(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1791.] 149 dernière analyse tout se réduira à un point fort simple, à savoir si les réélections sans interruption n’amèneraient pas insensiblement la corruption dans le Corps législatif, et voilà surtoutcontre quoi il faut se prémunir. D’abord il est impossible de faire longtemps usage du pouvoir sans en abuser. Je dis de plus qu’il ne faut pas que les membres soient sans cesse exposés aux tentatives du pouvoir exécutif; et plus ils marqueront de talent, plus ils annonceront de lumières, plus iis seront exposés à être corrompus. Je demande donc qu’on ne puisse pas, sans une interruption de deux années, être continué à la législature. M. le Président. J’ai reçu du roi une lettre ainsi conçue : « Je vous prie, Monsieur le Président, de prévenir l’Assemblée nationale que, sur la démission de M. de Fleurieu, j’ai nommé, pour le remplacer au département de la marine et des colonies, M. Thévenard, commandant la marine à Lorient. « Signé : Louis. » J’ai également reçu de M. Duportail, ministre de la guerre, une lettre par laquelle il envoie à l’Assemblée un projet de répartition des auxiliaires par départements, et à laquelle est joint un projet de règlement pour les auxiliaires. Je l’avais envoyée directement au comité militaire et je vais la lui renvoyer de nouveau ; mais on a voulu que j’en donnasse d’abord connaissance à l’Assemblée. La suite de la discussion sur V organisation du Corps législatif est reprise. M. Duport. Messieurs(l), je suis rappelé à cette tribune par le besoin de défendre mon pays du plus grand danger qui l’ait encore menacé ; et, s’il n’est plus possible d’empêcher qu’un violent désordre ne le trouble longtemps, j’essayerai au moins de le préserver d’une anarchie constitutionnelle et irrémédiable. Comme c’est dans la disposition des esprits que se trouvent en général les éléments d’une délibération, il me paraît nécessaire de faire quelques réflexions longtemps retenues et que je me reprocherais de taire! davantage. Je vais, sans m’écarter de la question présente, vous montrer en peu de mots votre position et celle où l’on cherche à vous précipiter. Ces véritables dangers bien réels, bien pressants, vous les connaîtrez ; ils cesseront de peser sur ma conscience, je les remets sur la vôtre, sur celle de ceux qui, sans les discuter et les examiner, voudraient néanmoins en nier l’existence et la réalité. De degrés en degrés, Messieurs, on vous amène à une véritable et complète désorganisation sociale; je ne sais, depuis quelque temps, quelle manie de principes simples on a cherché à vous inspirer, et dont l’effet bien calculé par ceux qui sont les premiers moteurs de ces idées, est de détendre tous les ressorts du gouvernement, et d’en détruire, non les abus, vous l’avez glorieusement exécuté, mais l’action salutaire et conservatrice; disons mieux, de conduire à changer totalement la forme du gouvernement, car il faut bien ignorer les choses de ce monde pour douter des grands projets qui existent à cet égard, malgré les protestations contraires. (Mouvement.) Ces dangers vous environnent, ils augmentent tous les jours, et la sécurité dont on voudrait (1) Ce discours est incomplet au Moniteur. faire un argument contre leur réalité ne prouve rien; car jamais la sécurité d’un aveugle près d’un précipice n’empêche qu’il ne soit pour cela en péril de la vie. 11 y a des hommes qui ne sont sensibles qu’à un genre de danger, c’est-à-dire aux mouvements populaires. Quoique souvent excusables par leurs causes, leurs effets sont sans doute vraiment dangereux. Ils affaiblissent le respect dû aux nouvelles lois, au moment même où elles ont besoin de toute la force de l’opinion pour s’établir; ils détournent les administrateurs de leur devoir journalier, et, de plus, en faisant prédominer dans les esprits l’idée de la force sur celle de la raison et de la loi, ils indisposent tous ceux qui ont fondé sur celles-ci l’espoir de leur existence et de leur tranquillité. Mais ce mal, c’est dans sa racine qu’il faut l’attaquer, et l’expérience devrait avoir démontré que toute répression partielle à cet égard est plus fâcheuse qu’utile, et qu’en comprimant le ressort, elle en augmente la force. Il faut aller hardiment à la source du mal, et toutes ces incommodités locales disparaîtront. Une Constitution sage et libre, un gouvernement loyal, juste et ferme : voilà le grand, le seul remède qu’il faille désirer, que vous demande la nation, dont vous stipulez les intérêts, et celui dont la négligence, en lui préparant de longs malheurs, vous donnerait de véritables et d’inutiles remords. Le danger réel, Messieurs, encore caché sous le nuage de l’opinion, mais déjà profond et étendu, c’est l’exagération des idées publiques, leur divagation et le défaut d’un centre commun, d’un intérêt national qui les attire et les unisse. Encore un pas, et le gouvernement ne peut plus exister, ou se concentre totalement dans le pouvoir exécutif seul; car je vois dans l’éloignement le despotisme sourire à nos petits moyens, à nos petites vues, à nos petites passions, et y placer sourdement le fondement de ses espérances. ( Applaudissements .) Ce que l’on appelle la Révolution est fait; les hommes ne veulent plus obéir aux anciens despotes; mais, si l’on n’y prend garde, ils sont prêts à s’en forger de nouveaux, et dont la puissance plus récente et plus populaire serait mille fois plus dangereuse... ( Mouvement .) Tant que l’esprit public n’est pas formé, le peuple ne fait que changer de maître; mais ce changement, en vérité, ne valait pas la peine de faire une Révolution. (. Applaudissements .) Les idées d’égalité et de liberté se sont répandues dans tout l’Empire. Elles ont pénétré dans toutes les classes de la société. Les partisans des anciens abus ont seuls été insensibles à ces noms si touchants et aux doux sentiments qu’elles réveillent dans les âmes. La raison s’est retrouvée sous les décombres des vieilles institutions qui la tenaient captive. Tout le monde s’est employé à consacrer un temple à la liberté; elle est devenue le culte de la nation entière; mais les dogmes de cette religion politique ne sont pas encore connus, et il est fort à craindre que, dès son berceau, un grand nombre de sectes différentes n’en obscurcissent la pureté. Je le répète donc ; la Révolution est faite, mais c’est une conséquence bien fausse que de dire, comme on l’entend communément, que pour cela la liberté n’est plus en danger; car, Messieurs, c’est pour elle seule que je crains. Sa cause est la seule qui puisse me forcer à rompre le silence, ‘ Le progrès immodéré et sans bornes de cette Révolution a pour-but de nous replacer au point