SÉANCE DU 3 VENDÉMIAIRE AN III (24 SEPTEMBRE 1794) - Nos 45-46 21 lève aussi une tête altière, et que des intrigants veulent se mettre à leur tête et les tromper. L’insertion est décrétée (63). 45 Après l’extrait de la correspondance, on donne lecture d’une lettre adressée par le représentant du peuple Dartigoeyte, dans les départements du Gers et Haute-Garonne, à la Convention nationale, pour lui demander un congé de trois décades, dont il a besoin pour réparer sa santé. Sa demande lui est accordée (64). 46 Plusieurs députations sont admises à la barre, et obtiennent la parole dans l’ordre qui suit : a Une députation de la commune d’Arras [Pas-de-Calais] exprime fortement son vœu pour que la révolution ne devienne pas la proie des hommes immoraux, pour que la Convention nationale ne se laisse pas influencer par une société fameuse qui existe à côté d’elle, société qui fut jadis l’arène des champions de la liberté, et depuis la cour d’un dictateur insolent; pour qu’elle maintienne le gouvernement révolutionnaire, et conduise jusqu’au port le vaisseau de la liberté : elle termine par observer que le mépris public a plus arraché de victimes au fanatisme, que la terreur de l’échafaud. La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion de l’adresse au bulletin (65). L’orateur (66) : L’opinion publique agite maintenant une grande question : la Révolution deviendroit-elle la proie de quelques ambitieux, comme tous les autres bouleversemens politiques, ou le peuple s’en emparera-t-il pour jouir de ses bienfaits? Les principes sacrés qui basent les droits du peuple seront-ils rangés dans la classe des axiomes aristocratiques, par les mêmes hommes qui les ont tirés de l’oubli, ou bien toutes nos oscillations se briseront-elles devant l’immutabilité des lois de la nature? Par le gouvernement révolutionnnaire com-prendra-t-on une force puissante qui fixe toutes (63) J. Fr., n° 729; M.U., XLIV, 42 ; Ann. R.F., n" 3; Rép. n' 6. (64) P. V., XLVI, 57-58. (65) P.V., XLVI, 58. Moniteur, XXII, 61. (66) Nous suivons le texte donné au Bull., 5 vend, (suppl.). les passions vers le seul point central, la félicité publique, ou bien l’assimilera-t-on à un volcan dont le repos momentané annonce une nouvelle irruption et qui ne donne des signes d’une existence active, qu’en vomissant des nuages d’un feu dévorateur? Voilà, représentans, ce que tous les citoyens d’Arras se demandent à eux-mêmes, en lisant les discussions agitées dans une certaine réunion d’individus dont l’influence a dirigé jusqu’ici le levier du gouvernement : [voilà ce que nous nous demandons à nous-mêmes, en voyant ce système de terreur, dont six mois de massacres ont été le funeste résultat, retrouver des partisans jusque dans cette assemblée, qui a vu dans ces temps désastreux un fleuve de sang couler au milieu même de son enceinte. Un peuple dont l’existence politique date depuis cinq années, et dont l’enfance révolutionnaire s’est instruite à l’école de l’infortune, devient une pépinière de héros : ses bras gigantesques dispersent les nuées d’esclaves qui s’amoncellent contre lui et ses pieds d’éléphant brisent comme une faible argile le fantôme de l’ambition qui oserait s’élever au-dessus de sa tête. Son enfance est finie, citoyens, et la chute de Robespierre est un signe de sa vigoureuse adolescence] (67). Il existe à côté de vous une société fameuse dans nos annales, jadis l’arène où les champions de la liberté s’exerçoient à la lutte qu’ils dévoient soutenir contre le despotisme ; depuis, la cour d’un dictateur insolent, qui, du haut de sa tribune aux harangues, étendoit sur toute la France un sceptre de fer; et maintenant nous présageant l’image d’un parlement dictatorial où l’on discute les moyens de museler le peuple, et de donner des fers même à la pensée. [Ses variations tiennent aux différents caractères de ces hommes que les révolutions populaires roulent avec elles. La vertu n’est pas toujours le seul levier des révolutions, l’inquiète ambition s’attache souvent à elles, comme un aliment à sa cupidité. Aussi avons-nous vu se ranger sous les étendards de la liberté, combattre même aux premiers rangs, ces hommes immoraux, flétris déjà par le fer rouge de l’ignominie : Un Brissot, qui s’était fait enfermer à Londres comme un escroc ; un Chabot, qui avait fait à la face du ciel le vœu de l’imposture; un Danton, qu’une insouciance épicurienne rendait l’homme de toutes les factions. Ces hommes du haut de la tribune des Jacobins, avaient lancé la foudre qui anéantit les Capet; mais ils se gorgeaient des trésors du peuple, ou, comme Brissot, ils vendaient leur popularité aux gui-nées de Pitt] (68) Les Brissot, les Chabot, les Danton, du haut de la tribune de cette société, avoient lancé la foudre qui a anéanti les Capet, mais ils se gor-geoient des trésors du peuple. Derrière eux se (67) Moniteur, XXII, 61. (68) Moniteur, XXII, 61. 22 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE cachoit un conspirateur profond : audacieux dans son plan, il s’éleva à cette hauteur que peut atteindre l’enthousiasme d’un grand peuple qui s’élance en masse dans les bras de la liberté : identifiant avec astuce son nom avec le triomphe des principes populaires, il connut tout le pouvoir magique de son influence ; il voulut en profiter ; dès lors commença la dictature, dès lors la société des Jacobins devint le sénat passif du moderne César. Un nouveau despotisme s’organisant, la terreur fut réduite en système : des hommes qui désespéroient de l’estime publique, se déclarèrent les apôtres de l’anthropophagie, et la prêchèrent au milieu des fleuves de sang dont ils inondèrent la République sur tous ses points. Le tyran alimentoit leur génie sanguinaire par des éloges pompeux dont il les rassasioit, et par l’importance dont il savoit adroitement leurrer leur ambition. Le prestige s’évanouit, le tyran est assailli au milieu du sénat, son despotisme est dévoilé, il est proclamé ennemi de la patrie. Ces hommes qui, le 8 thermidor, lui avoient juré fidélité avec un enthousiasme frénétique, le 9 s’étoient unis à une municipalité rebelle, s’armant contre la loi qui condamnoit le dictateur; le 10 se disoient régénérés parce qu’ils anathématisoient le tyran, que l’on conduisoit à l’échafaud; ces hommes, répétons-le, conservent encore au milieu d’eux le germe de la tyrannie ; plusieurs d’entr’eux complices ou agens de tous les assassinats qui, depuis six mois, tiennent la France plongée dans le deuil, croient que l’arme de la terreur n’est pas encore usée, et qu’ils peuvent la retirer du fourreau. Représentans, ne laissez pas faner la couronne civique que vous avez méritée en terrassant le despotisme ; maintenez le gouvernement révolutionnaire, continuez votre glorieuse carrière : dans votre sein, le patriote trouve une parfaite sécurité, et l’erreur passagère, l’indulgence. [Représentants, maintenez le gouvernement révolutionnaire ; vous avez remis à flot le vaisseau de la liberté, vous méritez de le conduire jusqu’au port; marquez du sceau d’une réprobation civique ces hommes qui ne savent exister que dans les crises convulsives, et qui comme les serpents ne peuvent vivre qu’en s’alimentant de leur propre venin. Apprenez à ces esprits forts autant qu’intolérants que l’on ne fait pas des philosophes à la journée, et que la philosophie ne se prêche pas à coup de cimeterre. Le mépris public, qui a poursuivi les prêtres jusque sur ces tréteaux où ils ont avoué leur imposture avec autant d’audace qu’ils prêchaient le mensonge, a plus arraché de victimes au fanatisme que la terreur de l’échafaud dont on effarouchait les âmes faibles.] (69) Réponse du Président : Citoyens, c’est en vain que la malveillance s’agite pour égarer le peuple. Ne craignez rien pour la liberté et l’égalité, elles sont impérissables. Défiez-vous de (69) Moniteur, XXII, 61. ceux qui sèment la division et ne parlent que de terreur, et ne craignez pas que la Convention laisse jamais élever à côté d’elle une autorité usurpée qui voudroit la rivaliser; elle ne souffrira pas plus cette rivalité monstrueuse, qu’elle ne souffriroit qu’on voulut détruire les sociétés populaires, qui ont courageusement défendu les droits du peuple. La Convention frappera tous les ennemis de la patrie, et tous ceux qui n’ont voulu la Révolution que pour eux ; elle soutiendra avec énergie les principes de justice qui l’animent; elle atteindra les coupables en quelque lieu qu’ils se cachent : le crime n’a pas d’asyle, tandis que celui de la vertu est sacré. Reposez-vous sur les mesures que prendra la Convention, et travaillez avec elle à propager les sentimens de liberté, d’égalité et de justice (70). b Une députation des citoyens de la commune de Compiègne [Oise] témoigne à la Convention nationale leur étonnement de s’être vus calomniés dans une adresse que lui ont présentée des soi-disant patriotes et fondateurs de la société populaire de Compiègne; ils jurent d’être inviolable-ment attachés au gouvernement révolutionnaire, de ne reconnoître d’autre autorité que la Convention, et de verser leur sang pour la défendre. Suivent cinq pages de signatures. Mention honorable, insertion de l’adresse en entier au bulletin (71). [Les citoyens de la commune de Compiègne légalement assemblés à la Convention nationale, le 1er vendémiaire an HT] (72) Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort Citoyens Représentants, Ce n’a pas été sans étonnement que nous nous sommes vus calomniés dans une adresse que vous ont présentée des soi-disant patriotes et fondateurs de la société populaire de Compiègne. Justement indignés, nous devons vous faire notre profession de foi; nous n’avons jamais cessé d’être de véritables patriotes et Républicains, notre esprit révolutionnaire n’a jamais changé ; le modérantisme et l’aristocratie n’ont pas ici levé une tête audacieuse; nous n’avons jamais entravé les mesures salutaires du gouvernement : nous respectons les lois, nous les exécutons, car nous savons que de leur exécution dépend notre bonheur; notre union et (70) Bull., 5 vend, (suppl.); Moniteur, XXII, 61; Ann. R. F., n” 3 ; F. de la Républ., n“ 4; Mess. Soir, n° 767; Gazette Fr., n 997; J. Fr., n 729; J. Paris, n° 4; M. U., XLIV, 42; Rép., n° 4. (71) P. V., XLVI, 59. Bull., 6 vend. (72) C 321, pl. 1344, p. 6.