192 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] gers qui nous environnent, avec l’énergie que réclame une situation presque désespérée ; il vous demande les secours les plus urgents; il vous indique des moyens; il vous presse de les accepter. Votre comité des finances vient de nous soumettre un rapport parfaitement conforme à l’avis du ministre; c’est sur cet avis et sur ce rapport qu’il s’agit de délibérer. Mais telle est ici la fatalité de nos circonstances. Nous avons d’autant moins le temps et les moyens nécessaires pour délibérer, que la résolution à prendre est plus décisive et plus importante. Les revenus de l’Etat sont anéantis, le Trésor est vide, la force publique est sans ressort; et c’est demain, c’est aujourd’hui, c’est à cet instaut môme que l’on a besoin de votre intervention. Dans de telles circonstances, Messieurs, il me paraît impossible, soit d’offrir un plan au premier ministre des finances, soit d’examiner celui qu’il nous propose. Offrir un plan n’est pas notre mission, et nous n’avons pas une seule des connaissances prélimi-. naires, indispensables pour essayer de se former un ensemble des besoins de l’Etat et de ses ressources. Examiner le projet du premier ministre des finances, c’est une entreprise tout à fait impraticable. La seule vérification de ses chiffres consumerait des mois entiers; et si les objections qu’on ourrait lui faire ne portent que sur des données ypothétiques, les seules que la nature de notre gouvernement nous ait permis jusqu’ici de nous procurer, n’aurait-on pas mauvaise grâce de trop presser des objections de cette nature dans des moments si pressés et si critiques? Il n’est pas de votre sagesse, Messieurs, de vous rendre responsables de l’événement, soit en vous refusant à des moyens que vous n’avez pas le loisir d’examiner, soit en leur en substituant que vous n’avez pas celui de combiner et de réfléchir. La confiance sans bornes, que la nation a montrée dans tous les temps au ministre des finances que ses acclamations ont rappelé, vous autorise suffisamment, ce me semble, à lui en montrer une illimitée dans les circonstances. Acceptez;ses propositions sans les garantir, puisque vous n’avez pas le temps de les juger, acceptez-les de confiance dans le ministre, et croyez qu’en lui déférant cette espèce de dictature provisoire vous remplissez vos devoirs de citoyen et de représentants de la nation. M. Necker réussira, et nous bénirons ses succès, que nous aurons d’autant mieux préparés, que notre déférence aura été plus entière et notre confiance plus docile. Que si, ce qu’à Dieu ne plaise! le premier ministre des finances échouait dans sa pénible entreprise, le vaisseau public recevrait sans doute une grande secousse sur l’écueil où son pilote chéri l’aurait laissé toucher; mais ce heurtement ne nous découragerait pas ; vous seriez là, Messieurs, votre crédit serait intact, la chose publique resterait tout entière.... Acceptons de plus heureux présages ; décrétons les propositions du premier ministre des finances, et croyons que son génie, aidé des ressources naturelles du plus beau royaume du monde et du zèle fervent d’une Assemblée qui a donné et qui donne encore de si beaux exemples, saura se montrer au niveau de nos besoins et de nos circonstances. Après ce discours, M. le comte de Mirabeau reprend sa place. L’Assemblée témoigne son approbation par un mouvement d’enthousiasme unanime. I M. le Président demande qu’on aille aux voix dans la forme ordinaire et propose la rédaction suivante : « L’Assemblée nationale, vu l’urgence des circonstances, décrète un secours extraordinaire du quart des revenus de chaque citoyen pour 1790, et renvoie pour le mode au pouvoir exécutif. » L’Assemblée allait voter par acclamation lorsque M. de Mirabeau redemande la parole, M. le comte de Mirabeau. En énonçant mon avis, je n’ai point entendu, Messieurs, rédiger ma proposition en décret. Un décret d’une importance aussi majeure ne peut être imaginé et rédigé au milieu du tumulte. J’observe que le décret, tel qu’il vient de vous être proposé, ne peut être le mien, et je désapprouve la sécheresse de ces mots : Renvoie pour le mode au pouvoir exécutif. Encore une fois, Messieurs, la confiance illimitée de la nation dans le ministre des finances justifiera la vôtre; mais il n’en faut pas moins que l’émanation du décret que vous avez à porter soit expressément provoquée par le ministre. Je vois encore un nouvel inconvénient dans la rédaction du décret : il faut bien se garder de laisser croire au peuple que la perception et l'emploi de la charge que vous allez consentir ne sera ni sûre, ni administrée par ses représentants. En demandant, Messieurs, que votre délibération soit prise sans aucun délai, je demande aussi que la rédaction du décret soit mûrement réfléchie, et je me retirerai de l’Assemblée pour me livrer à ce travail, si vous me l’ordonnez. De toute part on invite l’orateur à se retirer. M. de Mirabeau se rend au désir de l’Assemblée et sort de la salle des séances. La délibération continue et il est fait diverses motions. M. le baron de «fessé (1). Messieurs, la justice doit passer avant l’enthousiasme. Le premier ministre des finances nous a proposé l’imposition du quart du revenu net de chaque citoyen ; personne ne doute moins que moi de ses lumières et de ce que peut faire le Français ; mais nous avons souvent remarqué que les efforts héroïques ne sont jamais que le produit delà confiance. S’il est une nation qui, dans la paix et dans la guerre, soit tout par la confiance et rien sans elle, c’est assurément la nôtre Quelle sera la détermination de nos commettants lorsque, sans préjudice des impôts futurs, ils se verront demander le quart de leur revenu, lorsque le peuple qui ne calcule point, s’était imprudemment flatté d’une diminution dans ses charges? Lorsque l’on apprendra que sur 20 millions de pensions faites par la cour, au lieu d’en supprimer 15 sur 20, il n’en sera supprimé que 5? lorsqu’on ne verra pas la haute finance supprimée et tous les frais immenses de régie? le Français fera ce sacrifice et bien d’autres pour sa patrie ; mais il voudra être assuré que sa patrie sera bonne, qu’elle ne sera plus la patrie des plus insolents abus. 11 s’en faut bien, Messieurs, que ce quart de revenu, fût-il accordé, n’amenât pas lesplusgrands retards dans le payement ; il sera peut-être impossible; ceux qui connaissent les provinces vous diront combien l’argent y est rare; que le cuiti-(1) Le discours de M. de Jessé n’a pas élé inséré au Moniteur.