SÉANCE DU 11 PRAIRIAL AN II (30 MAI 1794) - N° 43 143 « V. - L’insertion au bulletin tiendra lieu de publication (1). BARERE termine en annonçant que le comité proposera un projet de décret pour faire cesser la domesticité mâle, et rendre aux campagnes la multitude d’hommes que la paresse portoit seule à faire ce honteux métier. De nombreux applaudissements ont accueilli cette annonce. 43 Un membre [GRÉGOIRE] propose des vues sur l’utilité de la conservation et de l’établissement des jardins botaniques dans plusieurs parties de la République, et sur les moyens de les peupler de plantes (2) . GRÉGOIRE, au nom du comité d’agriculture, de commerce et d’instruction publique : « Un décret du 16 germinal (3) enjoint aux administrations de district « de prendre sans » délai les mesures les plus actives pour la con-» servation provisoire et l’entretien des jardins » botaniques et plantes rares qui sont dans leurs » arrondissemens ». Le 6 floréal (4) vous avez décrété que des fonds seroient faits pour que ces établissemens deviennent ce que leur institution désigne, et rendent par ce moyen aux arts et à l’humanité ce que la négligence et la malveillance leur ont fait perdre; vous avez ordonné qu’il vous seroit fait un rapport sur la quotité des fonds à verser pour cet objet. Ainsi la sagesse de la Convention nationale oppose sans cesse des mesures conservatrices à cet esprit contre-révolutionnaire qui, par des destructions de tout genre, vouloit nous appauvrir et nous déshonorer. Il y a neuf mois que j’ai dénoncé ce dont moi-même j’avois été témoin à Chantilly, où une haute-futaye de quelques centaines d’orangers a été convertie en bois de chauffage. Indépendamment du produit qu’on pouvoit s’en promettre, ces orangers auroient pu former dans toutes les avenues du palais national les avenues les plus magnifiques. On vous a parlé des dégradations de tout genre commises dans divers jardins nationaux, entr’autres à celui de Montpellier, l’un de ceux qui appellent plus particulièrement votre sollicitude. Dût-on prendre le parti d’aliéner ces domaines, il n’en seroit pas moins urgent de les (1) P.V., XXXVin, 211. Minute de la main de Barère (C304, pl. 1123, p. 16). Décret n° 9338. Reproduit dans Bin, 11 prair. (1er suppl1) et 13 prair.; J. Mont., n° 35; Débats, n08 618, p. 159 et 619, p. 173; mention dans Rép., n° 163; J. Fr., n08 614 et 615; J. Paris, n° 516; Ann. R.F., n«8 183 et 187; J. Perlet, n° 616; J. Matin, n° 679 (sic); Mess, soir, n° 651; M.U., XL, 189; C. Eg., n° 651; J. Sablier, n° 1350; C. Univ., 12 prair.; J. Vniv., n08 1649 et 1651; J. S.-Culottes, n° 470; Audit, nat., n° 615; Feuille Rép., n° 333; Ann. R.F., n° 188; J. Fr., n° 621. (2) P.V., XXXVIII, 217. (3) Voir Arch. pari. T. LXXXVIII, n° 49, du 16 germ. II. (4) Voir Arch. pari. T. LXXXIX, n° 45, du 6 flor. soigner, puisque la dévastation ou l’abandon les présente sous une forme désavantageuse à la vente. Mais pourquoi vendre des établissemens qu’il faudroit créer s’ils n’existoient pas ? Dans plusieurs rapports consécutifs; présentés à la Convention il y a 8 mois, je crois en avoir prouvé l’utilité jusqu’à l’évidence. Annuellement nous importons de l’étranger pour des sommes immenses ce que notre sol nous fourniroit si nous sollicitions sa fécondité. La France est située de manière à devenir, quand nous voudrons, l’abrégé de tous les climats et l’entrepôt de l’Europe. Les plantes qui croissent entre les tropiques prospèrent dans nos départemens méridionaux; toutes les plantes septentrionales, jusqu’aux dernières limites de la végétation, s’acclimatent dans ceux du Nord. En secondant ou en combattant l’influence du climat, sans brusquer le tempérament des plantes les plus rebelles, insensiblement on a vaincu leur répugnance, et des familles nouvelles passant du Midi au Nord et du Nord au Midi, montent sur nos coteaux, descendent dans nos vallons, augmentent nos jouissances et agrandissent le domaine des arts. Depuis Duhamel, c’est-à-dire depuis environ 50 ans, en plantes ligneuses, arbres, arbrisseaux et sous-arbrisseaux, nous avons acquis plus de 800 espèces qui croissent actuellement en pleine terre, et quelques-uns de ces individus isolés en très-petit nombre dans des possessions, devenues nationales, doivent être d’autant plus soigneusement conservés qu’ils commencent à donner leurs fruits et faciliter les moyens de multiplication. Les végétaux les plus précieux sur-tout pour la nourriture, sont originairement des étrangers naturalisés chez nous. Outre les plantes alimentaires pour les hommes et les animaux, nous avons obtenu des plantes à teinture, à filature; des arbres à fruit, des arbres forestiers pour l’architecture civile et navale. De nouveaux efforts nous promettent de nouvelles conquêtes, auxquelles nous ne devons assigner d’autres bornes que celles de la nature. Parmi les plantes qui croissent spontanément sur notre sol, il en est une nouvelle foule qui n’ont point encore acquis la perfection végétale et qui peuvent être de la plus grande utilité, lorsqu’elles auront subi les heureuses métamorphoses par lesquelles la culture les adapte à nos usages. Les environs de Paris ne présentent que 1 200 végétaux indigènes. Vers les Pyrénées on en compte 1800. Dans les départemens de l’Isère, de la Drôme, des Hautes-Alpes, on en trouve environ 3 000. Il n’y en a guères que le trentième qui soient réputées alimentaires, et cependant un naturaliste vous en montre jusqu’à 500 (5) qui contiennent, à divers degrés, la substance nutritive : il la trouve jusques dans les lichen, les conserva, les tremella, les bissus; il la trouve même dans les plantes vénéneuses, et qui, de même que le manioc en Amérique, peuvent être dépouillées de leur qualités nuisibles, et accroître la masse de nos comestibles. (5) Voir Catalogues des substances végétales qui peuvent servir à la nourriture de l’homme, et qui se trouvent dans les départements de l’Isère, de la Drôme, des Hautes-Alpes, par le Cn Villar, à Grenoble. SÉANCE DU 11 PRAIRIAL AN II (30 MAI 1794) - N° 43 143 « V. - L’insertion au bulletin tiendra lieu de publication (1). BARERE termine en annonçant que le comité proposera un projet de décret pour faire cesser la domesticité mâle, et rendre aux campagnes la multitude d’hommes que la paresse portoit seule à faire ce honteux métier. De nombreux applaudissements ont accueilli cette annonce. 43 Un membre [GRÉGOIRE] propose des vues sur l’utilité de la conservation et de l’établissement des jardins botaniques dans plusieurs parties de la République, et sur les moyens de les peupler de plantes (2) . GRÉGOIRE, au nom du comité d’agriculture, de commerce et d’instruction publique : « Un décret du 16 germinal (3) enjoint aux administrations de district « de prendre sans » délai les mesures les plus actives pour la con-» servation provisoire et l’entretien des jardins » botaniques et plantes rares qui sont dans leurs » arrondissemens ». Le 6 floréal (4) vous avez décrété que des fonds seroient faits pour que ces établissemens deviennent ce que leur institution désigne, et rendent par ce moyen aux arts et à l’humanité ce que la négligence et la malveillance leur ont fait perdre; vous avez ordonné qu’il vous seroit fait un rapport sur la quotité des fonds à verser pour cet objet. Ainsi la sagesse de la Convention nationale oppose sans cesse des mesures conservatrices à cet esprit contre-révolutionnaire qui, par des destructions de tout genre, vouloit nous appauvrir et nous déshonorer. Il y a neuf mois que j’ai dénoncé ce dont moi-même j’avois été témoin à Chantilly, où une haute-futaye de quelques centaines d’orangers a été convertie en bois de chauffage. Indépendamment du produit qu’on pouvoit s’en promettre, ces orangers auroient pu former dans toutes les avenues du palais national les avenues les plus magnifiques. On vous a parlé des dégradations de tout genre commises dans divers jardins nationaux, entr’autres à celui de Montpellier, l’un de ceux qui appellent plus particulièrement votre sollicitude. Dût-on prendre le parti d’aliéner ces domaines, il n’en seroit pas moins urgent de les (1) P.V., XXXVin, 211. Minute de la main de Barère (C304, pl. 1123, p. 16). Décret n° 9338. Reproduit dans Bin, 11 prair. (1er suppl1) et 13 prair.; J. Mont., n° 35; Débats, n08 618, p. 159 et 619, p. 173; mention dans Rép., n° 163; J. Fr., n08 614 et 615; J. Paris, n° 516; Ann. R.F., n«8 183 et 187; J. Perlet, n° 616; J. Matin, n° 679 (sic); Mess, soir, n° 651; M.U., XL, 189; C. Eg., n° 651; J. Sablier, n° 1350; C. Univ., 12 prair.; J. Vniv., n08 1649 et 1651; J. S.-Culottes, n° 470; Audit, nat., n° 615; Feuille Rép., n° 333; Ann. R.F., n° 188; J. Fr., n° 621. (2) P.V., XXXVIII, 217. (3) Voir Arch. pari. T. LXXXVIII, n° 49, du 16 germ. II. (4) Voir Arch. pari. T. LXXXIX, n° 45, du 6 flor. soigner, puisque la dévastation ou l’abandon les présente sous une forme désavantageuse à la vente. Mais pourquoi vendre des établissemens qu’il faudroit créer s’ils n’existoient pas ? Dans plusieurs rapports consécutifs; présentés à la Convention il y a 8 mois, je crois en avoir prouvé l’utilité jusqu’à l’évidence. Annuellement nous importons de l’étranger pour des sommes immenses ce que notre sol nous fourniroit si nous sollicitions sa fécondité. La France est située de manière à devenir, quand nous voudrons, l’abrégé de tous les climats et l’entrepôt de l’Europe. Les plantes qui croissent entre les tropiques prospèrent dans nos départemens méridionaux; toutes les plantes septentrionales, jusqu’aux dernières limites de la végétation, s’acclimatent dans ceux du Nord. En secondant ou en combattant l’influence du climat, sans brusquer le tempérament des plantes les plus rebelles, insensiblement on a vaincu leur répugnance, et des familles nouvelles passant du Midi au Nord et du Nord au Midi, montent sur nos coteaux, descendent dans nos vallons, augmentent nos jouissances et agrandissent le domaine des arts. Depuis Duhamel, c’est-à-dire depuis environ 50 ans, en plantes ligneuses, arbres, arbrisseaux et sous-arbrisseaux, nous avons acquis plus de 800 espèces qui croissent actuellement en pleine terre, et quelques-uns de ces individus isolés en très-petit nombre dans des possessions, devenues nationales, doivent être d’autant plus soigneusement conservés qu’ils commencent à donner leurs fruits et faciliter les moyens de multiplication. Les végétaux les plus précieux sur-tout pour la nourriture, sont originairement des étrangers naturalisés chez nous. Outre les plantes alimentaires pour les hommes et les animaux, nous avons obtenu des plantes à teinture, à filature; des arbres à fruit, des arbres forestiers pour l’architecture civile et navale. De nouveaux efforts nous promettent de nouvelles conquêtes, auxquelles nous ne devons assigner d’autres bornes que celles de la nature. Parmi les plantes qui croissent spontanément sur notre sol, il en est une nouvelle foule qui n’ont point encore acquis la perfection végétale et qui peuvent être de la plus grande utilité, lorsqu’elles auront subi les heureuses métamorphoses par lesquelles la culture les adapte à nos usages. Les environs de Paris ne présentent que 1 200 végétaux indigènes. Vers les Pyrénées on en compte 1800. Dans les départemens de l’Isère, de la Drôme, des Hautes-Alpes, on en trouve environ 3 000. Il n’y en a guères que le trentième qui soient réputées alimentaires, et cependant un naturaliste vous en montre jusqu’à 500 (5) qui contiennent, à divers degrés, la substance nutritive : il la trouve jusques dans les lichen, les conserva, les tremella, les bissus; il la trouve même dans les plantes vénéneuses, et qui, de même que le manioc en Amérique, peuvent être dépouillées de leur qualités nuisibles, et accroître la masse de nos comestibles. (5) Voir Catalogues des substances végétales qui peuvent servir à la nourriture de l’homme, et qui se trouvent dans les départements de l’Isère, de la Drôme, des Hautes-Alpes, par le Cn Villar, à Grenoble. 144 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Une réflexion sort naturellement de ces faits; c’est que la main bienfaisante de la providence a placé autour de nous des ressources encore inconnues contre la disette, et ceux qui tentent d’alarmer le peuple sur les subsistances, sont ou bien ignorans ou bien pervers. Le décret du 22 floréal (6) sur les secours publics, porte (tit. IV, art. 12) que chaque commune dans les campagnes, fera « cultiver, autant » que lui permettront les localités, les plantes » les plus usuelles en médecine qui leur seront » indiquées par l’officier de santé. Il est fait » une invitation civique aux citoyens de l’arron-» dissement, de cultiver dans leurs jardins » quelques unes de ces plantes, et d’en fournir » gratuitement aux malades. » Félicitez-vous d’avoir adopté cette mesure qui sera couronnée du succès. Ici se présente une vue politique, digne des législateurs d’un peuple libre. L’acquisition des drogues étrangères de toutes espèces, faisoit écouler annuellement hors de nos frontières un numéraire considérable; c’est encore une servitude dont nous pouvons nous affranchir. Pour assouvir ses insatiables caprices, le luxe avoit mis l’Univers à contribution; en nous apportant des maux de tous les pays, il nécessitoit des remèdes de tous les pays. Delà cette immensité de formules, cette complication de recettes, ces magasins de drogues, dont l’aspect seul rendroit malade; et suivant l’expression d’un savant médecin, elles servoient utilement la subtilité des jongleurs, qui se substituent aux vrais officiers de santé pour mettre à prix la vie des hommes. Sauvages a compté quatre mille maladies qui peuvent nous attaquer; ces quatre mille ennemis déchaînés contre l’humanité, sont pour la plupart les enfans de l’imprudence, du luxe, de l’immoralité, et certainement elles peuvent être réduites à un très-petit nombre, par l’effet d’une révolution qui nous rend à la nature, qui, au physique et au moral, reconstitue pour ainsi dire l’espèce humaine. Soyez sûrs d’ailleurs qu’il existe sous nos mains des remèdes simples comme la nature, énergiques comme elle pour combattre les germes destructeurs des hommes et des animaux qui sont les premiers instruments de l’agriculture. Hippocrate, le seul des philosophes anciens qui ait fait une secte durable, et qui, s’il reve-noit, seroit encore le héros de la médecine, Hippocrate, dans ses prescriptions, n’indique que des plantes de la Grèce. C’est ici le moment de réaliser les vues qu’ont présentées des hommes instruits, en formant une pharmacie indigène par le moyen des végétaux qui croissent spontanément, ou qui originairement exotiques sont acclimatés sur notre sol; ils auront l’avantage d’être moins coûteux et plus sûrs que tant de drogues équivoques et falsifiées en passant par des mains avides (7) . On peut citer d’heureux essais en ce genre; et les résultats seront plus signalés quand le passage des plantes de l’état sauvage à la culture, (6) Voir Arch. pari. T. XC, n° 49, du 22 flor. (7) Voir essais botaniques, chimiques et pharmaceutiques sur quelques plantes indigènes, substituées avec succès à des végétaux exotiques, par Coste et Willemet. aura développé leurs principes et leur force végétale. Nos isles ont un quinquina dont on fait usage: avec cette plante et la cochenille silvestre qui prospère à St-Domingue, et qui probablement réussiroit sur les nopals qu’on trouve en abondance sur le contour des remparts de Monaco, on se passera peut-être de la cochenille mestè-que et de l’écorce du Pérou. D’ailleurs on peut se promettre que par des essais sagement gradués le quinquina, le féné, l’arbuste à thé croîtront en France; déjà ce dernier commence à s’y naturaliser; et comment se refuseroit-il à notre climat, puisqu’à Upsal il a passé des hivers en pleine terre ? Le monopole des épices échappe enfin à l’avidité hollandoise. Outre les aromates qui peuvent se naturaliser en France, vos colonies vous offrent leurs ressources. En 1791 et 1792 le jardin national de Cayenne a distribué, tant aux citoyens de cette colonie que des autres isles, 32,514 individus; et le 28 juillet dernier il restoit dans les pépinières, à délivrer dans le courant de cette année et de la suivante, 60 mille girofliers, 10 mille canneliers, 6 mille arbres à pain et mille poivriers, sans compter les individus réservés pour les propriétés de la République; et de plus, environ 180 mille petits girofliers qui n’étoient encore qu’à la hauteur de quatre pouces. Voilà des faits qu’il est bon de faire connoître, afin que le peuple français voie par-tout la nature et l’art préparer de concert sa prospérité et son bonheur. Par le moyen des jardins nationaux que nous avons à Charles-Town et à New-Yorck, nous obtiendrons les végétaux de l’Amérique septentrionale; par les jardins des isles de France et de la Réunion, les végétaux des Indes Orientales; et peut-être penserez-vous qu’il faut utiliser les jardins que la République possède à Constantinople, pour nous procurer les plantes des autres contrées de l’orient. Avant de les transplanter dans le nord de la France, on leur feroit oublier leur pays natal dans des localités plus analogues à leur tempérament. Vous con-noissez l’importance du jardin presqu’abandon-né d’Hières; le département des Alpes maritimes vous offre à Nice la végétation de presque toute l’Italie, et sur-tout à Menton, qui est voisin de l’état de Gênes : là vous avez, dans une des positions les plus belles de l’Europe, le jardin de Carnolet, qu’il seroit important de consacrer à l’éducation des plantes. On établira sans doute, dans diverses parties de la République, quelques serres assez étendues, assez vastes pour que les plantes de toute grandeur puissent librement y développer leur croissance : l’esprit d’ordre et d’économie doit présider à tout; mais c’est précisément en partant de ce principe que je dirai : Nous voulons accroître la richesse nationale; dès-lors point de mesquinerie; en fait d’administration et de gouvernement, des vues étroites sont des vues détestables. Par votre décret du 10 juin 1793, le Muséum d’histoire naturelle est chargé de correspondre avec tous les établissemens analogues de la France et des autres contrées du globe; vous avez déterminé l’objet de cette correspondance en la dirigeant vers le perfectionnement de l’agriculture, du commerce et des arts. Le Muséum est pour ainsi dire un réservoir commun, 144 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Une réflexion sort naturellement de ces faits; c’est que la main bienfaisante de la providence a placé autour de nous des ressources encore inconnues contre la disette, et ceux qui tentent d’alarmer le peuple sur les subsistances, sont ou bien ignorans ou bien pervers. Le décret du 22 floréal (6) sur les secours publics, porte (tit. IV, art. 12) que chaque commune dans les campagnes, fera « cultiver, autant » que lui permettront les localités, les plantes » les plus usuelles en médecine qui leur seront » indiquées par l’officier de santé. Il est fait » une invitation civique aux citoyens de l’arron-» dissement, de cultiver dans leurs jardins » quelques unes de ces plantes, et d’en fournir » gratuitement aux malades. » Félicitez-vous d’avoir adopté cette mesure qui sera couronnée du succès. Ici se présente une vue politique, digne des législateurs d’un peuple libre. L’acquisition des drogues étrangères de toutes espèces, faisoit écouler annuellement hors de nos frontières un numéraire considérable; c’est encore une servitude dont nous pouvons nous affranchir. Pour assouvir ses insatiables caprices, le luxe avoit mis l’Univers à contribution; en nous apportant des maux de tous les pays, il nécessitoit des remèdes de tous les pays. Delà cette immensité de formules, cette complication de recettes, ces magasins de drogues, dont l’aspect seul rendroit malade; et suivant l’expression d’un savant médecin, elles servoient utilement la subtilité des jongleurs, qui se substituent aux vrais officiers de santé pour mettre à prix la vie des hommes. Sauvages a compté quatre mille maladies qui peuvent nous attaquer; ces quatre mille ennemis déchaînés contre l’humanité, sont pour la plupart les enfans de l’imprudence, du luxe, de l’immoralité, et certainement elles peuvent être réduites à un très-petit nombre, par l’effet d’une révolution qui nous rend à la nature, qui, au physique et au moral, reconstitue pour ainsi dire l’espèce humaine. Soyez sûrs d’ailleurs qu’il existe sous nos mains des remèdes simples comme la nature, énergiques comme elle pour combattre les germes destructeurs des hommes et des animaux qui sont les premiers instruments de l’agriculture. Hippocrate, le seul des philosophes anciens qui ait fait une secte durable, et qui, s’il reve-noit, seroit encore le héros de la médecine, Hippocrate, dans ses prescriptions, n’indique que des plantes de la Grèce. C’est ici le moment de réaliser les vues qu’ont présentées des hommes instruits, en formant une pharmacie indigène par le moyen des végétaux qui croissent spontanément, ou qui originairement exotiques sont acclimatés sur notre sol; ils auront l’avantage d’être moins coûteux et plus sûrs que tant de drogues équivoques et falsifiées en passant par des mains avides (7) . On peut citer d’heureux essais en ce genre; et les résultats seront plus signalés quand le passage des plantes de l’état sauvage à la culture, (6) Voir Arch. pari. T. XC, n° 49, du 22 flor. (7) Voir essais botaniques, chimiques et pharmaceutiques sur quelques plantes indigènes, substituées avec succès à des végétaux exotiques, par Coste et Willemet. aura développé leurs principes et leur force végétale. Nos isles ont un quinquina dont on fait usage: avec cette plante et la cochenille silvestre qui prospère à St-Domingue, et qui probablement réussiroit sur les nopals qu’on trouve en abondance sur le contour des remparts de Monaco, on se passera peut-être de la cochenille mestè-que et de l’écorce du Pérou. D’ailleurs on peut se promettre que par des essais sagement gradués le quinquina, le féné, l’arbuste à thé croîtront en France; déjà ce dernier commence à s’y naturaliser; et comment se refuseroit-il à notre climat, puisqu’à Upsal il a passé des hivers en pleine terre ? Le monopole des épices échappe enfin à l’avidité hollandoise. Outre les aromates qui peuvent se naturaliser en France, vos colonies vous offrent leurs ressources. En 1791 et 1792 le jardin national de Cayenne a distribué, tant aux citoyens de cette colonie que des autres isles, 32,514 individus; et le 28 juillet dernier il restoit dans les pépinières, à délivrer dans le courant de cette année et de la suivante, 60 mille girofliers, 10 mille canneliers, 6 mille arbres à pain et mille poivriers, sans compter les individus réservés pour les propriétés de la République; et de plus, environ 180 mille petits girofliers qui n’étoient encore qu’à la hauteur de quatre pouces. Voilà des faits qu’il est bon de faire connoître, afin que le peuple français voie par-tout la nature et l’art préparer de concert sa prospérité et son bonheur. Par le moyen des jardins nationaux que nous avons à Charles-Town et à New-Yorck, nous obtiendrons les végétaux de l’Amérique septentrionale; par les jardins des isles de France et de la Réunion, les végétaux des Indes Orientales; et peut-être penserez-vous qu’il faut utiliser les jardins que la République possède à Constantinople, pour nous procurer les plantes des autres contrées de l’orient. Avant de les transplanter dans le nord de la France, on leur feroit oublier leur pays natal dans des localités plus analogues à leur tempérament. Vous con-noissez l’importance du jardin presqu’abandon-né d’Hières; le département des Alpes maritimes vous offre à Nice la végétation de presque toute l’Italie, et sur-tout à Menton, qui est voisin de l’état de Gênes : là vous avez, dans une des positions les plus belles de l’Europe, le jardin de Carnolet, qu’il seroit important de consacrer à l’éducation des plantes. On établira sans doute, dans diverses parties de la République, quelques serres assez étendues, assez vastes pour que les plantes de toute grandeur puissent librement y développer leur croissance : l’esprit d’ordre et d’économie doit présider à tout; mais c’est précisément en partant de ce principe que je dirai : Nous voulons accroître la richesse nationale; dès-lors point de mesquinerie; en fait d’administration et de gouvernement, des vues étroites sont des vues détestables. Par votre décret du 10 juin 1793, le Muséum d’histoire naturelle est chargé de correspondre avec tous les établissemens analogues de la France et des autres contrées du globe; vous avez déterminé l’objet de cette correspondance en la dirigeant vers le perfectionnement de l’agriculture, du commerce et des arts. Le Muséum est pour ainsi dire un réservoir commun, SÉANCE DU 11 PRAIRIAL AN II (30 MAI 1794) - Nos 43 BIS A 45 145 qui fournira aux autres jardins et recevra d’eux des échanges : ces jardins répandront dans leur voisinage des lumières, par l’exemple d’une culture éclairée; car l’exemple sera toujours le premier des instituteurs, et c’est là que les commîmes et les citoyens pourront obtenir des végétaux propres à remplir les vues bienfaisantes consacrées dans votre décret du 22 floréal. Cette occupation, qui présente le double aspect de l’utile et de l’agréable, peut encore seconder l’éducation trop négligée des abeilles; elle plaira sans doute aux femmes, dont la minorité a professé un dévouement intrépide à la révolution, mais qui, collectivement considérées, ont de grands arrérages à payer au patriotisme. Quant aux dépenses nécessaires pour l’entretien des jardins botaniques qui sont au nombre de plus de quarante, il nous est impossible de présenter un calcul approximatif; il est subordonné à la connoissance de l’étendue territoriale des divers jardins, et sur-tout des dégradations occasionnées par la négligence ou la malveillance. Vos comités se proposent de faire partir au plutôt une circulaire, qui présentera une série de questions dont les réponses doivent constater l’état de ces établissemens et le degré d’intérêt qu’ils peuvent inspirer : cependant, comme il est urgent de pourvoir à cet entretien, en ce moment sur-tout où la végétation développe toutes ses richesses, vos comités des finances, des domaines et d’instruction publique ont cru devoir arbitrer une somme pour cet objet; ils vous proposent en conséquence le décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, des domaines et d’instruction publique, décrète : «Art. I. - La trésorerie nationale tiendra à la disposition de la commission d’agriculture et des arts la somme de 150,000 1. pour les dépenses nécessaires à la conservation provisoire et à l’entretien des jardins botaniques et plantes rares des divers districts. « II. - Les comités de salut public, des domaines et d’instruction publique présenteront un rapport sur le parti le plus avantageux à tirer des jardins que la République possède à Constantinople, et dans divers autres pays étrangers. Ce décret est adopté (1) . La Convention nationale décrète l’impression et la distribution de son discours, ainsi que du rapport fait sur le même objet, au nom des comités des finances, des domaines et d’instruction publique (2) . 43 bis Sur le rapport de GRÉGOIRE, la Convention rend le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [GRÉGOIRE, au nom de] (1) Mon., XX, 617. Rapport imprimé par ordre de la Conv. Broch. in-8°, 10 p. (B.N. 8° Le38 802). Les notes (5) et (7) ne figurent que dans le rapport imprimé par la Conv. Décret de la Conv., voir ci-dessous, n° 43bls; Débats, n° 626, p. 310-315. (2) P.V., XXXVIII, 218. C. Eg., n° 651; J. Mont., n° 35. Voir ci-après n° 43bls. ses comités des finances, des domaines et d’instruction publique, décrète : « Art. I. - La trésorerie nationale tiendra à la disposition de la commission d’agriculture et des arts, la somme de 150.000 livr. pour les dépenses nécessaires à la conservation provisoire et à l’entretien des jardins botaniques et plantes rares des divers districts. « II. - Les comités de salut public, des domaines et d’instruction publique, présenteront un rapport sur le parti le plus avantageux à tirer des jardins que la République possède à Constantinople et dans divers pays étrangers » (1) . 44 CARRIER : L’iniquité de ces jugemens (2) provient de ce que les jurys ne sont en général composés que des citoyens actifs de 1791. Le comité de législation doit présenter un projet de loi pour introduire les sans-culottes dans cette constitution : je demande qu’il le fasse incessamment. — Cette proposition est décrétée comme suit (3) : « Sur la proposition d’un membre [CARRIER], la Convention nationale décrète que le comité de législation fera incessamment un rapport sur une nouvelle organisation du juré ordinaire » (4) . 45 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [LOZEAU, au nom de] son comité d’aliénation et domaines, réunis, « Casse et annuité la délibération du conseil-général de la commune d’Issoudun, du 10 frimaire dernier, l’avis du district d’Issoudun, du 6 floréal, et l’arrêté du département de l’Indre du 7 du même mois; renvoie ladite commune à se pourvoir dans les formes légales, pour obtenir, s’il y a lieu, la faculté d’acquérir l’enclos des ci-devant cordeliers, pour y établir un cimetière » (5) . (1) P.V., XXXVIII, 213. Minute de la main de Grégoire (C304, pl. 1123, p. 17). Décret n° 9339. (Minute du p.-v. AP11 28, pl. 229, p. 4), p.c.c. Cordœr (inspecteur), Lesage-Senault (secrétaire); Francastel (secrét.); Débats, n° 618, p. 157; J. Sablier, n° 1351; M.U., XL, 188; Feuille Rép., n° 332; J. S.-Culottes, n° 470; Ann. RF., n° 183; J. Fr., n° 614; J. Matin, n° 679 (sic) ; J. Perlet, n° 616; J. Paris, n° 516. Cette affaire fait l’objet de 2 mentions séparées au procès-verbal : p. 213, décret; p. 217-218, rapport de Grégoire (voir ci-dessus n° 43). (2) Il se réfère aux jugements des tribunaux de l’Ardèche et du Cantal, (voir ci-dessus nos 36 et 39). (3) Débats, n° 618, p. 153. (4) P.V., XXXVIII, 214. Minute de la main de Carrier (C304, pl. 1123, p. 18). Décret n° 9340. Reproduit dans J. Perlet, n° 617; Mon., XX, 606; J. S.-Culottes, n° 471; M.U., XL, 203. (5) P.V., XXXVIII, 214. Minute de la main de Lozeau (C 304, pl. 1123, p. 19) . Décret n° 9341. Reproduit dans Mon., XX, 608. 10 SÉANCE DU 11 PRAIRIAL AN II (30 MAI 1794) - Nos 43 BIS A 45 145 qui fournira aux autres jardins et recevra d’eux des échanges : ces jardins répandront dans leur voisinage des lumières, par l’exemple d’une culture éclairée; car l’exemple sera toujours le premier des instituteurs, et c’est là que les commîmes et les citoyens pourront obtenir des végétaux propres à remplir les vues bienfaisantes consacrées dans votre décret du 22 floréal. Cette occupation, qui présente le double aspect de l’utile et de l’agréable, peut encore seconder l’éducation trop négligée des abeilles; elle plaira sans doute aux femmes, dont la minorité a professé un dévouement intrépide à la révolution, mais qui, collectivement considérées, ont de grands arrérages à payer au patriotisme. Quant aux dépenses nécessaires pour l’entretien des jardins botaniques qui sont au nombre de plus de quarante, il nous est impossible de présenter un calcul approximatif; il est subordonné à la connoissance de l’étendue territoriale des divers jardins, et sur-tout des dégradations occasionnées par la négligence ou la malveillance. Vos comités se proposent de faire partir au plutôt une circulaire, qui présentera une série de questions dont les réponses doivent constater l’état de ces établissemens et le degré d’intérêt qu’ils peuvent inspirer : cependant, comme il est urgent de pourvoir à cet entretien, en ce moment sur-tout où la végétation développe toutes ses richesses, vos comités des finances, des domaines et d’instruction publique ont cru devoir arbitrer une somme pour cet objet; ils vous proposent en conséquence le décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, des domaines et d’instruction publique, décrète : «Art. I. - La trésorerie nationale tiendra à la disposition de la commission d’agriculture et des arts la somme de 150,000 1. pour les dépenses nécessaires à la conservation provisoire et à l’entretien des jardins botaniques et plantes rares des divers districts. « II. - Les comités de salut public, des domaines et d’instruction publique présenteront un rapport sur le parti le plus avantageux à tirer des jardins que la République possède à Constantinople, et dans divers autres pays étrangers. Ce décret est adopté (1) . La Convention nationale décrète l’impression et la distribution de son discours, ainsi que du rapport fait sur le même objet, au nom des comités des finances, des domaines et d’instruction publique (2) . 43 bis Sur le rapport de GRÉGOIRE, la Convention rend le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [GRÉGOIRE, au nom de] (1) Mon., XX, 617. Rapport imprimé par ordre de la Conv. Broch. in-8°, 10 p. (B.N. 8° Le38 802). Les notes (5) et (7) ne figurent que dans le rapport imprimé par la Conv. Décret de la Conv., voir ci-dessous, n° 43bls; Débats, n° 626, p. 310-315. (2) P.V., XXXVIII, 218. C. Eg., n° 651; J. Mont., n° 35. Voir ci-après n° 43bls. ses comités des finances, des domaines et d’instruction publique, décrète : « Art. I. - La trésorerie nationale tiendra à la disposition de la commission d’agriculture et des arts, la somme de 150.000 livr. pour les dépenses nécessaires à la conservation provisoire et à l’entretien des jardins botaniques et plantes rares des divers districts. « II. - Les comités de salut public, des domaines et d’instruction publique, présenteront un rapport sur le parti le plus avantageux à tirer des jardins que la République possède à Constantinople et dans divers pays étrangers » (1) . 44 CARRIER : L’iniquité de ces jugemens (2) provient de ce que les jurys ne sont en général composés que des citoyens actifs de 1791. Le comité de législation doit présenter un projet de loi pour introduire les sans-culottes dans cette constitution : je demande qu’il le fasse incessamment. — Cette proposition est décrétée comme suit (3) : « Sur la proposition d’un membre [CARRIER], la Convention nationale décrète que le comité de législation fera incessamment un rapport sur une nouvelle organisation du juré ordinaire » (4) . 45 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [LOZEAU, au nom de] son comité d’aliénation et domaines, réunis, « Casse et annuité la délibération du conseil-général de la commune d’Issoudun, du 10 frimaire dernier, l’avis du district d’Issoudun, du 6 floréal, et l’arrêté du département de l’Indre du 7 du même mois; renvoie ladite commune à se pourvoir dans les formes légales, pour obtenir, s’il y a lieu, la faculté d’acquérir l’enclos des ci-devant cordeliers, pour y établir un cimetière » (5) . (1) P.V., XXXVIII, 213. Minute de la main de Grégoire (C304, pl. 1123, p. 17). Décret n° 9339. (Minute du p.-v. AP11 28, pl. 229, p. 4), p.c.c. Cordœr (inspecteur), Lesage-Senault (secrétaire); Francastel (secrét.); Débats, n° 618, p. 157; J. Sablier, n° 1351; M.U., XL, 188; Feuille Rép., n° 332; J. S.-Culottes, n° 470; Ann. RF., n° 183; J. Fr., n° 614; J. Matin, n° 679 (sic) ; J. Perlet, n° 616; J. Paris, n° 516. Cette affaire fait l’objet de 2 mentions séparées au procès-verbal : p. 213, décret; p. 217-218, rapport de Grégoire (voir ci-dessus n° 43). (2) Il se réfère aux jugements des tribunaux de l’Ardèche et du Cantal, (voir ci-dessus nos 36 et 39). (3) Débats, n° 618, p. 153. (4) P.V., XXXVIII, 214. Minute de la main de Carrier (C304, pl. 1123, p. 18). Décret n° 9340. Reproduit dans J. Perlet, n° 617; Mon., XX, 606; J. S.-Culottes, n° 471; M.U., XL, 203. (5) P.V., XXXVIII, 214. Minute de la main de Lozeau (C 304, pl. 1123, p. 19) . Décret n° 9341. Reproduit dans Mon., XX, 608. 10