[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1790.] 725 qu’il soit indemnisé ; si cinquante ans de jouissance d’un établissement qu’il a créé ne suffisent point à son indemnité, il faut trouver un autre mode de le rendre indemne ; ce qui est toujours facile, lorsque l'établissement qu’il a formé est comme éternel. Cinquante ans de jouissance du péage établi sur le canal dont il s’agit suffiraient-ils, dans les circonstances, à la parfaite indemnité du sieur Brullée? Il aura, sans doute, beaucoup d’établissements qui y concourront; mais est-ce une raison pour confondre les avantages qui résulteront de ce canal, avec ceux qui dépendront des établissements formés à l’occasion de ce éanal ? Ces objets sont séparables et doivent être séparés ; on ne doit point confondre strictement les bénéfices d’une industrie louable et utile au ublic, avec ceux qui doivent résulter du canal. faut prendre un terme moyen ; d’après ces raisons, il est évident, dit le sieur Brullée, que le comité fut trop sévère. Les propositions rappelées, continue-t-il, paraissent très raisonnables. La nation veut-elle acquérir la propriété du canal? elle peut le faire, en restituant la valeur de son emplacement et l’emplacement de ses dépendances, et la valeur des établissements qu’il aura formés par son utilité particulière, qu’on ne peut, sans inconvénients, séparer du canal. Elle gagnera, dans ce cas, les dépenses de la construction de ce canal, des écluses, des ponts, etc. Ce gain n’est-il pas assez honnête? ne doit-elle pas restituer la valeur brute d’un terrain dont elle a vendu une partie, dont le prix lui aura été payé, et qui lui est rendu, enrichi d’un canal et de ses accessoires indispensables ? enfin doit-on espérer que les citoyens se livreront à de grandes entreprises, si les risques seulement sont pour eux? Si la nation, au contraire, veut abandonner la propriété dudit canal, elle trouvera dans mes propositions, dit le sieur Brullée, un avantage dont il n’existe aucun exemple : c’est celui d’un péage continuellement décroissant, jusqu’à ce qu’il soit réduit à ce qui est indispensablement nécessaire à son entretien, qui sera probablement toujours à la charge de ceux qui s’en serviront; ce moyen est sûrement plus utile à l’Etat que d’acquérir la propriété d’un établissement qui exigera toujours une foule d’employés très dispendieux, peu économes, etc., etc. « Art. 16. 11 mettra dans l’année, à compter du jour de la sanction du présent décret, ses travaux en activité, après avoir justifié au département de Paris qu’il peut disposer de dix millions : il les achèvera dans le terme de huit ans; s’il ne remplit pas l’une et l’autre de ces conditions, il sera déchu du bénéfice du présent décret, sans pouvoir rien répéter à la charge de la nation. « Art. 17. L'Assemblée nationale se réserve de prononcer s’il y a lieu d’ouvrir une branche de communication de ce canal à la Seine, au droit de Saint-Denis; si elle est jugée nécessaire, elle sera faite aux dépens du sieur Brullée, et fera partie du canal. « Art. 18. Il est autorisé à faire vérifier, à ses frais, par les commissaires de l’académie des sciences, ci-dessus rappelés, le reste de son projet de navigation, en indemnisant préalablement ceux qui devraient éprouver quelques dommages de ses opérations; défenses sont faites à toutes personnes de le troubler, ainsi que ceux employés à ce travail, soit en les molestant, soit en déplaçant leurs jalons, soit autrement, à peine d’être poursuivis et punis selon la rigueur des lois (1). ;< Art. 19. Le roi sera prié de nommer deux commissaires, l’un de l’académie des sciences, et l’autre de celle d’architecture, pour arrêter, avec le sieur Brullée, d’après les observations des départements: 1° les opérations scientifiques; 2° l’emplacement le plus avantageux du canal ; 3° et les autres moyens d’exécution. » TARIF du péage demandé par le sieur Brullée. « Art. 1er. Les bateaux, tels qu’ils soient, chargés de grains, vins, chanvres, bois, fers, charbons de toute espèce, foins, pailles, poteries, pierres, chaux, tuiles, ardoises et engrais, payeront six deniers du quintal, poids de marc, eu raison de chaque lieue de 2,000 toises qu’ils feront sur ledit canal. Us payeront, pour toutes autres mar chandises, neuf deniers du quintal poids de marc, en raison de chaque lieue. « Art. 2. Les trains de bois de toute espèce et les bateaux vides qui passeront sur ce canal payeront 12 sols par toise de longueur et par lieue. « Les bateaux qui n’auront que le tiers de leur charge ou moins payeront ces mêmes droits, en sus de ceux dus par les marchandises. « Les batelets et bachots d’environ vingt pieds de longueur payeront 15 sols par lieue. « Art. 3. Les voyageurs par les coches, diligences, batelets et gaiflottes établis sur le canal payeront 3 sols par lieue et 6 deniers par livre, pour leurs effets et marchandises, au-dessus de ce qui excédera le poids de dix livres. << Art. 4. Les bateaux chargés, les batelets ou bachots qui les suivent, et les trains de bois qui entreront dans ce canal, pour se rendre à leur destination, pourront y rester pendant dix jour3, à compter dès l’instant de leur entrée, sans rien payer pour droit de [séjour fou gare. Après ce temps, les bateaux et trains de bois payeront 1 sol 3 deniers par journée de vingt-quatre heures et par toise de longueur, pendant leur séjour dans ce canal, et les batelets et bachots, 2 sols seulement par journée. « Les bateaux vides, les batelets et bachots qui emprunteront le passage du canal, pourront y rester quatre jours sans payer les frais de séjour ou de gare. Après ce terme, ils les acquitteront, comme il est dit ci-dessus. « Art. 5. Les bateaux, batelets, bachots et trains de bois qui n’entreront dans le canal que pour s'y mettre en gare, en acquitteront les droits, à compter du moment de leur entrée. « Il sera fait un règlement pour la police du canal. » (L’Assemblée ordonne l’impression du rapport de M. Poncin.) Un membre du comité des domaines observe que le sieur Brullée demandant la concession de quelques domaines nationaux, tels, entre autres, que les fossés de la Bastille, il est nécessaire d’avoir l’avis du comité des domaines. Il propose d’ajourner l’affaire et de la renvoyer à un nouvel examen. M. Rewhell s’oppose à cet ajournement gé-(1) Cet article fut ajourné par le comité, et lesuiraat est proposé par le sieur Brullée, 726 [Assemhlée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [19 octobre 1790.) néral e insiste pour que la discussion s’ouvre sur Je fond d’un projet qui, indépendamment des avantages que promet son exécution, a cet objet prochain d’utilité publique de procurer du travail à une multitude d’ouvriers. Divers membres demandent la question préalable sur l’ajournement. Elle est mise aux voix et prononcée. M. Poncin, rapporteur , recommence la lecture des articles. Après quelques observations, le préambule et les quatre premiers articles sont décrétés en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de son comité d’agriculture et de commerce, de la demande du sieur Jean-Pierre Bru liée, citoyen français, demeurant à Paris, de construire, à ses frais, aux conditions consignées dans sa soumission du 12 septembre 1790, un canal de navigation qui prendrait sa naissance dans la Marne, sous Lizy, auprès de l’embouchure de l’Ourcq; de là passant par Meaux, Glaye et la Villette, descendrait dans un point de partage où il se diviserait en deux branches, dont l’une se rendrait, par les faubourgs Saint-Martin et du Temple, les fossés de la Bastille et de l’Arsenal, dans la Seine; et l’autre passerait par Saint-Denis, la vallée de Montmorency, Pierrelaye; se rendrait, d’un côté, à Gon-flans-Sainte-Honorine, et de l’autre côté dans l’Oise près Pontoise, et qui enfin se continuerait de Pontoise à Dieppe par Gournay et autres lieux : « Après avoir également entendu le rapport de l’avis du 24 mai 1786, donné par les sieurs Borda, Lavoisier, Condorcet, Perronet et Bossu, commissaires nommés pour l’examen du projet, alors présenté par ledit Brullée, et approuvé par l’académie des sciences ; de celui du 26 mai 1790, donné par lesdits sieurs Borda, Lavoisier, Condorcet et Bossu ; de la pétition des représentants de la commune de Paris, du 6 juin dernier, qui demandent l’exécution de ce projet et des dires des directoires des départements de Seine-et-Marne, et de Seine-et-Oise. « Décrète ce qui suit • Art. 1er. « Le sieur Brullée est autorisé d’ouvrir, à ses frais, un canal de navigation qui commencera à la Beuvronne, près du pont de Souilly, arrivera, entre la Villette et la Chapelle, dans un canal de partage qui formera deux branches. « L’une passera par les faubourgs de Saint-Martin et du Temple, les fossés de la Bastille et de l’Arsenal pour se rendre dans la Seine. « L’autre branche passera par Saint-Denis, la vallée de Montmorency, arrivera au-dessous de Pierrelaye, où elle se divisera encore en deux branches, dont l’une se rendra dans la Seiae à Conflans-Sainte-Honorine, et la seconde dans l’Oise près de Pontoise: il suivra, autant qu’il sera possible, la direction du plan joint à son acte de soumission ci-dessus rappelé. L’ancienne navigation de la Seine, de la Marne et de l’Oise restera libre comme ci-devant. Art. 2, « Ce canal, les berges, chemins de hallage, fossés, francs-bords et contre-fossés seront exécutés sur une largeur de terre de 60 toises; elle sera augmentée dans les endroits où il sera jugé nécessaire d’établir des réservoirs, bassins, gares, ports, abreuvoirs, et des anses pour le passage des bateaux, où les francs-bords ne donneraient point assez d’espace pour les dépôts des terres provenant des fouilles ; et aussi dans les eu-» droits où les terres d’excavations n’en fourniraient point suffisamment pour former les digues dudit canal. Art. 3. « Le canal aura, à la superficie de l’eau, dans l’intérieur de Paris, douze toises de largeur entre les murs de quais, et huit toises partout ailleurs; sa profondeur sera de six pieds d’eau. Il sera garni d’écluses partout où elles seront nécessaires; et dans la campagne, d’anses, de quatre cents toises en quatre cents toises. Art. 4. « Le sieur Brullée construira des ponts sur tou-» tes les grandes routes coupées par ledit canal, conformes à ceux existants sur lesdites routes et sur les chemins de traverse, éloignés l’un de l’autre au moins de mille toises; ils seront plus rapprochés, si l’utilité publique l’exige ; ils seront remplacés par des bacs, si quelque localité y nécessite. Il construira dans Paris des ponts à la rencontre des principales rues, et des quais de six toises de largeur, sous lesquels il pourra établir des magasins à son profit. » M. Chevalier demande la parole sur Parti»» cle 5 et propose qu’au lieu d’attribuer aux juges de paix la connaissance des indemnités que le sieur Brullée aura à payer pour le terrain qu’il sera forcé d’acquérir, l’estimation en soit faite par des commissaires nommés par les directoires de département dans leurs territoires respectifs. ''Cet amendement est adopté.) Les articles 5, 6, 7, 8 et 9 sont ensuite décrétés en ces termes : Art, 5. « Il acquerra les propriétés nécessaires à l'exé? cution de son canal et de ses dépendances, suivant l’estimation faite par des commissaires nommés par le directoire de département; et les difficultés, s’il en survient à cette occasion, seront terminées par les directoires de département. « Le propriétaire d’un héritage divisé par le canal pourra, lors du contrat, obliger le sieur Brullée d’acquérir les parties restantes, ou portion d’icelles, pourvu qu’elles n’excèdent pas en valeur celles acquises pour ledit canal et ses dépendances. Art. 6. « Il ne pourra se mettre en possession d’aucune propriété, qu’après le payement réel et effectif de ce qu'il devra acquitter. Si on refuse de recevoir en payement, ou en cas de difficulté, la consignation de la somme à payer, faite dans tel dépôt public que les directoires de département ordonneront, sera considérée comme payement, après qu’elle aura été notifiée ; alors toutes op» positions ou autres empêchements à la prise de possession seront sans effet.