509 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] « Art. 6. Les veuves et les enfants des matelots qui se trouvent en tour de remplacement, seront inscrits sur les rôles de distribution des 120,000 livres appartenant pour cet objet à la marine, au lieu et place de ceux qui sont décédés en 1789, au nombre de cent six. » M. Moreau de Saint-Méry, rapporteur du comité de commerce et d'agriculture rend, compte d’une pétition des forains de Beaucaire qui demandent la conservation du privilège de cette ville et le maintien du privilège de sa foire. M. de Deüey d’Agier. Il faut alors étendre cette conservation à tous les marchés qui possèdent des privilèges semblables. Le décret et l’amendement sont adoptés, sauf rédaction, en ces termes: « L’Assemblée nationale, considérant que la franchise accordée aux foires franches est plutôt rune faveur pour le commerce du royaume, qu’un �privilège particulier à une ville, a décrété : « Qu’il ne serait rien innové, quant à présent, à ce qui concerne les foires franches ; qu’elles continueraient avec les mêmes exemptions de droits que par le passé ; « Que les anciennes ordonnances rendues pour le maintien du bon ordre et de la police seront exécutées selon leur forme et teneur, et particulièrement que le tribunal que la commune de Beaucaire établissait pour juger en première instance les contestations, continuerait ses fonctions comme par le passé, en se conformant, au surplus, aux décrets de l’Assemblée nationale. » Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre de MM. les officiers municipaux de la ville de Nîmes, qui, après avoir rendu compte des derniers événements arrivés dans cette ville, annoncent à l’Assemblée l’intention où ils sont de donner leur démission. M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes. Je n’entreprendrai point une discussion sur la lettre des officiers municipaux ; mais je me réunis à eux pour vous peindre la situation malheureuse de plusieurs familles. Il y a dans la ville de Nîmes beaucoup de manufactures. Les ouvriers ont perdu plusieurs des négociants qui les faisaient travailler : ils ont besoin de secours extraordinaires. Dans l’intervalle qui s’écoulera entre la démission de la municipalité actuelle et la formation de la nouvelle , de qui pourront-ils obtenir ces secours? Je propose de charger les commissaires du roi au département du Gard, et messieurs du comité permanent de Nîmes, de pourvoir promptement, et parles moyens les plus efficaces, au soulagement de ces malheureux. M. l’abbé Gouttes. Il est juste d’adopter cette proposition, mais il faut que le décret porte en même temps que les dommages seront pavés par ceux qui les ont causés. M. lie Deist deBotidoux.Je demande qu’ils soient payés par les trois mille deux cents personnes qui ont signé la délibération. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour et l’Assemblée décide qu’elle y passera. M. le Président. M. de Mirabeau le jeune m’annonce qu’il est prêt à paraître à l’Assemblée conformément au décret qui le lui ordonne (1). Je demande si M. de Mirabeau le jeune doit paraître à la barre ou à la tribune. M. de Cazalès. Un membre ne peut être dépouillé de son caractère, toutes les fois qu’il n’est pas convaincu du délit dont on l’accuse. Je pense que M. le vicomte de Mirabeau doit être entendu à sa place. M. de Mirabeau l'aîné. S’il ne s’agissait que de l’amour-propre individuel de mon frère, je ne prendrais pas la parole; mais vous l’avez mandé pour vous rendre compte de sa conduite ; vous n’avez pas dit qu’il paraîtrait à la barre ; vous avez voulu l’entendre ; vous ne pouvez pas, sans l’avoir entendu, déclarer qu’il est jugeable; et tout membre qui n’est pas déclaré jugeable doit continuer à jouir de tous ses droits dans cette Assemblée. Je me rappelle une circonstance qu’il ne sera pas inutile de citer, et je la citerai avec d’autant plus de confiance qu’elle est honorable pour celui qu’elle concerne. M. Malouet, ayant été inculpé, voulut, par une délicatesse très louable, être entendu à la barre; l’Assemblée décréta qu’il parlerait à la tribune. Il me semble que cet exemple décide la question. (On applaudit. — M. de Mirabeau le jeune entre; il monte à la tribune.) M. le Président fait lecture du décret par lequel l’Assemblée a ordonné à M. de Mirabeau le jeune de venir rendre compte de sa conduite. M. de Mirabeau le jeune. J'étais à deux cents lieues d’ici lorsque ce décret m’a été notifié. Je me suis empressé d’obéir, et je pense avoir prouvé, par la célérité que j’ai mise dans mon retour, mon respect pour les ordres de l’Assemblée. La calomnie m’a précédé : elle a vomi contre moi des libelles affreux, elle m’accompagne, elle me poursuivra encore pour dénaturer les faits dont la vérité sera ma justification. La calomnie me suivra partout. Hier encore, à Ecouen, on a voulu m’arrêter, et, sans le secours des officiers municipaux, j’aurais peut-être été la victime de la fureur du peuple. Cependant, j’en ai fait l’expérience, il est aussitôt désabusé que trompé. A Gastelnaudary, le même peuple qui, le 14, me couchait en joue et demandait ma tête, est venu, le 22, se presser avec joie autour de moi ; il criait: « Il a sa grâce, nous en sommes bien aises; il a l’air d’un bon homme. » Si quelquefois ma voix s’affaiblit, si je ne suis pas les faits dans leur ordre, je prie l’Assemblée d’y suppléer par son silence et par son attention. Voici la quatorzième nuit que je passe sans me coucher. Je demande la permission de faire une observation préliminaire. On a voulu établir un rapport entre mon opinion dans cette Assemblée et ma conduite au dehors. Je donne ma parole d’honneur que je n’ai parlé qu’avec respect de l’Assemblée et des décrets rendus par elle et sanctionnés par le roi. Si quelqu’un avait l’audace de dire le contraire, je lui donne d’avance le démenti le plus formel ; la preuve viendra après. Je prie ceux de mes collègues qui sont aussi journalistes de me traiter avec justice. J’imagine qu’on ne me reproche rien d’antérieur aux circonstances qui m’amènent en (1) Nous insérons la partie de la séance relative à M. de Mirabeau le jeune, telle que la donne le Moniteur; nous donnons in extenso , p. 512, les pièces lues par l’orateur. 510 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [SH juin 1790.] ce moment près de vous. On m!a dit que la municipalité de Perpignan a blâmé ma conduite.. Je réponds en lisant une lettre qui m’a été adressée . par MM. les officiers municipaux, six heures avant mon départ. « Monsieur, la démarche que vous venez de faire, en joignant votre régiment au moment où vous avez appris son indiscipline, est une nou-1 velle preuve de votre zèle connu pour le service du roi. Vos soldats, égarés par une fatalité dont nous ignorons la cause, n’ont cédé ni à vos soins ni à ceux de M. de Chollet, commandant de la province, qui s’est uni à la municipalité pour les faire rentrer dans leur devoir. Leur opiniâtre résistance à se soumettre met notre ville dans la position la plus alarmante; vous en sentez assez les conséquences, Monsieur le vicomte, pour penser avec nous que, dans des circonstances aussi orageuses, le parti le plus sage est d’aller vous-même exposer à l’Assemblée nationale et mettre sous les yeux du roi les faits dont vous avez été témoin. Nous ne doutons pas que l’Assemblée nationale et le roi ne rendent la même justice que nous à la conduite que vous avez tenue pour remplir l’objet de votre mission. » Les officiers municipaux de Perpignan. » Si, depuis, la municipalité a tenu un autre langage, cette prévarication ne peut être l’effet que de la crainte qu’on lui aura inspirée. Il faut parler maintenant de l’eDlèvement des cravates des drapeaux et du mode de cet enlèvement. Je suis loin de nier ce fait; mes motifs m'ont paru louables, et je les regarderai comme tels jusqu’à ce qu’ils aient été jugés coupables. Il existait dans le régiment de Touraine six cents hommes sortis de toutes les règles de la discipline et du devoir, et trois cents soldats honnêtes qui versaient des larmes de sang. Je sentais que ces hommes n’oseraient jamais montrer leur respect pour la discipline militaire, tant qu’ils seraient sous le couteau de leurs camarades insubordonnés. Je suis porteur d’un procès-verbal joint à une enquête; ces pièces authentiques répondront aux violences qu’on me reproche d’avoir exercées envers les soldats, à l’accusation d’avoir versé leur sang. Que le lendemain ou se soit rétracté, cela ne prouvera rien ; c’est par la force, c’est par le glaive qu’on aura obtenu cette rétractation.... Quel a été mon plan? Vous avez eu connaissance des ordres que j’avais reçus du roi; voici la lettre que m’a adressée M. de la Tour-du-Pin, en date de Paris, Je 31 mai : « En mettant sous les yeux du roi, Monsieur, le compte qui m’a été rendu de l’insurrection à laquelle s’est livré le régiment de Touraine, je n’ai pas laissé ignorer à Sa Majesté l’intention où vous êtes de demander à l’Assemblée nationale, dont vous êtes membre, la permission de vous absenter, afin devous rendre à votre régiment et d’y employer vos efforts pour rétablir l’ordre et la subordination. Le roi a vu avec satisfaction la preuve du zèle que vous vous disposez à donner, et Sa Majesté approuve que vous vous rendiez au régiment de Touraine aussitôt que vous aurez obtenu l’agrément de l’Assemblée nationale. Il est sans doute inutile de vous recommander, Monsieur, d’apporter la plus grande prudence pour connaître, avant tout, les causes d’une insurrection aussi extraordinaire dans un corps distingué autant par la bonne conduite que par sa valeur contre les ennemis de la patrie; vous pouvez à cet égard, s’il est nécessaire, vous concerter avec MM. les officiers municipaux, pour en obtenir les renseignements qu’ils pourront vous procurer, et vous aviserez avec le commandant de la place à tous les moyens que la raison, la patience et cependant la fermeté indiqueront de mettre en usage pour ramener ce régiment à la discipline, d’après la connaissance que vous aurez pu prendre des véritables causes de son insurrection. Je ne puis douter que le régiment de Touraine ne s’empresse de revenir aux principes de subordination qui seuls font la force et la gloire des corps militaires, et sont la vraie sauvegarde de la sûreté des citoyens. Sans doute que ce corps a déjà rougi d’avoir pu s’en écarter, au mépris du serment solennel qu’il a prêté de rester fidèle à la nation, au roi, à la loi et aux régies de la discipline militaire. Mais quelques heureux effets qu’ait pu produire son repentir, le roi ne pourra le croire durable que lorsque les officiers que l’effervescence a forcés de s’absenter seront rentrés dans leurs compagnies, et que l’adjudant et les bas officiers du régiment qui ont été injustement destitués par les soldats seront remis à leur place. C’est à obtenir cette marque d’un retour sincère, qae Sa Majesté vous ordonne d’employer tous vos soins. J’écris à M. de Chollet pour qu’il vous seconde de tous les moyens que l’autorité de sa place pourra lui faire employer. » Je me suis concerté, ainsique l’ordonnait cette lettre, avec les officiers municipaux, pour aviser aux moyens de rétablir la subordination et de découvrir la cause de tant de désordres ; je crois tenir le fil de tous les troubles qui se sont propagés d’Antibes à Dunkerque, de Perpignan à Strasbourg; je suis prêt à compléter un corps de preuves, et je pourrai, sous peu de jours, vous dire quels sont les gens qui ont payé les troupes pour les soulever. Je me suis donc concerté avec la municipalité pour l’exécution des ordres du roi. Ma première démarche a été d’écrire aux officiers municipaux, pour leur demander l’instant où je pourrais prêter le serment en leur présence. Ma lettre était ainsi conçue; elle est datée du 9 juin: « Messieurs, je désire remplir à mon arrivée, à la tête du corps que j’ai l’honneur de commander, le devoir que me prescrit le décret rendu par l’Assemblée nationale et sanctionné par le roi, relativement au serment militaire. Gomme c’est en votre présence que ce serment doit être prêté, je vous prie de vouloir bien m’indiquer l’heure de la journée de demain qui pourra vous convenir, pour que je fasse prendre les armes au régiment de Touraine. Vous voudrez bien aussi m’indiquer le lieu qui vous sera le plus commode; je désirerais que la matinée vous convînt. Membre de i’ Assemblée nationale, je dois donner l’exemple de la soumission pour ses décrets; j’espère que vous verrez dans cette démarche, Messieurs, le zèle qui doit animer tout bon Français et le désir de donner au régiment de Touraine l’exemple du dévouement pour l’ordre, que je suis chargé d’y rétablir et d’y maintenir. » MM. les officiers municipaux me donnèrent jour pour le lendemain. Les trois officiers qui avaient été forcés à se retirer étaient à quinze lieues; ils manquèrent de chevaux pour leur retour, et ne purent arriver à temps. Je donnai contre-ordre au régiment qui devait s’assembler : voici quel était mon plan. J’aurais prêté le serment militaire prescrit parles décrets de l’Assemblée nationale; je l’aurais fait prêter ensuite de nouveau au régiment, et j’aurais profité de cette occasion pour dire aux soldats : « Vous venez de jurer d’être c fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de vous « conformer aux règles de la discipline militaire. 511 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.] « Je ne veux pas examiner si vous avez été fidè-« les au même serment, déjà prêté par vous « l’année dernière; je viens même vous offrir, de « la part du roi, l’oubli de tout ce qui s’est passé; « sa bonté veut bien ne voir que votre repentir : « fidèles à votre serment, vous allez exécuter ses « ordres, dont on va vous faire la lecture. » On aurait lu la lettre du roi. Je devais ensuite ordonner aux officiers qui auraient été à portée de l’esplanade de rentrer dans leurs compagnies; j’aurais réintégré l’adjudant dans son poste, et j’aurais fait défiler le régiment. S’il y avait eu du murmure ou de l'insurrection, j’aurais dit : « Que « ceux qui ne veulent pas obéir aux ordres du « roi sortent des rangs ! » Le contre-ordre ayant été doDné, le régiment ne prit pas les armes. Le lendemain, à sept heures et demie, ma porte fut ouverte avec fracas par l’adjudant et par une troupe de soldats qui parlaient tous à la fois. Je leur dis que ce n’était pas ainsi qu’on entrait chez un chef, et leur ordonnai de sortir, ce qu’ils firent. Je passai un pantalon, j’ordonnai qu’on fît entrer une députation des soldats, qui étaient à ma porte au nombre de cinq cents. Il en monta quinze ou vingt; un grenadier porta la parole, et me dit : « Mon colonel, on nous a dit que vous « aviez ordonné à Rochefort de quitter ses épau-« lettes d’adjudant, etque vous vouliez faire ren-« trer Maréchal? » — « Soldats, répondis-je, ce « n’est pas en foule et sans ordre que vous devez « interroger votre chef ; rendez-vous, calmes et « tranquilles, à votre quartier ; je vous y porterai « les ordres du roi et les miens : j’y serai dans « un quart d’heure. » Les députés me répondirent « que j’avais raison, qu’ils allaient s’y rendre, « qu’ils m’avaient toujours obéi et qu’ils m’obéi-« raient encore. » A peine étaient-ils descendus, qu’on vint me dire que les soldats ne voulaient point suivre l’avis des premiers; qu’ils avaient demandé « que je descendisse, et que j’étais bien « f ..... pour cela ». Je descendis avec sept officiers; les soldats se rangèrent à mon arrivée. Je leur répétai ce que j’avais dit à leurs camarades, et j’ajoutai (ceci est l’extrait d’un mémoire que je présentai à la municipalité de Perpignan) : «Je vous ordonne, soldats, au nom du serment que vous avez fait à la nation, à la loi et au roi, de vous rendre à votre quartier, et vous y recevrez mes ordres ; ce n’est pas au milieu d’une rue, et par une insurrection, que vous obtiendrez de moi une réponse : obéissez 1 » Des cris presque unanimes dirent non! Toujours calme, je répétai une seconde fois le même ordre; on me répondit encore non! J’eus beau dire que je n’étais pas accoutumé à obéir à mes subordonnés ; qu’ils pouvaient me casser, mais non pas me faire plier, les non furent toujours répétés. Un appointé de la compagnie de Vaubercy sortit du rang, s’avança vers moi, et me dit : « Nous savons que vous vou-« lez faire rentrer au régiment les gens qui ont a voulu nous faire du mal; mais f ..... I ils n’y « rentreront pas. » Ces propos étaient accompagnés de gestes dangereux et menaçants; un des officiers qui étaient près de moi m’avertit que d’autres ramassaient des pierres. Alors je fis un pas en arrière ; je dis : « A moi, Messieurs les of-« liciers ! » Je tirai mon épée, et, la portant en l’air, je criai : « Obéissez , soldats , à la voix de « votre chef ! » Au mouvement que nous fîmes pour mettre l’épée à la main, les soldats se jetèrent les uns sur les autres des deux côtés de la rue ; plusieurs tombèrent, et d’autres crièrent aux "armes ; ils coururent à leur quartier, où ils furent prendre les armes. » Ces faits sont attestés comme il suit : « Nous, Jacques Gavit; Ponilhari, maître perruquier ; Antoine Gommellan, négociant ; Joseph Lobes, bourgeois; Vincent Gormuzat, passementier; Jean Torreilles , sellier; Jacques-Philippe Mager, garçon perruquier ; Paul Ris, tailleur; Dominique Cazal, avocat; Jean Chepe, tailleur; et Pierre Laforêt, tous domiciliés dans cette ville de Perpignan, après avoir pris lecture de l’écrit ci-dessus, attestons et affirmons le contenu en icelui véritable, pour l’avoir vu et entendu ; et nousdits Chepe et Gommellan attestons de plus avoir entendu que plusieurs grenadiers criaient (en parlant de M. le vicomte de Mirabeau) : « Point de vive! il est f ..... pour venir ici! » ajoutant : « Il « faut qu’il vienne; c’est ici la tête, et il est f ..... « pour cela! » ce qu’ils ont répété plusieurs fois. — Nous tous susdits attestons en outre que, lorsque M. le vicomte de Mirabeau tira son épée, ainsi que MM. les officiers qui étaient avec lui, ils ne blessèrent, ni la portèrent contre personne; en témoins de quoi nous avons donné la présente attestation, que nous avons signée. « A Perpignan, le 12 juin 1790. « Chepe, Gommellan , Toreille, G.-J. Ponilhari Paul Ris, Philippe Meger, V. Camusat, Laforêt , Joseph Lobes , Cazal. « Signé à l’original qui est au pouvoir de M. le vicomte de Mirabeau : Nous, maire et officiers municipaux de la ville de Perpignan, certifions à tous qu’il appartiendra que les seings ci-dessus apposés sont véritables, etc. « Signé: d’Aguilar, maire; Cult et « Vaudricour, etc. » On vous a dit que j’avais versé le sang des soldats : vous voyez combien cette calomnie est odieuse. Mais on ne vous a pas parlé de huit cents soldats criminels qui enfoncent les portes de leur colonel, enlèvent les drapeaux et la caisse militaire!... Et ils ont été admis à la barre de l’Assemblée ! Je ne rappelle pas qu’on leur a accordé la séance. Messieurs, je vous demande pardon ..... Le désordre était à son comble; le désir de sauver un régiment avec lequel je sers depuis dix ans m’inspira des moyens de douceur et de conciliation que je mis en usage. Tout fut inutile... Je fis un calcul bien simple : trois cents soldats honnêtes, des officiers courageux et respectables avaient respecté leur devoir; il fallait conserver au roi ce noyau précieux d’un régiment qui s’était si souvent couvert de gloire, qui toujours avait été sans reproche. J’imaginai de porter les cravates des drapeaux au roi; je lui aurais dit : « Sire, envoyez les cravates dans une ville éloignée; appelez-y les soldats qui sont restés fidèles; ils viendront se réunir autour de leurs drapeaux... » Ce projet était celui d’un homme d’honneur ..... Le commandant avait obtenu que les drapeaux seraient portés, non chez le maire, je ne l’aurais pas souffert, mais dans ma chambre : je logeais alors chez M. d’Aguilar. On vous a dit qu’ils étaient dans un cabinet, c’est une fausseté; on vous a dit que les drapeaux étaient à la garde de M. d’Aguilar. Il faut qu’un colonel soit jugé avant que de lui enlever les drapeaux... M. d’Aguilar m’a si peu dit qu’il en était responsable, que les officiers qui se trouvaient souvent auprès de moi m’ont vu six fois, quand on venait chez moi en armes prendre le drapeau blanc, leur donner les autres en disant : « Il faut mourir. »0n a fait une singulière contradiction j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 Juin 1790.1 [Assemblée nationale.] on a dit d’abord que M. d’Aguilar était responsable des drapeaux qu’il gardait; on a dit ensuite que je les avais fait garder par le régiment de Yermandois. J’en avais le droit : M. d’Aguilar n’en était donc pas responsable... (Il s’élève quelques murmures.) Je rappellerai le mot sublime d’un de mes collègues : « Si vous êtes mes adversaires, levez-vous et sortez; si vous êtes mes juges 1 silence, écoutez-moi... » J’abandonnerai ce moyen, si vous le voulez; assurément, il est surabondant. Je le répète, nul que le colonel ne pouvait avoir la garde des drapeaux; ils étaient dans ma chambre. Je donne ma parole que M. d’Aguilar ne m’a jamais dit qu’il en répondît. Mes soldats ont bien pensé que je ne les rendrais pas; on a dit qu’on avait trouvé les cravates dans mes malles ; cela est faux; elles étaient là... sur ma poitrine; on n’aurait pu les avoir qu’en me tuant. On a pris le bon moyen pour les obtenir. La sûreté d’un citoyen étaitcompromise,du citoyen que je respecte le plus ; je les ai données avant même de m'être fait représenter à Gastelnaudary la réquisition de la municipalité de Perpignan. Quant à l’enlèvement de ces cravates, je l’ai fait par des motifs que je croirai bons tant qu’on ne m’aura pas prouvé qu’ils sont coupables. Quant au mode de l’enlèvement, je n’ai point violé l’hospitalité ; j’ai cru faire une action louable en sauvant le noyau du régiment coupable. Je suis innocent ; je crois mon innocence démontrée ; je crois que les preuves relatives à la manière dont mon régiment a été travaillé, payé, soldé, serviront encore à compléter ma justification . Cependant, comme je veux que mon innocence soit authentiquement connue, je serais fâché que l’inviolabilité que vous avez prononcée empêchât de me juger, je demande les seuls juges qui puissent me convenir; je demande un conseil de guerre pour juger le régiment et moi. C’est là que je porterai le calme de l’innocence, le courage qui la suit, et qui, je l’espère, ne m’abandonnera jamais. (On entend quelques applaudissements; il s'élève ensuite quelques murmures qui ne paraissent pas être d’improbation. — M. de Mirabeau le jeune quitte la tribune. — Il y reparaît un moment.) — On me fait ici un reproche : je serais au désespoir qu’on m’accusât d’avoir pris ud ton menaçant dans ma justification. (On entend dans plusieurs partie de la salle, ce mot : Non, non!) L’Assemblée renvoie la justification de M. de Mirabeau le jeune au comité des rapports réuni avec le comité militaire. La séance est levée à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ ASSEMBLÉE NATIONALE DU 27 juin 1790. Nota. Nous avons conservé, p. 509, à cause de son caractère mouvementé, la version du Moniteur relative au compte rendu fait par M. de Mirabeau le jeune sur l’affaire de Perpignan; mais comme le Moniteur est fort incomplet, nous avons pensé qu’il y avait lieu et qu’on nous saurait gré de reproduire ce compte rendu m extenso. Monsieur le Président et Messieurs, J’étais à deux cents lieues, il y a trois jours, lorsque votre décret m’est parvenu. Je désire que mon empressement à me rendre à vos ordres vous prouve le désir que j’ai de soumettre ma conduite à votre jugement. Il était d’autaut plus vif ce désir, que la calomuie m’a précédé ici, et a vomi contre moi une foule delibellesatroces, dont j’ai trouvé un exemplaire à chacune des postes de ma route, que la calomnie m’a accompagné, m’a environné de dangers depuis mon départ de Gastelnaudary, qu’hier encore, sans la présence d’esprit et la fermeté d’un officier municipal, j’aurais peut-être été la victime, à Etampes, d’une effervescence populaire (1). La calomnie dénaturera ces faits, et me suivra jusque dans mes moyens de défense, je m’y attends. Je n’apporte ici d’autres armes pour la combattre que le témoignage de ma conscience, le flambeau de la vérité, et un courage qui ne m’abandonnera jamais. Qu’aurais-je à redouter? Vous êtes mes juges, vous devez être justes, vous le serez: quant au peuple, je viens défaire l’heureuse expérience qu’il est aussi facilement désabusé que trompé. Celui de Gastelnaudary, qui, le quatorze, jour de mon arrestation, me couchait en joue, au moment où je me présentais à la fenêtre, désirant lui prouver que ma contenance et mon maintien n’étaient pas ceux d’un coupable, ce même peuple qui demandait avec acharnement, à cette époque, ma tête, et dont la férocité me rendait un hommage, en disant qu’il fallait me fusiller et non méprendre, m’a témoigné par des cris de joie, le 22 du même mois, jour où votre décret iui a été connu, l’intérêt qu’il prenait à ma délivrance; mes gardes même, sont venus eu foule me complimenter. J’avais passé neuf jours au milieu de ce peuple, il avait été à même de juger si j’étais un monstre capable des crimes les plus horribles. Les paysans, dont j’entendais à peine l’idiome, interprétant à leur manière votre décret, s’écriaient : Nous sommes bien aises qu'il ait sa grâce , car il a l’air d'un bon homme. Je me contenterai d’ajouter une simple observation préalable, pour laquelle je demande votre attention, que je serai dans le cas de réclamer souvent aujourd’hui, d’après la faiblesse de mon organe, qui tient à une grande lassitude, et à une extrêmement longue insomnie. Cette observation porte sur la mauvaise intention qu’on a (1) En passant à Étampes, le sergent d’un corps de garde nationale est venu me demander si j’étais le vicomte de Mirabeau. Sur mon affirmative, une garde de quinze hommes a entouré ma voiture, et m’a dit être chargée de veiller à ma sûreté. J’ai observé au sergent, commandant du poste, que le moyen qu’il employait était le moins propre à remplir le but qu’il s’était proposé. Il m’a montré la lettre de M. de Saint-Priest, la proclamation du roi, l’ordre des officiers municipaux, et m’a dit qu’il faisait son devoir; je me suis résigné : ce que jsavais prévu est arrivé, le peuple s’est amassé et a pressé ma voiture ; arrivé près de la poste, les cris d’avistocrate et de lanterne m’ont ac-cuellis, j’ai mis la tète à la portière et me suis contenté d’observer que j’étais familiarisé avec ces expressions, et que je demandais du neuf. Je suis parvenu à faire rire mes voisins, et c’est beaucoup : mais un officier municipal, qui est accouru à moi, et qui a conservé au milieu du tumulte un courage et un sangfroid auxquels je dois beaucoup, est monté à côté de moi, a ordonné au postillon de me conduire à bride abattue hors de la ville, ce qui a été exécuté : l’officier municipal m’a mis et laissé en sûreté, m’a quitté, et je suis heureux de pouvoir lui payer en cette occasion un nouveau tribut de reconnaissance.