[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 janvier 1790.] 64 Je ne me montre ni comme accusateur ni comme défenseur. 3e veux écarter le rapport entier. L’Assemblée n’est pas un tribunal; il ne faut point examiner des procédures, mais traiter une question de droit public. Il ne faut avoir sous les yeux qu’un seul objet, qui est la détention de M. le comte d’Albert; c’est son emprisonnement qu’il faut considérer; c’est l’emprisonnement d’un général que l’opinion publique appelle au commandement des armées. Il faut qu’il ait donné des preuves de son amour pour la liberté, qu’il ait eu de grandes qualités, qu’il ait été plein de l’enthousiasme de son pays, pour avoir fixé sur lui l’opinion publique. Son autorité serait affaiblie, s’il ne lui restait un moyen de se jus-tilier. Le commandant et les officiers de la marine, qu’ils aient eu tort ou non, ont été illégalement emprisonnés. Si un corps militaire quelconque avait traité de même les officiers municipaux, quelle indignation cet événement n’exciterait-il pas en nous? Nous devons maintenir la police du royaume; il faut que chaque autorité soit respectée, et que l’autorité civile soit, comme toutes les autres, maintenue dans ses bornes. On a insulté par des huées et des voies de fait un général et des officiers à qui l’on n’impute aucun abus d’autorité.... Je sais que dans tous les lieux, dans tous les temps, des généraux ont été méconnus dans les assemblées populaires. Vous savez qu’Annibal, après la bataille de Zama... {Murmures. — Au fait ! s1 écrie-t-on.) Voulez-vous des exemples plus rapprochés de nous? C’est sous Louis XIV, en 1692, que le maréchal de Luxembourg fut enfermé à la Bastille sur un simple soupçon. Que dit la nation, que dit l’armée, en apprenant que le héros de Steinkerque, de Ner-winde et de Fleurus était dans les fers? La nation lui rendit un hommage bien flatteur.... {Nouveaux murmures.) Je vous rappelle le tendre intérêt que la nation française prit au sort d’un héros infortuné, que le despotisme, entouré de la calomnie, précipita au fond d’un cachot, le maréébal de Luxembourg, enfermé à la Bastille après les victoires les plus éclatantes, et la France entière demandant un héros que la violence lui avait enlevé. Je reviens à M. d’Albert. Actuellement un officier français a été outragé. Il s’agit d’une ville dans laquelle il y a un port qui coûte un milliard à l’Etat. Nous ne devons pas être indifférents. Il faut délibérer, afin que les troupes nationales vivent en paix avec les troupes soldées. Ce serait au pouvoir exécutif à s’occuper de cette affaire; mais le pouvoir exécutif se trouvant à une si grande distance, ses ordres ne seraient peut-être pas exécutés. Il y a ensuite un autre moyen : c’est de renvoyer la cause au Châtelet; mais il n’y a pas lieu à ce renvoi, parce qu’il n’y a ni conspirateur, ni crime de lèse-nation. Quel est donc le moyen que l’Assemblée doit employer? Il est tout simple. Je suis étonné que les citoyens de Toulon n’y aient pas eu recours. Je ne demande aucune espèce de châtiment. Tous les intérêts doivent être balancés par des anges de paix. L’Assemblée nationale doit improuver les violences et les insurrections de Toulon; elle doit engager les officiers municipaux de cette ville, comme tuteurs de la cité, à aller prier les officiers des ports de la marine à vivre en paix avec eux. dent encore la parole, mais je ferai remarquer à l’Assemblée qu’il est temps qu’elle se retire dans ses bureaux pour procéder à l’élection d’un président et de trois secrétaires. La séance est levée sans qu’il soit pris aucune décision sur l’affaire de Toulon. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER. Séance du samedi 2 janvier 1790, au soir (1). A l’ouverture de la séance, on annonce qu’une députation des représentants de la commune et de la garde nationale de Paris, ayant à leur tête M. Bailly, maire, et M. le marquis de Lafayette, commandant général, demandent à être introduits à la barre pour complimenter l’Assemblée. La députation est admise. M. Bailly, maire , dit : « Messieurs, les représentants de la commune de Paris et la garde nationale viennent vous offrir leurs hommages; ils viennent devant vous former des vœux pour la conservation de la patrie, dont les destinées reposent sur vous. Nous avons jusqu’ici marché par des travaux pénibles; nous avons vécu entourés de dangers; mais dans ce renouvellement d’année, dans ce renouvellement de toutes choses, un jour plus beau va luire, une espérance qui s’accroît sans cesse fortifie notre courage. La loi commencée s’achève sans cesse entre vos mains, et lorsque la loi toute entière existera, la France sera sauvée, et nous commencerons à vivre. Jusque-là nous attendons la vie, et nous l’attendons de vous; mais cette loi, dont unepartie n’est pas encore édictée, dont une partie est encore renfermée dans votre sagesse, nous la respectons même avant que votre génie l’ait produite : nous inspirerons le respect au peuple de la capitale, qui a conquis la liberté par sa résolution, qui, quelquefois, s’est agité pour la défendre, et qui ne connaît pas encore assez les bornes et l’étendue légitime de cette possession nouvelle. C’est à nous à l’éclairer sur sa jouissance et sur les devoirs qu’elle lui impose; le plus important de tout est la soumission. C’est à la soumission à achever l’ouvrage de notre bonheur, et à terminer la révolution. Nous en donnerons l’exemple, nous qui avons l’honneur d’être pour la capitale ce que vous êtes pour la nation entière, et vous jugez, Messieurs, avec quelle joie et avec quel sentiment profond le maire de cette ville, qui a commencé chez vous son éducation nationale, se montrera le premier pour donner cet exemple si nécessaire; achevez donc la loi, Messieurs, et nous vous répondons de son exécution; achevez la loi avec un monarque digne de notre amour, et nous répondons à l’un et à l’autre de la soumission et de la fidélité dues à ces objets sacrés. — Achevez la loi, et le jour où la nation que vous représentez, où la capitale, dont nous sommes les organes, viendra la jurer devant vous, devant le monarque à qui vous remettez ce dépôt si respectable, ce jour sera celui de la renaissance de la monarchie, le commencement de sa prospérité et de sa véritable M. le President. Plusieurs membres deman-‘ (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 janvier 1790.] 63 grandeur; sous un roi bon et juste, nous avons tous contribué à acquérir la liberté ; mais nous ne pourrons être heureux que par sa bonté et par votre sagesse. » M. le Président, a la députation. Les citoyens de la ville de Paris donnent chaque jour de nouvelles preuves de patriotisme ; vous venez de l’entendre. L’Assemblée nationale applaudit aux nobles sentiments qui vous animent, et elle reçoit avec satisfaction vos hommages et vos vœux. M. le maire et M. le commandant général de la garde nationale savent avec quel plaisir on les reçoit ici. L’Assemblée les invite à prendre leurs places parmi nous, et elle vous permet, Messieurs, d’assister à la séance. M. le Président a lu une lettre de M. le contrôleur générai des finances, et un mémoire des administrateurs des domaines, joint à cette lettre, pour se plaindre d’une insurrection des habitants des Quatre-Yallées relativement à la perception des impôts. L’Assemblée a autorisé M. le Président à écrire aux municipalités des Quatre-Vallées, pour y faire établir le recouvrement des impositions. En passant à l’ordre du jour, on a fait lecture d’une adresse de la garde nationale de Rennes, qui se plaint à l’Assemblée de ce qu’un honorable membre, M. le vicomte de Mirabeau, a accusé la garde nationale d’avoir empêché, par ses menaces, les magistrats de la Chambre des vacations du parlement de Rennes de remplir ses fonctions. M. le vicomte de Mirabeau. Messieurs, lorsque, dans l’une de vos précédentes séances, je demandais un décret qui obligeât tous les membres de celte Assemblée de représenter les pièces sur lesquelles ils fondaient quelque dénonciation, je ne m’attendais pas à être le premier sur qui frapperait ce décret. Vous venez d'entendre que la garde nationale de Rennes m’accuse, et j’ose le dire, en termes peu mesurés. Elle a l’air de se piquer de générosité à mon égard ; mais avant d’être généreux, il faut être juste et certainement rien ne l’est moins que l’inculpation qu’on me fait. J’userai moi-même de générosité envers la garde nationale de Rennes ; mais avant je crois pouvoir porter le défi le plus formel, à qui que ce soit, de pouvoir me convaincre d’avoir tenu, dans la séance du 15 décembre au soir, aucun des discours que l’on m’impute. En conséquence, je supplie l’Assemblée d’autoriser M. le président à écrire à la garde nationale de Rennes pour l’instruire qu’on l’a induite en erreur sur mon compte. M, La Ville-Leroux. Gomme député de Bretagne, j’appuie la demande de M. le vicomte de Mirabeau, parce que je la trouve juste et que je ne veux pas laisser subsister d’erreur dans l’esprit de mes compatriotes. Un grand nombre de membres: Nous appuyons la motion. �Assemblée charge M. le président d’écrire à la garde nationale de Rennes. L’Assemblée autorise les inspecteurs des bureaux : 1° à faire payer à deux des secrétaires commis, la somme dé 130 livres pour chacun de3 deux mois de novembre et décembre ; 2° à faire payer la somme de 600 livres à trois commis pour un travail extraordinaire à l’expédition des. procès-verbaux de conférence, laquelle somme iis partageront également entre eux; 3° à faire payer lr« SÉRIE, T. Xï. à un autre commis la somme de 200 livres, à lui promise au mois de juillet dernier. M. Lebrun, membre du comité des finances , représente que différentes provinces et notamment celle du Berry ont toujours été dans l’usage de faire payer aux contribuables la cote de leurs propriétés sur le lieu de leur domicile et non sur le ieu de l’exploitation ; que cependant les rôles de a province du Berry étaient presque entièrement finis, avant qu’on y eût connaissance du décret de l’Assemblée du 17 décembre, et à ce sujet, il propose, pour éviter les retards dans la perception des impôts de cette province, le décret suivant: « L’Assemblée nationale, considérant que l’administration provinciale du Berry a presque entièrement terminé le travail des départements, d’après l’esprit et la lettre du décret du 26 septembre dernier ; qu’on n’a point connu jusqu’ici dans cette province la distinction des cotes d’exploitation et des cotes de propriété ; que de là résulte la nécessité d’nn long et pénible travail pour se conformer aux décrets des 28 novembre et 27 décembre, et un retard préjudiciable dans les perceptions ; c Considérant enfin que le mode d’imposition suivi par l’administration provinciale du Berry, remplit les vues de justice et de bienfaisance qu’elle s’était proposées, puisque les ci-devant privilégiés seront imposés exactement comme l’étaient les non-privilégiés, a décrété et décrète que les départements déjà faits dans la province du Berry subsisteront, et que ceux qui restent à faire seront terminés d’après les mêmes principes et dans les mêmes formes que les premiers. » M. Gaultier de Biauzat présente un amendement à ce projet de décret, mais il le retire sur-le-champ. M. le Président met la question aux voix, mais," comme il remarque que beaucoup de membres restent assis sans prendre part au vote, il en fait la remarque à l’Assemblée. Un membre se lève et dit : Je ne puis donner mon opinion sur une affaire que je ne connais pas. Ayez la bonté de rouvrir la discussion, alors je saurai de quel côté ma conscience me guidera. La discussion recommence. M. Le Chapelier dit que, relativement au mode d’imposition, concernant les ci-devant privilégiés, il fallait suivre celui prescrit par les décrets des 26 novembre et 16 décembre ; en conséquence imposer les contribuables, non sur le lieu de leur domicile, mais sur celui de la situation des biens, qu’autrementla plupart des riches propriétaires des villes franches de Bourges et d’Issoudun et qui demeuraient soit à Paris, soit aux environs de Paris, échapperaient à l’imposition. M. Emmery a soutenu que la peine, assez mince en elle-même, que pouvait éprouver a commission intermédiaire du Berry pour imposer également les contribuables, ne devait pas être prise en considération et suspendre l’exécution des décrets de l’Assemblée. Il a demandé qu’il n’y eût lieu à délibérer sur le projet de décret proposé par M. Lebrun. M. le Président a mis cette motion aux voix et elle a été adoptée. 5