemple surtout prouve (car M. Grenville avait annoncé des vues sages) que l’avantage même d’avoir ses ennemis en présence, ainsi que l’observa hier un des préopinants, n’est pas entièrement exempt de danger, et que si le nouvel ordre de choses ne doit plus laisser d’hommes ineptes au ministère, il peut aussi (dans le cas où la motion serait adoptée) faire perdre à l’Etat des ministres habiles et vertueux. J’ajouterai qu’en admettant les ministres dans l’Assemblée nationale, même avec la simple voix consultative, la responsabilité si nécessaire, si indispensable pour arrêter toute usurpation de pouvoir, devient un épouvantail chimérique ; car les ministres n’avant point de commettants, et n’ayant à exécuter que leurs propres projets, quand vous les aurez consacrés et adoptés, i s n’auront, quelque nuisibles ou pernicieux qu’ils soient, de compte à rendre à personne. Vrais dépositaires du pouvoir exécutif, plus puissants que le Roi, dont le veto ne peut qu’empêcher les lois d’exister, ils jouiront en outre de la faculté de faire passer les mauvaises, de modifier les autres à leur convenance, de rejeter tous les projets dont l’exécution dérangerait leurs habitudes, et d’opposer mille objections, mille difficultés aux règlements qui resserreraient le compas de leur autorité. C’est, écrivait, il y a peu de temps un des hommes les plus instruits d’Angleterre, à un de ses amis qu’il entretenait sur la position actuelle de l’Assemblée nationale, comparée à celle de la Chambre des communes, c'est un spectacle bien humiliant aux yeux de tout homme doué d'une âme sensible , et dont l’esprit est dégagé de préventions, que de voir une assemblée des représentants de tout un peuple, faite pour être composée de députés égaux en pouvoirs, et dont les délibérations devaient être absolument libres , dégradée cependant au point d’étre entièrement dirigée et gouvernée par la présence d'un ministre revêtu de toute l’autorité et jouissant de toute l'influence du souverain, ne dissimulant mêmepas l’orgueil qu’inspirent la force et T assurance de la victoire dans de vains débats qui ne produisent seulement pas l’intérêt d’un combat incertain. L’ordre essentiel aux assemblées représentatives, dont le chef, nommé par elles-mêmes pour présider à leurs délibérations, devait seul jouir de l’autorité et du respect parmi ses collègues, est bouleversé en faveur de ce délégué royal : le président n'est plus qu'un être secondaire; et tous les yeux sont tournés vers le véritable maître de V Assemblée, etc. Que dirait l’homme qui s'abuse aussi peu sur les vices qui régnent dans la représentation du peuple anglais, s’il entendait appeler son pays en témoignage, pour faire adopter en France la présence des ministres dans l’Assemblée nationale ? Je crois en avoir assez dit, et surtout avoir assez montré par les faits et par le sentiment des Anglais eux-mêmes, que c’est bien à tort que l’on va "puiser des raisons chez eux pour établir l’opinion que je combats. Il serait peut-être utile de dire encore un mot sur l’indiscrétion d’un pareil moyen, quand il s’agit de redonner au pouvoir exécutif la force qui lui manque. Mais vous sentirez facilement, Messieurs, que si les ministres du Roi sont présents, il faut de deux choses l’une, ou qu’ils dirigent 1 Assemblée par leur influence, ou qu’ils cèdent eux-mêmes aux lumières de l’Assemblée. Dans le dernier cas, ils rabaissen t, ils humilient, sans nécessité comme sans utilité, la puissance exécutive-: dans le premier (quoi qu’on ait pu dire contre le mot de liberté, dont je n’exagérerai jamais le sens), l’Assemblée n’est plus libre, et la nation court risque de perdre sa liberté. L’une ou l’autre de ces deux positions est également nuisible à l’intérêt public, et vous-mêmes, Messieurs, l’avez déjà reconnu, lorsque, sur la réclamation de M. le comte de Mirabeau, vous avez un jour attendu la retraite des ministres pour délibérer, et lorsque, dans une autre occasion, vous avez refusé d’ouvrir et de lire un mémoire que les ministres vous adressaient à l’instant d’une délibération. Les maximes soutenues alors n’ont pu changer si vite. Si elles étaient vraies, elles le sont encore aujourd’hui: ainsi, ni d’après les considérations alléguées, ni d’après l’exemple de l’Angleterre, ni d’après mes propres principes, on ne peut admettre les ministres dans l’Assemblée nationale. Du moins, telle est mon opinion iusqu’à présent, et parles raisons que j’ai recueillies à la hâte, pour avoir l’honneur de les soumettre à votre examen. Si vous jugez cependant que la motion deM. de Mirabeaudôive être admise, par des motifs que je ne saurais ni prévoir ni comprendre, je demande qu’il y soit fait l’amendement suivant : « Aucun membre de l’Assemblée nationale ne pourra passer au ministère pendant tout le cours de la session. » Nous ne devons pas oublier que nos commettants nous ont envoyés pour faire uue constitution qui devienne un rempart contre le3 atteintes du despotisme ministériel, et non une constitution qui mette à couvert, protège ou favorise l’ambition des ministres. M. de Custine remarque que le Jersey, le Counecticut, et la Virginie sont les seules parties des Etats-Unis qui possèdent des blés... Il pense que la présence du ministre des finances est seule nécessaire dans l’Assemblée. M. de Montlosier. D’après l’importance du troisième objet, je demande la division et l’ajournement. M. Carat, le jeune, appuie cette troisième partie de la motion : la séduction des ministres, dit-il, est dangereuse hors de l’Assemblée ; mais ici ils 714 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] se trouveront les égaux de chaque député, et infiniment au-dessous de Ja dignité de l’Assemblée. M. de Rîchier demande la division des trois objets. Il observe sur le premier, que dans les Etats-Unis les particuliers ne doivent pas, mais que le corps seul est débiteur ; que le corps n’a pas de blés, et que les particuliers seuls en ont ; qu’il faut acheter des uns, et ne pas s’exposer à un refus de la part de l’autre. M. le duc de L>a Rochefoucauld. Le nouveau congrès vient de prendre des précautions pour le payement des dettes des Etats-Unis. Il est probable que les Américains saisiront l’occasion de secourir la puissance européenne qui a si bien travaillé pour leur liberté. Plusieurs mois s’écouleront jusqu’à l’arrivée de ce secours, mais on le recevra au moment où nos ressources prochaines seront épuisées. Je pense qu’il n’y a nul inconvénient à mettre aux voix les trois articles, en ajournant, -sans rien préjuger, sur l’éligibilité des ministres à l’Assemblée nationale. M. le vicomte de Woailles. Les Etats-Unis ne pouvant solder les intérêts de leur dette, devons-nous espérer qu’ils céderont à notre demande ? pouvons-nous croire que les particuliers vendent au congrès, quand ils auront presque la certitude de n’en être pas payés? Cette observation me détermine à rejeter cet article. J’observerai sur le troisième, qu’en Angleterre, de vrais amis de la liberté regardent comme infiniment dangereux l’usage dont on s’autorise ici. Le ministre au parlement s’entoure d’une armée à ses gages, il distribue les postes, etc. Les ministres influeront également parmi nous ; ils influeront jusque dans les élections... Il faut s’instruire ; il faut, avant d’adopter cet article, s’assurer si nous ne compromettons pas notre liberté, Je demande l’ajournement. M. le comte de Clermont-Tonnerre. Les Etats-Unis ont fait une récolte abondante. Le nouveau congrès est autorisé à établir des taxes pour le payement des dettes; la loyauté des Américains, qui nous doivent leur liberté, nous assure assez que leurs engagements avec la France ne seront pas les derniers remplis. Le second objet de la motion me paraît ne donner lieu à aucune objection. Je pense que la troisième est pour la nation un des premiers moyens de prospérité, de grandeur et de liberté. Nous avons souvent gémi sous des ministres ineptes, et le despotisme des ministres iheptes est le fléau le plus humiliant pour des hommeslibres; mais, admisparmi vous, dans quatre jours vous n’aurez pas un ministre, ou bien il ne sera pas inepte. Je sais le danger des grands talents unis avec de mauvaises intentions ; mais que pourrait faire le ministre qui les posséderait, lorsqu’il trouvera au milieu de vous de grands talents et des intentions pures? Les ministres verront enfin des hommes qui ne les craindront pas, tandis qu’ils sont condamnés à ne voir que des flatteurs, des secrétaires occupés à leur préparer les moyens de nous opprimer. L’homme vendu rougira devant celui qui aura acheté sa voix ; son embarras, son inquiétude, tout le démasquera. Vous savez s’il faut redouter les intrigues du cabinet. Un ministre est-il l’ennemi de la nation, c’est un ennemi invisible quand il n’est pas ici ; s’il y est admis, il sera connu, et dans toute' espèce de combat je ne sais rien de plus dangereux que d’avoir à se battre sur rien et contre personne. M. LeChapelier. Je pense qu’il est nécessaire de faire observer à quelques opinants, qui craignent pour notre liberté, qu’il ne s’agit ici que d’une disposition momentanée et nécessitée par les circonstances. Je m’oppose à l'ajournement. M. Anson. J’adopte les trois propositions. Si, par exemple, le ministre des finances avait siégé dans cette Assemblée, il aurait répondu à M. de Mirabeau ; il aurait repoussé des terreurs qui peuvent porter atteinte à la fortune publique et aux fortunes particulières. La caisse d’escompte a déjà trois mémoires au comité des finances. J’y ai observé trois choses : premièrement, ce n’est pas elle qui, l’année dernière, a sollicité une suspension de payement; secondement, les secours importants qu’elle a donnés à l’Etat: cette observation, infiniment exacte, mérite quelques ménagements ; troisièmement, si le gouvernement remboursait à la caisse tout ce qu’il lui doit, elle satisferait sur-le-champ à tous ses engagements. Je ne conclus à rien au sujet de la caisse d’escompte, parce que M. de Mirabeau n’a pas pris de conclusions à son égard. M.*** Les commerçants ne feront plus d’opérations sur les blés avec l’Amérique ; ils redouteront la concurrence avec le gouvernement ; alors si la démarche proposée n’a pas de succès, quelle sera notre détresse ! M. le duc d’Aiguillon. On a représenté comme douteuse la créance que nous avons sur l’Amérique ; les titres que le comité a entre les mains tendent à en prouver la solidité. L’embarras des Etats-Unis pour les payements vient du défaut de numéraire ; vous leur offrez le moyen de payer autrement, et cet embarras disparaît. La discussion est fermée. On demande successivement l’ajourpement sur les trois articles. — • Après quelques discussions sur cette demande, les deux premiers sont ajournés ; la délibération sur l’ajournement, du troisième, se trouvant deux fois douteuse, est remise à demain. M. le Président lit une lettre de M. le garde des sceaux. Ce ministre désirerait connaître l’intention de l’Assemblée sur la permission demandée par la ville de Besançon et par plusieurs autres cités d’ouvrir des emprunts dont le produit serait destiaé à acheter des blés pour leur subsistance. Ce mémoire est renvoyé au comité des rapports. M. le marquis de Ronnay présente le projet d’un comité de révision qui serait chargé d’examiner et de répondre aux demandes peu importantes qui se multiplient. L’Assemblée décide qu'il n’y a pas lieu à délibérer. Un de MM. les trésoriers annonce un grand nombre de dons patriotiques. La séance est levée à quatre heures.