ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 a ût 1789.] 340 [Assemblé# nationale.] M. Oupontj député de Bigarre. Le projet de faire une constitution est vaste, sans doute ; mais, pour l’exécuter, sont-ce des talents ou de la sagesse qu’on exige de nous? Etablissons et fixons d’abord les devoirs de l’homme; car à qui donnerons-nous des lois, lorsque l’esprit si naturel d’indépendance aura exalté tous les esprits, et rompu les liens qui entretiennent le pacte social? Préférons le doux sentiment de faire le bien, à la vanité de nous faire admirer; que la postérité nous rende justice, et que, parmi tous les litres dont les représentants de la nation auraient pu s’honorer, ils n’ambitionnent et ne cherchent à mériter que celui de sage. Pour cela, commençons par faire une déclaration des droits et des devoirs de l'homme , afin qu’au moment qu’il pourra les connaître, il sache l’usage qu’il doit en faire, et les bornes qu’il doit y mettre. Alors la déclaration des droits présentera beaucoup d’avantages, et pas un danger. L’homme est porté à obéir à la loi, quand il en connaît les motifs; il soumet volontiers sa force à son intelligence-et l’observation de la loi ne lui coûte rien, quand il croit trouver son bonheur dans l’obéissance. M***, curé. Vous allez enfin préparer une nouvelle constitution à un des plus grands empires de l’univers ; vous voulez montrer cette divinité tutélaire, aux pieds de laquelle les habitants de la France viennent déposer leurs craintes et leurs alarmes ; vous leur direz : voilà votre Dieu, adorez -le. (L’orateur est obligé de faire le sacrifice de quelques phrases de ce genre pour en venir à la question.) Après avoir qtarlé du besoin impérieux de faire la Constitution promptement, il ajoute: En effet, serait-il nécessaire de faire des lois pour ceux qui ne les accepteront pas ? L’esprit d’insubordination agite toutes les classes de citoyens. Pour éviter tous ces inconvénients, hâtons-nous de travailler à la Constitution et d’en poser les premiers principes. Ils sont dans nos cahiers ; ils sont dans nos tètes. Dans nos cahiers, nous devons remplir le vœu de nos concitoyens, nous soumettre à la volonté impérieuse dont nous sommes les dépositaires. Dans nos tètes, parce que chacun de. nous est comptable de sa pensée à l’Assemblée ; que si donc il conçoit une bonne idée, il la doit communiquer. C’est d’après cela que l’on doit rédiger la déclaration des droits. Elle a été si débattue pour et contre, que je ne me permettrai pas de la discuter. Que l’on ne pense pas que les lumières sont trop grandes, que les hommes sont trop instruits pour se dispenser de faire la déclaration. C’est souvent sur les peuples les plus instruits que le despotisme règne avec plus d’empire. Que l’on jette un coup d’œil sur l’histoire ; les sciences ïi’ont presque servi qu’à consoler les hommes de l’esclavage. M. le marquis de Sïllery. Si je n’étais rassuré par l’indulgence que vous m’avez accordée jusqu’ici, et si je ne devais à mes commettants le tribut de toutes mes pensées, je ne me serais pas permis de suspendre davantage votre délibération. La Constitution sera-t-elle précédée d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen? Ce sont les vœux de nos commettants, et la nécessité nous en fait une loi. La constitution d’un pays est le mode des lois qui gouvernent les hommes. Pour établir ces lois, il faut développer les principes avec lesquels elles ont des rapports intimes. 11 est donc nécessaire de les rappeler; mais ce n’est pas des lois propres à tous les pays qu’il faut ici. La constitution d’un empire aussi vaste, aussi étendu, exige plus de combinaisons. Dans l’ordre moral toutes les lois devraient s’appliquer à tous les pays, à toutes les nations; mais une longue expérience nous a démontré que les lois d’un pays ne sont pas applicables à tel autre. Les législateurs d’un peuple aussi immense doivent prendre en considération la différence des mœurs et des usages, qui varient comme les climats et les productions des pays. Le but de nos travaux est de rendre la nation heureuse sans doute. Nous avons de grandes difficultés, de grands obstacles à surmonter; les relations des lois embrassent bien des objets. 11 est une grande considération à laquelle on doit s’arrêter; c’est l’intérêt des habitants de la campagne ; ce sont les plus nombreux et les plus utiles ; ils s’en rapportent à nous sur leurs intérêts ; ils nous abandonnent le soin de faire des lois. Il ne faut pas leur en présenterd’inintelligibles’; il ne faut pas leur présenter des discussions philosophiques, qui, sans doute, les mécontenteraient ou qu’ils interpréteraient mal; il faut tout rapporter aux principes. Les idées que nous présenterons en seront les conséquences; c’est ainsi que nous devons guider leur conduite et les diriger vers le bonheur. Je me permettrai donc de vous adresser cette réflexion-ci : que ce n’est pas un ouvrage profond, un ouvrage philosophique qu’il faut leur présenter; les habitants des campagnes ne sont pas faits à des idées métaphysiques. Ce n’est cependant pas que je regarde la déclaration des droits comme inutile; moi-même je la crois très-nécessaire. Mais j’aurais désiré que ceux qui nous l’on présentée l’eussent fait d’une manière plus simple, moins compliquée et à la portée de tout le monde; j'aurais encore désiré qu’elle fût présentée dans une forme moins didactique. Législateurs de ce vaste empire, réfléchissez que vous devez faire le bonheur de vingt-quatre millions d’hommes; que votre premier devoir est défaire tout ce qui peut le leur procurer. Surtout n’oubliez pas, en apprenant à l’homme quels sont ses droits,, de lui apprendre aussi ses devoirs, de lui en montrer aussi la chaîne ; dites-lui que, Je premier ou le dernier anneau en étant séparé, sa longueur est la même. M. l’abbé Grégoire. L’on vous propose de mettre à la tête de votre constitution une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Un pareil ouvrage est digne de vous ; mais il ne serait qu’imparfait si cette déclaration n’était pas aussi celle des devoirs. Les droits et les devoirs sont corrélatifs ; ils sont en parallèle ; l’on ne peut parler des uns sans parler des autres ; de même qu’ils ne peuvent exister l’un sans l’autre, ils présentent des idées qui les embrassent tous deux. C’est une action active et passive. On ne peut donc présenter une déclaration des droits sans en présenter une des devoirs. Il est principalement essentiel de faire une déclaration des devoirs pour retenir les hommes dans les limites de leurs droits ; on est toujours porté à les exçrcer avec empire, toujours prêt à les étendre; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1789.J 341 et les devoirs, on les néglige, on les méconnaît, on les oublie. Il faut établir un équilibre, il faut montrer à l’homme le cercle qu’il peut parcourir, et les barrières qui peuvent et doivent l’arrêter. Beaucoup ont soutenu la thèse contraire ; beaucoup ont dit qu’il était inutile de parler spécialement des devoirs, puisque l’on ne pouvait exister qu’autant qu’il existe des droits. Je ne suis pas de leur avis, et je crois que la déclaration des droits est inséparable de celle des devoirs. M. de Clermont-Lodève. Je n’ai qu’un mot à dire sur la question incidente : chaque homme, ayant le même droit à la liberté et à la propriété, a des droits incontestables, comme il a aussi des devoirs qui le forcent à respecter la liberté et la propriété d’autrui. Ces devoirs naissent naturellement des droits du citoyen. On pourrait peut-être détailler, dans le corps delà déclaration, quelques-uns de ces devoirs; mais je penserais que le titre seulement doit annoncer une déclaration des droits du citoyen, et non des devoirs . Ce mot de citoyen annonce une corrélation avec les autres citoyens, et cette corrélation engendre les devoirs. Mais ces devoirs étant indéfinis, se multipliant autant que les droits, il serait impossible de les fixer, de les déterminer tous : et des gens peu instruits pourraient croire qu’il n’existe de devoirs que ceux qui seraient insérés dans la déclaration. Quelques orateurs absents ont perdu leur tour pour la parole ; d’autres ont voulu prendre leur place; mais des cris répétés de tous les côtés de i’Assemblée : Aux voix , aux voix ! étouffent la parole de ceux qui veulent parler. M. Camus se lève, malgré les cris et le tumulte. Un moment de calme et de silence lui permet de se faire entendre pour soumettre un amendement. Il propose d’ajouter le mot devoirs à la déclaration des droits, et il présente ainsi la question suivante : Fera-t-on ou ne fera-t-on pas une déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen ? La salle retentit tout à coup d’applaudissements partis du côté du clergé. M. l’évêque de Chartres annonce qu’il veut la parole. Il a beaucoup de peine à se faire entendre; enfin on lui accorde le silence. M. de Lubersac, évêque de Chartres. S’il faut une déclaration des droits, il y a un écueil à éviter. On court risque d’éveiller l’égoïsme et l’orgueil. L’expression flatteuse de droits doit être adroitement ménagée ; ou devrait la faire accompagner de celle de devoirs , qui lui servirait de correctif. Il conviendrait qu’il y eût à la tête de cet ouvrage quelques idées religieuses noblement exprimées. La religion ne doit pas, il est vrai, être comprise dans les lois politiques ; mais elle ne doit pas y être étrangère. (Le côté du clergé applaudit vivement. On écoute avec calme dans la partie opposée.) Plusieurs membres parlent pour et contre la proposition de M. Camus. (De toutes parts on crie aux voix. — Les orateurs ne peuvent plus se faire entendre.) M. le President met aux voix la proposition de M. Camus, comme amendement à la question principale. L’épreuve par assis et levé est douteuse. On fait l’appel nominal. L’amendement est rejeté à la majorité de 570 voix contre 433. M. le Président fait part à l’Assemblée d’une note que le Roi vient de lui envoyer avec une lettre d’envoi. Il fait lecture de la lettre et de la note. Lettre du Roi au président de V Assemblée nationale. « Je vous envoie, Monsieur, une note que, comme président, vous lirez de ma part à l’Assemblée nationale. « Signé : Louis. » Note du Roi à l’Assemblée nationale. « Je crois, Messieurs, répondre aux sentiments de confiance qui doivent régner entre nous, en vous faisant part directement de la manière dont je viens de remplir les places vacantes dans mon ministère. « Je donne les sceaux à M. l’archevêque de Bordeaux (Champion de Cicé) ; la feuille des bénéfices à M. l’archevêque de Vienne (Le Franc de Pompignan) ; le département de la guerre à M. de la Tour-du-Pin-Paulin, et j’appelle dans mon conseil M. le maréchal de Beauveau. « Les choix que je fais dans votre Assemblée même vous annoncent le désir que j’ai d’entretenir avec elle la plus constante et ia plus amicale harmonie. « Signé : Loüis. » De nombreux applaudissements retentissent dans la salle. Cette note est lue une seconde fois ; les mêmes applaudissements se font entendre. L’Assemblée, sur la proposition de plusieurs de ses membres, vote unanimement une adresse de remercîment au Roi sur la marque de confiance qu’il vient de donner à l’Assemblée nationale. L’adresse est renvoyée au comité de rédaction. On revient à la discussion. La question est posée; et, presque à l’unanimité, l’Assemblée décrète que la Constitution sera précédée de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. M. d’Avaray propose les articles suivants pour servir de déclaration des principaux devoirs des Français : 1° Tout Français doit respect à Dieu, à la religion et à ses ministres ; il ne doit jamais troubler le culte public. 2° Il doit respect au Roi, dont la personne est sacrée et inviolable. 3° La première des vertus d’un Français est la soumission aux lois ; toute résistance à ce qu’elles lui prescrivent est un crime. 4° Il doit contribuer, dans la proportion de ses propriétés, de quelque uature qu’elles soient, aux frais nécessaires à la défense de l’Etat et à la tranquillité qu’un bon gouvernement lui assure. 5° Il doit respecter le droit d’autrui. Ce projet est renvoyé à l’examen des bureaux. M. le Président, annonce que deux députations demandent à entrer. La première est celle des sixeorps du commerce de la ville de Paris qui viennent présenter à l’Assemblée leur3 respects et leurs hommages.