613 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 février 1790.] « M. le garde des sceaux a élé invité par M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères, de transmettre à M. le Président de l’Assemblée nationale la copie de la lettre que lui a écrite M. l’évêque de Basle, le 26 septembre dernier, et le traité sur lequel il fonde ses prétentions. « Signé : CHAMPION DE CiCÉ, archevêque de Bordeaux. « Paris, le 16 février 1790. » Cette lettre est accompagnée des pièces qu’elle annonce. L’Assemblée renvoie le tout au comité de la féodalité, pour en faire incessamment son rapport. M. le Président fait lecture d’une seconde lettre de M. le garde des sceaux , conçue dans les termes suivants : « Le Roi a accepté le décret de l’Assemblée nationale du 11 de ce mois, sur la détermination de la valeur locale de la journée de travail, d’après laquelle doit se faire la liste des citoyens actifs, et celui du même jour concernant la municipalité de Noyon. « Sa Majesté a aussi sanctionné : « 1° Le décret du 5, portant que tous possesseurs de bénéfices, ou de pensions, sur les biens ecclésiastiques quelconques, seront tenus d’en faire leur déclaration ; et, en outre, suppression de maisons religieuses de chaque ordre ; « 2° Le décret du 6, concernant les magistrats qui composaient la dernière chambre des vacations du parlement de Rennes ; « 3° Le décret du 8, portant qu’il sera assis sur tous les citoyens de la ville de Rouen, qui payent trois livres et plus de capitation, une contribution égale aux trois quarts de la capitation ; « 4° Le décret du 10, relatif aux faits allégués contre la validité de l’élection des officiers municipaux de Saint-Jean-d'Angely ; « 5° Le décret du 1 1 , portant qu’il sera mis sous les yeux de l’Assemblée nationale, sous 15 jours, un état exact, tant des sommes auxquelles se montent les dons patriotiques, que de la quantité de vaisselle d’or et d’argent, du numéraire qu’elle a produit, et quel en a été l’emploi. t Quant à celui du 9, concernant l’exécution du décret du 10 août dernier, en ce qui regarde le maintien de la tranquilité publique. Sa Majesté l’a pareillement sanctionné ; mais elle a voulu que le mémoire ci-joint fût communiqué à l’Assemblée nationale, et M. le Président est prié de vouloir bien lui en faire donner lecture. « Signé : Champion DE ClCÛ. « Arch. de Bordeaux. « Paris, 16 février 1790. » Cette lettre est accompagnée d’un mémoire concernant les désordres qui régnent dans quelques provinces. Un de MM. les secrétaires donne lecture de ce mémoire qui porte en substance : Les désordres qui régnent dans les provinces affectent douloureusement le cœur de Sa Majesté. Si ces alarmantes insurrections n’avaient pas un terme prochain, toutes les propriétés seraient bientôt violées; rien n’est sacré pour les brigands. Sa Majesté, en sanctionnant le décret relatif à l’organisation des nouvelles municipalités, était dans la confiance que les officiers civils et municipaux emploieraient, avec autant de courage que de succès, tous les moyens possibles d’arrêter les troubles qui se propagent. Cependant ces troubles subsistent encore dans les provinces méridionales ; et Sa Majesté, voulant donner à son peuple l’exemple du respect qu’on doit à la loi, communique à l’Assemblée l’exposé des malheurs dont la ville de Béziers particulièrement vient d’être le théâtre. L’Assemblée nationale devra prendre à ce sujet le parti qui lui paraîtra convenable, et qu’elle pèsera instantanément dans sa sagesse. Des gens faisant la contrebande du sel furent arrêtés aux portes de Béziers, par les commis chargés du recouvrement des deniers royaux. Un nombre infini d’hommes s’armèrent pour attaquer les commis. M. de Vodre, colonel-commandant du régiment de Médoc, en garnison dans cette ville, fît de lui-même, et sans l’autorisation de la municipalité, de vains efforts pour arrêter les brigands. Quelques commis se réfugièrent à l’hôtel-de-ville; M. de Yodre insista inutilement pour qu’un consul au moins y passât la nuit. Le peuple demandait à grands cris que le nommé Bernard et les autres commis lui fussent livrés. M.de Vodre prévint ces malheureux persécutés, et se flatta d’empêcher le peuple d’entrer pendant une heure. Les portes furent fermées, et bientôt enfoncées ; les séditieux poursuivirent leur proie. Les malheureux commis furent mutilés d’une manière horrible. Cinq d’entre eux furent pendus, et le secours du commandant, sollicité par plusieurs citoyens, parvint enfin à calmer, un peu tard, la fureur des scélérats. Le récit de ces horreurs a vivement affecté l’Assemblée, qui en a témoigné sa juste indignation. M. Emmcry. Je cède à l’impression que je viens d’éprouver, et je ne prends la parole que pour examiner avec vous les moyens que nous devons employer pour empêcher que de semblables horreurs "se renouvellent. Nous écarterons-nous des principes que nous avons adoptés, ou bien ne nous en écarterons-nous pas ? Je ne crois pas que, quelque graves que soient les circonstances, nous puissions, nous devions nous écarter de nos principes. J’ai toujours pensé que le Roi, comme chef du pouvoir exécutif, a dans sa main tous les moyens de réprimer les émeutes. Les officiers civils doivent, dans des cas d’insurrection, requérir la force militaire et diriger cette force. Voilà le principe. Mais les officiers ne veulent pas, dit-on, requérir cette force, crainte des suites funestes qu’un pareil acte peut amener pour eux-mêmes. J’observe d’abord que les officiers municipaux, établis par le nouveau régime, n’ont pas encore été dans le cas de donner des preuves ni de leurs alarmes, ni de leur volonté, ni de leur courage. Je crois, moi, que nous devons compter sur les nouveaux officiers municipaux. D’ailleurs, les tribunaux seront bientôt organisés, et dès lors nous aurons le moyen sûr de prévenir les maux qui nous affligent. Mais il est indispensable d’aviser à un expédient pour parer aux maux actuels, aux maux du moment. Quel moyen emploierons-nous pour cela ? Je n’ose en prévenir aucun ; je ne pense pas que vous deviez en adopter aucun sans réflexions, et je me borne à demander que votre comité de constitution soit obligé de vous .présenter demain, demain sans faute, un projet de décret qui remédie au mal, avec une telle mesure que votre sagesse et la liberté du peuple ne soient pas compromises. M. le marquis de Foueault. Je suis allé 614 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 février 1790.) hier au comité des rapports. Je voulais lui communiquer des détails sur les insurrections qui s’élèvent dans ma province (le Périgord). Ledit comité était séparé, et je ferai mon rapport moi-même. Je n’ai pas fait de discours étudié. Je ne suis pas venu ici pour entretenir des correspondances avec les ministres. Que tout le monde en dise autant. Je crois que l'origine des troubles des provinces méridionales est dans le Bas-Limousin ; que les chefs actifs des émeutes s’autorisent de l’abolition du régime féodal et se livrent à toutes sortes d’infamies d’après des décrets et des ordres du Roi supposés. Ces chefs convoquent les assemblées de paroisses pour planter le mai et éclairer les châteaux ; c’est le mot d’ordre. Ils vont d’abord chez les seigneurs ; ils les somment d’abattre les girouettes de leurs châteaux, de faire porter sur la place les mesures, du vin, des rubans et des plumes, sous peine d’être éclairés ; ils prennent dans les bois le plus bel arbre qu’ils plantent sur la place et auquel ils attachent les girouettes , les cribles et les plumes avec des rubans et mettent ensuite pour légende : Quittance finale des rentes. Je crois qu’il serait convenable de cantonner dans les villages de la cavalerie qui se joindrait au besoin avec la maréchaussée et réprimerait les violences par la force. Le peuple est bon, mais il est facile à séduire ; il faudrait s’attacher à punir ceux qui l’égarent; j’ai entendu dire à cette tribune que dans dix ans tous les citoyens sauraient écrire ; je n’en crois rien, mais si cela était, je le regarderais comme le plus grand des malheurs. M. Malès. Le moyen le plus efficace de maintenir l’ordre et la paix parmi les hommes, c’est de les éclairer sur leurs véritables intérêts, qui seront toujours d’observer la justice et de respecter la propriété. C’est pour arriver à ce résultat que le comité patriotique de Brive, en Bas-Limousin, a fait répandre à profusion la lettre suivante : LETTRE CIRCULAIRE DU COMITÉ PATRIOTIQUE DE BRIVE AUX HABITANTS DE LA CAMPAGNE. Messieurs et chers amis, Tous les braves gens voient avec la plus grande peine ce qui se passe dans quelques paroisses. Ceux qui forment des attroupements et qui se rassemblent soit pour aller chez les seigneurs, soit chez d’autres particuliers, sont coupables envers la nation et envers le Roi; le Roi et l’Assemblée nationale défendent ces attroupements sous les peines les plus graves. Vous manquez à la loi : vous allez contre les premières notions de la justice et de la raison, quand vous vous présentez en attroupements chez quelqu’un pour manger son pain, pour boire son vin et pour le mettre à contribution. Les maisons doivent être des asiles assurés pour tous ceux qui les habitent, et ceux qui ne respectent pas ces asiles méritent d’être punis. Si des ennemis très étraogers venaient en faire autant chez vous, vous vous plaindriez. Combien ne doivent pas se plaindre vos voisins qui se voient ainsi persécutés par leurs propres concitoyens, par leurs propres frères qui devraient être les premiers à les protéger et à les défendre? Dans vos campagnes où les instructions ne peuvent parvenir qu’un peu tard, où la plupart des habitants, occupés aux travaux de l’agriculture, ne peuvent eux-mêmes s’instruire que lentement; vous vous demandez ce que portent les lois nouvelles, vous vous persuadez tout ce qui peut vous plaire, et vous vous permettez d’agir en conséquence. Nos chers amis, ce n’est pas le peuple qui peut se faire des lois, parce qu’il lui serait impossible de s’entendre, et qu’il n'est pas, d’ailleurs, assez éclairé pour connaître celles qui lui sont nécessaires. Cè sont ses représentants, ses députés qui doivent les faire. C’est le Roi qui doit les sanctionner et les faire exécuter. Laissez donc agir l’Assemblée nationale et le Roi, qui ne travaillent que pour votre bonheur. En attendant, conformez-vous aux lois que -vous connaissez ; elles subsistent toujours jusqu’à ce que les nouvelles soient achevées et soient mises à exécution. C’est inutilement que vous attendriez des lois qui vous permissent d’agir par des voies de fait, et de vous faire justice vous-mêmes. C’est précisément pour éviter ce désordre que les lois ont toujQurs été et seront toujours nécessaires. Croyez-vous qu’il existe jamais des lois qui autorisent le voll Mais qu’est-ce donc que voler? Qu’est-ce autre chose que de prendre le bien d’autrui, ou de forcer quelqu’un à nous donner ce qu’il possède, ce qu’il aurait droit de nous refuser et qu’il nous refuserait s’il en était le maître? La violence n’est jamais permise; si vous prétendez que votre voisin, riche ou pauvre, vous doive quelque chose, vous ne pouvez pas employer la violence pour l’obtenir, vous devez vous pourvoir devant les juges. Ces juges ne sont autres que ceux que vous avez déjà ; ils ont ordre de continuer leurs fonctions jusqu’à ce qu’il en ait été créé d’autres. Quand l’ Assemblée nationale a dit que tous les hommes étaient égaux en droit, elle a entendu seulement qu’ils doivent tous être également protégés par les lois ; mais elle ne veut pas que personne ait droit sur les propriétés d’un autre; elle veut que chacun soit plus assuré que jamais de jouir avec tranquillité de ce qu’il possède. Pourquoi vous persuade-t-on d’inquiéter les seigneurs? ne sont-ils pas hommes comme vous? N’ont-ils pas le même droit que vous à la protection de la loi? Ne sont-ils pas les maîtres de leurs propriétés autant que vous pouvez l’être des vôtres ? Vous voulez donc que la loi soit pour vous, et qu’elle ne soit pas pour les autres ? Mais la loi doit être pour tous. Si les seigneurs avaient ci-devant des privilèges, ils les ont sacrifiés; ils payent la taille, tout comme nous; ils s’empressent de reconnaître qu’ils sont nos égaux, qu’ils n’ont pas plus d’autorité que les autres hommes; plus ils perdent, moins ils méritent d’être insultés; ils ne sont plus à craindre pour personne, il faut donc les laisser tranquilles; mais si nous ne les craignons plü3, nous devons craindre les lois qui nous punissent toujours, et plus sévèrement que jamais si nous n’y sommes pas soumis. Ceux qui ont persuadé ces attroupements dans les paroisses où ils ont eu lieu sont des ignorants ou des méchaDts qui ont trompé les autres; ils ont fait faire des maux infinis qui, tôt ou tard, retomberont sur eux, et peut-être sur la société entière. Nous sommes tous intéressés, les pauvres comme les riches, à ce que nous soyons bien gouvernés. Si nous ne reconnaissons plus de frein ; si par l’effet des désordres de cette espèce, le Roi n’est plus le maître, nous allons tomber dans les mains des nations étrangères qui ne