SÉANCE DU 10 MESSIDOR AN II (28 JUIN 1794) - N08 34-35 245 34 La section de l’Homme-Armé se présente à la Convention pour lui annoncer que Nicolas Vacher, garçon tonnelier, âgé de 18 ans, tomba, le 27 prairial, dans la chaudière brûlante de la lessive du salpêtre; qu’un ouvrier de l’atelier (le citoyen Charté) plongea aussitôt ses bras dans l’eau bouillante, saisit Vacher par sa chemise, qui, en se déchirant, le replonge dans la même chaudière; que le même ouvrier, insensible à la douleur qu’il éprouvoit, et ne connoissant plus de danger que pour le malheureux Vacher, replonge de nouveau ses bras dans le salpêtre bouillant, saisit la victime par un bras et une jambe,, et le sort de ce gouffre enflammé pour le voir expirer trois heures après; que le généreux Charté a oublié sa qualité de père et d’époux, son existence même, pour n’écouter que la voix de la nature et de l’humanité; que le père de Vacher a tout perdu dans la perte de son fils. La section de l’Hom-me-Armé présente le père Vacher, qui vient au sein de la Convention épancher ses chagrins et sa douleur. Elle présente Charté, qui vient exprimer sa joie d’avoir été assez heureux pour faire, aux dépens même de sa vie, une action louable et digne d’un républicain français (1). L’orateur : Citoyens législateurs, la section de l’Homme-Armé nous députe vers vous pour vous faire part du malheur le plus funeste arrivé dans son sein, et de l’action la plus courageuse qui en a résulté. Le 27 prairial, à 2 heures après midi, tous les citoyens tant salariés que volontaires, travaillant à l’atelier des salpêtres, se retirent pour aller dîner. Un des volontaires, nommé Nicolas Vacher, garçon tonnelier, âgé de 18 ans, reste avec le chef de la chaudière et un autre ouvrier. Ce volontaire va s’asseoir sur le bord de la chaudière. Le chef n’est pas plus tôt sorti que l’ouvrier occupé à sa besogne voit ce malheureux jeune homme tomber à la renverse dans la chaudière. Cet ouvrier ne fait qu’un pas d’où il est à cette chaudière, et, sans hésiter un instant, plonge ses bras dans l’eau bouillante, le saisit par la chemise, le relève; mais en le soulevant sa chemise lui reste dans les mains et il retombe de nouveau; ce brave citoyen replonge ses bras dans le salpêtre bouillant, le prend par un bras et une jambe, et le retire de ce gouffre. A ses cris tous les secours possibles arrivent en un moment; des linges, des draps sont apportés; des officiers de santé le pansent, l’enveloppent; il a toute sa connaissance, il voit, il parle, remercie ceux qui le soignent, il est porté à l’hospice de l’Humanité, où trois heures après il expire. A ce triste récit qui de nous ne se sent pénétré de la plus vive douleur ? Un jeune républicain, l’espoir de la patrie, destiné pour la défendre au milieu des combats, se voit tout à coup ravi cet honneur insigne, et privé, par le plus inopiné des malheurs, de remplir une tâche si glorieuse. (1) P.V., XL, 246. Bin, 12 mess.; J. Lois, n° 638; Ann. RJ., n° 211; C. univ. n» 910; M.U., XLI, 172; F, SP., n° 359; J. Fr., n°642; Audit, nat., n°643; J. Paris, n° 548; Mess. Soir, n° 678. Citoyens représentants, ce récit, tout déchirant qu’il est, ne doit pas laisser perdre de vue l’action du citoyen Charté, qui, oubliant sa qualité de père et d’époux pour n’écouter que la voix de l’humanité, au risque d’éprouver les plus grandes douleurs, les plus grandes angoisses, au risque, dis-je, d’être estropié pour la vie, plonge, à deux fois différentes, ses bras dans cette liqueur bouillante pour sauver ce cher citoyen. Cette action, ce courage intrépide sont dignes d’admiration; mais on ne peut en être ni surpris ni étonné : depuis que la Convention, que les habitants de cette Montagne, modèle de toutes les vertus, les a mises à l’ordre du jour, est-il rien dont un républicain ne puisse être capable ? Ce jeune républicain, en perdant la vie, prive un père infortuné qui n’a d’autres ressources en ce moment que d’être garçon de salle à l’hospice de la Salpêtrière, ce qui ne lui procure que sa nourriture; le prive, dis-je, du secours que ce tendre fils lui procurait et lui aurait procuré dans ses vieux jours. Ce triste et malheureux père regrette d’autant plus la vie de son fils qu’il l’a perdu sans pouvoir être utile à sa patrie; mais l’espoir consolant qui lui reste est dans un autre fils qui est aux frontières, qui sûrement, en apprenant la triste destinée de son frère, va redoubler d’efforts et de courage pour écraser et anéantir tous les misérables et les monstres qui en veulent à notre bonheur et à notre destinée. La section de PHomme-Armé, au récit qui lui a été fait de cet événement, n’a pu retenir sa sensibilité et sa reconnaissance; elle a anticipé sur la sollicitude paternelle de la Convention en accordant quelques secours provisoires à ce brave Charté et à ce père infortuné. Les voici tous deux, citoyens représentants ! Quelle satisfaction, quel tressaillement ne doivent-ils pas éprouver en ce moment ! L’un vient épancher ses chagrins et sa douleur dans le sein des pères de la patrie, les consolateurs et protecteurs de l’humanité souffrante; l’autre vient au milieu de cette cité républicaine, séjour heureux des âmes pures et sans reproche, non pas pour s’attirer des applaudissements; mais le citoyen Charté vient vous exprimer la douce joie et le plaisir infini qu’il a ressenti et qu’il ressent d’avoir été assez heureux pour faire une bonne action (1) . [Applaudissements]. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi aux comités de secours et d’instruction publique. 35 Un membre observe que le bulletin de la Convention nationale n’est pas lisible, et propose d’exciter à ce sujet la surveillance des inspecteurs de la salle. Renvoi au comité des inspecteurs de la salle (2). (1) Mon., XXI, 83; J. univ., n° 1679; Arm. pair., n° DXXXXIV; Rép., n°191; J. Sablier, n° 1405; Débats, n° 649. (2) P.V., XL, 246. SÉANCE DU 10 MESSIDOR AN II (28 JUIN 1794) - N08 34-35 245 34 La section de l’Homme-Armé se présente à la Convention pour lui annoncer que Nicolas Vacher, garçon tonnelier, âgé de 18 ans, tomba, le 27 prairial, dans la chaudière brûlante de la lessive du salpêtre; qu’un ouvrier de l’atelier (le citoyen Charté) plongea aussitôt ses bras dans l’eau bouillante, saisit Vacher par sa chemise, qui, en se déchirant, le replonge dans la même chaudière; que le même ouvrier, insensible à la douleur qu’il éprouvoit, et ne connoissant plus de danger que pour le malheureux Vacher, replonge de nouveau ses bras dans le salpêtre bouillant, saisit la victime par un bras et une jambe,, et le sort de ce gouffre enflammé pour le voir expirer trois heures après; que le généreux Charté a oublié sa qualité de père et d’époux, son existence même, pour n’écouter que la voix de la nature et de l’humanité; que le père de Vacher a tout perdu dans la perte de son fils. La section de l’Hom-me-Armé présente le père Vacher, qui vient au sein de la Convention épancher ses chagrins et sa douleur. Elle présente Charté, qui vient exprimer sa joie d’avoir été assez heureux pour faire, aux dépens même de sa vie, une action louable et digne d’un républicain français (1). L’orateur : Citoyens législateurs, la section de l’Homme-Armé nous députe vers vous pour vous faire part du malheur le plus funeste arrivé dans son sein, et de l’action la plus courageuse qui en a résulté. Le 27 prairial, à 2 heures après midi, tous les citoyens tant salariés que volontaires, travaillant à l’atelier des salpêtres, se retirent pour aller dîner. Un des volontaires, nommé Nicolas Vacher, garçon tonnelier, âgé de 18 ans, reste avec le chef de la chaudière et un autre ouvrier. Ce volontaire va s’asseoir sur le bord de la chaudière. Le chef n’est pas plus tôt sorti que l’ouvrier occupé à sa besogne voit ce malheureux jeune homme tomber à la renverse dans la chaudière. Cet ouvrier ne fait qu’un pas d’où il est à cette chaudière, et, sans hésiter un instant, plonge ses bras dans l’eau bouillante, le saisit par la chemise, le relève; mais en le soulevant sa chemise lui reste dans les mains et il retombe de nouveau; ce brave citoyen replonge ses bras dans le salpêtre bouillant, le prend par un bras et une jambe, et le retire de ce gouffre. A ses cris tous les secours possibles arrivent en un moment; des linges, des draps sont apportés; des officiers de santé le pansent, l’enveloppent; il a toute sa connaissance, il voit, il parle, remercie ceux qui le soignent, il est porté à l’hospice de l’Humanité, où trois heures après il expire. A ce triste récit qui de nous ne se sent pénétré de la plus vive douleur ? Un jeune républicain, l’espoir de la patrie, destiné pour la défendre au milieu des combats, se voit tout à coup ravi cet honneur insigne, et privé, par le plus inopiné des malheurs, de remplir une tâche si glorieuse. (1) P.V., XL, 246. Bin, 12 mess.; J. Lois, n° 638; Ann. RJ., n° 211; C. univ. n» 910; M.U., XLI, 172; F, SP., n° 359; J. Fr., n°642; Audit, nat., n°643; J. Paris, n° 548; Mess. Soir, n° 678. Citoyens représentants, ce récit, tout déchirant qu’il est, ne doit pas laisser perdre de vue l’action du citoyen Charté, qui, oubliant sa qualité de père et d’époux pour n’écouter que la voix de l’humanité, au risque d’éprouver les plus grandes douleurs, les plus grandes angoisses, au risque, dis-je, d’être estropié pour la vie, plonge, à deux fois différentes, ses bras dans cette liqueur bouillante pour sauver ce cher citoyen. Cette action, ce courage intrépide sont dignes d’admiration; mais on ne peut en être ni surpris ni étonné : depuis que la Convention, que les habitants de cette Montagne, modèle de toutes les vertus, les a mises à l’ordre du jour, est-il rien dont un républicain ne puisse être capable ? Ce jeune républicain, en perdant la vie, prive un père infortuné qui n’a d’autres ressources en ce moment que d’être garçon de salle à l’hospice de la Salpêtrière, ce qui ne lui procure que sa nourriture; le prive, dis-je, du secours que ce tendre fils lui procurait et lui aurait procuré dans ses vieux jours. Ce triste et malheureux père regrette d’autant plus la vie de son fils qu’il l’a perdu sans pouvoir être utile à sa patrie; mais l’espoir consolant qui lui reste est dans un autre fils qui est aux frontières, qui sûrement, en apprenant la triste destinée de son frère, va redoubler d’efforts et de courage pour écraser et anéantir tous les misérables et les monstres qui en veulent à notre bonheur et à notre destinée. La section de PHomme-Armé, au récit qui lui a été fait de cet événement, n’a pu retenir sa sensibilité et sa reconnaissance; elle a anticipé sur la sollicitude paternelle de la Convention en accordant quelques secours provisoires à ce brave Charté et à ce père infortuné. Les voici tous deux, citoyens représentants ! Quelle satisfaction, quel tressaillement ne doivent-ils pas éprouver en ce moment ! L’un vient épancher ses chagrins et sa douleur dans le sein des pères de la patrie, les consolateurs et protecteurs de l’humanité souffrante; l’autre vient au milieu de cette cité républicaine, séjour heureux des âmes pures et sans reproche, non pas pour s’attirer des applaudissements; mais le citoyen Charté vient vous exprimer la douce joie et le plaisir infini qu’il a ressenti et qu’il ressent d’avoir été assez heureux pour faire une bonne action (1) . [Applaudissements]. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi aux comités de secours et d’instruction publique. 35 Un membre observe que le bulletin de la Convention nationale n’est pas lisible, et propose d’exciter à ce sujet la surveillance des inspecteurs de la salle. Renvoi au comité des inspecteurs de la salle (2). (1) Mon., XXI, 83; J. univ., n° 1679; Arm. pair., n° DXXXXIV; Rép., n°191; J. Sablier, n° 1405; Débats, n° 649. (2) P.V., XL, 246.