76 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j l"rrnivôse an XX Compte rendu du Moniteur universel (1). Thirion. Chargé par la Convention d’une mis¬ sion dans quatre départements, je lui présen¬ terai un compte général de ma conduite qui sera incessamment imprimé. En attendant, il importe que je justifie les motifs de mes opérations dans le département d’Eure-et-Loir, motifs mal saisis par la Convention, et mal interprétés par les journaux. Puis donc qu’il en est résulté une espèce d’inculpation contre moi, que cette incul¬ pation a même motivé mon rappel (2) et a été rendue très publique, je demande que ma discul¬ pation soit de même manifestée. Je me trouvais à Chartres, chef-lieu du département d’Eure-et-Loir, où un arrêté du comité de Salut public m’enjoignait de rester jusqu’après l’épuration des corps administratifs. A la nouvelle de la prise du Mans par les brigands, j’écrivis au comité de Salut public pour l’informer de l’état de dénûment de nos troupes. Le département d’Eure-et-Loir est précisément situé entre celui de la Sarthe, dont le Mans est le chef -lieu, et celui de Paris. La marche incertaine et rapide des bri¬ gands me faisait craindre qu’ils ne se portassent sur le département d’Eure-et-Loir qu’on sait être le grenier d’abondance de Paris. Redoutant donc qu’ils ne tentassent de réduire à la famine Paris, cette ville immense, foyer du patriotisme et des lumières, et le département d’Eure-et-Loir qui l’alimente, je communiquai sur-le-champ mes observations au comité de Salut public et au ministre de la guerre. Us arrêtèrent en conséquence que les 10,000 hommes de l’armée du Nord se réuni¬ raient à Dreux. La colonne, qui était à Verneuil et qui n’avait que deux jours de marche pour se rendre à Alençon, rétrograda de 10 lieues pour se rendre à Dreux. Ce n’est pas à moi qu’il faut attribuer cette rétrogradation, puisqu’elle a été ordonnée par le comité de Salut public et le ministre de la guerre. J’appris le jour même que la ville du Mans avait été reprise par les patriotes et que ces derniers avaient tué 8 à 10,000 hom¬ mes aux brigands. Une autre lettre m’apprend qu’ils ont perdu à peu près le même nombre sur la route du Mans à Laval. Alors voyant le brigandage marcher à sa fin, je crus le département d’Eure-et-Loir sauvé. Mais comme les brigands pouvaient menacer Alençon, puisqu’ils se portaient sur Laval, je pensai qu’il ne fallait pas que la colonne rétro¬ gradât davantage. J’écrivis au commandant que, attendu le changement de direction des brigands, il fallait qu’il restât à Dreux, en communiquant au mi¬ nistre de la guerre ce même changement et lui demandant ses ordres. Comme il n’y a que 16 lieues de Dreux à Paris, l’ordre arriva au commandant de la première colonne d’attendre la seconde. Ainsi, (1) Moniteur universel [n° 92 du 2 nivôse an II (dimanche 22 décembre 1793), p. 372, coi. 11. D’autre part, voy, ci-après, annexe n° 2, p. 103, le compte rendu du discours de Thirion d’après divers journaux. (2) Voy. Archives parlementaires (lre série, t. LXXXI, séance du 26 frimaire an II, p. 528, col. 2) le rapport de Couthon au nom du comité de Salut public. quand j’aurais fait porter sur Chartres la pre¬ mière colonne avant la reprise du Mans, j’aurais rendu service à la République, en couvrant un département abondant en subsistances. Il ne peut rester de doute sur ma conduite. Je me suis expliqué au comité de Salut public. Je demande que la Convention charge le comité de Salut public de lui faire un rapport. Il est impor¬ tant qu’il ne reste pas de nuage sur les opéra¬ tions des représentants du peuple, parce que cette défaveur tendrait à discréditer toutes leurs autres opérations. Si à la moindre dénonciation on se permettait de nous diffamer, ou vous ne trouveriez plus de commissaires, ou ils seraient si tremblants qu’ils ne feraient rien d’utile. Charlier. La conduite de Thirion dans le sein de la Convention lui a toujours mérité l’estime et la confiance de ses collègues. A l’égard de sa mission dans quatre départements, il en doit un compte détaillé : j’en demande l’impression, et sur le reste, l’ordre du jour. Cette proposition est adoptée. Sur la proposition de différents membres, la Convention rend les trois décrets suivants : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport (Mauduyt, rapporteur (1)] de son comité des secours publics, « Décrète que le mémoire présenté par le ci¬ toyen Dillon sur les moyens d’exécuter et d’utili¬ ser les établissements publics de bienfaisance, de secours, de travaux, de détention et de correc¬ tion, sera imprimé aux frais de la République (3). Suit le texte du rapport de Mauduyt, ainsi que celui du mémoire de Dillon, d’après un document imprimé (3). Rapport paît au nom du comité des secours PUBLICS, PAR LE CITOYEN MaüDUIT (sic), DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE, LE 1er NIVOSE, L’AN II DE LA RÉPUBLIQUE, UNE ET INDIVISIBLE. Citoyens, Tout ce qui peut accélérer ou perfectionner l’exécution de vos décrets sur les secours publics ne peut manquer de vous intéresser. C’est d’un objet qui y a rapport que votre comité des secours m’a chargé de vous entretenir. Il a examiné avec attention un mémoire relatif à l’organisation des hospices et établisse¬ ments de bienfaisance, de travail et de correc¬ tion, présenté par le citoyen Dillon, artiste méca¬ nicien, originaire d’Italie, mais qui a adopté la France pour sa patrie. L’auteur, dans ce mémoire intéressant par sa méthode comme par son objet, déduit ses idées des vrais principes des droits naturels des hommes. (1) D’après le document imprimé. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 17. (3) Bibliothèque nationale, 62 pages in-8°, L b*', (n°3520. Ce document comprend : 1° le rapport de Mauduyt (6 pages); 2° le mémoire de Jacques Dillon 56 pages). [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. � -cembre 1793 77 Il s’occupe d’abord des établissements de bienfaisance. Pénétré des vues qui ont servi de base aux décrets que vous avez déjà rendus sur les établissements dont il s’agit, il porte les regards de la prévoyance et de la philanthropie sur la masse de secours que nécessitent les maux passagers et habituels qui affligent l’huma¬ nité. Il y joint, dans l’application, le coup d’œil d’un homme exercé dans la mécanique et la pra¬ tique des arts : il gradue, pour ainsi dire, les ressources sur le degré de malheur dont la guerre ou les accidents ordinaires peuvent frapper ses concitoyens, sur la nature des infirmités, sur l’âge et le sexe, et il utilise en même temps, pour l’économie et les arts, les établissements propres à les recevoir. Ses moyens peuvent d’un côté diminuer les dépenses de ces établissements, ou en étendre les ressources; ils réunissent, d’un autre côté, un avantage plus précieux : ils sont d’autant plus propres a adoucir les maux de ceux qui doivent y être admis, qu’ils semblent leur donner ou leur restituer les facultés dont la nature les a privés, ou que des accidents leur ont enlevées; leur procurent toute l’activité dont ils sont capables, et les tirent ainsi d’un état de torpeur également destructif de la vie physique et morale. L’auteur traite, dans les mêmes vues et avec des détails également intéressants par rap¬ port à la République et aux individus, de l’orga¬ nisation et de l’utilisation des établissements de travail, de détention et de correction. Une partie de son mémoire est consacrée à des observations et à des développements utiles pour la distribution et la salubrité des établisse¬ ments dont il s’agit. Quel que soit le motif de bienfaisance, de précaution ou de sûreté, qui détermine la réu¬ nion de plusieurs individus dans des établisse¬ ments nationaux; quels que soient leur âge, leur sexe, leur existence physique et morale, on ne doit jamais oublier que ce sont des citoyens qu’il faut ou élever ou conserver pour l’État et pour l’humanité. C’est dans ces principes que l’auteur s’occupe de l’instruction propre dans les établissements dont il traite à former l’âme des uns, à nourrir celle des autres; enfin à rendre, s’il se peut, à celle de quelques-uns la dignité dont elle s’est dégradée. Il termine son mémoire en examinant les moyens qu’a maintenant la République pour choisir les emplacements propres aux établisse¬ ments dont il s’agit, et la facilité de se procurer, pour leur première formation, des chefs qui, dans la suite, seraient remplacés par des citoyens formés dans les établissements mêmes. Il trace leurs fonctions et leurs devoirs; il veut que leurs connaissances soient dirigées vers l’agriculture, la physique usuelle, les manufac¬ tures ; par ce moyen : oharges de diriger, soit des ateliers de manufactures, soit des établissements ruraux, soit même d’autres travaux, tels que ceux des mines, à l’égard des détenus; ces chefs réuniraient à l’exercice principal de leurs fonc¬ tions l’avantage, pour tous les citoyens, de leur faire recueillir le fruit de l’expérience et de la propagation des découvertes utiles. Enfin il indique la correspondance qui pourrait exister pour ces différentes administrations entre elles, et avec un centre commun, sous le rapport, soit de la surveillance et du perfectionnement intérieur des établissements, soit des moyens d’augmenter les ressources industrielles de la France, et de leur donner sur les étrangers la prépondérance dans les arts. Telles sont, citoyens, les vues, non de système, mais d’utilité et d’exécution, intimement liées à l’établissement des hospices dont vous avez consacré la formation; telles sont, dis-je, les vues qui ont fixé les regards de votre comité dans le mémoire du citoyen Dillon, et qui l’ont déter¬ miné à vous proposer d’en décréter l’impression. Mémoire sue les établissements publics DE BIENFAISANCE, DE TEAVAIL ET DE COE¬ RECTION, CONSIDÉRÉS SOUS LES RAPPORTS POLITIQUES ET COMMERCIAUX, PRÉSENTÉ AU COMITÉ DES SECOURS PUBLICS DE LA CON¬ VENTION NATIONALE, LE 28 BRUMAIRE, L’AN II de la République, une et indivisible, par Jacques Dillon, citoyen français, ARTISTE HYDRAULICIEN ET MÉCANICIEN. (Im¬ primé en vertu d'un décret de la Convention nationale, sur le rapport du même comité.) « Assurez, autant que vous le pourrez, une ressource à quiconque sera tenté de mal faire, et vous aurez moins à punir. » Voltaire, Commentaire sur les délits el les peines. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Dans un État dont les lois ont pour base la, con¬ naissance des droits de l’homme, la fortune publique est tellement distribuée, que chacuu jouit d’une honnête aisance, ou au moins d’une existence assurée. Ni l’opulence, ni la misère, ne doivent s’y rencontrer; ces deux extrêmes étant également dangereux pour Ja tranquillité publique (1). Afin de les rapprocher, sans blesser la liberté individuelle, le législateur éclairé préfère les lois indirectes, au moyen desquelles il obtient ce qui est généralement utile, en même temps que chacun ne consulte que son intérêt ou son plaisir. Elles sont autant de fils invisibles qui conduisent les hommes, sans aucune contrainte, à ne faire que ce qui leur convient, et toutes leurs actions tendent alors au bien commun de la société. Parmi ces lois, il en est de civiles, telles que l’égalité des partages dans les familles, la sup¬ pression des substitutions, la liberté la plus grande dans les mariages, la destruction de la bâtardise, l’adoption, l’admission à toutes les places, sans autre condition que celle du mé¬ rite, etc., etc. Il en est d’autres d’économie politique ou commerciale, telles que celles qui ont pour but d’étendre et protéger les arts, d’éta¬ blir la liberté la plus illimitée dans le commerce, de multiplier les ports, les canaux et les che¬ mins, etc., etc. Peut-être ces moyens suffiraient-ils, si la douce commisération épargnait à l’indigence timide la peine de mendier des secours souvent refusés. Mais malheureusement cette époque des progrès de la raison humaine est encore éloignée; et d’ailleurs, il sera facile de juger, (1) « Que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre; et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. » Rousseau, Contrat social.