[Assemblée nationale.] fait offre du moins imposé au profit des anciens taillables. Adresse de la ville de Crest en Dauphiné, contenant que, sans avoir égard aux écrits répandus dans la province, contraires aux principes de l’Assemblée nationale, elle adhère aux décrets concernant la division du royaume; elle annonce que les déclarations des habitants pour leur contribution patriotique, arrivent en l’état à plus de 50,000 livres etdemandeavecinstance d’être chef-lieu de département ou de district. Adresse des officiers municipaux, comité et citoyens de la�ville de Béthune, qui voulant, autant qu’il est en eux, détruire les doutes injurieux répandus par les ennemis de la révolution sur la fidélité des provinces belgiques, et manifester leur patriotisme et leur zèle pour la défense de la Constitution qui assure à jamais la liberté et le bonheur de la nation, déclarent unanimement qu’ils adhèrent à tous les décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le Roi, s’engagent d’en maintenir l’exécution, de les soutenir et de les défendre de toutes leurs forces et par toutes les voies qui sonten leur pouvoir, llsprésentent cette déclaration à l’Assemblée comme un tribut de l’admiration qu’inspirent à tous les bons citoyens sa sagesse, son courage, ses lumières et ses vertus. Adresse des citoyens patriotes de la ville de Grenoble qui, s’élevant avec la plus grande force contre les ennemis du bien public, renouvellent, avec une fermeté inébranlable, le serment qu’ils ont déjà fait le 15 juillet 1789, de verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour maintenir l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. L’Assemblée, touchée des sentiments de patriotisme exprimés dans l’adresse de Grenoble, a ordonné l’impression de cette adresse, dont suit la teneur : « Nosseigneurs, « Quand de perfides ministres, prodigues du sang des peuples, investissaient l’Assemblée nationale d’armes et de soldats, et appelaient la guerre civile à l’appui du despotisme, les citoyens de Grenoble, brûlant de partager vos dangers et vos alarmes, ne furent pas les derniers à prendre une résolution courageuse; ils jurèrent sur l’autel de la patrie (1), de rester inébranlablement attachés aux principes que vous annonciez seulement alors, et que vous avez ensuite développés avec une fermeté et une énergie dont les siècles passés n’offrent pas un autre exemple. Ce serment prononcé en présence du juge redoutable des rois et de leurs sujets, il n’est point de jour que les citoyens de Grenoble ne l’aient renouvelé au fond de leurs cœurs, comme il n’en est point qui n’ait été marqué par les victoires signalées que vous avez remportées sur d’antiques et barbares préjugés. c Le fanatisme terrassé; le régime féodal anéanti; le colosse de l’aristocratie abattu; les droits de l’homme recouvrés ; les devoirs du citoyen reconnus et rétablis; tous les privilèges, tous les abus qui pèsent sur le peuple, réformés ou marqués pour l’être; enfin, toutes les plaies de l’Etat sondées et découvertes ; telles sont les bases de la Constitution que votre sagesse a élevée sur les débris du despotisme; tels sont les titres immortels qui vous assurent, Nosseigneurs, les hom-(1) Délibération du 15 juillet 1789. lre SÉRIE. T. XI. [21 janvier 1790] 273 mages de vos contemporains et la reconnaissance de la postérité. * Il existe, sans doute, des esclaves, façonnés au joug, qui regrettent, comme les compagnons d’Ulysse, leur ancien abrutissement; qui, au lieu de se réjouir avec les gens de bien des progrès de la raison et de l’humanité, préfèrent de s’associer à la honte et aux ressentiments des lâches qui ont trahi la cause de la Patrie ; qui, enfin, ne craignent pas de répondre par des blasphèmes aux chants d’allégresse et d’admiration que vos noms et vos vertus excitent de toutes parts. Mais quelle est la cité en France qui ne se trouve pas souillée de ce mélange impur? Quel est le coin du royaume que les ennemis du peuple n’aient pas tenté de bouleverser ou d’asservir ? en est-il un seul qui n’ait pas été couvert de leurs libelles, ou agité par leurs manœuvres ? «Au milieu de ce tourbillon d’intrigues et de dépravation, le patriotisme des citoyens de Grenoble ne s’est point démenti : presque tous sont demeurés fidèles à leur serment ; et quoiqu’on n’ait cessé de calomnier leurs intentions et de les effrayer sur les réformes salutaires auxquelles vous travaillez avec tant d’intrépidité, ils n’ont changé ni de caractère ni de principes : ce sont toujours les mêmes hommes qui offrirent à leurs députés le sacrifice de leurs fortunes et de leurs vies pcmr les défendre contre les attaques de la tyrannie ; la liberté est encore pour eux le souverain bien ; et ils sont prêts aujourd’hui, comme alors, à verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour faire exécuter vos augustes décrets, et affermir l’heureuse Constitution à laquelle est attachée votre gloire, ainsi que la prospérité de l’Etat. « Nous sommes avec le plus profond respect, « Nosseigneurs, vos très humbles, etc. « Les citoyens patriotes soussignés de la ville de Grenoble ; et ont signé plus de six cents citoyens. » Adresse de renouvellement d’adhésion de la municipalité et des négociants de la ville de Cherbourg; ils présentent, avec respect et soumission, des observations sur l’importance de la traite des noirs et des dangers de la supprimer. Adresse de la Société des amis des noirs de Paris, pour l’abolition de la traite des noirs, ainsi conçue : Nosseigneurs, l’humanité, la justice et la magnanimité qui vous ont dirigés dans la réforme des ai>us les plus profondément enracinés, font espérer à la Société des amis des noirs, que vous accueillerez avec, bienveillance sa réclamation en faveur de cette nombreuse portion du genre humain, si cruellement opprimée depuis deux siècles. Cette Société, si lâchement, si injustement calomniée, ne tient sa mission que de l’humanité qui l’a portée à défendre les noirs, même sous le despotisme passé. Eh ! peut-il être un titre plus respectable aux yeux de cette auguste Assemblée, qui a si souvent vengé dans ses décrets les droits de l’homme? Vous les avez déclarés, ces droits; vous avez gravé sur un monument immortel, que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits; vous les avez rendus, ces droits, au peuple français, que le despotisme en avait si longtemps dépouillé; vous venez de les rendre à ces braves insulaires, aux Corses, jetés dans l’esclavage sous le voile de la bienfaisance; vous avez brisé les liens de la féodalité qui dégradaient encore une partie de nos concitoyens; vous avez annoncé la 48 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 27** [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1790.] destruction de toutes les distinctions flétrissantes que les préjugés religieux ou politiques avaient introduites dans la grande famille du genre humain. Les hommes dont nous défendons la cause n’ont pas des prétentions aussi élevées, quoique citoyens du même empire et hommes comme nous, ils aient les mêmes droits que nous. Nous ne demandons point que vous restituiez aux noirs français ces droits politiques, qui seuls, cependant, attestent et maintiennent la dignité de l’homme ; nous ne demandons pas même leur liberté. Non ; la calomnie, soudoyée sans i doute par la cupidité des armateurs, nous en a prêté le dessein et l’a répandu partout; elle voulait soulever tous les esprits contre nous, soulever les planteurs et leurs nombreux créanciers, dont l’intérêt s’alarme de l’affranchissement même gradué. Elle voulait alarmer tous les Français* aux yeux desquels on peint la prospérité des colonies, comme inséparable de la traite des noirs et de la perpétuité de l’esclavage� Non, jamais. une pareille idée n’est entrée dans nos i esprits; nous l’avons dit, imprimé dès l’origine de notre Société, et nous le répétons, afin d’anéantir cette base, aveuglément adoptée par toutes les villes maritimes, base sur laquelle reposent presque toutes leurs adresses. L’affranchissement immédiat des noirs serait non-seulement une opération fatale pour les colonies; ce serait même un présent funeste pour les noirs, dans l’état d’abjection et de nullité où la cupidité les a réduits. Ce serait abandonner à eux-mêmes et sans secours des enfants au berceau ou des êtres inutiles et impuissants. ll n’estdooc pas temps encore de la demander, cette liberté; nous demandons seulement qu’on cesse d’égorger régulièrement tous les ans des milliers de noirs, pour faire des centaines de captifs; nous demandons que désormais on cesse de prostituer, de profaner le nom français, pour autoriser ces vols, ces assassinats atroces ; nous demandons en un mot l’abolition de la traite, et nous vous supplions de prendre promptement en considération ce sujet important. Faut-il, pour vous y déterminer, vous mettre sous les yeux le tableau de cet horrible commerce? Vous peindrons-nous les manœuvres infâmes employées par Jes armateurs, les capitaines ou leurs facteurs, pour se procurer des noirs ? Vous citerons-nous ces marchés de chair humaine, faits au milieu d’une orgie préméditée, où pour quelques flacons d’une liqueur enivrante, ou de misérables hochets, on force un prince à chasser ses sujets, comme des bêtes fauves, à les voler, à les vendre? Vous citerons-nous ces procès commandés par les Européens, où l’injustice du prince condamne tant d’innocents à un esclavage dont son avarice doit retirer le fruit? Vous citerons-nous ces guerres sanglantes, où, pour payer des dettes artificieusement imposées, on force encore ces princes à surprendre et à enchaîner leurs paisibles voisins ? Vous seriez révoltés, si nous exposions à vos regards toutes les circonstances de ce brigandage atroce, si nous vous racontions, par exemple, qu’en surprenant les noirs dans leurs cabanes, leurs chasseurs inhumains arrachent souvent de leurs bras leurs petits enfants, qu’ils abandonnent ensuite à la faim, à la mort, parce que leurs bras trop faibles seraient inutiles et coûteux à leurs bourreaux! Et les hommes qui spéculent sur ce brigandage, qui le commandent, qui en vivent, se disent encore humains 1 Eh ! si vous vous transportiez ensuite dans ces prisons •flottantès; dans ces cloaques dont l’espace est mesuré par l’avarice, où l’on entasse les uns* sur les autres ces malheureux Africains; quel sentiment douloureux n’éprouveriez-vous pas à cet aspect affreux ! Représentez-vous ces infortunés; furieux d’être arrachés à leur patrie, à leurs enfants, qu’ils ne reverront jamais, se croyant entre* les mains d’anthropophages et destinés à la boucherie, amoncelés dans des entre-ponts étroits, dont l’infection et la chaleur étouffantes sont augmentées par un soleil dévorant; enchaînés deux à deux, condamnés par les chaînes et cet entassement au supplice affreux d’une immobilité, immobilité qui n’est interrompue que dans les tempêtes, par les tourments plus cruels encore de roulis violents. Représentez-vous ces captifs Violemment froissés les uns contre les autres, déchirés par le frottement de leurs chaînes, suffoqués dans les temps pluvieux par l’interruption totale de l’air, aspirant au lieu d’air des exhalaisons putrides, rongés par des maladies infectes, appelant la mort qui frappe à leurs côtés et ne la trouvant souvent que dans un poison bienfaisant administré par les calculs de la cu-r pidité. Ah! qui peut contempler ce spectacle, sans frissonner d’horreur, sans être révolté de voir des hommes traiter avec cette inhumanité leurs semblables!... On vous dira que ces tableaux sont des déclamations romanesques. Ne le croyez pas : le tableau de ces faits attestés même par les capitaines de vaisseaux négriers, est encore au-dessous de la réalité, et les* pinceaux les plus énergiques sont trop faibles pour le rendre. On vous dira que le pays habité par des noirs est un pays affreux et stérile, que les hommes y sont anthropophages, toujours en guerre ; mensonges démentis par les armateurs mêmes; car ils disent, d’un autre côté, que ce pays est couvert d’une population immense, qui se renouvelle rapidement. Or, comment accorder cette population avec la stérilité et l’anthropophagisme? Et la stérilité du pays est-elle d’ailleurs une cause qui autorise l’esclavage ? On vous dira que ce commerce subsiste depuis longtemps. Mais le brigandage se légitime-t-il par la prescription ? On vous dira que de grandes propriétés sont fondées sur la traite, que de grands capitaux ont été versés à l’ombre de la loi qui la permettait; que l’abolir, c’est ruiner des commerçants de bonne foi. Mais de quel poids peut être l’or de ces commerçants, mis dans la balance, avec le sang de milliers d’hommes versés tous les ans ? De quel poids peut être un pareil calcul aux yeux d’une assemblée qui met la justice et les droits de l’homme au-dessus de tout bien? 11 n’est aucun gain, aucune propriété, qui puisse légitimer l’assassinat prémédité, marchandé, de millions d’hommes. Eh ! ne croyez pas, d’ailleurs, à ce tableau de pertes exagérées ! Nous vous prouverons, quand vous daignerez nous entendre, que le petit nombre de vaisseaux employés à cette traite barbare le sera bien plus fructueusement à d’autres commerces, sur cette côte même d’Afrique et dans d’autres mers, commerces qui s’ouvriront, lorsque le génie de la fiscalité ne les enchaînera plus. On vous dira que l’abolition de la traite portera le coup le plus funeste à la marine, au revenu public, aux colonies, au commerce. Et nous vous démontrerons que ce commerce emporte chaque année dans le tombeau la moitié [Assemblée nationale.] ARGH1VES PARLEMENTAIRES. [21; janvier 17901]- gtffe des matelots qm y sont* condamnés, gangrène physiquement et moralement l’autre ■ moitié, et infecte de la contagion les autres commerces. Nous' vous démontrerons que la traite est un fardeau pesant pour les revenus publics ; que, pour la soutenir, l'Etat est obligé d’entretenir à grands frais des établissements en Afrique; qu’il est encore obligé de payer annuellement une prime d’environ deux millions cinq cent mille livres, que cette prime est triplement funeste, en ce qu’elle sert à alimenter un commerce de sang ; en ce que, pour la payer, on enlève à l’indigent habitant de nos campagnes le fruit do son travail; en ce qu’elle se verse, pour la plus grande partie, dans les mains des armateurs anglais, auxquels des négociants français ne rougissent pas de prêter leur nom, pour éluder l’intention du gouvernement. Nous vous' démontrerons que la traite des noirs n’est point un commerce avantageux à la France; qu’elle lutte contre des désavantages qui lui sont particuliers, puisqu’elle ne peut exister sans une prime considérable, tandis que l’Angleterre n’en accorde aucune de ce genre à ses armateurs. Nous vous démontrerons que la nécessité de lui accorder cette prime prouve incontestablement combien ce commerce' est ruineux; que les armateurs français conviennent eux-mêmes de l’impossibilité de soutenir la traite française sans ce secours; que malgré cette prime, ils aiment mieux se concerter avec des armateurs anglais que de courir des risques ; en sorte que la traite française n'est, dans la réalité, qu’un prétexte, pour voler l’Etat au profit d’étrangers. Nous1 vous démontrerons que cette traite a été de tout temps ruineuse ; que dix compagnies y ont vainement englouti des fonds immenses ; que la compagnie actuelle du Sénégal serait déjà ruinée sans les monopoles qu’elle exerce et sans les profits qu’elle a faits sur la gomme et quelques autres productions de l’Afrique.; qu’en portant le commerce sur ces productions, on ouvrirait un débouché bien plus avantageux pour nos manufactures. A l’égard des colons, nous vous démontrerons que, s’ils ont besoin de recruter des noirs en Afrique, pour soutenir la population des colonies au même degré, c’est parce qu’ils excèdent les noir de travaux, de coups de fouet, d’inanition; que s’ils les traitaient avec douceur et en bons pères de famille, ces noirs peupleraient, et quecette population, toujours croissante, augmenterait la culture et la prospérité ; que l’expérience de beaucoup de planteurs anglais et français, pendant un grand nombre d’années et dans différentes îles, atteste ces vérités incontestables, que la douceur du traitement augmente la population que la population indigène dispense des recrues étrangères, et par conséquent enrichit le maître en améliorant le sort de l’esclave. Or, ce qui se fait dans vingt habitations peut s’exécuter et réussir dans cinq cents et par conséquent dans toutes les îles à sucre. Nous vous démontrerons que l’abolition de la traite sera avantageuse aux colons, parce que son premier effet sera d’amener cet état de choses, de brcer les maîtres à bien traiter, bien nourrir eurs esclaves, à favoriser leur population, à les aider dans leurs travaux, par le secours des bestiaux et d’instruments qui multiplieront les travaux en les facilitant; parce que ces nègreséiant mieux secondés, feront mieux et davantage, dans le même espace de temps, et par conséquent produiront davantage ; parce que la population noire s’augmentant par elle-même daws'lesîles; plus de travaux, plus» de défrichements et moinsu de mortalité en résulteront, puisqu’il est démos-tréqueles nègres-créoles sont plus laborieux, plus' tranquilles, mieux acclimatés; et--par conséquent moins sujets aux maladies que les nègres africains1. Nbus vous démontrerons que l’abolilion de*lat traite sera avantageuse aux colons» parce 1 que* n’ayant plus de noirs à acheter, ils ne seront plus obligés de contracter des dettes énormes envers les armateurs et capitalistes d’Europe , qui» les engagent, par leur crédit meurtrier, à continuer ce recrutement pernicieux d’esclaves : dettes' dont le montant ne peut que se tripler rapide* ment par la hausse rapide et infaillible du prix des noirs, qui, ne pouvant plus se voler qu’à des I distances immenses dans l’intérieur de l’Afrique, deviennent une marchandise très chère: Nous vous démontrerons que cette abolition sera même avantageuse à nos manufactures, parce que ' dans cet ordre de choses, les planteurs-ayant moins d’avances ■ à faire et traitant mieux» leurs» esclaves, la population s’accroîtra rapidement et par conséquent la consommation de nos denrées,' parce que le superflu des avances libres sera reversé sur les objets de nos manufactures, dont1 les maîtres et les esclaves consommeront unemeil-leure qualité et une plus grande quantité ; parce; que cette consommation s'accroîtra encore, lors que les esclaves pouvant disposer de leur travail, acquérir de l’aisance et leur liberté, adopteront' -nos goûts et nos habitudes, et pourront consa* crer une partie du fruit de leurs travaux à l’a-i chat dés marchandises européennes. : Eh ! ne vous laissez pas écarter du devoir» que 1 vous impose ici l’humanité, par la crainte de? quelque interruption, dans les travaux peu nombreux qu’occasionne/en France la traite des noirs?’ Avez-vous écouté cette crainte, lorsque» d’une » main hardie , vous avez renversé tous les abus qui contrariaient une constitution libre ? Ces abus ! alimentaient cependant des milliers d’individus»? la commotion causée par cette révolution, a jeté» toutes les fortunes dans l’incertitude, fait resser* rer les capitaux, suspendu presque tous les travaux. Quel mauvais citoyen ose cependant se* plaindre de cette suspension nécessaire I Ce n’était pourtant pas votre sang que versaient vos tyrans; ils ne violaient pas à chaque instant l’asile de votre maison ; ils ne vous condamnaient! pas injustement pour avoir le droit de vous vendre; ils ne vous arrachaient pas à vos foyers' pour vous plonger dans une éternelle captivité» et sur une terre étrangère. Or, si, pour recouvrer la liberté, à laquelle, sans» doute, on doit sacrifier la vie même, vous n’avez* pas balancé à suspendre le mou vement d’une immense société, pourriez-vous balancer, lorsqu’il. s’agit du sang de milliers d’hommes, à suspendre» le commerce de quelques individus, par la crainte de compromettre leur fortune? ils sont pères; de famille ! Eh quoi ! ces nègres ne sont-ils pas. pères aussi ? n’ont-ils pas aussi une famille à entretenir? Mais, d’ailleurs, on s’exagère toujours l’effet de ces commotions, dans les travaux, produites pari de grandes inventions. Le travail peut être momentanément suspendu; mais il reprend bientôt' Dour une autre destination où un autre emploi' ui succède. Et comment autrement expliquer 'effet de ces guerres, qui, pendant longiemps, interrompent le commerce? La guerre dernière qui pendaot six ans. a suspeadu la traite, a-t-elle 276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1790.] fait descendre dans le tombeau les cinq à six millions d’individus, dont, par un calcul extravagant, on attache l’existence à la traite ? Gomment encore expliquer l’effet de ces découvertes, qui, simplifiant les travaux, paralysent les bras de milliers d individus ? La machine â filer le coton a, par exemple, réduit d’abord à une inaction momentanée plus d’ouvriers que l’abolition de la traite des noirs ne le fera. Or, a-t-on balancé, pour leur intérêt, à employer partout 1 heureuse découverte d’Arkwright? On prétend calculer l’effet futur de cette stagnation par celle qui existe déjà dans les armements pour la traite, stagnation qu’on attribue à la réclamation de la Société des amis des noirs. Mais cette stagnation est-elle aussi grande qu’on la peint? Est-elle le produit de la seule réclamation des amis des noirs? Ne tient-elle pas à cette cause générale de suspension, d’engourdissement, qui attaque toutes les branches au commerce, à la stagnation ou l’exportation du numéraire, au défaut de confiance, au défaut de gouvernement? Si nous examinions toutes ces questions, il nous serait facile de disculper la Société. Mais cette justification est inutile. Les armements pour la traite languissent ; tant naieux. C’est un fléau de moins. Le coup est porté dans cette partie du commerce ; il ne peut que s’étendre, et au lieu de gémir sur ses conséquences, il faut s’occuper des moyens de changer le mal en bien, de substituer un commerce humain et utile à un commerce barbare, destructif et. désavantageux. Cette circonstance même vous fait donc la loi de presser l’examen de notre pétition; et pour l’intérêt du commerce et des planteurs, vous devez hâter l’abolition de ce commerce, qui, frappé dans l’opinion publique, ne pourrait jamais subsister, quand même l’Assemblée nationale ne le proscrirait pas. Ou vous dira, sans doute, qu’il suffirait d’adoucir la traite, au lieu de l’abolir ; qu’on pourrait en diminuer l’horreur... Vains palliatifs! Le parlement d’Angleterre les a tentés, et la loi a. été infructueuse. Les armateurs ont eux-mêmes déclaré que ces adoucissements étaient incompatibles avec la traite. Ainsi, ceux-là même qui sollicitent la continuation de cet exécrable trafic, ont déclaré qu’en dernière analyse, pour le rendre profitable, il fallait conserver tout ce qu’il a d’atroce ; que tout y est combiné ; que la traite des noirs devient un commerce ruineux, si l’on ne peut pas, à tous risques, en entasser un grand nombre, dans l’espace calculé rigoureusement pour un nombre beaucoup moindre; si l’on ne peut enfin contenir leur désespoir par la terreur. On vous dira, et c’est l’éternelle objection des armateurs : si nous abandonnons ce commerce, les Anglais en recueilleront seuls les fruits. Eli ! qu’importe, si c’est un commerce infâme, d’en abandonner la honte et le profit à nos voisins ! Pourquoi regretter d’ailleurs des profits qui ne sont qu’imaginaires, puisque ce commerce est ruineux par sa nature, puisqu’il n’y aurait qu’une chance inévitable de perte, s’il n’y avait pas une prime pour la couvrir? Pourquoi regretter de céder ce commerce aux Anglais , aux étrangers, lorsqu’ils fournissent les quatre cinquièmes du commerce général, et au moins le tiers du nôtre? Pourquoi regretter de le leur laisser, lorsqu’il a été démontré d’une manièie incontestable, par j les auteurs anglais même, qre ce commerce est f le tombeau de la marine anglaise; que pour soutenir, d’une manière précaire et languissante quelques maisons de commerce de Liverpool et de Bristol, on porte un préjudice immense au commerce en général ; que l’abolition de la traite anglaise serait tout à la fois avantageuse aux colonies anglaises et. aux revenus publics? N'en doutons pas, le moment où ce commerce sera aboli, même en Angleterre, n’est pas éloigné. Il y est condamné dans l’opinion publique, dans l'opinion même des ministres. Le parlement ne se serait pas prêté, à la solennité de ce grand procès, n’en aurait pas ordonné l’instruction dans le plus grand détail, s'il n’eût pas prévu qu’il ne restait plus qu’à motiver sa destruction. Elle semble éprouver des lenteurs; c’est que le ministère, et il existe des preuves de ce fait, s’occupe en silence des moyens de montrer, à l’instant même où l’abolition de la traite sera prononcée, un remplacement qui présente immédiatement au commerce anglais, habitué aux expéditions pour l’Afrique, une occupation propre à le dédommager. Ces lenteurs dans la décision touchent à leur fin, et l’empressement avec lequel le parlement vient de déclarer qu’il s’occuperait immédiatement et constammentde cette matière importante dans cette session, prouve l’opinion générale de ses membres, qu’il n’est pas un moment à perdre pour arrêter l’effusion du sang africain. Eh 1 comment a-t-on pu sérieusement avancer que cette marche du parlement, de la nation anglaise, des ministres, n’était qu’un jeu pour nous tromper? Peut-il exister un pareil concert parmi tant d’individus, dont les intérêts sont si différents et si opposés ? Peut-on supposer ce concert miraculeux pour conserver à quelques maisons de Liverpool ce privilège exclusif de continuer un commerce inhumain ? Enfin l’on vous dira, pour vous détourner d’une matière aussi pressante, qu’abolir la traite, que même en prendre la résolution en considération, c’est allumer la révolte parmi les noirs. Tel était aussi le langage qu’on tenait autrefois, pour empêcher la réforme des abus parmi nous. Est-ce doncavec des actes de bienfaisance qu’on irrite les hommes? Ah! si les oppresseurs des noirs sont, à force de tourments et d’humiliations, parvenus à éteindre presque tous les sentiments dans leur âme, ils n’ont pas au moins éteint celui de la reconnaissance; mille faits éclatants en déposeront. Et de quelle reconnaissance ne seront-ils pas pénétrés quand ils apprendront que la première assemblée de la France veut adoucir leur sort, empêcher à jamais le meurtre de leurs semblables! leurs chaînes leur sembleront moins pesantes en pensant, que peut-être un jour leurs enfants n’en seront plus accablés. Ils n’enseveliront plus leur postérité dans le néant. Mieux traités, ils attendront avec patience le moment où leur esclavage devra finir, et la sédition sera loin de leur âme. Est-on séditieux au sein des bons traitements? Si quelque motif pouvait au contraire les porter à l’insurrection, ne serait-ce pas l’indifférence de l’Assemblée nationale sur leur sort? ne serait-ce pas la persévérance à les charger de chaînes, lorsqu’on consacre partout cet axiome éternel : que tous les hommes sont nés libres et égaux en droits! Eh quoi donc, il n’y aurait pour les noirs que des fers et des gibets, lorsque le bonheur luirait pour les seuls blancs? N’en doutons pas, notre heureuse révolution doit réélectriser les noirs, que la vengeance et le ressentiment ont élec- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il janvier 1790.] ®77 trisés depuis longtemps; et ce n’est point avec des supplices qu’on réprimera l’effet de cette commotion; d’une insurrection mal apaisée en naîtront vingt autres, dont une seule peut ruiner à jamais les colons. Il n’est qu’un moyen pour les prévenir; c’est r.abolition de la traite; c’est au moins la résolution prise par cette assemblée de s’en occuper sans délai. La nouvelle d’un décret, même préparatoire, produira deux bons effets à la fois; elle calmera l’effervescence des noirs, elle forcera les planteurs, qui n’attendront bientôt plus de recrues africaines, à mieux traiter leurs noirs. Ainsi vous arrêterez, d’un seul mot, l’effusion du sang sur les côtes d’Afrique, les traitements barbares dans nos îles, et vous préparerez, par un autre ordre de choses, une prospérité durable pour nos colonies. Eh ! ne vous laissez point effrayer par la crainte d’exciter le ressentiment des" villes engagées dans la traite, et de les voir s’opposer à la révolution ; c’est les outrager que de leur prêter une pareille vengeance; c'est s’outrager que de la craindre. Malheur aux villes qui, pour se venger d’un juste décret, auraient recours à une opposition aussi criminelle! Elles ne seraient pas dignes d’être libres. Malheur aux législateurs qui écouteraient ces craintes! Ils seraient indignes de leur titre. Si donc vpus attachez le plus grand intérêt et à votre gloire et au respect pour les grands principes et à la conservation des colonies, hâtez-vous, non d’abolir la traite ; nous ne cherchons pas à précipiter cette décision, quoique nous soyons convaincus de sa justice etdeses avantages; mais bâtez-vous de prendre promptement en considération la demande de cette abolition; et, si les grands objets qui fixent maintenant vos regards, ne vous permettent pas de nous entendre et d’examiner tous les faits et les calculs que nous pouvons vous offrir, hâtez-vous au moins de déclarer vos principes sur cette question, de déclarer à l’univers que vous ne prétendez pas les écarter, lorsqu’il s’agit de l’intérêt d’une autre nation. L’honneur du nom français l’exige. Les peuples libres d’autrefois ont déshonoré la liberté en consacrant l’esclavage qui leur était profitable. Il est digne de la première assemblée libre de la France, de consacrer le principe de philanthropie qui ne fait du genre humain qu’une seule famille, de déclarer qu’elle a en horreur ce carnage annuel qui se fait sur les côtes d’Afrique, qu’elle est dans l’intention de l’abolir un jour, d’adoucir l’esclavage qui en est le résultat, d’en rechercher, d’en préparer, dès à présent, les moyens. Nous vous en conjurons, au nom des colonies mêmes, qu’une pareille déclaration peut seule tranquilliser, au nom de votre gloire, au nom de la justice, au nom de l’humanité, à laquelle un mois, un jour de délai coûte des flots de sang... Nous vous en conjurons enfin au nom du ciel, qui contemple sans doute avec joie la révolution que vous avez opérée, qui la bénira, qui la protégera bien plus fortement, en vous voyant employer votre pouvoir pour essuyer les larmes de ces infortunés contre lesquels la cupidité européenne conspire depuis si longtemps. Signé : Brissot de Warville, président. Le Page, secrétaire . M. le Maréchal, négociant à Rugles, député du bailliage d’Evreux, annonce par lettre qu’une maladie grave de son épouse est cause qu’il n’est pas encore de retour à l’Assemblée nationale. M. le Président annonce qu’il a reçu de M. le garde des sceaux une note par laquelle il annonce que le Roi a donné ses ordres : 1° Pour l’exécution du décret du 14 de ce mois, concernant l’exécution des marchés faits dans les ports; 2° Pour l’exécution du décret du 19, qui lui a été présen té hier pour la surséance d’une procédure criminelle qui s’instruit à Strasbourg; 3° Pour l’exécution du décret du 20 de ce mois, concernant le faubourg Saint-Laurent-lès-Châ-lons; 4° Pour la traduction des décrets de l’Assemblée dans les différents idiômes usités dans le royaume. Ils le sont déjà en italien pour la Corse ; 5° Pour l’exécution du décret du 18 de ce mois, et dont l’objet est d’affranchir de la formalité du contrôle et des droits de papier timbré, les actes relatifs aux élections des municipalités et les délibérations qui seront prises pour la constitution des municipalités et autres corps administratifs, ainsi que pour toutes les opérations administratives et le décret accepté par le Roi va être envoyé dans tout le royaume ; 6° Pour l’exécution du décret du 12 de ce mois, et présenté hier à Sa Majesté, pour autoriser les commissions intermédiaires des pays d’Etat à rendre exécutoires les rôles d’impositions; et ce décret sanctionné par le Roi va être envoyé dans toutes les provinces qui étaient régies par des Etats particuliers; 7° Pour l’exécution du décret du 20 de ce mois, et qui a pour objet de déterminer l’état des villes, villages, paroisses et communautés qui ont été jusqu’aujourd’hui mi-parties entre différentes provinces ; et ce décret accepté par le Roi sera envoyé incessamment dans tout le royaume. Signé : Champion de Cicé, arch. de Bordeaux. M. le Président dit que M. le garde des sceaux lui a annoncé qu’on ne pourrait rien décider sur l’affaire de Marseille tant que le rapport n’aura pas été fait à l’Assemblée. L’Assemblée décide que le rapporteur sera entendu samedi. M. Mougins de Roquefort, membre du comité des rapports, rend compte à l’Assemblée des persécutions qu’a éprouvées, dans sa patrie, le sieur Tribert, commerçant en grains dans la province du Poitou et chargé par le gouvernement, dans le courant de l’année dernière, de faire des approvisionnements pour la ville de Paris. Les persécutions contre sa personne ont été telles que cet honnête citoyen, irréprochable dans sa conduite, a été obligé d’abandonner ses foyers, et il estem core dans le moment présent, hors de son pays. M. le rapporteur propose au nom du comité, et l’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblé nationale, après avoir ouï le rapport d’un membre de son comité des rapports, « Déclare qu’elle approuve la conduite tenue par le sieur Tribert, négociant à Poitiers, à raison des achats de blé qu’il a faits par ordre du gouvernement, dans le mois de juillet dernier, pour l’approvisionnement de la ville de Paris; le met en conséquence sous la sauvegarde de la loi et du Roi; ordonne que les municipalités lui prêteront main-forte et protection pour le libre exercice de son commerce, tant qu’il se conformera aux décrets de l’Assemblée. » M. Régnault d’Rpercy, membre du comité